Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, permettez-moi de commencer mon propos en remerciant le groupe CRCE et Mme Cohen d’avoir bien voulu porter ce débat dans l’hémicycle sur la situation de la pédopsychiatrie en France. Je pense que nous partageons une partie des constats et j’aurai l’occasion d’y revenir.
Permettez-moi de commencer à mon tour par une citation : « La santé est un bien qu’il faut conquérir et conserver. Le bien-être n’est ni le confort ni le contraire de l’effort. Bien-être, c’est être bien. C’est un droit et un devoir, envers soi et envers les autres. »
Ces quelques mots, particulièrement justes et pertinents, figuraient en introduction du rapport que la professeure Marie-Rose Moro et l’inspecteur d’académie Jean-Louis Brison, missionnés par le gouvernement de l’époque, ont rendu fin 2016 sur le bien-être et la santé des jeunes après un important travail de réflexion et d’échanges avec l’ensemble des acteurs. Ils soulignaient ainsi la nécessité de faire de la santé mentale des enfants et des jeunes une priorité de l’action publique.
Vous avez été nombreux à le dire, les rapports de ces dernières années sur la psychiatrie des mineurs, particulièrement le travail de la mission sénatoriale de 2017 présidée par Alain Milon et dont le rapporteur était Michel Amiel, ont souligné la situation de grande fragilité de la pédopsychiatrie en France, marquée par une forte augmentation de la demande et une saturation des dispositifs de soins dans un contexte de démographie médicale préoccupante.
Comme cela a été souligné, notamment par Mme Cohen, certains départements sont dépourvus d’offre d’hospitalisation en pédopsychiatrie, tandis que dans d’autres territoires cette offre apparaît comme très insuffisante au regard des besoins observés.
Conscient de ces enjeux, le Gouvernement a lui-même engagé ces deux dernières années un travail d’analyse plus spécifique sur certains sujets pour améliorer le parcours de soins en santé mentale dans le respect des droits des enfants et de leurs familles. Je pense notamment aux missions conduites par l’inspection générale des affaires sociales sur les centres médico-psychologiques (CMP), les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) et les centres d’action médico-sociale précoce.
En tant que secrétaire d’État auprès de la ministre Agnès Buzyn chargé plus spécifiquement de l’enfance, je me suis attelé, dès ma nomination et dans le prolongement des décisions prises par la ministre des solidarités et de la santé, à répondre aux attentes et aux besoins que vous avez été nombreux à rappeler. Et je dois vous avouer que, depuis un an, pas un déplacement dans les territoires, pas un rendez-vous avec une association ou des professionnels ne s’est conclu sans une interpellation sur la situation de la pédopsychiatrie dans notre pays.
S’agissant plus particulièrement de la protection de l’enfance, que vous avez été nombreux à évoquer, certaines études ont montré que 32 % des enfants qui relèvent de l’aide sociale à l’enfance ont des troubles psychiatriques, contre 2, 6 % dans la population en général, que 26 % de ces enfants ont un père qui souffre d’addiction et que 16 % ont une mère qui est dans ce cas, quel que soit le type de l’addiction.
J’ai évidemment un regard particulièrement attentif sur la santé mentale de nos enfants protégés.
Plus globalement, la santé mentale de la population fait l’objet d’une attention toute particulière de la part du ministère des solidarités et de la santé.
Je me permets de rappeler à mon tour qu’un délégué ministériel, le professeur Frank Bellivier, a été nommé au printemps 2019 ; avec son équipe et les services compétents du ministère, il s’attache à travailler avec l’ensemble des acteurs du secteur et à aller à leur rencontre dans chaque région et chaque territoire de métropole et d’outre-mer. Vous pouvez compter sur son engagement pour apporter des solutions très concrètes et très opérationnelles, comme le montre notamment son parcours, aux enjeux qui ont été évoqués.
Madame Cohen, les moyens financiers exceptionnels pour renforcer l’offre de soins en santé mentale des enfants qui ont été alloués en fin d’année 2019 ne se limitent pas à quelques millions d’euros. Cette allocation fait suite à un appel à projets doté de 20 millions sur une enveloppe totale de 100 millions dédiés à la feuille de route Santé mentale et psychiatrie. Cet appel à projets a été lancé en juillet 2019 afin de renforcer les ressources de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, notamment dans les départements non pourvus ou sous-dotés au regard des besoins de la population.
Il était demandé aux agences régionales de santé de faire remonter des projets concrets et rapidement opérationnels de création ou de renforcement de l’offre de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent sur les territoires, de la périnatalité à la transition vers la psychiatrie adulte.
Les nombreux projets remontés à la fin du mois de décembre, sauf erreur de ma part, ont fait l’objet d’une analyse par un comité d’experts de la discipline et 35 projets ont d’ores et déjà été retenus, témoignant du succès de l’appel à projets et de la forte mobilisation des acteurs de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent dans les territoires.
Ces projets vont venir renforcer l’offre de pédopsychiatrie dans des territoires en grande difficulté, là aussi dès la périnatalité jusqu’à la fin de l’adolescence et la transition vers l’âge adulte. Ils portent sur la création de lits d’hospitalisation dans les départements qui en sont dépourvus, de places de crise ou post-crise, d’évaluation et de prise en charge des situations urgentes, ainsi que de places d’hospitalisation de jour et de nuit.
Le renforcement de l’offre ambulatoire est largement mis en avant au travers du renforcement des CMP et du développement d’équipes mobiles. Ainsi, l’appel à projets renforce, de manière structurante, l’offre en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, notamment, pour être encore plus précis, dans des départements très en difficulté, comme les Alpes-de-Haute-Provence, la Corrèze, la Creuse, les Côtes-d’Armor, l’Eure ou encore l’Indre. Non, monsieur Chasseing, les départements ruraux ne sont évidemment pas oubliés ; bien au contraire !
Pour parler encore de la Corrèze, sachez qu’un projet a été retenu, fondé sur trois centres hospitaliers, avec le développement de quatre typologies d’offres, dont une équipe pluridisciplinaire mobile interdépartementale. C’est donc un projet très concret.
La pédopsychiatrie et la périnatalité ont également constitué l’une des thématiques retenues pour 2019 dans le cadre du fonds d’innovation organisationnelle en psychiatrie, doté de 10 millions d’euros. Comme vous le savez probablement, ce fonds est destiné à valoriser de nouvelles pratiques organisationnelles. Il a fait l’objet d’un appel à projets national relayé, là aussi, au niveau régional par chaque ARS. Sur les 42 projets retenus, sachez que 19 ciblent plus spécifiquement le repérage et la prise en charge précoce de l’enfant et de l’adolescent – je rejoins évidemment ceux d’entre vous qui ont estimé que cette dimension était absolument fondamentale – et la psychiatrie périnatale.
Soyez convaincus qu’Agnès Buzyn et moi-même serons extrêmement attentifs à la concrétisation effective, cette année, de cette importante offre supplémentaire. Nous veillerons à poursuivre et à renforcer ces réponses et à soutenir de nouveaux projets. Je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il en ira de même de votre côté.
La feuille de route Santé mentale et psychiatrie prévoit également de renforcer l’attractivité de la pédopsychiatrie en ville et à l’hôpital. C’est un aspect que nombre d’entre vous ont également évoqué. Ainsi que M. Iacovelli et Mme Doineau l’ont rappelé, 20 postes de chefs de clinique-assistants hospitaliers ont été créés en deux ans, avec un recrutement reposant, là aussi, sur un appel à projets conjoint entre le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation et le ministère des solidarités et de la santé. L’objectif, madame Cohen, est que chaque faculté de médecine soit couverte, à terme, par au moins un poste de professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH) de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent.
Le délégué ministériel Frank Bellivier travaille par ailleurs avec les acteurs à la refonte des autorisations et du modèle de financement de la psychiatrie, pour fluidifier les organisations et harmoniser au niveau national l’accompagnement de nos concitoyens. Cette tâche n’est pas encore achevée – je suis sûr que vous en mesurez l’ampleur.
J’insiste sur ces dimensions, car nous ne devons pas oublier – je sais que vous ne le faites pas – l’ensemble des professionnels qui accompagnent chaque jour les enfants et leurs parents, avec un engagement de chaque instant. Pour répondre directement à la question de Mme Doineau, les textes relatifs aux infirmiers en pratique avancée mention psychiatrie et santé mentale ont été publiés en août 2019. Les premiers étudiants infirmiers concernés ont d’ailleurs débuté leur formation à la dernière rentrée universitaire.
Par ailleurs, toutes les actions menées que je suis en train de détailler s’articulent directement au sein de la feuille de route globale du ministère et du secrétariat d’État chargé de la protection de l’enfance.
La Stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance, que j’ai présentée le 14 octobre 2019, inclut ainsi un volet important, en prévention – j’insiste sur ce terme et sur cette volonté d’intervenir le plus tôt possible, que je vous sais chère, mesdames, messieurs les sénateurs, notamment à vous, monsieur Tourenne – et en protection, sur la santé des enfants protégés.
Au titre de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, nous expérimentons, depuis l’année dernière, un parcours de soins coordonnés des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance dans trois départements, la Loire-Atlantique, les Pyrénées-Atlantiques et la Haute-Vienne. Cette expérimentation va être étendue dès cette année, pour concerner dix territoires au total. Mon ambition, si elle se révèle concluante, est de pouvoir la généraliser le plus tôt possible.
Comme vous avez été plusieurs à le rappeler, nous avons par ailleurs inscrit dans la nouvelle loi de financement de la sécurité sociale, votée en décembre 2019, la création d’une consultation complexe – M. Chasseing y a fait référence – pour le bilan de santé des enfants confiés à leur entrée dans les dispositifs de protection de l’enfance.
En outre, Agnès Buzyn, Sophie Cluzel et moi-même renforcerons les réponses à destination des enfants dont les situations sont les plus complexes, ceux qui sont confrontés aux problématiques du handicap, du soin et de la protection de l’enfance, dans le cadre d’un partenariat renouvelé avec les départements. Je rappelle que ce sont non pas 15 %, mais plus de 25 % des enfants de l’aide sociale à l’enfance qui ont un dossier MDPH !
Vous le savez probablement mieux que moi, dans un pays qui aime bien fonctionner en silo, lorsque l’on se trouve au croisement de deux politiques publiques – en l’occurrence, le social et le médico-social –, on ne se trouve souvent nulle part.
C’est la raison pour laquelle nous avons pour ambition, dans le cadre de la Stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance, de créer des dispositifs d’intervention adaptés aux problématiques croisées de protection de l’enfance et du handicap, tels que des équipes mobiles, des places mixtes en internat, de Sessad (services d’éducation spéciale et de soins à domicile) ou encore d’accueil de jour sociothérapeutique. D’ailleurs, la création de cette offre nouvelle, afin de prendre en charge convenablement les enfants concernés, est l’un des volets obligatoires de la contractualisation proposée aux départements, à côté d’un investissement sur les protections maternelle et infantile.
Sachez que, sur les 80 millions d’euros prévus globalement dans le cadre de la stratégie pour 2020 afin de travailler d’ores et déjà dans trente départements dans le cadre de ce partenariat avec les conseils départementaux, 15 millions d’euros ont d’ores et déjà été fléchés sur la création de dispositifs au niveau de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. C’est la première fois que cette ambition est aussi explicitement affirmée dans l’Ondam médico-social et c’est une première étape, car l’objectif, vous le savez, est de déployer les engagements de la Stratégie nationale sur l’ensemble du territoire d’ici à 2022.
J’ai insisté sur la notion de prévention. Je rebondirai sur vos remarques très pertinentes relatives au repérage précoce, en vous donnant quelques illustrations qui, me semble-t-il, répondent directement à vos interventions.
Ainsi que l’a notamment évoqué M. Iacovelli, le Président de la République nous a chargés, Agnès Buzyn et moi-même, de répondre à cet enjeu de société que constituent les 1 000 premiers jours de la vie de l’enfant.
Ce sujet est probablement l’une des illustrations les plus emblématiques d’un changement d’approche que nous souhaitons dans les politiques publiques, axé sur une dimension plus préventive que curative, et dépasse, à mon sens, tout clivage politique. Comme vous le savez, le prix Nobel d’économie James Heckman a démontré que le retour sur investissement de la prévention augmentait de façon exponentielle quand on intervenait le plus tôt possible.
Une commission d’experts, présidée par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, travaille depuis le mois de septembre dernier pour nous éclairer sur les fondamentaux scientifiques sur lesquels nous devons nous appuyer – le consensus scientifique nous semble important – et pour en dégager des recommandations de politiques publiques, que ce soit sur la nutrition, sur l’éveil de l’enfant, mais aussi sur le rôle des techniciens de l’intervention sociale et familiale (TISF), qu’a évoqués Mme Doineau. Ces travaux se réfèrent au rapport de Michèle Peyron sur les PMI et aux recommandations de Jacques Dayan. Ils s’intéressent aussi, madame Gréaume, à la question du dépistage prénatal.
Madame Cohen, vous avez, par ailleurs, rappelé l’importance du langage. Cet aspect fait également partie des réflexions. Vous avez fait référence aux orthophonistes et à leur rôle essentiel en matière de prévention. Nous partageons votre constat. Sachez que, sur ce sujet, nous avons lancé, avec la Caisse nationale d’assurance maladie et la Fédération nationale des orthophonistes, un partenariat de dépistage en petite section de maternelle sur trois bassins de vie pour la rentrée 2020, à titre expérimental.
Le repérage précoce est aussi au cœur de la Stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement pour les années 2018-2022 que porte Sophie Cluzel, avec laquelle je travaille étroitement, et que met en œuvre la déléguée interministérielle, Claire Compagnon. Vous avez évoqué ce sujet, monsieur Rapin. Vous connaissez peut-être l’engagement qui était le mien, en tant que parlementaire, et qui reste le mien sur la question des troubles du spectre de l’autisme.
Le déploiement de plateformes d’orientation et de diagnostic autisme au sein des troubles neuro-développementaux pour la mise en œuvre du parcours de bilan et d’intervention précoce est l’un des chantiers majeurs de cette stratégie. Comme l’a déjà indiqué Sophie Cluzel, en 2020, 3 millions d’euros de crédits complémentaires à ceux qui étaient initialement prévus dans le cadre de la stratégie seront alloués aux ARS afin de renforcer le déploiement de ces plateformes. L’objectif, madame Cohen, est de déployer une plateforme par département.
Je n’entrerai pas dans le débat sur la psychanalyse et l’autisme que vous avez tenté d’engager, même si je dois avouer que cela me démange. §Toutefois, je veux rappeler les recommandations de bonnes pratiques formulées en 2005 par la Haute Autorité de santé, selon laquelle il n’était pas possible « de conclure à la pertinence des interventions fondées sur les approches psychanalytiques. »