« Aussi suis-je venu vous dire ce matin que nous nous battrons pour faire vivre ce beau modèle, solidaire et fraternel, du sauvetage en mer. Le Gouvernement et le Parlement le feront et j’y veillerai. » Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ces mots ont été prononcés par le Président de la République le 13 juin 2019, lors de la cérémonie d’hommage aux victimes du drame des Sables-d’Olonne, survenu le 7 juin précédent, au cours duquel Yann, Alain et Dimitri, trois sauveteurs en mer, ont perdu la vie lors d’une opération de sauvetage d’un bateau de pêche.
Ce drame a été à l’origine de la création de la mission commune d’information sur le sauvetage en mer et la sécurité maritime.
C’est une décision de la conférence des présidents, prise sur l’initiative de notre collègue Bruno Retailleau, qui a permis la constitution de cette mission très rapidement, dès le 9 juillet 2019.
L’événement tragique du mois de juin avait provoqué une émotion immédiate de l’opinion publique et des hommages sincères de la part de tous les responsables locaux et nationaux. Notre mission avait pour objet d’aller plus loin, de dépasser la réaction compassionnelle pour comprendre comment cet accident, où l’état du matériel a tenu une part déterminante, avait pu se produire et écouter la réaction, parfois marquée de colère, des acteurs du sauvetage en mer.
En nous focalisant sur la Société nationale de sauvetage en mer, la SNSM, il nous appartenait donc d’examiner le modèle économique du sauvetage en mer, financé en quasi-totalité par des dons, son modèle social, reposant sur le bénévolat, et ses besoins en termes de logistique et d’investissement.
En parfait accord avec Corinne Féret, présidente de la mission – je la remercie du soutien qu’elle m’a apporté et de la très bonne ambiance qui a régné tout au long de nos travaux –, la mission d’information a décidé de travailler selon une méthode assez particulière.
Tout d’abord, nous avons privilégié l’écoute des intervenants du terrain au format plus convenu des auditions au Sénat. Ainsi, le programme de nos déplacements – douze au total – a conduit des délégations de sénateurs à se rendre en Vendée – aux Sables-d’Olonne, où un hommage a été rendu aux sauveteurs disparus –, puis dans les départements des Alpes-Maritimes, du Calvados, de la Manche, du Finistère, de Loire-Atlantique, du Pas-de-Calais, des Côtes-d’Armor, d’Ille-et-Vilaine, du Morbihan, ainsi qu’en Martinique, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. À ce titre, je remercie Jean-François Rapin et Michel Vaspart qui, à la faveur d’un déplacement, ont représenté notre mission en ces contrées lointaines.
À chaque fois, nous avons recueilli les témoignages et les remarques de l’ensemble des intervenants : bénévoles de la SNSM, canotiers, patrons, présidents et trésoriers des stations, responsables des centres de formation et du pôle de soutien technique de la flotte, délégués départementaux, inspecteurs, élus locaux, responsables des centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage, les Cross, préfets maritimes, etc.
Ce n’est qu’à l’issue de ces rencontres, qui nous ont beaucoup appris, que nous avons réalisé les auditions des responsables institutionnels en clôturant par le témoignage de deux des rescapés du drame du 7 juin 2019.
La seconde particularité a été la célérité. Les missions d’information disposent traditionnellement de six mois pour présenter leurs conclusions. Nous avons mené nos travaux en trois mois et demi, en utilisant au maximum la période estivale pour nos visites dans les stations et les centres de formation.
Il s’agissait non pas de battre un record, mais de tenir deux objectifs : éviter absolument de répondre à un drame humain par une énième thèse savante et bien balancée, par un rapport de plus, et s’inscrire dans un calendrier comprenant, d’une part, l’examen du projet de loi de finances et, d’autre part, la tenue à l’automne 2019 du comité interministériel de la mer, le CIMer. Pour l’ensemble de ce travail, mené avec célérité, je remercie d’ailleurs les administrateurs qui nous ont accompagnés tout au long de notre mission.
Au terme de ses travaux, la mission d’information a établi une liste de trente propositions réparties en trois grands axes : mieux reconnaître le bénévolat et son engagement humaniste, garantir sur le long terme le financement des investissements et, enfin, démocratiser le fonctionnement de la SNSM et clarifier la répartition des rôles.
Ces propositions résultent bien sûr de notre réflexion. Mais elles reprennent aussi des demandes, parfois très modestes, qui nous ont été faites lors de nos déplacements et qui ont une forte valeur, une forte portée symboliques.
Sur chacun des trois thèmes, je reprendrai les propositions qui me paraissent les plus importantes.
La mission d’information n’a jamais remis en question le principe du bénévolat, qui est en réalité l’ADN du sauvetage en mer. Mais les sauveteurs bénévoles ressentent un manque de reconnaissance de la Nation, auquel il convient de répondre par des mesures concrètes.
Avant tout, la mission appelle donc à un travail avec les employeurs des sauveteurs. Ce travail devrait viser, d’une part, à améliorer le cadre de la disponibilité des sauveteurs pour leurs interventions et, d’autre part, à renforcer l’accès des sauveteurs à la formation, via le droit individuel à la formation (DIF).
Aujourd’hui les bénévoles sont trop souvent laissés seuls pour négocier directement avec leurs employeurs. À nos yeux, c’est au délégué départemental de la SNSM de recenser leurs demandes et de faire la démarche auprès des employeurs des sauveteurs pour formaliser des conventions leur permettant d’être plus facilement détachés de leurs obligations professionnelles dès lors qu’ils sont appelés à intervenir en mer.
Ce sont bien toutes les institutions qui doivent mieux reconnaître le bénévolat, l’État comme les organismes de formation et, bien sûr, la SNSM. La mission préconise ainsi l’accès aux congés de formation, l’octroi de jours de délégation pour certains cadres de la SNSM, la reconnaissance d’équivalence et l’uniformisation des diplômes de formation entre le ministère de l’intérieur, le ministère de la santé et la marine marchande.
En outre, la mission considère que tous les bénévoles devraient être adhérents de la SNSM, alors qu’aujourd’hui ils n’ont aucun rôle reconnu dans la gestion de cette association.
Au titre du financement, deux points me paraissent essentiels.
En premier lieu, il est urgent de faire diminuer la pression qui pèse lourdement sur les stations locales, en les exonérant du financement systématique de l’investissement – aujourd’hui, elles assument cette charge à hauteur de 25 % grâce à un effort considérable de collecte des dons – tout en réduisant autant que possible leurs frais de fonctionnement. Ainsi, le gros entretien des navires absorbe souvent plusieurs dizaines de milliers d’euros, alors même que les stations peinent à s’alimenter en carburant pour assurer les sorties en mer.
En second lieu, il n’est pas nécessaire de créer une nouvelle taxe, particulièrement sur la plaisance, qui contribue déjà par divers prélèvements au financement du sauvetage. En revanche, deux autres voies doivent être explorées. D’une part, l’affectation à la SNSM de taxes existantes, comme la fiscalité des permis de plaisance ou le produit des redevances de l’État sur l’occupation du domaine public maritime. D’autre part, le déploiement d’incitations fortes pour que l’ensemble des usagers de la mer, de plus en plus nombreux et divers, participent au financement du sauvetage en mer.
Nous avons envisagé, en ce sens, la création d’une contribution volontaire à l’achat de navires neufs et d’engins et matériels nautiques – paddles, kitesurfs, kayaks de mer, planches à voile, etc. –, dont le montant serait progressif en fonction du coût de l’équipement.
Enfin, pour ce qui concerne la gouvernance, les recommandations de la mission sont parties d’un constat : les bénévoles des stations et le siège de la SNSM sont aujourd’hui deux mondes qui ne se comprennent et ne se parlent plus. Cette situation est due en grande partie au caractère pyramidal, centralisé et peu démocratique de la SNSM, institution, et même « vache sacrée », selon les termes mêmes de son ancien président, qui peine à se réformer.
Nous en sommes convaincus : la SNSM aurait tout intérêt à s’inspirer de l’organisation de la protection civile. Ce serait là un moyen de rendre plus attractif le recrutement des bénévoles, enfin considérés comme de véritables acteurs de leur association.
Cette évolution implique de reconnaître dans les statuts de la SNSM la notion d’adhérent dans la plénitude de ses attributions. Elle devrait conduire, dans l’idéal, à adopter une structure fédérale – la SNSM deviendrait ainsi une fédération regroupant des associations départementales affiliées.