Intervention de Joël Guerriau

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 11 décembre 2019 à 9h35
Projet de loi autorisant la ratification de l'accord de partenariat global et renforcé entre l'union européenne et la communauté européenne de l'énergie atomique et leurs états membres d'une part et la république d'arménie d'autre part — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Joël GuerriauJoël Guerriau, rapporteur :

Le projet de loi autorisant la ratification de l'accord de partenariat global et renforcé entre l'Union européenne (UE), les États membres et l'Arménie, signé en novembre 2017, s'inscrit en marge du sommet du Partenariat oriental de Bruxelles. Cet accord est destiné à remplacer l'accord de partenariat et de coopération signé en 1996, qui est entré en vigueur le 1er juillet 1999. S'agissant d'un accord mixte, il est appliqué à titre provisoire depuis le 1er juin 2018 pour les stipulations relevant de la compétence exclusive de l'Union européenne.

À titre liminaire, il faut rappeler que, en 2013, l'Arménie avait refusé de signer l'accord d'association, pourtant finalisé avec l'Union européenne, qui comprenait une zone de libre-échange avec l'UE sur le modèle des accords d'association signés en 2014 avec d'autres membres du Partenariat oriental, comme l'Ukraine, la Moldavie et la Géorgie. En janvier 2015, sous l'influence russe, l'Arménie a préféré rejoindre l'Union économique eurasiatique. En septembre 2015, à l'initiative, notamment, de la France, et animée par une approche plus flexible de la politique européenne de voisinage, l'UE a finalement décidé de poursuivre les négociations pour parvenir à la conclusion de cet accord de partenariat global et renforcé « sur mesure », qui tient compte à la fois de la volonté de l'Arménie d'approfondir ses relations avec l'UE, avec laquelle elle partage des valeurs démocratiques, ainsi que de son appartenance à l'Union économique eurasiatique.

L'Arménie n'a aucunement l'intention d'adhérer à l'UE et se considère comme un pont entre l'UE et la Russie, avec laquelle elle a des liens très forts. Sans compter les 2 millions d'Arméniens qui vivent en Russie, la Russie est le premier fournisseur de l'Arménie, son premier client et le principal investisseur étranger. Sur le plan militaire, l'Arménie et la Russie sont liées par un partenariat stratégique, signé en 2010, et par l'accord intergouvernemental sur le statut des troupes frontalières du Service fédéral de sécurité de Russie en Arménie de 1992. Au total, 5 000 militaires russes sont présents sur le territoire arménien. L'Arménie considère - le Premier ministre Nikol Pachinian, porté au pouvoir par la révolution de velours de 2018, l'a redit - que seule la Russie peut la protéger de la menace que représentent, à ses yeux, l'Azerbaïdjan et la Turquie, pays avec lesquels les frontières sont fermées en raison du « conflit gelé » du Haut-Karabagh.

Même si ce n'est pas du tout le sujet de la convention, je rappelle, pour mémoire, que les autorités du Haut-Karabagh, soutenues par l'Arménie, contrôlent un territoire peuplé d'environ 150 000 personnes, constitué de l'ancienne enclave du Haut-Karabagh ainsi que de sept districts azerbaïdjanais autour de l'enclave qui permettent d'assurer la continuité territoriale avec l'Arménie. Cette « République du Haut-Karabagh » - je mets bien évidemment ces termes entre guillemets - n'a fait l'objet d'aucune reconnaissance internationale et n'est d'ailleurs pas reconnue par la France. Des incidents armés surviennent régulièrement le long de la ligne de cessez-le-feu conclu à Moscou en mai 1994. Les incidents les plus graves ont eu lieu en avril 2016 avec « la guerre de quatre jours », qui a fait 160 victimes. Depuis 1997, la France assure la coprésidence du groupe de Minsk avec ses partenaires russes et américains, en vue de trouver une solution négociée et durable au conflit. Je considère personnellement que l'Arménie et l'Azerbaïdjan sont deux pays amis de la France qui coexistent au centre d'une région géopolitique complexe et qui ont en commun la volonté de se rapprocher de l'Union européenne. Il ne nous revient pas de prendre parti ; espérons qu'un pas décisif puisse être réalisé vers un accord de paix. Je le répète, le présent accord n'emporte aucune conséquence sur la situation au Haut-Karabagh.

Cet accord devrait par ailleurs faciliter la signature par l'UE d'autres accords « sur mesure » avec d'autres partenaires orientaux soucieux de préserver leurs bonnes relations avec la Russie. D'ailleurs, les négociations de l'accord UE-Azerbaïdjan sont désormais finalisées.

Quel est donc le contenu de cet accord avec l'Arménie ?

Inspiré de l'accord de partenariat et de coopération renforcé avec le Kazakhstan, que notre commission a examiné au début de l'année 2018, cet accord de 900 pages est composé d'un préambule de 386 articles, de douze annexes, de deux protocoles et d'une déclaration commune. Il comprend les clauses politiques habituelles de l'UE sur les droits de l'homme, la Cour pénale internationale, les armes de destruction massive, les armes légères et de petits calibres ainsi que le terrorisme. Il met en place un cadre institutionnel pour renforcer le dialogue politique et rend possible une coopération dans un grand nombre de domaines, notamment juridique, économique, industriel, commercial, social, financier, éducatif, culturel, environnemental, énergétique et touristique.

Sur le plan commercial toutefois, j'insiste sur le fait que cet accord n'est pas un accord de libre-échange qui supprimerait la quasi-totalité des droits de douane, comme c'est le cas dans les accords d'association. Il ne comporte pas de volet tarifaire : l'Arménie doit respecter les tarifs douaniers extérieurs communs à l'ensemble des membres de l'Union économique eurasiatique. Il devrait toutefois permettre un accroissement des échanges commerciaux, ce qui est déjà le cas puisque ceux-ci se sont élevés à 1,8 milliard de dollars en 2018, contre 1,5 milliard de dollars en 2017, soit une progression de 19 %. L'UE est le deuxième partenaire commercial de l'Arménie derrière la Russie.

Cet accord vise aussi à améliorer l'environnement règlementaire des affaires - protection de la concurrence, amélioration de la transparence dans les passations des marchés publics. La principale mesure pratique est ainsi l'ouverture des marchés publics arméniens aux entreprises européennes et réciproquement. L'adoption d'une réglementation proche des standards européens devrait aussi permettre de favoriser la transparence et de lutter contre la corruption, une priorité du gouvernement de Nikol Pachinian.

Si bien des clauses sont relativement classiques, d'autres traduisent des engagements exclusifs de la partie arménienne, comme la coopération en vue de la fermeture et du déclassement sécurisé de la centrale nucléaire de Medzamor, ainsi que l'extinction progressive des identifications géographiques (IG) « Cognac » et « Champagne » utilisées depuis très longtemps pour des boissons produites en Arménie. Pour l'anecdote, c'est un Français, venu faire de la viticulture en Arménie au XIXe siècle, qui est à l'origine du cognac arménien.

En 2017, l'Arménie a produit 30 millions de litres de « Kagnac » pour une valeur de 208 millions de dollars, dont plus de 90 % ont été exportés, principalement vers la Russie, tandis que la France a produit 200 millions de bouteilles de cognac pour une valeur de 3 milliards d'euros. La production arménienne de « Shampagnskoïé » est marginale, tandis que la France a produit environ 295 millions de bouteilles de champagne en 2017, les exportations représentant 2,9 milliards d'euros. Un consensus a été trouvé au terme d'une négociation longue et difficile sur une extinction des appellations arméniennes, y compris en cyrillique, de « Cognac » dans quatorze ans sur le marché domestique et dans vingt-cinq ans à l'export ainsi que de l'appellation « Champagne » dans deux ans sur le marché domestique et dans trois ans à l'export. L'UE s'est engagée à financer une assistance technique et financière afin d'organiser l'arrêt de l'utilisation du terme « Kagnac », mais le calendrier est très contraint - agrément des parties au cours de la première année suivant l'entrée en vigueur de l'accord et fourniture de cette aide au plus tard au cours des huit années suivantes. Du retard a été pris, si bien que le mécanisme de règlement des différends de l'accord est désormais activable par l'Arménie. La Commission reste néanmoins confiante en raison des bonnes relations de travail existant et de sa capacité à pouvoir mobiliser rapidement l'enveloppe financière.

L'ambassadrice d'Arménie en France nous a assuré - mon collègue Gilbert-Luc Devinaz, président du groupe d'amitié, qui était présent lors de l'audition, peut en témoigner - que l'Arménie respecterait ses engagements dans ce domaine. D'ailleurs, l'un des plus grands producteurs arméniens n'est autre que Pernod-Ricard, qui a racheté en 1998 le groupe arménien NOY Yerevan Brandy Factory. Il possède la marque très connue « Ararat ».

En conclusion, je recommande l'adoption de ce projet de loi. Pour la France, cet accord présente un intérêt économique avec l'abandon progressif des appellations « Cognac » et « Champagne » par l'Arménie. L'Arménie, quant à elle, peut compter sur une aide technique et financière très conséquente de la part de l'UE - en 2019, 23 millions d'euros ont été débloqués pour la mise en oeuvre de cet accord sur un total de 46 millions d'euros versés à l'Arménie via l'instrument européen de voisinage (IEV). Le gouvernement de Nikol Pachinian en a besoin pour mettre en oeuvre son programme de réformes, notamment la lutte contre la corruption et la bonne gouvernance. En outre, cet accord devrait permettre à l'Arménie de sortir de son isolement en se rapprochant de l'UE. À ce jour, dix-sept États membres l'ont déjà ratifié ; il serait temps que la France le fasse aussi. L'examen de ce texte en séance publique est prévu le 18 décembre 2019 selon la procédure simplifiée, procédure à laquelle je souscris.

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