Intervention de Nelly Tocqueville

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 7 janvier 2020 à 10h00
Proposition de loi visant à réformer le régime des catastrophes naturelles — Examen du rapport pour avis

Photo de Nelly TocquevilleNelly Tocqueville, rapporteure pour avis :

Comme vient de le rappeler M. le président, cette proposition de loi, qui fait suite aux travaux de la mission d'information sur la gestion des risques climatiques, vise à traduire sur le plan législatif une quinzaine de propositions de ce rapport.

En préambule, permettez-moi de féliciter nos collègues pour la rigueur et la qualité du travail qu'ils ont mené dans le cadre de la mission d'information, et de les remercier d'avoir déposé ce texte, qui vise à remédier aux failles du régime de prévention et d'indemnisation des catastrophes naturelles alors mises en lumière.

Ceux d'entre vous qui ont déjà eu à gérer les conséquences d'une catastrophe naturelle savent à quel point le fonctionnement de ce régime est complexe, opaque, et source de désarroi pour les personnes sinistrées, qui ont souvent du mal à comprendre la façon dont les décisions de reconnaissance ou de non-reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle sont prises, et donc à les accepter. Les maires se retrouvent souvent bien seuls lorsqu'il s'agit d'informer les sinistrés sur les démarches à mener et leur expliquer le sens des décisions ministérielles.

Le réchauffement climatique et la multiplication des aléas naturels qu'il engendre exacerbent ces difficultés, et appellent donc une réforme rapide du régime de prévention et d'indemnisation des catastrophes naturelles. Aussi, cette proposition de loi entend agir sur deux volets : la prévention des risques naturels majeurs, d'une part ; et celui de la procédure de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle et d'indemnisation des personnes sinistrées, d'autre part.

Concernant le volet « prévention », les articles 1er et 3 ont pour objet de répondre au besoin d'investir davantage dans des actions de prévention des risques naturels majeurs, partant du constat que de telles actions permettent de diminuer l'exposition des biens aux risques et l'ampleur des sinistres et donc, in fine, de réduire les besoins d'indemnisation en cas de catastrophe.

Comme l'a rappelé la mission d'information dans son rapport, « pour un euro investi dans la prévention, ce sont sept euros économisés en matière d'indemnisation des dommages ».

Le fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit « fonds Barnier », constitue aujourd'hui le principal outil de financement de la politique nationale de prévention des risques naturels. Financé par les assurés au travers d'un prélèvement sur le produit des primes ou cotisations additionnelles qu'ils acquittent au titre de la garantie « catastrophe naturelle », ce fonds soutient principalement des dépenses d'acquisition ou d'expropriation des biens menacés ainsi que des études et travaux de réduction de la vulnérabilité des biens aux risques naturels majeurs.

Jamais à court d'idées pour équilibrer son budget, le Gouvernement a, à l'occasion de la loi de finances pour 2018, plafonné le produit de la taxe affectée à ce fonds à 137 millions d'euros, ce qui représente un manque à gagner annuel de 70 millions d'euros pour le fonds et le conduit à devoir prendre sur sa trésorerie pour couvrir ses dépenses.

Ce plafonnement des recettes est triplement condamnable. Premièrement, il dévoie l'utilisation des recettes versées par les assurés pour financer des actions de prévention et non le budget de l'État. Deuxièmement, il est insoutenable à brève échéance et menace l'équilibre financier du fonds. Troisièmement, et surtout, il est en totale contradiction avec le besoin que j'évoquais à l'instant d'investir davantage dans des actions de prévention pour faire face aux conséquences du changement climatique.

Ce plafonnement illustre la totale cécité du Gouvernement face à la nécessité de se préparer aux catastrophes à venir. C'est pourquoi l'article 1er le supprime, afin de redonner au fonds Barnier les marges de manoeuvre financières nécessaires.

Afin d'aider les particuliers à réaliser des travaux de réduction de la vulnérabilité de leurs biens aux risques naturels, la mission d'information a également recommandé de réorienter une partie des dépenses du fonds Barnier vers le soutien aux particuliers, qui n'ont représenté l'année dernière que 0,6 % des dépenses du fonds.

Ainsi, l'article 1er de la proposition de loi permet aux particuliers de bénéficier de subventions du fonds même lorsque les études et travaux de prévention qu'ils réalisent ne sont pas rendus obligatoires par un plan de prévention des risques naturels (PPRN), une condition aujourd'hui nécessaire.

Toujours dans la même logique, l'article 3 vise à créer un crédit d'impôt pour la prévention des aléas climatiques (CIPAC), afin de permettre aux contribuables de déduire de leur impôt sur le revenu 50 % des dépenses engagées pour effectuer des travaux d'amélioration de la résilience du bâti aux effets des catastrophes naturelles.

Enfin, la proposition de loi vise à renforcer le rôle du conseil de gestion du fonds Barnier afin qu'il devienne une véritable autorité stratégique assurant le pilotage de l'attribution des aides à la prévention des risques naturels, alors qu'il n'a aujourd'hui qu'un rôle consultatif limité.

J'en arrive à la réforme du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, le régime « CatNat », prévue par les articles 2, 4 et 5.

Ces articles tendent, tout d'abord, à rendre la procédure de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle plus transparente ; ensuite, à mieux protéger les assurés et, enfin, à mieux accompagner les communes lors de la survenance d'une catastrophe naturelle.

Le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles permet aux sinistrés dont les biens assurés ont été endommagés par un phénomène naturel intense de bénéficier d'une indemnisation. Pour qu'une telle indemnisation puisse être sollicitée, l'aléa naturel doit au préalable être reconnu comme « catastrophe naturelle » par un arrêté interministériel. Le maire de la commune touchée par un sinistre doit formuler une demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, qui est ensuite instruite par une commission interministérielle chargée de se prononcer sur le caractère anormal ou non de l'aléa. Son avis est alors transmis aux ministres concernés, afin qu'ils procèdent ou non à la reconnaissance l'état de catastrophe naturelle par arrêté.

Comme l'a relevé la mission d'information, cette procédure de reconnaissance manque de transparence, ce qui affaiblit l'acceptabilité des décisions prises : à la complexité des critères retenus pour évaluer l'intensité des aléas, s'ajoute une certaine opacité dans le fonctionnement de la commission interministérielle, composée pour moitié de représentants susceptibles de défendre un point de vue financier - la direction du Budget, la direction du Trésor, et la Caisse centrale de réassurance - et dont les travaux et avis ne sont pas publiés.

C'est pourquoi l'article 4 inscrit l'existence de la commission interministérielle dans la loi et renvoie à un décret le soin de définir sa composition, afin que celle-ci puisse être plus équilibrée, et impose la publication des avis rendus par cette commission ainsi que des rapports d'expertise sur lesquels elle s'appuie pour rendre ses décisions.

La proposition de loi vise également à rendre le régime d'indemnisation plus protecteur pour les assurés.

Premièrement, elle allonge de deux à cinq ans le délai laissé aux assurés pour réclamer à leur assurance le règlement de l'indemnité qui leur est due. Le délai actuel de deux ans peut en effet s'avérer trop court pour que les sinistrés puissent engager la responsabilité contractuelle de leur assurance si les moyens mis en oeuvre pour réparer leur bien se révèlent insuffisants et que de nouveaux désordres apparaissent.

Deuxièmement, elle interdit toute modulation des franchises à la charge des assurés. Actuellement, le régime CatNat est assorti de franchises obligatoires, qui sont modulées en fonction du nombre de constatations de l'état de catastrophes naturelles intervenues pour le même risque au cours des cinq dernières années lorsque la commune concernée n'est pas couverte par un PPRN. Ces modulations pénalisent les sinistrés alors même qu'ils ne sont pas responsables du retard pris par les pouvoirs publics dans l'élaboration des PPRN, ce qu'ils vivent légitimement comme une injustice.

Troisièmement, pour remédier au problème des prises en charge insuffisantes et inefficaces qui peuvent être proposées aux sinistrés en vue de réparer leurs biens endommagés par un phénomène de sécheresse, les indemnisations dues à l'assuré « doivent garantir une réparation pérenne et durable, de nature à permettre un arrêt complet et total de désordres existants ».

Quatrièmement, enfin, la proposition de loi prévoit d'intégrer au sein de la garantie CatNat les frais de relogement d'urgence des personnes sinistrées pour une période limitée devant être définie par décret.

Par ailleurs, la proposition de loi vise à répondre à plusieurs préoccupations exprimées par les élus locaux.

Elle augmente tout d'abord de 18 à 24 mois le délai dont disposent les maires pour déposer une demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, afin de tenir compte notamment du décalage qui peut exister entre le moment où un épisode de sécheresse survient et celui où les premiers désordres apparaissent, et qui conduit les sinistrés à saisir leurs élus tardivement.

En outre, elle donne la possibilité aux communes dont une demande de reconnaissance a été rejetée de soumettre une deuxième demande dès lors qu'elles sont en mesure de produire des données complémentaires résultant d'une étude de terrain. Une telle faculté contribuerait à une meilleure prise en compte des réalités locales et renforcerait l'acceptabilité des décisions de reconnaissance ou de non-reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle.

Enfin, en vue de mieux accompagner les communes confrontées à une catastrophe naturelle, elle prévoit de créer, au sein de chaque département, une « cellule de soutien » composée d'élus locaux et de personnalités qualifiées.

Vous le voyez, ce texte comporte des dispositions attendues tant par les personnes sinistrées que par les élus. Je tiens à préciser que j'ai travaillé en liaison avec le rapporteur de la commission des finances, Jean-François Husson, pour arriver à une position d'équilibre sur ce texte. Les amendements que je vous présenterai dans un instant sont le fruit de ces échanges et visent, pour l'essentiel, à conforter et préciser les dispositions initiales de la proposition de loi.

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