Intervention de Patrick Kanner

Réunion du 7 janvier 2020 à 14h30
Réforme des retraites — Débat organisé à la demande de la commission des affaires sociales

Photo de Patrick KannerPatrick Kanner :

Mais de quels privilégiés parle-t-on ? De ceux qui ne souhaitent pas partir toujours plus tard à la retraite, toujours moins dotés et en mauvaise santé ?

Cela m’ennuie de répéter devant vous, monsieur le secrétaire d’État, une chose que vous savez déjà, vous qui êtes un homme du Nord : un ouvrier a six ans d’espérance de vie de moins qu’un cadre. Quant à l’espérance de vie en bonne santé, c’est-à-dire sans incapacité, elle est de 64, 5 ans pour les femmes et de 63, 5 ans pour les hommes : l’âge pivot à 64 ans est donc une aberration, une régression sociale !

Mais ce n’est pas la seule ligne rouge pour nous. Avec la réforme qui se profile, l’ouvrier qui a les conditions de travail les plus pénibles ne partira pas plus tôt à la retraite que le cadre. Il ne récupérera jamais les six ans d’écart d’espérance de vie. Les plus modestes paieront la retraite des plus favorisés. Et on nous parle d’égalité !

Oui, monsieur le secrétaire d’État, cette réforme est structurellement inégalitaire. Et pour viser l’égalité et la justice sociale, il ne suffira pas de moduler l’âge pivot ni même de reculer sur ce paramètre financier.

Il faut revoir la prise en compte de la pénibilité. Rappelons à cet égard qu’une des premières mesures d’Emmanuel Macron a consisté à revenir sur les dix critères de pénibilité mis en œuvre sous le précédent quinquennat au profit des salariés que le travail use. Le Medef – le Medef ! – les trouvait trop compliqués – traduction : trop favorables aux salariés…

Le Gouvernement a réduit ces critères à six. Désormais, pour pouvoir bénéficier d’un départ à la retraite quand on est exposé aux facteurs de pénibilité, il faut soit être victime d’invalidité soit souffrir d’une maladie professionnelle, donc avoir dit définitivement adieu à une retraite en bonne santé.

Car à quoi servaient ces dix critères du compte pénibilité ? À acquérir des droits spécifiques à la formation pour évoluer professionnellement, à réduire son temps de travail en fin de carrière ou sa durée d’activité pour partir plus tôt à la retraite. N’oublions pas non plus que le taux d’emploi des plus de 60 ans était de 32, 2 % en France l’année dernière. C’est bien toute une partie de la population que vous allez plonger dans une trappe à pauvreté sans fond.

Quant à nous, c’est parce que nous avons pris nos responsabilités et réussi à sauver notre système universel de retraite par répartition avec la réforme Touraine que nous pouvons dire aujourd’hui qu’une autre voie est possible.

Le système actuel est naturellement perfectible. Il peut et doit encore évoluer, mais l’argument d’autorité employé par le Gouvernement est un leurre. Il n’y a pas d’urgence à réformer du fait d’un prétendu sous-financement du système des retraites, et encore moins de le faire dans ces termes.

Monsieur le secrétaire d’État, gouverner en instrumentalisant la peur des Français est délétère pour la démocratie. Notre système est viable et il peut être amélioré selon plusieurs axes qui doivent être au cœur de nos réflexions : prise en compte de la pénibilité et des carrières longues qui doivent être au centre d’une réforme de justice ; amélioration de l’égalité entre les hommes et les femmes, en renforçant prioritairement l’acquisition de droits à la retraite pour les carrières discontinues et les droits dérivés.

Parce que niveau de vie et espérance de vie sont fortement corrélés, le financement du système de retraite doit responsabiliser davantage les entreprises en fonction de leur politique en matière de pénibilité et de santé au travail, ainsi que les salariés percevant de hauts revenus puisqu’ils sont le plus longtemps à la retraite. Ces nouvelles sources de financement doivent permettre de garantir à moyen et long terme le niveau de vie des retraités.

Tels sont les axes de progrès social que nous entendons soumettre au débat. Entendez-nous, monsieur le secrétaire d’État ! Ne méprisez pas les Français, ne méprisez pas le Parlement ! Votre réforme devait rassurer : c’est déjà un échec de ce point de vue. Le climat de régression sociale dans lequel vous menez vos travaux ne peut qu’accentuer la déchirure du tissu social.

Réformer le système de retraite, c’est refonder le pacte social. Quand allez-vous écouter la population pour présenter un projet d’avenir, un projet de confiance, un projet de justice sociale ?

Votre projet à l’impact indéterminé, systématiquement et paramétriquement incontrôlé, est fondamentalement injuste. Monsieur le secrétaire d’État, retirez-le !

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