Intervention de Bernard Jomier

Commission spéciale sur la bioéthique — Réunion du 7 janvier 2020 à 14h05
Projet de loi relatif à la bioéthique — Examen du rapport et du texte de la commission spéciale

Photo de Bernard JomierBernard Jomier, rapporteur :

Personne ne conteste que la suite du projet de loi s'inscrive bien dans le champ de la bioéthique.

J'ai apprécié la manière dont nous avons travaillé entre rapporteurs, avec le président de la commission, et les échanges très utiles que nous avons eus avec les personnes entendues. Les interventions de mes collègues sénateurs ont également bien enrichi notre réflexion.

Nous sommes tous animés d'une même volonté, et je vous partagerai quelques principes qui m'ont guidé et qui, je l'espère, infuseront ce texte.

Les nouvelles techniques médicales, qui sont une source de progrès et de mieux-être, apportent des avancées pour la santé et des moyens de prévention. On doit les aborder ainsi et identifier leurs apports positifs, avant d'examiner les risques et les dérives potentiels. Nous analyserons les risques de dérives, sous le prisme d'une bifurcation : soit il n'y a pas de risques, et la technique doit être mise en oeuvre au plus vite ; soit il y a un risque de dérive, et nous devons regarder si des garde-fous efficaces existent. Voilà l'enjeu.

Lorsqu'on regarde en arrière les précédents débats sur les lois de bioéthique, on voit que les craintes de dérives n'étaient pas justifiées - peut-être parce que le législateur a mis en place un dispositif efficace, selon lequel soit nous n'avons pas autorisé la technique, soit nous l'avons autorisée avec un cadre de gestion des risques et des évaluations.

In fine, nous analysons les termes du débat à partir de valeurs qu'il faut énoncer clairement. Comme dans l'ordre judiciaire, certains principes l'emportent sur d'autres. L'autonomie, la bienfaisance, la justice sont des valeurs cardinales. D'autres valeurs peuvent être invoquées : la vulnérabilité, l'égalité - elle est une demande croissante -, la dignité, la solidarité, le respect. Cela aboutit à des dilemmes éthiques qui se résolvent non pas par l'absolutisme d'une valeur sur les autres, mais par la recherche d'une modalité de résolution qui prend en compte ces différences. Je n'oppose pas l'autonomie et la vulnérabilité, et M. Leonetti ne le fait pas non plus dans son opuscule sur le sujet. Ces dernières années, l'éthique de l'autonomie s'est développée, notamment à propos du grand âge, âge auquel on est vulnérable. Nous ne devons pas rejeter les demandes d'autonomie sur des dons de parties du corps humain de la part de personnes non reconnues pour leur autonomie jusqu'à présent, comme les majeurs protégés ou les mineurs, même si ce sont des publics vulnérables.

Ce texte, dans la version issue des travaux de l'Assemblée nationale, est parfois plus marqué par la crainte et l'analyse des risques que des progrès attendus pour la société. Nous pouvons sans naïveté ni risque de dérives apporter du mieux à la population.

Je m'attacherai aux articles dont je suis rapporteur.

Le titre II du projet de loi comporte quelques dispositions intéressantes sur le don d'organes et de cellules. L'article 5 lève de façon bienvenue des contraintes pesant sur le développement du don croisé d'organes qui n'a donné lieu depuis son autorisation par la loi de 2011 qu'à douze greffes rénales en France - le rein étant le principal organe greffé. Le don croisé permet de répondre aux cas d'incompatibilité biologique entre un receveur et un proche prêt à lui faire don d'un organe, principalement d'un rein, rendant impossible la greffe. Je vous proposerai de rétablir dans la loi le nombre maximal de paires de donneurs et de receveurs impliqués dans une chaîne de dons en fixant ce nombre à six au lieu de quatre dans le projet de loi initial, alors que l'Assemblée nationale avait renvoyé cette question à un décret.

Cela permettra de ménager plus de souplesse tout en restant compatible avec les exigences de cette procédure lourde et complexe. Ces dispositions ne suffiront cependant pas à développer le don du vivant, qui ne représente qu'environ 500 à 600 greffes par an. Les listes de demandeurs de greffe d'organe s'allongent, avec, comme conséquence, 500 à 550 décès par an, faute de donneurs. Afin de créer un cadre plus incitatif, je vous propose un amendement qui pose les bases d'un « statut de donneur d'organes », dont le CCNE avait notamment préconisé la mise en place.

L'article 6 vise à prendre en compte le développement croissant des greffes de cellules souches hématopoïétiques à partir de donneurs haploidentiques. Il ouvre, en dernier ressort, la possibilité de recourir à un greffon en provenance d'un enfant mineur ou d'un majeur protégé au bénéfice de l'un de ses parents, tout en encadrant la procédure afin de renforcer la protection du donneur pressenti : un administrateur ad hoc serait nommé en dehors du cercle familial pour représenter l'enfant en lieu et place de ses parents ou pour donner son avis sur le prélèvement lorsque le majeur protégé fait l'objet d'une tutelle ou d'une habilitation familiale avec représentation à la personne et n'a pas la faculté de consentir lui-même. Les greffes nécessitent une similarité de poids entre le donneur et le receveur ; un enfant de dix ans ne peut pas donner à un parent. Les cas dont a été saisie l'Agence de la biomédecine sont des mineurs de 17 ans. Pour plus de simplicité, je vous proposer d'abaisser l'âge du consentement du mineur à 16 ans afin qu'il puisse exprimer lui-même son consentement devant le juge, sans recourir au truchement - peu utile à mes yeux à cet âge-là - d'une tierce personne.

L'article 7 vise à reconnaître une place plus importante au principe d'autonomie des majeurs protégés en faisant entrer dans le droit commun du don d'organes, de tissus et de cellules les majeurs qui font l'objet des mesures de protection juridique les plus légères, soit l'assistance ou la représentation aux biens. Il tend également à étendre le régime du consentement présumé en matière de prélèvement d'organe post mortem à tous les majeurs protégés. Sur ce dernier point, le Gouvernement me semble aller trop loin. Je vous propose d'exclure les personnes faisant l'objet d'une mesure de protection avec représentation à la personne, car elles sont hors d'état d'agir elles--mêmes du fait d'une altération de leurs facultés mentales ou corporelles et ne seront pas en capacité de comprendre le mécanisme du don présumé et encore moins de s'inscrire sur le registre national des refus ou d'exprimer leur refus à leur entourage.

Je vous proposerai également d'ouvrir le don du sang aux majeurs faisant l'objet d'une mesure de protection juridique avec représentation aux biens et assistance, en alignant le don du sang sur le régime des dons d'organes, de tissus et de cellules par donneur vivant proposé dans le cadre du projet de loi et aux mineurs de 17 ans, reprenant ainsi une disposition de la proposition de loi déposée par le député Damien Abad et adoptée à l'unanimité le 11 octobre 2018 à l'Assemblée nationale. Il est important de permettre aux majeurs protégés et aux mineurs de participer à la solidarité nationale par un geste citoyen.

Il paraît illogique de promouvoir le don du sang lors de la Journée Défense et citoyenneté à laquelle participent les jeunes de 16 à 18 ans, sans leur permettre ensuite de le mettre en pratique. Mon amendement s'appuie sur le cadre fixé par la directive européenne du 22 mars 2004, qui fixe les critères d'admissibilité pour les donneurs de sang : l'âge du don ne peut pas être inférieur à 17 ans et un consentement écrit de l'un des parents ou du tuteur légal est nécessaire dans ce cas.

La suppression, par l'article 20, de la proposition systématique d'un délai de réflexion en cas d'interruption médicale de grossesse (IMG) pour motif foetal et la clarification des dispositions applicables en matière d'IMG chez la femme mineure sont bienvenues. Elles permettent de garantir aux femmes enceintes les mêmes droits, en termes de consentement et d'autonomie, qu'en cas d'interruption volontaire de grossesse (IVG). De même, l'introduction dans la loi d'un encadrement des pratiques de réduction embryonnaire ou foetale en cas de grossesse multiple participe d'une sécurisation et d'une plus grande transparence de ces interventions réalisées pour prévenir des complications pour la mère, les embryons ou les foetus.

En revanche, rien ne justifie, comme cela est prévu par l'article 21, d'introduire une clause de conscience spécifique des professionnels de santé en matière d'IMG, dès lors qu'une clause de conscience générale, permettant de ne pas accomplir un acte contraire à ses convictions, bénéficie déjà aux professionnels de santé. Ceux qui souhaitent l'exercer n'ont pas attendu ce projet de loi pour le faire.

Pour mémoire, l'existence dans la loi d'une clause de conscience spécifique à l'IVG découle des débats parlementaires qui avaient entouré l'adoption de la loi du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de grossesse : le Gouvernement avait alors consenti à cette disposition dans un souci d'apaisement.

En conséquence, je vous propose de supprimer la mention dans le projet de loi d'une clause de conscience spécifique des professionnels de santé en matière d'IMG, qui n'existe pas aujourd'hui, car elle est déjà couverte par la clause de conscience générale.

Sur les enfants présentant une variation du développement génital, l'article additionnel 21 bis a été introduit en séance publique à l'Assemblée nationale par l'adoption, avec l'avis favorable du Gouvernement, d'un amendement du groupe La République en Marche. S'il ne présente pas de lien très évident avec le texte d'origine, il met en lumière un sujet important : les enfants présentant des variations du développement génital, sur lesquels des interventions chirurgicales ou hormonales lourdes sont parfois opérées à un âge très précoce. Le dispositif proposé se contente de mettre dans le dur de la loi l'orientation de ces enfants vers les centres de référence de maladies rares du développement génital afin qu'ils puissent bénéficier de la meilleure prise en charge possible, c'est-à-dire d'une prise en charge auprès de professionnels spécialisés et expérimentés, qui proposent collégialement un diagnostic et des solutions thérapeutiques, en veillant à la bonne information et à l'accompagnement psycho-social de l'enfant et de sa famille. Il suit ainsi une recommandation émise par le CCNE dans son avis 132 publié en novembre dernier. Je proposerai deux amendements, l'un permettant d'intégrer le centre de référence des maladies endocriniennes de la croissance et du développement qui traite de cas d'hyperplasie congénitale des surrénales dans le dispositif ; et l'autre visant à soumettre le diagnostic et la prise en charge des variations du développement génital à un référentiel de bonnes pratiques unique, arrêté par la Haute Autorité de santé (HAS) en concertation avec les parties prenantes, dont les associations de patients. C'est également une recommandation formulée dans ledit avis du CCNE.

Je vous proposerai enfin plusieurs amendements précisant la rédaction de l'article 22, relatif à l'autoconservation pour motifs pathologiques de gamètes et de tissus germinaux, notamment pour protéger les personnes mineures souvent concernées par cette démarche.

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