Je suis rapporteur du texte sur les quatre premiers articles. L'article 1er étend l'assistance médicale à la procréation (AMP) aux femmes seules et aux couples de femmes. L'article 2 ouvre la possibilité d'une autoconservation de gamètes pour les femmes comme pour les hommes. L'article 3 donne droit aux personnes nées d'AMP avec tiers donneur d'accéder sans condition aux informations non identifiantes relatives à ce donneur et à son identité. L'article 4 crée un mode de filiation par déclaration anticipée de volonté permettant aux couples de femmes de devenir légalement parents de l'enfant dès la naissance de ce dernier.
Permettez-moi au préalable de formuler quelques observations d'ordre général.
D'abord, on peut se demander si ces articles ont leur place dans une loi de bioéthique ; les révisions périodiques de ces lois doivent en principe intervenir dès qu'une avancée scientifique nécessite de réexaminer ce que la science peut légalement faire. Or l'AMP est une technique ancienne.
Toutefois, il figure tout de même dans le texte au moins un principe de bioéthique : la non-marchandisation des produits du corps humain. En outre, les questions posées par les dispositions en discussion sont exactement celles qui se posent dans le cadre d'une loi de bioéthique : est-ce que cela doit être autorisé parce que c'est possible ?
La réponse à cette question est loin d'être évidente, car il faut légiférer en ayant à l'esprit l'intérêt de la société. Le droit de la filiation est, à cet égard, structurant pour la société, et il peut s'opposer aux désirs individuels. On le sait bien, la juxtaposition de désirs individuels ne constitue pas en soi une société ; au contraire. Par ailleurs, certains intérêts individuels peuvent être concurrents entre eux : l'intérêt des femmes qui veulent un enfant et l'intérêt des enfants peuvent s'opposer. On peut essayer de concilier ces intérêts contradictoires, mais ce n'est pas toujours possible et, dans certains cas, il faut faire prévaloir l'intérêt de l'un par rapport à celui de l'autre.
Ensuite, on ne peut pas, en une telle matière, s'abriter derrière le droit ni derrière l'opinion publique.
On a beaucoup entendu parler, au cours des dernières semaines, d'égalité et de discrimination. Ce sont des notions juridiques, qui ont été largement traitées par les juridictions pour ce qui concerne l'AMP et l'accès des femmes à cette technique. Or plusieurs décisions du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État ont indiqué qu'aucun principe d'égalité n'imposait l'extension de l'AMP aux femmes seules et aux couples de femmes. La discrimination, l'inégalité, consiste à traiter différemment des situations identiques ; or il est évident que les femmes seules et les couples de femmes ne sont pas dans la même situation que les couples hétérosexuels. On ne peut donc pas s'abriter derrière le droit pour légiférer en matière d'AMP.
On ne peut non plus s'abriter derrière l'opinion. Il y a eu beaucoup de sondages à ce sujet, en particulier de l'Institut français d'opinion publique (IFOP). Ainsi, deux sondages de cet automne ont montré que les Français étaient à 65 % favorables à l'extension de l'AMP aux couples de femmes et à 61 % favorables au fait de favoriser la possibilité pour les couples d'hommes d'avoir un enfant, mais un troisième sondage indique que 83 % des Français sont favorables au droit des enfants d'avoir un père et une mère. Les Français sont donc favorables à la réforme, mais défavorables à ses conséquences...
Un autre argument n'a, selon moi, aucun impact : il consiste à dire que, ces situations existant déjà, pourquoi ne pas les autoriser ? Sans doute, ces situations - des femmes seules ou des couples de femmes ayant des enfants - existent, mais tout existe. La question n'est pas de savoir si cela existe, mais si nous devons l'institutionnaliser. Le fait que les choses se fassent à l'étranger n'est pas plus pertinent, car, de la même manière, tout se fait à l'étranger. Du reste, la GPA existe dans de nombreux pays, mais cela n'empêche pas les résidents de ces pays de faire du tourisme procréatif dans des pays moins-disants en matière d'éthique ; en effet, on trouvera toujours des pays où les choses sont moins chères, plus faciles, moins exigeantes. Nous devons déterminer ce que le droit français doit permettre.
J'en viens à la présentation des articles.
L'article 1er étend, je le disais, l'AMP aux couples de femmes et aux femmes seules. Je le rappelle, l'AMP telle qu'elle existe actuellement consiste en un ensemble de droits permettant de remédier à l'infertilité biologique ou d'éviter la transmission d'une maladie grave aux enfants d'un couple. Cet article vise à étendre ce dispositif à toutes les femmes seules et à tous les couples de femmes, qu'il y ait ou non infertilité.
Autant le dire tout de suite, je nourris les plus grandes réserves à cette extension de l'AMP, en raison, en premier lieu, du rôle que l'on entend faire jouer à la médecine. L'AMP est actuellement proposée aux personnes infertiles qui devraient pouvoir avoir des enfants - elles doivent, par exemple, être en âge de procréer -, mais qui n'y parviennent pas, y compris si la médecine est incapable d'expliquer pourquoi. Ainsi, peu importe que l'on puisse ou non diagnostiquer les causes de l'infertilité, seul compte le résultat : on n'arrive pas à avoir des enfants. Par conséquent, même si la médecine ne peut soigner l'infertilité, elle peut y remédier. Il n'y a donc en la matière aucune discrimination, puisque les couples de femmes et les femmes seules ne sont pas en situation d'avoir des enfants. L'espèce humaine est une espèce à reproduction sexuée ; une femme seule ou deux femmes ne sont donc pas en mesure de procréer.
Avec une telle extension, on sort du rôle curatif de la médecine pour répondre à un désir individuel. La médecine devient donc la médecine des désirs et non la médecine du malade. Cela me semble très dangereux, car si l'on satisfait ce désir, il n'y a aucune raison de s'arrêter là, et on se dirige alors vers l'eugénisme et même le transhumanisme. Il peut s'agir, aujourd'hui, d'avoir un enfant, et, demain, d'avoir un enfant ayant telles ou telles caractéristiques... L'octroi d'un tel rôle à la médecine me semble dangereux pour l'avenir de l'homme.
En second lieu, on ne parle que du désir des femmes d'avoir des enfants, mais on évoque peu l'intérêt des enfants ; or cela doit être étudié et pris en compte. Le désir d'une femme d'avoir un enfant est bien sûr le même, quelles que soient sa situation de couple et son orientation sexuelle, et ce désir est tout à fait respectable. De même, la capacité d'amour, d'attention, de bienveillance et d'éducation ne dépend évidemment pas de la situation de couple d'une femme. Néanmoins la question est : si tout cela est nécessaire, est-ce suffisant ? En effet, la conséquence d'une telle évolution serait la privation de père, au quotidien et à long terme, car il n'y aurait plus de filiation paternelle possible ; on aura une ou deux mères et rien de plus. Or pense-t-on qu'un père sert à quelque chose ? Pour le coup, l'opinion est assez claire sur ce point : l'IFOP a posé cette question en juin 2018 : « un père est-il essentiel ? » - et la réponse a été « oui » à 93 %. Nous avons donc une indication claire, même si, je le répète, on ne peut pas s'appuyer sur un sondage pour déterminer si l'on doit ou non approuver cette extension.
J'irai plus loin en ce qui concerne la situation des femmes seules, car notre attention a été appelée à de nombreuses reprises sur ce point par les médecins, les associations ou encore le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE).
Les enfants élevés par une femme seule, en effet, ne sont pas confrontés à l'altérité sexuée des parents. Les mères isolées ne bénéficient pas non plus de l'aide matérielle d'un père pour élever leurs enfants et les familles monoparentales sont souvent considérées comme un public à risques, vulnérable, par les politiques publiques. Le Président de la République a découvert, lors du Grand débat, que les familles monoparentales étaient dans une situation plus précaire que les autres, et pas seulement financièrement. Il est, en effet, plus difficile d'élever un enfant seul qu'à deux. Cela a été rappelé par de nombreuses personnes que nous avons reçues. Nous avons aussi auditionné, évidemment, une association de femmes seules qui ne se considéraient pas comme un public vulnérable. Elles nous ont expliqué qu'elles étaient seules parce que c'était leur choix et que leur situation n'était pas la même que celle des mères abandonnées. Toutefois, si elles revendiquent leur choix, elles nous ont expliqué aussi qu'il s'agissait d'un plan B, d'un choix contraint : faute de trouver le bon conjoint pour se marier et fonder une famille, elles ont décidé, l'horloge biologique tournant, d'avoir un enfant. Certes, elles ont préparé leur situation, mais toutes les familles monoparentales sont confrontées aux mêmes problématiques. Une étude de l'Unicef réalisée en 2014 sur le malaise des adolescents montrait l'importance, à cet égard, de l'absence de père ; Catherine Dolto avait déploré que l'on sous-estime le rôle éducatif du père. C'est pourquoi j'émets de vives réserves sur l'extension de l'AMP aux femmes seules.
J'ai aussi des réserves pour l'étendre aux couples de femmes, toujours dans l'intérêt de l'enfant. Les pédopsychiatres expliquent qu'être désiré, aimé, éduqué est important pour les enfants, mais l'amour ne suffit pas pour permettre à un enfant de se construire. Un enfant, en effet, se construit à travers l'altérité des sexes. Il se construit aussi sur le plan filiatif. Pour cela, il a besoin d'une filiation assimilable, cohérente et vraisemblable. Or, la procréation hétérosexuelle est la seule vraisemblable. Il faut pouvoir rendre ses origines crédibles. Elles ne le sont pas lorsque l'on indique que l'enfant est issu de deux personnes de même sexe. La construction de la filiation est plus difficile pour les enfants issus de l'AMP, comme on le constate déjà pour les enfants issus de couples hétérosexuels ayant eu recours à une AMP avec tiers donneur. Dans le cas des couples de femmes, on ajoute une difficulté, car la filiation n'est ni naturellement possible ni crédible. On risque donc de créer une inégalité entre les enfants qui pourront retracer leur filiation et les autres.
D'autres pédopsychiatres ont une autre vision : ils estiment que le rôle du père peut être joué par une femme et Mme Buzyn a ainsi dit qu'une mère peut être un père. Chacun jugera... Il me semble que les hommes et les femmes ne sont pas totalement interchangeables. La fonction paternelle est particulière. Deux femmes peuvent très bien élever un enfant, mais elles ne peuvent pas permettre sa construction psychique comme un couple hétérosexuel. Nous manquons malheureusement d'études sérieuses sur ce point. L'étude d'impact du Gouvernement n'est pas satisfaisante, car elle s'appuie sur des études souvent militantes et qui manquent de bases scientifiques, comme l'Académie de médecine l'a expliqué. On ne peut donc pas se fonder sur ces études pour se forger une conviction. En ce qui me concerne, j'ai été convaincue de l'importance pour un enfant de se construire sur le plan de la filiation par le témoignage, qui nous a été présenté par des associations homoparentales, d'une jeune femme d'une vingtaine d'années qui avait été élevée par deux femmes seules. Cette jeune femme expliquait que son éducation s'était bien passée, et qu'elle ne voyait pas l'usage d'un père ni sa spécificité... Cela m'a convaincue de l'inverse ! Si l'on en vient à nier l'autre partie de l'humanité parce que l'on n'en voit pas l'usage, alors je suis sceptique... Il ne me semble pas que le Parlement doive reconnaître une telle démarche. D'ailleurs, qu'il s'agisse des textes sur l'exercice conjoint de l'autorité parentale, la résidence alternée, le congé parental ou le congé de paternité, le législateur a toujours pris en considération l'intérêt de l'enfant et a estimé qu'il était dans son intérêt de faire une place plus importante au père. De nombreuses études montrent aussi que la socialisation de l'enfant est meilleure en cas d'intervention précoce du père dans sa vie, comme l'a relevé la délégation aux droits des femmes du Sénat dans son avis sur le partage plus équilibré du congé parental. Disons-le, l'absence de père est une mauvaise affaire pour l'enfant et sa présence peut améliorer sa vie. C'est toujours dans ce sens que le législateur a travaillé ces dernières années. Comme l'expliquait Jean Leonetti, nous devons arbitrer entre l'éthique de l'autonomie, le désir des femmes, et l'éthique de la vulnérabilité, l'intérêt de l'enfant à naître. Nous devons arbitrer en faveur de cette dernière.
Un autre élément à prendre en compte pour apprécier s'il est judicieux d'étendre l'AMP aux femmes seules est le droit de la filiation. Le droit de la filiation est un droit d'ordre public, qui a pour fonction de structurer la société et qui est donc supérieur aux intérêts des individus. Il sert de fondement à la prohibition de l'inceste, au droit de l'héritage, à la définition des droits et devoirs des parents et des enfants. Le titre VII du code civil est consacré à la filiation, le titre VIII à la filiation adoptive. Le titre VII est relatif à la filiation basée sur la procréation charnelle entre un père et une mère, c'est la filiation de la vraisemblance. La mère est la femme dont le nom figure sur l'acte de naissance. Si la femme est mariée, le mari est présumé être le père. Il y a une présomption de paternité. Si la mère n'est pas mariée, le père est celui qui reconnaît l'enfant. En cas de contestation de paternité, les tribunaux peuvent être saisis et des tests génétiques peuvent être réalisés. Le titre VIII définit la filiation adoptive, élective. On distingue la filiation simple et la filiation plénière. Actuellement, le recours à l'AMP repose sur le titre VII, car elle n'est ouverte qu'aux couples hétérosexuels. Le texte prévoit que les couples de femmes devront procéder à une reconnaissance anticipée de l'enfant à naître devant notaire, au moment même où ils annonceront leur intention de recourir à l'AMP. Toutefois, en droit de la filiation, la reconnaissance de maternité, ce n'est pas cela ! C'est la reconnaissance que l'on a participé à la procréation. En l'espèce, il est évident que la seconde femme n'a pu participer à la procréation ! Surtout, la volonté individuelle pure deviendrait un mode d'établissement de la filiation. Or, dans le droit commun, celle-ci ne suffit pas ; elle est toujours contrebalancée par la vraisemblance, la vérité ou une décision de justice, le droit de la filiation étant d'ordre public. En effet, si la volonté individuelle peut être très forte, elle peut aussi être volatile. On risque donc de fragiliser tout l'édifice de la filiation. D'où mes réserves sur l'élargissement de l'AMP aux femmes seules et aux couples de femmes.
J'en viens maintenant à la levée de l'anonymat des donneurs de gamètes. Aujourd'hui, le principe est celui de l'anonymat du don. Le donneur ne connaît pas les enfants nés grâce à son don et les enfants n'ont pas moyen de connaître leur père génétique. Des voix s'élèvent parmi les enfants issus d'un don pour lever cet anonymat, à l'image d'une association très active sur ce sujet. Sont-elles majoritaires ? Je ne le pense pas. L'association que j'évoque compte 169 membres, alors que l'on compte plus de 70 000 enfants issus de dons en France.
La levée de l'anonymat entraînerait aussi une autre difficulté. Il est très différent de donner ses gamètes en se disant que l'on n'aura à se soucier de rien ensuite ou en sachant que l'on pourra être contacté par la suite par l'enfant. Dans les pays qui ont levé l'anonymat, le nombre de donneurs a chuté, comme en Grande-Bretagne. Je crains aussi une marchandisation des gamètes, en contradiction avec le principe de non-marchandisation des produits du corps humain. Il est vrai qu'en Grande-Bretagne les dons ont fini par remonter, mais ce pays indemnise les donneurs, tout comme l'Espagne, tandis que la Belgique achète des gamètes à l'étranger pour faire face à la demande. C'est pourquoi je proposerai une autre formule : il s'agit de permettre, lorsqu'un enfant en fait la demande, de contacter le donneur pour savoir s'il est d'accord pour lever son anonymat. C'est un dispositif qui avait été préconisé par le Conseil d'État, qui est respectueux à la fois de la demande de l'enfant et du droit à la vie privée du donneur. Cela pourrait également s'appliquer aux dons passés.
Je terminerai par la question de l'autoconservation des gamètes.
L'autoconservation est possible en cas de problèmes de fertilité ou lorsque l'on fait un don de gamètes : à partir de trois recueils de sperme pour un homme, tandis que la femme peut garder la moitié des ovocytes au-delà de dix ovocytes donnés - jusqu'à cinq ovocytes donnés, tous les ovocytes sont destinés au don ; de six à dix ovocytes obtenus, au moins cinq ovocytes sont destinés au don ; au-delà de dix ovocytes obtenus, au moins la moitié des ovocytes est dirigée vers le don. Ce système constitue, en fait, une forme de contrepartie, et donc de rémunération, du don, et peut même s'apparenter, selon l'Académie de médecine, à un chantage à l'égard des femmes.
Faut-il autoriser la conservation de gamètes à des fins personnelles, comme le texte le prévoit ? En réalité, le problème se pose davantage pour les femmes que pour les hommes, car la période pendant laquelle elles peuvent avoir des enfants est plus restreinte. La question se pose. Plutôt que de concevoir des enfants lorsqu'elles ont l'âge de le faire, elles pourront ainsi choisir de décaler l'âge auquel elles ont un enfant, au prix d'une intervention chirurgicale, car la conservation des ovocytes réclame un mois de traitement, puis une intervention sous anesthésie générale, ce qui n'est pas anodin. Il est donc à craindre que le choix de conserver les ovocytes ne soit un choix dicté sous pression, pour pouvoir mener une carrière professionnelle. Pour ma part, je préférerais que l'on prenne mieux en compte la grossesse des femmes.
Aujourd'hui, c'est un lieu commun, les femmes qui ont des enfants sont davantage pénalisées qu'elles ne sont récompensées ; pourtant, leurs enfants sont aussi ceux des hommes et elles rendent un service à la société qui devrait être reconnu ; mais cet état d'esprit, hélas !, n'est pas celui qui prévaut chez les employeurs. Je préférerais donc que l'on développe une véritable politique familiale et que l'on construise des crèches plutôt que de parler de congeler des ovocytes.
Cela n'empêche pas la conservation des ovocytes - pour moi, ce n'était pas une priorité - dans la mesure où elle ne doit pas être exclusivement liée à la volonté que les femmes fassent carrière. Elle est surtout liée à la difficulté de trouver quelqu'un pour faire un enfant : les hommes ont du mal à s'engager et à faire des enfants, alors qu'ils ont une fertilité plus longue. L'allongement de la durée de vie induit en erreur sur l'allongement de la fertilité. Ne nous interdisons pas de congeler des ovocytes, mais sans leurrer les femmes : ce n'est pas parce qu'elles congèleront des ovocytes qu'elles auront des enfants.