Intervention de René Danesi

Commission des affaires européennes — Réunion du 18 décembre 2019 à 13h30
Déplacement en ukraine dans le cadre du suivi du partenariat oriental du 10 au 14 octobre 2019 : communication de mme gisèle jourda

Photo de René DanesiRené Danesi :

Je veux remercier Mme Jourda pour son rapport extrêmement intéressant, mais je tiens à le replacer dans son contexte historique et géopolitique.

Le Partenariat oriental a connu des résultats très intéressants en Géorgie, mais je suis beaucoup plus sceptique concernant l'Ukraine, pour plusieurs raisons.

L'Ukraine connaît des problèmes existentiels. C'est un État dont les frontières ont toujours été définies par Moscou et non par les Ukrainiens eux-mêmes. Cet État a connu une éclipse de sept siècles entre les invasions mongoles et 1917, et encore : la république créée alors sous protection allemande a vite été balayée par les bolchéviques. En 1922, l'Ukraine a réapparu, mais sous la forme d'une république vassale intégrée à l'URSS. Elle ne contenait alors ni la Crimée ni la Galicie : cette dernière lui a été intégrée en 1940 à la suite du partage de la Pologne entre Hitler et Staline ; la Crimée a quant à elle été offerte par Khrouchtchev à l'Ukraine en 1954, hormis Sébastopol, port stratégique sur lequel Moscou voulait conserver un contrôle direct.

Il est intéressant de noter que, lors du référendum organisé par Mikhaïl Gorbatchev en 1991 sur l'avenir de l'Union soviétique, auquel plusieurs républiques ont refusé de participer, l'Ukraine a très largement voté en faveur du maintien de l'URSS. Cela montre l'influence politique et psychologique exercée par Moscou, influence dont l'Ukraine peine à se défaire. En 2014, Moscou a repris la Crimée, parce que Vladimir Poutine n'avait aucune envie de voir la marine américaine mouiller à Sébastopol en lieu et place de la flotte russe, ce qui peut se comprendre.

Il faut ensuite noter le poids économique et politique majeur des oligarques dans ce pays qui a, du fait de son histoire, un personnel politique de deuxième choix. L'URSS a tout fait pour cela. Ses efforts ont commencé avec l'Holodomor, famine sciemment organisée par Staline et qui a tué 3,9 millions d'Ukrainiens entre 1932 et 1933 : la paysannerie a été décimée. En outre, avant même le massacre de Katyn, Staline a liquidé toute l'intelligentsia ukrainienne. Il n'y avait plus d'élite, et celle qui s'est reformée était communiste et soumise à Moscou, pour sa propre survie. L'Ukraine a donné trois secrétaires généraux au Parti communiste de l'Union soviétique : Khrouchtchev, Brejnev et Tchernenko. En outre, l'économie ukrainienne était profondément intégrée avec l'économie russe.

C'est pourquoi, quand l'Union soviétique a éclaté, les oligarques ont dépecé le pays et vivent encore aujourd'hui sur la bête ! Malheureusement, les Ukrainiens n'ont pas eu de Poutine et de FSB pour les en débarrasser. Derrière chaque président ukrainien, quelle que soit sa tendance politique, il y a eu un ou plusieurs oligarques, ce qui explique une corruption généralisée, combattue avec plus ou moins d'ardeur.

Le troisième problème majeur de l'Ukraine est l'influence extraordinaire qu'y ont les nationalistes. C'est le seul pays européen où l'on peut parader en uniforme de la Wehrmacht, voire de la SS ! Cela peut en partie s'expliquer par la réaction antisoviétique consécutive à l'Holodomor, qui a conduit à la création de la division SS Galicie, acteur majeur de la Shoah par balles, mais qui, outre les Juifs, a également massacré environ 100 000 Polonais. Ces nationalistes, antisémites, antipolonais, antisoviétiques et antirusses, sont aujourd'hui également anti-UE ! Certes, c'est une minorité, mais elle est très agissante et influente. Ainsi, le 1er janvier 2014, le parti d'extrême droite Svoboda a célébré le cent-cinquième anniversaire de Stepan Bandera, figure de la collaboration avec les nazis, par des marches aux flambeaux en uniformes de la division SS Galicie. En automne 2014, le président Porochenko a institué la Journée des défenseurs de l'Ukraine, fixée au 14 octobre, date de la fondation du parti de Bandera. Les bataillons Azov, dignes héritiers de la division Galicie, néonazis revendiqués, se battent contre les séparatistes prorusses avec l'aval et sous le commandement du ministère de la défense ukrainien, avec des méthodes pour le moins expéditives, torture comprise. Le 13 octobre dernier, le Premier ministre ukrainien était présent à un concert néonazi !

Enfin, l'Ukraine est devenue un enjeu géostratégique entre, d'une part, la Russie et, d'autre part, les États-Unis et leur sous-traitant, l'Union européenne, qu'ils chargent d'appâter l'Ukraine. Il faudrait pourtant ajouter quelques zéros aux montants octroyés au titre de l'aide à cet État. En Géorgie comme en Albanie, j'ai déjà été frappé par la faiblesse des aides européennes par rapport aux besoins de ces pays. Il ne faut pas s'étonner que leurs populations attendent avant tout des visas, pour faire leurs valises ! Si l'on veut que le Partenariat oriental soit efficace, il faut plutôt trouver les moyens financiers nécessaires pour aider ces pays. N'oublions pas que cela ne peut que profiter aux entreprises européennes !

En somme, je ne suis pas optimiste sur le Partenariat oriental, en particulier pour l'Ukraine, prise dans un maelstrom qui la dépasse !

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