Intervention de Muriel Jourda

Commission spéciale sur la bioéthique — Réunion du 7 janvier 2020 à 21h05
Projet de loi relatif à la bioéthique — Suite de l'examen du rapport et du texte de la commission spéciale

Photo de Muriel JourdaMuriel Jourda, rapporteur :

Les amendements identiques COM-253, COM-29, COM-91 rectifié bis et COM-107 visent à supprimer la filiation d'un enfant né d'une AMP demandée par un couple de femmes. Dans la mesure où vous n'avez pas voté la suppression de l'extension de l'AMP, l'amendement COM-253 n'a plus de sens et je le retire.

L'amendement COM-253 est retiré, ainsi que les amendements COM-29 et COM-91 rectifié bis. L'amendement COM-107 n'est pas adopté.

Le sujet que nous abordons avec l'amendement COM-254 rectifié est vaste. Il s'agit de l'établissement de la filiation pour les couples de femmes.

La version de l'Assemblée nationale établit la filiation, pour les couples de femmes, par la double reconnaissance qu'elles font de l'enfant devant le notaire lorsqu'elles consentent à l'assistance médicale à la procréation.

Le fondement de la filiation, en droit français, est, d'une part, le titre VII du code civil, sur la filiation relative à la procréation charnelle, et, d'autre part, le titre VIII, sur la filiation relative à l'adoption, ou filiation élective, ce qu'on appelle aujourd'hui le « parent d'intention », c'est-à-dire le choix d'être parent.

Le droit de la filiation est un droit d'ordre public ; il est structurant pour la société et, comme tel, n'est pas à disposition des membres de cette société, car on ne saurait soumettre un droit d'ordre public à la seule volonté. La volonté a évidemment un rôle à jouer dans la filiation ; néanmoins, par définition, nous ne pouvons pas décider des liens de filiation qui s'établissent entre nous, nos parents, nos enfants, notre famille : c'est l'État qui en décide, instaurant des critères et des garde-fous.

En l'occurrence, une femme décide de devenir mère - le critère est sa volonté. La volonté est par essence volatile ; elle a davantage sa place dans le cadre de relations contractuelles que là où il s'agit de créer des liens soumis à un droit institutionnel, structurant et d'ordre public tel que le droit de la filiation. De ce point de vue, l'introduction du critère de la volonté pure dans le droit de la filiation me semble destructrice ; ce critère finira par se substituer aux règles de la procréation charnelle, qui impliquent qu'on puisse vérifier la réalité d'un lien de filiation.

Ce mode d'établissement de la filiation ne me paraît donc pas avoir sa place au sein d'un droit d'ordre public. De surcroît, la reconnaissance, en droit de la filiation, est une façon d'indiquer que l'on a participé à la procréation de l'enfant, ce qui n'est pas le cas pour la femme qui n'a pas porté l'enfant.

Dans la mesure où notre rôle n'est pas de conduire une réforme du droit de la filiation, ce qui serait un travail titanesque, mais d'étendre la procédure d'AMP à un nouveau public, nous n'avons ni à créer un nouveau droit de la filiation ni à détruire ce qui existe. Il nous faut trouver une façon d'établir les liens de filiation propres aux couples de femmes qui respecte à la fois l'édifice institutionnel du droit de la filiation et les droits nouveaux qui s'y sont greffés.

Aujourd'hui, la filiation des couples hétérosexuels qui ont recours à l'AMP est établie sur le fondement du titre VII relatif à la procréation charnelle, qu'on peut aisément leur appliquer : il n'y a ni contentieux ni difficulté. Il n'y a pas de raison, au motif que nous adjoignons un nouveau public au dispositif de l'AMP, de détruire l'existant. Comme le dit le proverbe américain, « si ce n'est pas cassé, ne le répare pas ».

Et je ne vois pas non plus l'intérêt de créer, pour les femmes, un nouveau système s'éloignant totalement du droit de la filiation actuel.

Je propose donc, au sein du droit de la filiation existant, de procéder aux ajustements nécessaires à l'établissement d'une filiation crédible, cohérente et efficace pour les couples de femmes qui auront accès à l'AMP, mais sans aller plus loin.

Tel est l'objet de mon amendement. Il s'agit d'abord de constater - ce principe fonctionne, et n'a pas de raison de ne pas être utilisé - que la femme qui accouche est la mère de l'enfant, celle dont le nom est indiqué sur l'acte de naissance de l'enfant. Ce principe de procréation charnelle fonctionne efficacement ; nous n'avons aucune raison d'y renoncer.

Il s'agit ensuite d'établir la filiation de l'autre femme. Nous ne pouvons pas procéder comme pour la procréation charnelle, pour des raisons qui me semblent évidentes. La filiation de l'autre mère, qui décide de devenir mère en même temps que la femme qui accouche, est une filiation élective, une maternité d'intention : elle choisit de devenir mère. Or, la filiation élective, c'est l'adoption : cela existe déjà dans le droit français.

La difficulté est que la filiation, dans ce système, n'est pas très sécurisée : celle qui doit adopter doit avoir l'accord de la femme qui a accouché ; sa filiation est dépendante de la volonté de l'autre. C'est ce à quoi on peut trouver à redire.

Je vous propose donc, d'une part, de constater que la femme qui accouche est la mère de l'enfant, et, d'autre part, que, lorsque les deux femmes consentent devant notaire à l'AMP, un autre acte soit établi, valant consentement à l'adoption. Ce consentement à l'adoption de la femme qui n'accouche pas sera donc acquis en même temps que le consentement à l'AMP est donné.

Je vous propose aussi d'introduire dans la loi un mécanisme qui existe déjà pour les couples hétérosexuels non mariés : si la femme qui doit adopter ne le fait pas, l'adoption peut être prononcée à la requête de la femme qui accouche. La femme qui adopte est donc certaine du consentement de l'autre mère, et la femme qui accouche peut faire prononcer l'adoption même si l'autre vient à manquer à ses obligations.

Pour les couples mariés, il existe une présomption de paternité : automatiquement, le père devient le père. Mais, s'agissant des couples non mariés, le père doit reconnaître l'enfant ; et, si l'homme ne le fait pas, la femme peut saisir le tribunal pour faire reconnaître judiciairement la paternité. Le même système s'appliquerait au cas que nous avons à traiter. Il me semble qu'ainsi la filiation est sécurisée, et que le droit est conforme à la réalité : une femme procrée et l'autre choisit de devenir mère, via la filiation élective. Et les deux femmes, avec le dispositif que je propose, seraient assurées que l'adoption peut être prononcée y compris si l'une d'entre elles manque à ses obligations.

Cette proposition nécessite un aménagement du droit de l'adoption. Notre collègue Corinne Imbert a rendu au mois d'octobre, avec la députée Monique Limon, un rapport qui préconise d'ouvrir l'adoption à tous les couples. Je propose quant à moi de mettre en cohérence le public de l'AMP avec le public de l'adoption ainsi élargi. Je propose également de simplifier la procédure lorsque l'enfant est issu d'une AMP avec donneur : on se passerait complètement de la condition d'accueil au foyer de l'adoptant, puisqu'il s'agit, en l'espèce, d'adopter non pas l'enfant du conjoint, mais l'enfant qu'on a décidé d'avoir à deux sans pouvoir le faire suivant les modes de procréation charnelle. Je propose enfin que le tribunal de grande instance rende son jugement sous le délai d'un mois - la procédure serait ainsi plus rapide encore que celle qui s'applique à l'homme qui n'aurait pas reconnu son enfant malgré son engagement.

L'adoption créerait un lien de filiation exactement identique à celui du titre VII ; ce lien serait créé du jour de la requête en adoption. Concrètement, la filiation pourrait être établie, rétroactivement, au jour de la naissance, une fois la décision prononcée.

Voilà ma proposition ; je sais qu'elle est sensiblement différente de celle de l'Assemblée nationale. J'ai essayé de travailler sans idéologie. Vous avez compris que je ne suis pas favorable à cette extension ; mais, une fois qu'il en a été décidé, il faut instaurer un lien de filiation pour la seconde mère sécurisé, mais crédible. Ce lien doit correspondre à une réalité ; il ne saurait par conséquent prendre la forme d'une reconnaissance, laquelle reviendrait à dire à l'enfant qu'il a été fait par deux femmes, ce qui est rigoureusement impossible. Le mensonge institutionnel n'est jamais bon.

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