La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Thani Mohamed Soilihi.
La séance est reprise.
L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur le thème : « La pédopsychiatrie en France. »
Dans le débat, la parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe auteur de la demande.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce n’est pas la première fois que la Haute Assemblée se préoccupe de la pédopsychiatrie. Une mission d’information sénatoriale, dont j’ai fait partie au nom du groupe CRCE, a publié en avril 2017, sous l’égide de nos collègues Michel Amiel et Alain Milon, un rapport intitulé Situation de la psychiatrie des mineurs en France.
Cette mission a fait un certain nombre de propositions afin d’améliorer la situation de la pédopsychiatrie, mais force est de constater que, près de trois ans plus tard, et après un changement de gouvernement, les choses n’ont guère évolué, ou alors dans le mauvais sens. Le diagnostic est aujourd’hui encore plus dramatique. Les professionnels de santé mentale ont d’ailleurs été, et sont toujours, très mobilisés contre la politique menée par le Gouvernement.
Quand on parle de pédopsychiatrie, on déborde du cadre de la santé stricto sensu, puisque les professionnels de ce secteur sont amenés à travailler avec différents acteurs, dans le domaine social, médico-social, en lien, notamment, avec l’éducation nationale, la justice, leur objectif commun étant la protection de l’enfance.
Je sais que personne ici n’ignore la réalité de la situation. Permettez-moi néanmoins d’évoquer les propos du docteur Bernard Golse, chef du service de pédopsychiatrie de l’hôpital Necker à Paris, qui se demande ce que va devenir un pays qui ne se donne plus les moyens de soulager la souffrance mentale de ses enfants et adolescents, ou encore ceux du professeur David Cohen, chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à la Pitié-Salpêtrière, qui, à propos de la psychiatrie infanto-juvénile, n’hésite pas à parler de « tiers-monde de la République. »
Cette situation nous conduit à nous interroger, en tant qu’adultes et responsables politiques, notamment sur l’aggravation des difficultés sociales, la fragilisation des repères, la violence économique et symbolique de notre société, les violences intrafamiliales, qui sont des facteurs de troubles psychiques, bien au-delà des simples causes neurobiologiques dans lesquelles certains voudraient enfermer la psychiatrie. Comment ne pas y voir le résultat d’années de restrictions budgétaires à tous les étages ?
Dans leur rapport de 2016, Marie-Rose Moro et Jean-Louis Brison évaluaient à un million le nombre de jeunes faisant appel à la pédopsychiatrie, toutes prises en charge confondues. Ils estimaient même que 25 % des patients de la psychiatrie hospitalière étaient des mineurs.
Au-delà de l’importance de ces chiffres, comment ignorer que les pathologies psychiques de l’enfant ne sont pas celles de l’adulte et qu’elles nécessitent un savoir-faire particulier ? Quand un enfant va mal, il faut qu’il soit vu par un spécialiste de l’enfance.
La pédopsychiatrie est une discipline et une spécialité majeures. Pourtant, en dix ans, le nombre de professionnels s’est réduit de moitié et la durée d’attente d’un premier rendez-vous dépasse parfois les dix-huit mois. Certains départements ne comptent plus aucun pédopsychiatre. Selon les chiffres de 2015 de la DGOS (direction générale de l'offre de soins), il n’y a plus de lits d’hospitalisation en pédopsychiatrie dans dix départements. Certains enfants en grande souffrance sont donc hospitalisés dans des services pour adultes ou loin de leur famille.
Une prise en charge précoce est la clé du mieux-être de la personne, de sa guérison ; or celle-ci est parfois impossible, faute de professionnels et de structures. Ma collègue Michelle Gréaume évoquera la prévention dans son intervention, mais je rappelle d’ores et déjà que la moitié des troubles psychiatriques à fort potentiel évolutif commencent avant l’âge de 15 ans, et pour les trois quarts d’entre eux avant 25 ans.
Il y a quelques années, la France était pionnière et novatrice en matière de psychiatrie et de pédopsychiatrie. Elle avait notamment créé le secteur pour déstigmatiser les troubles psychiques et sortir de la politique asilaire.
Aujourd’hui, cette politique est mise à mal par l’intégration dans des GHT (groupements hospitaliers de territoire) généraux, au mépris de la spécificité de la psychiatrie, par les regroupements forcés de CMP (centres médico-psychologiques) et de CMPP (centres médico-psycho-pédagogiques), voire par leur suppression pure et simple. Les patients sont de plus en plus éloignés de ces structures de proximité, parfois laissés en errance médicale et sans soins.
Pour illustrer mon propos, j’évoquerai le cas du CMP de Chilly-Mazarin, en faveur duquel j’étais intervenue afin d’empêcher son transfert dans une autre ville, au sein d’une zone d’activités industrielles difficile d’accès. Malheureusement, cette délocalisation a eu lieu. Elle a mis à mal les liens que les professionnels avaient tissés avec les associations, les partenaires locaux, la communauté éducative, tous indispensables pour accompagner et suivre ces enfants. Elle a également privé les familles d’un accès aux soins de proximité. Cet exemple est loin d’être isolé.
J’évoquerai un autre exemple, lui aussi emblématique. Lors de notre tour de France des hôpitaux et des Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), j’ai eu l’occasion, avec mon collègue Pascal Savoldelli, de me rendre en septembre dernier à la Fondation Vallée, qui est un hôpital entièrement consacré à la pédopsychiatrie. Situé à Gentilly, dans le Val-de-Marne, cet établissement renommé connaît lui aussi des difficultés.
Nos échanges avec les organisations syndicales, les usagers et la direction sont tous allés dans le même sens : baisse des dotations, impossibilité de prendre en charge la rénovation de locaux devenus trop exigus et inadaptés à la prise en charge d’un nombre de plus en plus élevé d’enfants et adolescents, aux pathologies qui se complexifient.
Comme en psychiatrie générale, les professionnels dénoncent le poids de la réglementation, des protocoles et de l’organisation, de plus en plus lourd, au détriment du lien avec le patient, du dialogue, de l’écoute, de l’humain.
En Aquitaine, région pilote en matière de pédopsychiatrie, les soignants sont inquiets de l’évolution des directives qui leur sont imposées par l’ARS (agence régionale de santé). Ils dénoncent, ici comme ailleurs, une certaine psychiatrie d’État, qui dicterait aux professionnels les principes et la façon de soigner, le risque étant de ne plus être financés s’ils ne suivent pas les préconisations. Cette pression exercée sur les pratiques professionnelles en vue d’une standardisation des soins, contraire aux besoins des patients, est inacceptable.
Mes chers collègues, la question au cœur de nos débats doit être la suivante : quelle psychiatrie, quelle pédopsychiatrie voulons-nous ?
On sait combien les pratiques sont différentes, entre les partisans d’une approche qui privilégie le traitement des symptômes par une réponse uniquement médicamenteuse et les partisans d’une approche plus centrée sur le psychisme, tout en faisant appel aux sciences humaines pour comprendre la complexité des souffrances individuelles. Ne soyons pas naïfs, certains laboratoires pharmaceutiques ont intérêt à ce que se développe la première approche pour la rendre hégémonique. Cette tendance existe déjà très fortement aux États-Unis dans le traitement de la prétendue hyperactivité des enfants, à base de psychotropes, même avant l’âge de 3 ans, et de Ritaline notamment. Comment ne pas faire le lien avec les attaques contre la psychanalyse, qui sont particulièrement inquiétantes ?
À cet égard, je citerai les propos du docteur Sandrine Deloche, pédopsychiatre, membre du Collectif des 39 : « Nous pourrions chacun clamer un “j’accuse” sans précédent, mais c’est évidemment collectivement que nous devons défendre une solidarité créatrice luttant contre la fabrique d’enfants malades, étiquetés “handicap”, pour laquelle seule l’approche neuro-scientiste serait effective, jetant la psychanalyse aux orties. »
Alors, certes, Mme Buzyn, ministre de la santé, a nommé un délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie et a transféré quelques millions d’euros en faveur de la psychiatrie, notamment après des luttes mémorables telles que celle de Saint-Étienne-du-Rouvray, mais la réponse est loin d’être à la hauteur des enjeux, compte tenu de la gravité de la situation que je viens de décrire.
La réforme du financement de la psychiatrie, telle qu’est prévue dans le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, va encore aggraver les choses, du fait de l’introduction d’une part de T2A. Quel paradoxe d’ailleurs ! Alors que la ministre a reconnu la nécessité de revoir la tarification à l’activité dans les hôpitaux généralistes, elle l’introduit dans les hôpitaux psychiatriques ! Il est impossible de ne pas faire le lien entre l’austérité dans le secteur de la psychiatrie et la situation plus globale des hôpitaux publics, dont les budgets ont été amputés de 7 milliards d’euros en dix ans.
Avant de conclure mon propos, permettez-moi de faire quelques propositions, qui, je l’espère, monsieur le secrétaire d’État, seront entendues.
Avec les professionnels, il nous paraît urgent d’augmenter le nombre d’heures de psychiatrie au cours de la formation initiale d’infirmiers – ce nombre a drastiquement fondu en quelques années et a quasiment été réduit à néant.
Nous proposons également de maintenir des postes de professeurs d’université pour la formation des jeunes médecins en pédopsychiatrie, sachant que de nombreuses universités en sont totalement dépourvues.
Nous considérons qu’il faut améliorer la reconnaissance des compétences et des qualifications des psychologues, au travers de leur statut et de leurs salaires, lesquels doivent être largement revalorisés. Il faut également augmenter le nombre d’orthophonistes. Il faut en finir avec la précarité de ces professions.
Nous proposons en outre d’améliorer les dispositifs pour éviter les sorties sèches des jeunes majeurs de 18 ans des structures juvéniles, au regard de la saturation dans les structures pour adultes.
Enfin, monsieur le secrétaire d’État, avez-vous un premier bilan à nous communiquer sur les forfaits précoces pour la prise en charge des troubles du neuro-développement et de l’autisme ? Nous avions émis des doutes lors de l’examen du PLFSS pour 2019, et les premiers retours que nous avons concernant notamment les plateformes d’orientation et de coordination justifient nos inquiétudes.
Mes chers collègues, en ce début d’année, permettez-moi de souhaiter que chaque enfant qui en a besoin puisse être correctement pris en charge, ici, en France, et que l’accès à la pédopsychiatrie soit garanti pour tous sur l’ensemble du territoire, dans des structures de soins ambulatoires de proximité, en CMP, en CMPP, en CATTP – les centres d’accueil thérapeutique à temps partiel – et en milieu hospitalier.
Je terminerai mon propos par une citation de Tony Lainé, précurseur et spécialiste de la pédopsychiatrie, extraite de son livre Éloge de la démocratie : « Il me semble qu’en psychiatrie la loi est, moins qu’ailleurs, à l’abri des dérives et des caricatures. Il faut si peu de choses dans les systèmes clos pour la faire glisser vers des attitudes autoritaires qui ne protègent plus que le pouvoir du chef et entretiennent les autres dans des statuts d’enfants irresponsables. »
J’espère, monsieur le secrétaire d’État, que vous aurez entendu cette parole et celle des professionnels de santé, qui manifestent dans la rue jusque sous vos fenêtres.
Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR. – M. Daniel Chasseing et Mme Marie Mercier applaudissent également.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, peu de sujets ont fait l’objet d’autant de rapports publics au cours de la dernière décennie que la psychiatrie. Sénat, Assemblée nationale, IGAS (inspection générale des affaires sociales), missions mandatées par le Gouvernement : chacun a ajouté sa pierre à la production de données et de recommandations sur le sujet de la santé mentale. Le constat est aujourd’hui largement partagé : la psychiatrie est sinistrée, la pédopsychiatrie encore davantage.
La santé mentale de la population française est très préoccupante, notamment celle des jeunes. Selon une enquête française révélée en avril 2018, les problèmes de santé mentale dans la jeunesse sont en passe de devenir l’un des principaux enjeux de santé publique du XXIe siècle. C’est ainsi que 12, 5 % des enfants et des adolescents seraient concernés en France.
Comme le relève l’IGAS dans un rapport de septembre 2018, la prise en charge pâtit d’un effet ciseaux : la demande de soins psychiatriques ne cesse d’augmenter – elle a doublé en vingt ans –, alors que, dans le même temps, la démographie pédopsychiatrique est défavorable.
Selon le rapport de novembre 2016 de la mission Bien-être et santé des jeunes, la France est le pays européen où l’offre de soins en pédopsychiatrie est la plus faible en termes de patriciens.
Aussi, je tiens à remercier le groupe communiste républicain citoyen et écologiste d’avoir demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour de notre assemblée. En effet, la pédopsychiatrie, et plus globalement la santé mentale des enfants et des jeunes, est à la croisée de politiques publiques qui connaissent actuellement de grandes difficultés, cela a été rappelé par notre collègue : l’organisation de notre système de soins, hôpitaux publics et psychiatrie en tête, la protection de l’enfance, avec l’aide sociale à l’enfance et l’accompagnement des mineurs non accompagnés, mais également les services de la justice et de l’éducation nationale.
Le chantier de la pédopsychiatrie est immense, comme en attestent les cinquante-deux propositions formulées par notre collègue Michel Amiel en 2017.
Ces dernières années, le Gouvernement a tenté de répondre aux enjeux : élaboration d’une feuille de route, nomination d’un délégué interministériel, octroi de 80 millions d’euros en 2019 au secteur, création de dix nouveaux postes de chef de clinique en pédopsychiatrie en 2019, en plus des dix postes créés en 2018.
Dernièrement, Agnès Buzyn a rendu publics les résultats d’un appel à projets, doté de 20 millions d’euros, visant à renforcer les ressources de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Trente-cinq projets ont été retenus pour améliorer l’offre de pédopsychiatrie dans les territoires les plus en difficulté. Je veux saluer cette prise de conscience et l’engagement du Gouvernement.
En revanche, je regrette l’absence d’une véritable politique coordonnée avec tous les acteurs de la protection de l’enfance, avec les maisons des adolescents, avec les services à domicile, dans tous les départements, et pas seulement les plus en difficulté. Je déplore que l’on ne puisse pas véritablement agir sur ce terrain.
Des projets naissent parfois sur les territoires, mais, faute de professionnels disposant de suffisamment de temps, ils ne se mettent pas en place.
Enfin, lors du dernier PLFSS, nous avons eu peu de possibilités de débattre de l’article 25 du texte, qui visait à faire évoluer le modèle de financement des établissements de soins psychiatriques vers un objectif de dépenses globalisées.
Je ne peux que regretter les conditions d’examen de ce PLFSS, d’autant que notre rapporteure, Catherine Deroche, avait proposé un amendement intéressant en première lecture. Alors que l’Assemblée nationale devait ajouter une pondération spécifique à la dotation populationnelle, se fondant sur des éléments relatifs à la précarité et à la couverture médico-sociale, Mme Deroche voulait y ajouter la prise en compte des soins pédopsychiatriques, ce qui aurait permis de les reconnaître enfin au niveau législatif.
En tant qu’élue départementale, je constate que les services de l’aide sociale à l’enfance et de l’accompagnement des mineurs non accompagnés ne sont pas équipés pour apporter une réponse adaptée aux mineurs victimes de troubles psychiatriques. L’ADF, l’Assemblée des départements de France, estime que près d’un tiers des mineurs confiés à l’ASE requièrent un soutien clinique. Les temps d’attente pour une intervention pédopsychiatrique peuvent aller jusqu’à une année. Or une attention toute particulière doit être apportée à ces jeunes personnes, notamment les mineurs non accompagnés, qui sont malmenés par un parcours migratoire difficile et qui souffrent de pathologies post-traumatiques.
Je sais qu’il existe aujourd’hui des centres qui peuvent prendre en charge ces jeunes, notamment les mineurs non accompagnés, mais ils sont trop éloignés des services de l’aide sociale à l’enfance et il est difficile de programmer des rendez-vous. Dans le cadre de mon rapport d’information sur les mineurs non accompagnés, j’ai pu saisir toute la difficulté de cette prise en charge. Suite à une incohérence juridique, ces derniers sont en effet considérés comme éligibles à l’aide médicale de l’État, réservée aux personnes en situation irrégulière, et non à la protection universelle maladie (PUMa). La non-admission des jeunes migrants non accompagnés à la PUMa a des effets très concrets. Elle les empêche d’accéder aux centres médico-psychologiques, dont les frais ne sont pas couverts par l’aide médicale de l’État. Aussi, ma proposition n° 18 visait à réviser la rédaction du décret et de la circulaire régissant le système de protection des mineurs isolés en faveur de leur éligibilité inconditionnelle à la PUMa.
Enfin, il nous faut réaliser une véritable mobilisation globale de la société en matière de santé mentale.
D’une part, il me semble nécessaire d’agir le plus en amont possible. La prise en charge précoce est essentielle pour limiter l’impact de la pathologie sur la personne atteinte et son entourage, ainsi que sur les finances publiques. Il faut, notamment, renforcer le repérage à l’école, grâce à des formations adaptées aux enseignants et aux encadrants, et sensibiliser davantage les parents, les médecins traitants et les services de PMI sur les signes et les outils disponibles. Il faut surtout agir sur la formation des nouveaux professionnels, car les besoins de compétences sont énormes. Il faut aussi repérer et accompagner les parents vulnérables. En ce sens, le rapport Pour sauver la PMI, agissons maintenant proposait très justement de développer le recours à des techniciens de l’intervention sociale et familiale (TISF) en périnatalité et prévention de la dépression post-partum, dans un cadre concerté entre PMI, maternité et CAF. Les TISF interviennent au domicile des familles confrontées à des difficultés pouvant affecter l’équilibre de la cellule familiale. Selon le pédopsychiatre Jacques Dayan, « les TISF ont une efficience psychique considérable et peuvent éviter une prise en charge plus lourde ».
D’autre part, il convient d’assurer l’aval, en proposant un véritable parcours de santé mentale qui favorise autant que possible l’ambulatoire. C’est notamment l’objectif du plan Ma santé 2022, qui prévoit une obligation de mise en œuvre des projets territoriaux de santé mentale (PTSM) d’ici à juillet 2020, en organisant le lien avec les soins de premier recours portés par les CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé) et les hôpitaux de proximité. Où en est-on sur ce point, monsieur le secrétaire d’État ? Serons-nous prêts ? A-t-on également des éléments sur l’extension des formations d’infirmiers de pratique avancée à la psychiatrie cette année ?
En définitive, notre objectif, collectivement, est d’aboutir à une détection plus précoce des pathologies grâce à une politique ambitieuse de prévention et de coordination, de lutte contre la stigmatisation des personnes malades, mais aussi d’accès à la pédopsychiatrie et de développement de la recherche, notamment des neurosciences.
Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, RDSE et SOCR.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la psychiatrie française est en crise. C’est pourtant une discipline primordiale, souvent décrite comme le « parent pauvre » de la médecine.
La psychiatrie, profondément marquée par un manque de moyens financiers et humains, traverse actuellement des difficultés majeures. La pédopsychiatrie, discipline plus récente, n’y échappe pas.
La psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent est peu étudiée, alors que la spécificité et l’incidence des troubles des mineurs sont importantes. L’Organisation mondiale de la santé affirme d’ailleurs que plus de 50 % des pathologies psychiatriques de l’adulte apparaissent avant 16 ans.
Le constat n’est pas nouveau. La mission d’information sur la psychiatrie des mineurs en France, dont j’ai fait partie, a d’ailleurs publié un rapport très complet à ce sujet.
D’une part, la pédopsychiatrie peine à recruter, les professionnels manquent, tout comme les professeurs enseignant cette spécialité. Selon le Conseil national de l’ordre des médecins, le nombre de pédopsychiatres a diminué quasiment de moitié entre 2007 et 2016. Reconnaissance et attractivité de la profession sont donc ici en jeu.
D’autre part, les moyens financiers alloués au secteur ne permettent pas de poursuivre une politique de santé publique adaptée aux enjeux. Les difficultés d’accès aux soins psychiatriques sont importantes, notamment dans les territoires ruraux ou isolés. Les inégalités territoriales sont frappantes et les structures existantes sur-sollicitées.
Au-delà de ce constat peu réjouissant, la situation de nombreuses familles devant faire face à des problématiques de santé mentale doit nous interpeller.
L’entourage du mineur, sa famille, mais également le personnel de la petite enfance, de l’éducation nationale – les services de médecine scolaire tendent malheureusement à décliner, monsieur le secrétaire d’État –, la médecine générale, l’ensemble des acteurs de la chaîne de soins doivent être mieux formés et informés.
Le repérage et le diagnostic précoces sont essentiels, tout comme la prise en charge qui en découle. Prenons l’exemple des enfants diagnostiqués autistes. Je ne referai pas ici le débat du diagnostic et du traitement de l’autisme. Je rappelle, en adressant un petit clin d’œil à notre collègue Patrick Kanner, que le premier médecin à avoir décrit les symptômes de l’autisme était le pédopsychiatre Léo Kanner.
Leur prise en charge est complexe et coûteuse. C’est un réel parcours du combattant, qui ne fait qu’ajouter des souffrances à la pose d’un diagnostic angoissant pour les parents, toujours soucieux que leur enfant puisse être accompagné et pris en charge de la façon la plus efficace et la plus humaine possible, en évitant à tout prix son exclusion, voire sa stigmatisation.
Un autre exemple, qui touche plus particulièrement les adolescents, est celui de la consommation de cannabis. Cette substance addictive présente de multiples risques, comme toutes les addictions – on pourrait aussi parler de l’alcoolisme. Elle engendre des problèmes d’attention, de concentration, de mémoire, mais aussi des troubles cognitifs psychiatriques, voire l’altération de capacités cérébrales. Trop de jeunes méconnaissent les troubles liés à sa consommation et se retrouvent dans des situations de décrochage scolaire, de difficultés d’intégration sociale, de forte anxiété ou d’humeur dépressive. L’accent doit être mis sur la prise en charge spécifique de l’adolescent en souffrance, voire du jeune adolescent, car la consommation débute de plus en plus précocement.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a posé les bases d’un nouveau financement de la psychiatrie. Nous ne pouvons que nous réjouir d’une telle prise de conscience des pouvoirs publics. J’espère que, à la même occasion, la pédopsychiatrie verra aussi son financement rehaussé à la hauteur de ses enjeux.
Au-delà d’une réforme du financement, ne serait-il pas judicieux d’entreprendre une réflexion, bien plus large, sur la psychiatrie, et donc aussi sur la pédopsychiatrie, qui traiterait de sujets essentiels tels que la formation, la prévention, le repérage, le diagnostic, la prise en charge, l’inclusion scolaire et l’insertion sociale sous tous leurs aspects, et ce dans l’intérêt et le bien-être des plus jeunes.
Véritable enjeu de santé publique, il est nécessaire, pour l’avenir de nos enfants et des générations futures, de réformer cette branche de la psychiatrie et d’en développer la recherche, primordiale pour l’évolution de l’état de santé des jeunes patients.
Pour conclure, j’insisterai de nouveau, en tant que médecin, sur la médecine scolaire. Nous avons perdu beaucoup en abandonnant ce pan complet de la médecine préventive, monsieur le secrétaire d’État.
Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDSE, Les Indépendants et SOCR. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.
Monsieur le secrétaire d’État, l’hôpital est malade, et vous n’avez posé que des cautères qui ne règlent rien. Les urgences embolisées, les manifestations des soignants, les démissions vous l’expriment presque tous les jours, sans que vous apportiez la moindre réponse acceptable. Le secteur psychiatrique est plus atteint encore, et, disons-le tout net, cela ne date pas d’hier. Le rapport de Michel Amiel réalisé en 2017 montrait déjà l’état de déshérence dans lequel se trouve ce secteur.
La psychiatrie infanto-juvénile n’est plus que l’ombre de ce qu’elle était. On ne voit plus que le squelette de son organisation territoriale, qui se voulait performante. Elle a largement participé au dépistage précoce des signes de souffrance et des troubles psychiques. Mais la pédopsychiatrie publique ne peut actuellement apporter à tous les enfants, protégés ou non, les soins dont ils devraient bénéficier, faute de structures et de moyens suffisants.
L’ensemble des dispositifs du parcours de soins est en mauvais état, notamment le dépistage. On sait combien le dépistage précoce est déterminant dans le pronostic de retour à meilleure santé mentale. On constate toutefois un dépistage très tardif pour les enfants confiés aux départements.
Ainsi, études et rapports montrent que les enfants confiés à l’ASE présentent des troubles multiples, avec notamment une surreprésentation des troubles psychoaffectifs et du comportement : 13 % à 15 % des enfants confiés ont un dossier auprès d’une MDPH, c’est-à-dire sept fois plus que la population générale ; 1, 6 % des mineurs placés dans des établissements sont sous antidépresseurs, soit sept fois plus que la population générale ; 7, 2 % des enfants sont sous neuroleptiques, soit vingt-quatre fois plus que dans la population générale.
La médecine scolaire est dans l’incapacité de saisir dès le plus jeune âge, celui de l’école maternelle, les premiers symptômes de troubles du comportement.
On considère que la dépression maternelle périnatale, génératrice de risques particuliers pour l’enfant, touche aujourd’hui 15 % des femmes enceintes. Un tel chiffre suppose qu’un dépistage précoce de la dépression périnatale puisse être mis en place. Ce n’est pas le cas. Le diagnostic met un temps considérable à être établi, ce qui hypothèque gravement les chances d’une guérison.
On note, lors d’une table ronde, que l’âge moyen d’accueil des enfants dans la pouponnière spécialisée d’Angers est de 21 mois, alors que leur situation a été identifiée douze mois plus tôt. Le responsable signale combien ces enfants sont déjà profondément cassés, avec des troubles fixés, dont on sait qu’il sera beaucoup plus compliqué de les guérir pour leur permettre de reprendre un développement normal.
Nos collègues Marie Mercier, Michelle Meunier et Dominique Vérien rapportaient, dans la mission qu’elles ont conduite sur les troubles psychiques des mineurs victimes d’agressions sexuelles, les propos de la psychiatre Muriel Salmona : « Il faut rappeler que, presque partout, le délai minimum pour une prise en charge en centre médico-psychologique (CMP) est de six mois, mais le plus souvent compris entre douze et dix-huit mois. »
Et le témoignage d’une maman, parmi tant d’autres : « J’ai essayé d’obtenir un rendez-vous en CMP. J’ai rappelé, on est sur liste d’attente, j’ai réexpliqué le cas de mon fiston. Pour moi, ça devient urgent, je suis très inquiète de son comportement et aucun délai ne m’a été annoncé ; mon fils pense souvent à la mort, il a peur de nous perdre, sans compter ce qu’il y avait avant, je ne sais plus comment faire, je suis désemparée ».
Les CMPP connaissent les mêmes embolies et délais d’attente pour l’établissement d’un diagnostic, avec des prises en charge trop tardives et des perspectives de guérison aléatoires.
Les centres de planification familiale repèrent des situations d’addiction, de décrochage scolaire, les signes révélateurs de violence sexuelle ou de maltraitance physique ou psychologique. Mais les moyens dont ils disposent sont notoirement insuffisants.
Quant à la prise en charge des enfants ou adolescents victimes de troubles psychiques, elle se dégrade dangereusement. Leur nombre connaît une forte augmentation. On constate une demande de soins psychiatrique des mineurs en augmentation de plus de 14 % en dix ans.
Michel Amiel note dans son rapport les difficultés d’accès aux soins psychiatriques et les retards de prise en charge : « Ces difficultés constituent pour les mineurs atteints de troubles une perte de chance d’autant plus importante que la précocité de la prise en charge est déterminante. Plusieurs facteurs sont de nature à causer ces retards : l’inadaptation de l’offre et son insuffisance sont accentuées par la hausse de la demande. »
« La psychiatrie est sinistrée », titrait il y a peu un grand journal national, en apportant un certain nombre d’illustrations à cette affirmation.
En dix ans, le nombre de pédopsychiatres a été divisé par deux. L’offre de soins est la plus faible d’Europe. On compte seulement quatre professionnels, dont l’âge moyen est de 62 ans, pour 100 000 jeunes, et quatorze départements sont aujourd’hui sans pédopsychiatres. Bien que leur nombre ait baissé, 15, 6 % des postes de praticiens sont vacants.
Pourtant, le nombre de demandes est en constante augmentation : 400 000 de plus en dix ans. Nous sommes passés de 310 enfants par CMPP en 1996 à 510 aujourd’hui, avec une croissance de 50 % des troubles du développement, de 30 % des troubles d’hyperactivité et de 30 % des troubles du spectre autistique. S’ajoutent à cela de nombreuses demandes liées à un contexte de problématique sociale, de grande précarité, de désinsertion et de difficultés d’ajustement aux cadres collectifs, autant de problèmes de comportement que les enseignants subissent avec angoisse.
Dès lors, les conditions de travail se dégradent. Il devient difficile de recruter quand le pédopsychiatre est tiraillé entre les diktats administratifs, le mécontentement des familles, la détresse des enfants, le délitement du dispositif soignant… Les professions paramédicales – psychomotriciens, orthophonistes, psychologues –, indispensables à la mise en œuvre des suivis, ne sont pas mieux loties, avec des grilles de salaires peu attractives.
Le Président de la République affichait récemment sa volonté de « redonner une perspective à la pédopsychiatrie et à la psychiatrie ». Voilà une belle déclaration pour tenter de redonner à ce secteur les moyens de faire face à une nécessité nationale, mais ce n’est pour l’instant qu’une déclaration… C’est en effet une nécessité nationale, car les conséquences de cette situation pour la cohésion sociale sont considérables : développement de la violence gratuite et montée du sentiment d’insécurité, coût considérable pour la société des troubles psychiques, qui se sont développés faute d’avoir été soignés à temps, multiplication des phénomènes de radicalisation chez des personnes déstructurées, qui cherchent des moyens de légitimer leur agressivité et de se croire enfin importantes, reproduction, de générations en générations, selon un modèle déjà vécu, des mêmes marginalisations, qui fait de la France la vice-championne du monde du déterminisme social.
Il y va, monsieur le secrétaire d’État, de la santé des enfants et adolescents concernés, de leur sérénité et de leur développement harmonieux. Il y va donc de l’avenir de notre nation.
Il faut rapidement recréer une organisation efficace, en mobilisant sur un territoire toutes les forces qui peuvent concourir à dépister, accompagner et guérir efficacement.
Il faut mettre en œuvre les moyens d’attirer, de nouveau, des professionnels praticiens et paramédicaux vers des fonctions essentielles à la préservation de notre cohésion sociale.
Nous devons investir dans la formation de ces praticiens et dans des locaux fonctionnels adaptés – 41 % des praticiens déclarent les locaux des CMP inadaptés à leur activité –, créer des lits supplémentaires, pour éviter que des enfants aux difficultés de comportement puissent se retrouver à quatre dans une même chambre.
Certes, le malaise n’est pas nouveau, et personne ne songe à vous faire reproche de la dégradation de la situation, monsieur le secrétaire d’État. Mais vous êtes aujourd’hui aux responsabilités, et il vous appartient d’y apporter remède.
Quelles sont les marges de manœuvre dont vous disposez ? Après que les comptes de la sécurité sociale ont été ramenés à l’équilibre, vous vous êtes empressés de lui faire les poches, et elles sont désormais vides. Et ça, c’est de votre responsabilité ! Et ce n’est pas fini, si j’ai bien compris ! Aux 3 milliards d’euros non compensés du budget pour 2020 vont s’ajouter des manques à gagner bien plus considérables.
La réforme du système de retraite contient une modification des plafonds de cotisation, qui passeraient de 370 000 euros à 120 000 euros. Or les économies, en matière de versements de retraites, ne seront réelles qu’à partir de 2037. D’ici là, les nouveaux hauts salaires verront leurs cotisations diminuer considérablement, d’où une perte pour la sécurité sociale de l’ordre de 4 milliards à 5 milliards d’euros par an.
Pour les fonctionnaires, les cotisations patronales de l’État atteignent plus de 74 %. Elles tomberont à 16, 8 %, mais les retraites, qu’elles soient versées par la sécu ou un nouvel organisme, devront être au moins égales à celles d’aujourd’hui. Qui financera le déficit lié à cette perte de recettes, et comment ?
En réalité, au-delà de vos bonnes intentions, dont je ne doute pas, vous n’avez pas un sou pour les financer. Tel est bien le fond du problème !
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Mme Éliane Assassi applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, c’est un vaste sujet que celui de la pédopsychiatrie, tant les publics et les types de prise en charge sont divers. Je ne prétends pas faire le tour de la question en six minutes ; je vais simplement évoquer quelques pistes de réflexion et de sortie de crise, fondées sur l’avis de professionnels que j’ai rencontrés, ainsi que sur mon expérience de médecin et d’élue régionale chargée de la santé.
Si l’état d’urgence a été décrété dans plusieurs secteurs de la santé, celui de la psychiatrie est directement concerné par les pénuries de personnels, de structures adaptées et de lits d’hospitalisation. Le ministère de la santé a d’ailleurs bien identifié ce problème, en faisant de la psychiatrie et de la santé mentale des priorités du plan Ma santé 2022.
Des plans territoriaux de santé mentale devront ainsi être mis en œuvre d’ici à l’été, fondés sur un diagnostic partagé pointant les insuffisances du territoire et les préconisations pour y remédier. Ces contrats, établis entre les partenaires et l’ARS, permettront d’organiser la coordination territoriale en matière de prévention, de soins et d’accompagnement social. J’ai la chance de connaître un peu ce sujet, grâce à l’engagement de la région Grand Est, qui promeut notamment en Meurthe-et-Moselle de nouveaux dispositifs pluriprofessionnels innovants, dont la télémédecine, le repérage précoce et une plateforme dédiée pour mieux informer patients et professionnels.
Le repérage précoce est particulièrement pertinent dans le cas de la pédopsychiatrie, car certains troubles apparaissent très tôt. On le sait, plus la prise en charge est rapide, plus on limite les souffrances de l’enfant et de la famille, souvent confrontée à un véritable parcours du combattant. Malheureusement, pour que ce dépistage précoce s’effectue, nous avons besoin de professionnels formés.
La pédopsychiatrie est une spécialité à part entière. En l’absence de pédopsychiatres en nombre suffisant, la prise en charge des enfants se fait trop souvent tardivement et par des psychiatres pour adultes. Chez les paramédicaux, la problématique est la même, puisque, depuis 2010, s’est amorcé le départ à la retraite de nombreux professionnels expérimentés, qui se chargeaient jusqu’ici de la formation des plus jeunes à travers le compagnonnage.
Combiné à une formation trop centrée sur la médicalisation, chez l’adulte comme chez l’enfant, ce manque de personnel entraîne une surmédication caractérisée d’inquiétante par de nombreux professionnels que j’ai rencontrés.
Au-delà de cette inadéquation entre l’offre en professionnels formés et les besoins des enfants, on peut également s’interroger sur la pertinence de considérer les jeunes, dès 16 ans, comme des adultes, et donc de leur faire quitter le giron de la pédopsychiatrie. Les problématiques spécifiques des adolescents nécessitent des prises en charge spécifiques, bien différentes de la psychiatrie pour adultes. Voilà une question sur laquelle il est sans doute nécessaire de se pencher, monsieur le secrétaire d’État, puisque le Gouvernement semble enclin à faire bouger les lignes.
La marche est haute, car les pénuries sont nombreuses. La jeunesse de France souffre, à l’instar d’autres pays, et de plus en plus d’enfants présentent des troubles psychologiques, voire psychiatriques liés à la décompensation d’un trouble préexistant, à la prise de produits de type stupéfiant, alcool ou médicament, à un mal-être lié à une instabilité sociale, à la précarité ou encore à un milieu familial dysfonctionnant.
Cette situation se traduit par une augmentation du nombre de tentatives de suicide et d’admissions dans les services d’urgences. Lorsque des jeunes admis en état de crise ne peuvent être hospitalisés dans un service adapté faute de places, ils sont admis en pédiatrie, cohabitent avec des enfants présentant des pathologies somatiques et sont pris en charge par un personnel qui n’est pas formé pour.
L’offre de soins en ambulatoire souffre également, puisque les délais d’attente se sont allongés ces dernières années, avec les effets délétères que l’on connaît.
Enfin, s’agissant des instituts et centres d’accueil spécialisés, le constat est le même : le manque de places d’hospitalisation se répercute sur ces professionnels, les contraignant de maintenir dans leur structure des jeunes en crise, générant des situations complexes et quelquefois dangereuses.
Tout cela, vous le savez aussi bien que moi, c’est le résultat de quarante ans de promotion de la « psychiatrie hors les murs ». Si la lutte contre l’approche asilaire a eu un impact positif majeur sur la prise en charge des patients, elle a justifié la fermeture de trop nombreuses unités d’hospitalisation et a entraîné une perte d’attractivité de ces métiers, que nous payons aujourd’hui.
Chaque jeune doit pouvoir trouver une réponse adaptée à sa situation, qu’il puisse être suivi en ambulatoire ou qu’il ait besoin d’une hospitalisation d’urgence, qu’il puisse aller à l’école ou qu’il ait besoin d’une structure adaptée.
Ce constat étant posé, des solutions existent. Au-delà de l’augmentation de l’offre en hospitalisation, je voudrais tout d’abord parler de la prévention, en mettant l’accent sur les débuts de la parentalité, sur la sensibilisation aux effets de l’addiction – je pense aux psychotropes, mais aussi aux écrans –, sur le repérage du décrochage scolaire et du harcèlement…
Je veux ensuite évoquer la télémédecine, qui, dans le cas de la psychiatrie, apporte une réponse adaptée à certains besoins, notamment des personnes ayant des difficultés à sortir de chez elles ou trop éloignées d’un professionnel. Une enveloppe de 10 millions d’euros a été mise sur la table par le ministère pour développer le fonds d’innovation organisationnelle en psychiatrie, qui financera des projets innovants, dont la télémédecine.
Lors de l’examen de la loi Santé, l’été dernier, j’ai émis le souhait que chaque hôpital de proximité dispose d’un plateau de télésanté. En attendant que ce déploiement s’effectue, il est nécessaire que l’administration accueille plus favorablement les initiatives multiples qui fleurissent et apporte un début de réponse à la crise.
Sur ces deux points, le Gouvernement semble avoir pris la mesure des enjeux, en soutenant notamment l’action des collectivités au plus près du terrain. Gageons, comme toujours, que les actes rejoindront les paroles et que toutes les parties prenantes joueront le jeu, afin que la santé de nos jeunes s’améliore.
Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et Les Indépendants . – Mmes Élisabeth Doineau et Victoire Jasmin applaudissent également.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’enfant et l’adolescent sont des êtres en devenir. L’un de leurs premiers droits est celui d’être en bonne santé. Il s’agit d’un défi de premier plan, et nous devons, avec l’ensemble des acteurs, tout mettre en œuvre pour parvenir à cet objectif.
Si, depuis le début des années 2000, la santé physique des enfants s’est considérablement améliorée, le bilan est nettement plus contrasté en ce qui concerne les troubles mentaux. Anxiété, dépression et troubles du comportement sont désormais en tête du podium des maladies qui touchent les jeunes.
L’état de la pédopsychiatrie en France est plus que préoccupant, et de nombreux spécialistes nous alertent depuis des années, notamment sur les délais de prise en charge des enfants. Ainsi, le professeur Maurice Corcos, pédopsychiatre à l’Institut mutualiste Montsouris à Paris, rappelle que, dans certaines régions, les délais d’attente pour une prise en charge peuvent atteindre de six mois à un an.
Nous constatons une offre de soins en nette diminution, due notamment au manque de professionnels qualifiés pour répondre à la demande.
Nous ne pouvons accepter que, par manque de lits, des enfants qui se présentent aux urgences après une tentative de suicide ou en cas de crise d’anxiété ou d’agitation aigüe ne puissent être pris en charge immédiatement.
En 2017, le rapport d’information de notre collègue Michel Amiel pointait une réalité face à laquelle nous devons réagir. Entre 1991 et 2003, le nombre de mineurs jusqu’à l’âge de 15 ans vus au moins une fois dans l’année par les intersecteurs de pédopsychiatrie a connu une hausse de plus de 80 %. Ce rapport notait également que, sur une centaine de postes de professeurs de psychiatrie dans les universités, seule une trentaine était spécialisée en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Il est donc particulièrement difficile pour les étudiants de se former. En dix ans, le nombre de pédopsychiatres recensés par l’Ordre des médecins a ainsi été divisé de moitié.
Face à ce constat désolant, le Gouvernement, par la voix de la ministre Agnès Buzyn, a annoncé aux professionnels du secteur que la psychiatrie et la santé mentale allaient disposer de moyens supplémentaires : 40 millions d’euros de plus sont ainsi promis pour « sauver la psychiatrie ». Ils financeront la mise en œuvre des mesures dévoilées fin juin par le Gouvernement, notamment en ce qui concerne le développement de la pédopsychiatrie, avec la formation de davantage de professionnels. Ainsi, en deux ans, ce sont vingt postes de chef de clinique en pédopsychiatrie qui ont été créés.
Dans la stratégie nationale que vous avez présentée, monsieur le secrétaire d’État, 20 millions d’euros sont alloués à la pédopsychiatrie dans le cadre du plan pour la santé mentale. Nous nous en réjouissons, même si l’ampleur des dégâts nous oblige à faire davantage et à aller plus loin.
Nous devons également entendre les propositions des différents acteurs, notamment celles du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), qui, chaque année, formule des propositions intéressantes en la matière.
Je pense notamment à la mise en œuvre d’un parcours de soins pédiatrique et pédopsychiatrique spécialisé pour les enfants et adolescents maltraités ou négligés, qu’ils soient dans leur famille ou accueillis par l’aide sociale à l’enfance. Le CNPE pointe également la nécessité que ce parcours soit porté par des professionnels de santé publics et privés formés.
La création d’un panier de soins pour les enfants victimes de violence pour une prise en charge totale des dépenses de soins somatiques et psychiques, médicaux et paramédicaux, en particulier ceux qui sont pratiqués par les psychologues et les psychomotriciens, serait aussi une réponse satisfaisante pour améliorer la prise en charge des enfants.
Mieux former les professionnels de santé, mieux repérer les troubles dès le plus jeune âge, en liaison notamment avec l’éducation nationale, garantir une offre de soins solide sur l’ensemble du territoire : tels sont les enjeux auxquels nous devons faire face aujourd’hui. Les récentes annonces du Gouvernement permettent d’y répondre en partie.
D’ailleurs, vous présenterez prochainement, monsieur le secrétaire d’État, les conclusions de la commission sur les « 1 000 premiers jours », présidée par le pédopsychiatre Boris Cyrulnik. Nous le savons, cette période comprise entre le quatrième mois de grossesse et l’âge de 2 ans est cruciale pour le développement de l’enfant. C’est pourquoi nous attendons beaucoup des conclusions de cette commission, qui, je l’espère, permettront un meilleur repérage et une meilleure prise en charge des enfants.
Enfin, l’intervention de pédopsychiatres dans les services de protection de l’enfance est une exigence, tant les enfants qui y sont accueillis constituent un public fragile sur le plan psychologique et psychiatrique.
C’est à la fois la responsabilité des départements de garantir une protection et un accompagnement de ces enfants, mais aussi à l’État de mieux former les professionnels.
Mes chers collègues, les défis sont nombreux. Je nous invite à travailler ensemble, avec les professionnels de santé, le tissu associatif et les acteurs locaux, dans l’intérêt supérieur des enfants. Ils sont à la fois l’avenir de notre pays et les graines de l’avenir.
Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Indépendants. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la pédopsychiatrie française va mal. Cet état de fait, largement partagé par les professionnels du secteur et constaté par les nombreux rapports qui y ont été consacrés, appelle une réponse forte et urgente de la part des pouvoirs publics. De longs délais avant d’accéder à une prise en charge, des soignants en nombre insuffisant, des patients déjà fragiles qui se sentent abandonnés et des familles laissées sans solution face à ces difficultés.
La prévention en santé est essentielle. Elle permet à la fois d’informer et de sensibiliser aux troubles et aux affections, en favorisant les diagnostics précoces, qui, cela a été maintes fois prouvé, permettent une prise en charge plus efficace du patient. C’est le cas notamment pour les troubles autistiques. Or la prévention est un objectif souvent évoqué, mais qui reste dépourvu des moyens financiers et humains à la mesure des besoins que nous constatons sur l’ensemble du territoire.
Prenons l’exemple de la prévention prénatale : 12, 5 % des femmes enceintes ont déclaré une détresse psychologique anténatale et seulement 42 % d’entre elles ont bénéficié d’une consultation avec un professionnel spécialisé en psychiatrie. Or ces difficultés peuvent entraîner des conséquences sur le développement de l’enfant, si elles sont à l’origine d’un trouble de l’attachement, par exemple. Le dépistage, l’accompagnement et la prise en charge incluant un accompagnement au rôle parental paraissent alors essentiels pour infléchir les conséquences à court, moyen et long terme pour les mères et leur enfant.
Pourtant, les services de la protection maternelle et infantile (PMI) dans les maternités, qui sont souvent les premiers interlocuteurs des futures mères, ont été fermés – c’est le cas dans mon département. C’est un relais de moins pour prévenir et dépister les détresses psychologiques prénatales.
Les familles sont souvent dépourvues de ressources face aux troubles de comportement que présente leur enfant. C’est auprès du médecin généraliste qu’elles vont alors chercher des réponses, dans la proximité. Le médecin les oriente vers les centres médico-psychologiques (CMP) et les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP), qui assurent une prise en charge pluridisciplinaire de qualité et couverte financièrement par l’assurance maladie et qui constituent les pièces maîtresses de la sectorisation.
Les CMP accueillent également les mineurs relevant des services de la protection de l’enfance – en France, ils sont près de 300 000. Parce qu’ils ont subi des maltraitances et/ou des négligences, ces mineurs présentent deux à trois fois plus de risques de souffrir de troubles psychiques que la population générale.
Or, alors que les demandes explosent, ces structures d’accueil voient, elles aussi, leurs moyens réduits comme peau de chagrin et elles subissent des regroupements qui non seulement les éloignent de leurs patients, mais risquent aussi de provoquer des ruptures de soins. La réduction de leurs moyens a un impact sur la qualité des soins et la longueur des délais d’attente fait subir une perte de sens à la démarche, voire une moindre adhésion au dispositif thérapeutique.
Par ailleurs, comme l’a souligné ma collègue Laurence Cohen, le fonctionnement de ces structures se voit de plus en plus menacé par la pénurie de professionnels. En effet, les métiers clés – pédopsychiatres, orthophonistes, psychomotriciens – sont de plus en plus en tension, et ce pour des raisons multiples. En 2016, on comptait en moyenne en France 4 professionnels pour 100 000 habitants âgés de 0 à 20 ans ; 14 départements ne comptaient aucun pédopsychiatre et l’âge moyen de ces professionnels était de 62 ans. Il est nécessaire de renforcer l’attractivité de ces centres, en réajustant la grille de salaire, peu attractive pour les professionnels de santé.
Quant au rôle de la médecine scolaire dans le dépistage et la prévention des troubles pédopsychiatriques, j’aimerais rappeler que, dans le Nord, l’inspection académique faisait état, en 2018, de 40 postes de médecins scolaires vacants sur un total de 80.
Le manque de pédopsychiatres est lourd de conséquences, tant dans la pratique médicale que dans l’enseignement et la recherche. Si les postes vacants dans les services de pédopsychiatrie sont parfois occupés par des psychiatres pour adultes qui n’ont pas la formation adéquate, la situation est toutefois très problématique en ce qui concerne l’enseignement et la recherche, qui s’en trouvent fortement affaiblis.
Les professionnels de santé s’interrogent sur l’avenir et la pérennité de leur discipline : comment intéresser les étudiants en médecine à une spécialité qu’ils n’étudieront que peu lors de leur cursus général ? Comment faire évoluer les traitements et les prises en charge, alors que les crédits pour la recherche sont en berne ?
Il faut pérenniser les moyens des structures d’accueil, renforcer une politique de santé mentale infantile fondée sur la prévention et le soin. Pour cela, monsieur le secrétaire d’État, il faut arrêter les restrictions budgétaires et débloquer les moyens financiers et humains qui s’imposent. L’urgence est donc de passer du constat aux actes et des paroles aux décisions !
J’espère que ce débat, dont mon groupe est à l’initiative, contribuera à ce que votre gouvernement prenne enfin la mesure de la gravité de la situation de la pédopsychiatrie et mette en place un véritable plan de sauvetage de ce secteur.
Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant toute chose, j’aimerais remercier le groupe CRCE d’attirer l’attention du Sénat et du Gouvernement sur la question de la pédopsychiatrie en France.
Nous devons être attentifs aux difficultés d’accès aux soins pour les enfants et les adolescents atteints de troubles psychiatriques. La pédopsychiatrie souffre du numerus clausus, trop bas, mais aussi d’une crise des vocations, comme en témoignent les nombreux postes vacants. Et ce sont les patients vivants dans les territoires ruraux qui sont les plus pénalisés.
Ce débat est l’occasion de soulever un problème de santé publique majeur, que notre groupe a déjà évoqué lors de l’examen de l’article 25 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 sur la réforme de la psychiatrie. Le Gouvernement souhaite réformer et renforcer la psychiatrie dès 2020, ce que nous saluons ; nous devons agir ensemble, parlementaires et Gouvernement, pour trouver des réponses d’urgence comme de long terme à ce secteur en difficulté.
Un million de jeunes sont confrontés, chaque année, à des problèmes de santé mentale. Nous le savons, dans ce domaine, plus la prise en charge est précoce, c’est-à-dire dans les cinq premières années de développement de la maladie, plus les chances de guérison sans séquelles sont élevées.
Or, faute de pédopsychiatres disponibles, les délais de prise en charge sont de plus en plus longs. Dans de nombreux départements, les services n’ont plus les moyens d’assurer leurs missions, il est très souvent impossible d’avoir une consultation ou même, pour un médecin généraliste, un avis téléphonique en urgence.
Une situation de souffrance psychique prolongée peut favoriser l’apparition de pathologies psychiatriques, durables si elles ne sont pas surveillées et prises en charge. Nous savons également que certains troubles rencontrés au cours des premiers âges de la vie peuvent réémerger au moment de l’adolescence ou lors de périodes de rupture. Nous devons répondre à toutes les situations, tout en étant réactifs dans la prise en charge des cas urgents.
La société évolue rapidement et nous observons l’apparition de nouveaux besoins en réponse à ces évolutions. Nous le constatons en milieu scolaire, avec des problèmes récurrents de phobie, d’addiction, de trouble de l’apprentissage et de harcèlement, problèmes qui sont accentués par l’essor des réseaux sociaux. Nous avons soulevé ce problème lors de l’examen de la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet. Chaque année, 700 000 élèves en sont victimes dans le cadre scolaire et un grand nombre de pathologies se développe du fait de l’insuffisance de réaction de la part des adultes et des pouvoirs publics. « Je suis responsable de ce qui arrive à autrui », écrivait Emmanuel Levinas ; nous devons sûrement nous inspirer davantage de cette phrase.
Les attentes sont très fortes en matière d’efficacité de la prise en charge. Nous devons tout faire pour protéger et soigner les plus jeunes afin de préserver leur développement et leur intégration ultérieure dans la vie active. Selon l’OMS (Organisation mondiale de la santé), 50 % des maladies psychiatriques de l’adulte apparaissent avant 16 ans.
Aussi, la première priorité est la nécessité d’intervenir au stade le plus précoce, lorsque les chances de rémission et la réponse aux traitements sont les meilleures.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, qui prévoit un examen systématiquement des enfants lors de leur entrée en centre départemental de l’enfance, va dans le bon sens, notamment pour les mineurs non accompagnés (MNA). Il s’agit aussi d’éviter les complications liées à l’absence de traitement qui influencent à long terme le parcours de l’enfant. Soigner le plus tôt possible, c’est aussi prévenir les risques d’isolement, de décrochage scolaire et d’addiction.
La deuxième priorité, c’est la continuité des soins, souvent absente faute de moyens et de liens, pourtant indispensables, entre la pédopsychiatrie et le médico-social. Dans les familles d’accueil et surtout dans les maisons d’enfants à caractère social (MECS), où se retrouvent les enfants après le centre départemental de l’enfance, le personnel doit avoir rapidement accès aux pédopsychiatres, car un enfant avec des troubles du comportement ou violent peut déstabiliser un établissement et user complètement l’équipe éducative.
Pour répondre à ces besoins, nous devons développer des équipes mobiles de psychiatrie et de pédopsychiatrie, en particulier en zone rurale. La télémédecine pourrait dans ce cas jouer un rôle important, notamment dans les maisons de l’enfance.
Ces équipes mobiles pluridisciplinaires gérées par l’agence régionale de santé (ARS) comporteraient à la fois des infirmiers, des psychologues et des pédopsychiatres. Elles apporteraient un renfort ponctuel à l’équipe en place au sein du lieu de prise en charge du mineur. Ces équipes se déplaceraient également au domicile pour faciliter l’accès aux soins. Leur intervention paraît pertinente durant les périodes de crise pour être une alternative à l’hospitalisation, assurer une continuité des soins après stabilisation de l’état du patient et faciliter son retour dans la structure médico-sociale ou au sein de sa famille.
Monsieur le secrétaire d’État, je suis convaincu que les équipes mobiles de pédopsychiatrie contribueraient à améliorer considérablement la prise en charge des patients et le bon fonctionnement des établissements, centres départementaux de l’enfance ou maisons de l’enfance à caractère social. Avez-vous, dans le cadre du projet de rénovation et de développement de la psychiatrie, la volonté de mettre en place ces dispositifs, notamment en milieu rural ? Souhaitez-vous les généraliser ?
Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, postes vacants, personnels en sous-effectif permanent, crédits en berne… Des mots durs qui font directement écho à la crise historique que vit la pédopsychiatrie depuis une dizaine d’années dans notre pays. Pourtant, il n’y a jamais eu autant de demandes de soins en raison d’une grande précocité des troubles, mais aussi du climat socio-environnemental.
En 2018, ce sont 700 000 enfants et adolescents qui ont été pris en charge par les centres de soins spécialisés dédiés à la pédopsychiatrie. L’activité des centres a ainsi augmenté de 60 % entre 1996 et 2006, et de 16 % entre 2006 et 2017. Le nombre de patients suivis est en hausse de 14 %.
Parallèlement, le fonctionnement de ces structures se voit de plus en plus menacé par une pénurie de professionnels : près de 16 % des postes de pédopsychiatres sont vacants. Pour cause, être aujourd’hui praticien hospitalier en pédopsychiatrie, c’est être constamment accablé de travail et isolé, et ne pas être rémunéré à la hauteur de son engagement.
En 2016, la densité de pédopsychiatres était de 4 praticiens pour 100 000 habitants âgés de 0 à 20 ans, faisant de la France le pays européen le plus pauvre en ce domaine.
Pour illustrer mon propos, je vous parlerai de la situation de mon département, la Haute-Savoie, où le secteur ne déroge malheureusement pas à la règle du sous-effectif et où le problème se révèle encore plus aigu qu’ailleurs. En effet, les directeurs des établissements hauts-savoyards connaissent d’autant plus de difficultés de recrutement que le coût de la vie est élevé sur notre territoire et que la concurrence avec la Suisse voisine, où les salaires sont multipliés par deux, voire trois, est forte. Le dynamisme de la progression démographique du département aggrave encore cette situation.
La saturation des structures atteint aujourd’hui un niveau critique : les patients doivent désormais attendre plusieurs jours, voire plusieurs mois, avant d’être accueillis ou transférés dans d’autres services.
Cela peut avoir des conséquences dramatiques. J’ai, à cet instant, une pensée émue pour un jeune Haut-Savoyard décédé récemment lors d’un accident de montagne en pleine crise de schizophrénie, alors que ses appels à l’aide étaient restés lettre morte faute de place disponible auprès de psychiatres de ville débordés et de centres médico-psychologiques parfois purement et simplement dépourvus de psychiatres.
Par manque de places dans ces établissements, les patients sont le plus souvent placés en pédiatrie, côtoyant ainsi d’autres malades n’ayant pas de pathologie psychiatrique et mobilisant du personnel soignant déjà bien occupé et pas forcément formé pour une prise en charge adéquate de ces cas lourds.
Face à une hausse continue de l’activité du service, les horaires des soignants sont constamment allongés ; un tiers d’entre eux a un salaire inférieur à la moyenne régionale. Découragés, ils finissent par quitter la discipline, brisant ainsi à contrecœur la chaîne des soins, laissant les malades et les familles démunis.
Les financements ne sont pas à la hauteur des ambitions affichées par l’État : en Haute-Savoie, le montant de la dotation annuelle de fonctionnement des établissements publics est inférieur à la moyenne régionale. Lorsque le montant moyen de cette dotation est de 132 euros par habitant en Auvergne-Rhône-Alpes, il est de 81 euros dans mon département et il tombe même à 66 euros aux abords du Léman.
Face à tous ces griefs, le Président de la République a récemment affiché son ambition de redonner une perspective à la pédopsychiatrie en France. En Haute-Savoie, comme partout dans l’Hexagone, nous avons besoin de savoir quelles mesures concrètes le Gouvernement compte mettre en place pour renforcer les pôles pédopsychiatriques. Quels moyens financiers pourront leur être accordés dans les années à venir, eu égard notamment à leur spécificité frontalière ? L’enjeu est de taille et mérite toute notre attention.
Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et Les Indépendants.
Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et Les Indépendants.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mon intervention est nourrie par ma mission d’administrateur de l’association hospitalière de Bourgogne-Franche-Comté, qui représente 2 000 salariés, mais aussi, et surtout, par les constats tirés de mes contacts avec les soignants des services de pédopsychiatrie confrontés à des cas concrets.
Je leur ai communiqué les conclusions du rapport de nos collègues Alain Milon et Michel Amiel présenté au début de 2017. Ce retour sur nos travaux passés s’est révélé à la fois satisfaisant et préoccupant.
Satisfaisant, tout d’abord, parce que le diagnostic était fidèle à la dure réalité vécue par les services de pédopsychiatrie. De l’avis des personnels, la grande majorité des 52 propositions est utile et pertinente pour engager des actions sérieuses permettant de sauver cette discipline, mais ces propositions ont-elles été entendues et appliquées ? C’est là que le bât blesse ! Et c’est là que la situation est préoccupante.
Nous manquons de pédopsychiatres un peu partout sur le territoire national. Dans certaines facultés de médecine, il n’y a même plus de professeurs dans cette spécialité. Ces derniers représentent 0, 73 % de l’ensemble des professeurs de médecine. On continue de mal diagnostiquer les troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent. L’offre de soins et de prise en charge est insuffisante ou inadaptée par manque de moyens et de cohérence dans la politique menée.
Sans « sur-psychiatriser », le repérage et la détection sont pourtant indispensables pour réduire, voire faire disparaître, les troubles des enfants qui doivent être pris en charge, comme dans les autres pathologies, suffisamment tôt. Cette absence de prise en charge précoce en pédopsychiatrie ou en psychologie est une perte de chance. Il ne faut toutefois pas confondre les difficultés psychologiques avec les pathologies psychiatriques.
Je veux tirer un signal d’alarme sur la nécessité d’assurer un repérage des plus précoce chez l’enfant. Les spécialistes rencontrent trop de jeunes adultes en soins sans consentement ; c’est tout simplement un marqueur des échecs antérieurs.
On continue également avec des entrées dans le parcours de soins qui, trop souvent, relèvent plus du hasard que de la cohérence. Il s’agit là d’associer étroitement l’ensemble des intervenants. Je pense évidemment à la famille que l’on ne doit pas négliger, à l’éducation nationale et son service santé, aux centres médico-psycho-pédagogiques et à la protection judiciaire de la jeunesse. L’objectif est d’œuvrer dans un ensemble multidisciplinaire à la gestion individuelle de cas particuliers.
Si ces volontés communes existent souvent, elles se heurtent, monsieur le secrétaire d’État, au manque de moyens humains et financiers.
En Bourgogne-Franche-Comté, l’urgence dure depuis trente ans. Les listes d’attente s’allongent de jour en jour, semaine après semaine, et les services n’ont plus les moyens d’assurer leurs missions, faute de places ou de lits disponibles pour répondre aux demandes d’hospitalisation des familles, des écoles ou de l’aide sociale à l’enfance.
On continue aussi de délaisser la recherche en psychiatrie des mineurs. Dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, le Gouvernement a baissé les dotations des associations de médecins psychiatres, dont le travail est pourtant essentiel en matière d’études épidémiologiques, d’évaluation des stratégies non médicamenteuses et de neuroscience.
De l’avis des professionnels eux-mêmes, la pédopsychiatrie et plus généralement la psychiatrie ont besoin d’une réflexion globale et d’une loi portant sur son fonctionnement, son financement et la formation des psychiatres et des pédopsychiatres. C’est le moment, monsieur le secrétaire d’État, de laisser votre nom à une loi…
Sourires.
Le chantier est immense, mais des propositions ont été formulées par le Sénat il y a deux ans. Monsieur le secrétaire d’État, travaillez ces propositions. Faites confiance au Sénat pour mieux répondre au cri d’alarme poussé par les personnels soignants en pédopsychiatrie, qui sont complètement à bout de souffle !
Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et Les Indépendants. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.
Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, permettez-moi de commencer mon propos en remerciant le groupe CRCE et Mme Cohen d’avoir bien voulu porter ce débat dans l’hémicycle sur la situation de la pédopsychiatrie en France. Je pense que nous partageons une partie des constats et j’aurai l’occasion d’y revenir.
Permettez-moi de commencer à mon tour par une citation : « La santé est un bien qu’il faut conquérir et conserver. Le bien-être n’est ni le confort ni le contraire de l’effort. Bien-être, c’est être bien. C’est un droit et un devoir, envers soi et envers les autres. »
Ces quelques mots, particulièrement justes et pertinents, figuraient en introduction du rapport que la professeure Marie-Rose Moro et l’inspecteur d’académie Jean-Louis Brison, missionnés par le gouvernement de l’époque, ont rendu fin 2016 sur le bien-être et la santé des jeunes après un important travail de réflexion et d’échanges avec l’ensemble des acteurs. Ils soulignaient ainsi la nécessité de faire de la santé mentale des enfants et des jeunes une priorité de l’action publique.
Vous avez été nombreux à le dire, les rapports de ces dernières années sur la psychiatrie des mineurs, particulièrement le travail de la mission sénatoriale de 2017 présidée par Alain Milon et dont le rapporteur était Michel Amiel, ont souligné la situation de grande fragilité de la pédopsychiatrie en France, marquée par une forte augmentation de la demande et une saturation des dispositifs de soins dans un contexte de démographie médicale préoccupante.
Comme cela a été souligné, notamment par Mme Cohen, certains départements sont dépourvus d’offre d’hospitalisation en pédopsychiatrie, tandis que dans d’autres territoires cette offre apparaît comme très insuffisante au regard des besoins observés.
Conscient de ces enjeux, le Gouvernement a lui-même engagé ces deux dernières années un travail d’analyse plus spécifique sur certains sujets pour améliorer le parcours de soins en santé mentale dans le respect des droits des enfants et de leurs familles. Je pense notamment aux missions conduites par l’inspection générale des affaires sociales sur les centres médico-psychologiques (CMP), les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) et les centres d’action médico-sociale précoce.
En tant que secrétaire d’État auprès de la ministre Agnès Buzyn chargé plus spécifiquement de l’enfance, je me suis attelé, dès ma nomination et dans le prolongement des décisions prises par la ministre des solidarités et de la santé, à répondre aux attentes et aux besoins que vous avez été nombreux à rappeler. Et je dois vous avouer que, depuis un an, pas un déplacement dans les territoires, pas un rendez-vous avec une association ou des professionnels ne s’est conclu sans une interpellation sur la situation de la pédopsychiatrie dans notre pays.
S’agissant plus particulièrement de la protection de l’enfance, que vous avez été nombreux à évoquer, certaines études ont montré que 32 % des enfants qui relèvent de l’aide sociale à l’enfance ont des troubles psychiatriques, contre 2, 6 % dans la population en général, que 26 % de ces enfants ont un père qui souffre d’addiction et que 16 % ont une mère qui est dans ce cas, quel que soit le type de l’addiction.
J’ai évidemment un regard particulièrement attentif sur la santé mentale de nos enfants protégés.
Plus globalement, la santé mentale de la population fait l’objet d’une attention toute particulière de la part du ministère des solidarités et de la santé.
Je me permets de rappeler à mon tour qu’un délégué ministériel, le professeur Frank Bellivier, a été nommé au printemps 2019 ; avec son équipe et les services compétents du ministère, il s’attache à travailler avec l’ensemble des acteurs du secteur et à aller à leur rencontre dans chaque région et chaque territoire de métropole et d’outre-mer. Vous pouvez compter sur son engagement pour apporter des solutions très concrètes et très opérationnelles, comme le montre notamment son parcours, aux enjeux qui ont été évoqués.
Madame Cohen, les moyens financiers exceptionnels pour renforcer l’offre de soins en santé mentale des enfants qui ont été alloués en fin d’année 2019 ne se limitent pas à quelques millions d’euros. Cette allocation fait suite à un appel à projets doté de 20 millions sur une enveloppe totale de 100 millions dédiés à la feuille de route Santé mentale et psychiatrie. Cet appel à projets a été lancé en juillet 2019 afin de renforcer les ressources de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, notamment dans les départements non pourvus ou sous-dotés au regard des besoins de la population.
Il était demandé aux agences régionales de santé de faire remonter des projets concrets et rapidement opérationnels de création ou de renforcement de l’offre de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent sur les territoires, de la périnatalité à la transition vers la psychiatrie adulte.
Les nombreux projets remontés à la fin du mois de décembre, sauf erreur de ma part, ont fait l’objet d’une analyse par un comité d’experts de la discipline et 35 projets ont d’ores et déjà été retenus, témoignant du succès de l’appel à projets et de la forte mobilisation des acteurs de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent dans les territoires.
Ces projets vont venir renforcer l’offre de pédopsychiatrie dans des territoires en grande difficulté, là aussi dès la périnatalité jusqu’à la fin de l’adolescence et la transition vers l’âge adulte. Ils portent sur la création de lits d’hospitalisation dans les départements qui en sont dépourvus, de places de crise ou post-crise, d’évaluation et de prise en charge des situations urgentes, ainsi que de places d’hospitalisation de jour et de nuit.
Le renforcement de l’offre ambulatoire est largement mis en avant au travers du renforcement des CMP et du développement d’équipes mobiles. Ainsi, l’appel à projets renforce, de manière structurante, l’offre en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, notamment, pour être encore plus précis, dans des départements très en difficulté, comme les Alpes-de-Haute-Provence, la Corrèze, la Creuse, les Côtes-d’Armor, l’Eure ou encore l’Indre. Non, monsieur Chasseing, les départements ruraux ne sont évidemment pas oubliés ; bien au contraire !
Pour parler encore de la Corrèze, sachez qu’un projet a été retenu, fondé sur trois centres hospitaliers, avec le développement de quatre typologies d’offres, dont une équipe pluridisciplinaire mobile interdépartementale. C’est donc un projet très concret.
La pédopsychiatrie et la périnatalité ont également constitué l’une des thématiques retenues pour 2019 dans le cadre du fonds d’innovation organisationnelle en psychiatrie, doté de 10 millions d’euros. Comme vous le savez probablement, ce fonds est destiné à valoriser de nouvelles pratiques organisationnelles. Il a fait l’objet d’un appel à projets national relayé, là aussi, au niveau régional par chaque ARS. Sur les 42 projets retenus, sachez que 19 ciblent plus spécifiquement le repérage et la prise en charge précoce de l’enfant et de l’adolescent – je rejoins évidemment ceux d’entre vous qui ont estimé que cette dimension était absolument fondamentale – et la psychiatrie périnatale.
Soyez convaincus qu’Agnès Buzyn et moi-même serons extrêmement attentifs à la concrétisation effective, cette année, de cette importante offre supplémentaire. Nous veillerons à poursuivre et à renforcer ces réponses et à soutenir de nouveaux projets. Je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il en ira de même de votre côté.
La feuille de route Santé mentale et psychiatrie prévoit également de renforcer l’attractivité de la pédopsychiatrie en ville et à l’hôpital. C’est un aspect que nombre d’entre vous ont également évoqué. Ainsi que M. Iacovelli et Mme Doineau l’ont rappelé, 20 postes de chefs de clinique-assistants hospitaliers ont été créés en deux ans, avec un recrutement reposant, là aussi, sur un appel à projets conjoint entre le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation et le ministère des solidarités et de la santé. L’objectif, madame Cohen, est que chaque faculté de médecine soit couverte, à terme, par au moins un poste de professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH) de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent.
Le délégué ministériel Frank Bellivier travaille par ailleurs avec les acteurs à la refonte des autorisations et du modèle de financement de la psychiatrie, pour fluidifier les organisations et harmoniser au niveau national l’accompagnement de nos concitoyens. Cette tâche n’est pas encore achevée – je suis sûr que vous en mesurez l’ampleur.
J’insiste sur ces dimensions, car nous ne devons pas oublier – je sais que vous ne le faites pas – l’ensemble des professionnels qui accompagnent chaque jour les enfants et leurs parents, avec un engagement de chaque instant. Pour répondre directement à la question de Mme Doineau, les textes relatifs aux infirmiers en pratique avancée mention psychiatrie et santé mentale ont été publiés en août 2019. Les premiers étudiants infirmiers concernés ont d’ailleurs débuté leur formation à la dernière rentrée universitaire.
Par ailleurs, toutes les actions menées que je suis en train de détailler s’articulent directement au sein de la feuille de route globale du ministère et du secrétariat d’État chargé de la protection de l’enfance.
La Stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance, que j’ai présentée le 14 octobre 2019, inclut ainsi un volet important, en prévention – j’insiste sur ce terme et sur cette volonté d’intervenir le plus tôt possible, que je vous sais chère, mesdames, messieurs les sénateurs, notamment à vous, monsieur Tourenne – et en protection, sur la santé des enfants protégés.
Au titre de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, nous expérimentons, depuis l’année dernière, un parcours de soins coordonnés des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance dans trois départements, la Loire-Atlantique, les Pyrénées-Atlantiques et la Haute-Vienne. Cette expérimentation va être étendue dès cette année, pour concerner dix territoires au total. Mon ambition, si elle se révèle concluante, est de pouvoir la généraliser le plus tôt possible.
Comme vous avez été plusieurs à le rappeler, nous avons par ailleurs inscrit dans la nouvelle loi de financement de la sécurité sociale, votée en décembre 2019, la création d’une consultation complexe – M. Chasseing y a fait référence – pour le bilan de santé des enfants confiés à leur entrée dans les dispositifs de protection de l’enfance.
En outre, Agnès Buzyn, Sophie Cluzel et moi-même renforcerons les réponses à destination des enfants dont les situations sont les plus complexes, ceux qui sont confrontés aux problématiques du handicap, du soin et de la protection de l’enfance, dans le cadre d’un partenariat renouvelé avec les départements. Je rappelle que ce sont non pas 15 %, mais plus de 25 % des enfants de l’aide sociale à l’enfance qui ont un dossier MDPH !
Vous le savez probablement mieux que moi, dans un pays qui aime bien fonctionner en silo, lorsque l’on se trouve au croisement de deux politiques publiques – en l’occurrence, le social et le médico-social –, on ne se trouve souvent nulle part.
C’est la raison pour laquelle nous avons pour ambition, dans le cadre de la Stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance, de créer des dispositifs d’intervention adaptés aux problématiques croisées de protection de l’enfance et du handicap, tels que des équipes mobiles, des places mixtes en internat, de Sessad (services d’éducation spéciale et de soins à domicile) ou encore d’accueil de jour sociothérapeutique. D’ailleurs, la création de cette offre nouvelle, afin de prendre en charge convenablement les enfants concernés, est l’un des volets obligatoires de la contractualisation proposée aux départements, à côté d’un investissement sur les protections maternelle et infantile.
Sachez que, sur les 80 millions d’euros prévus globalement dans le cadre de la stratégie pour 2020 afin de travailler d’ores et déjà dans trente départements dans le cadre de ce partenariat avec les conseils départementaux, 15 millions d’euros ont d’ores et déjà été fléchés sur la création de dispositifs au niveau de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. C’est la première fois que cette ambition est aussi explicitement affirmée dans l’Ondam médico-social et c’est une première étape, car l’objectif, vous le savez, est de déployer les engagements de la Stratégie nationale sur l’ensemble du territoire d’ici à 2022.
J’ai insisté sur la notion de prévention. Je rebondirai sur vos remarques très pertinentes relatives au repérage précoce, en vous donnant quelques illustrations qui, me semble-t-il, répondent directement à vos interventions.
Ainsi que l’a notamment évoqué M. Iacovelli, le Président de la République nous a chargés, Agnès Buzyn et moi-même, de répondre à cet enjeu de société que constituent les 1 000 premiers jours de la vie de l’enfant.
Ce sujet est probablement l’une des illustrations les plus emblématiques d’un changement d’approche que nous souhaitons dans les politiques publiques, axé sur une dimension plus préventive que curative, et dépasse, à mon sens, tout clivage politique. Comme vous le savez, le prix Nobel d’économie James Heckman a démontré que le retour sur investissement de la prévention augmentait de façon exponentielle quand on intervenait le plus tôt possible.
Une commission d’experts, présidée par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, travaille depuis le mois de septembre dernier pour nous éclairer sur les fondamentaux scientifiques sur lesquels nous devons nous appuyer – le consensus scientifique nous semble important – et pour en dégager des recommandations de politiques publiques, que ce soit sur la nutrition, sur l’éveil de l’enfant, mais aussi sur le rôle des techniciens de l’intervention sociale et familiale (TISF), qu’a évoqués Mme Doineau. Ces travaux se réfèrent au rapport de Michèle Peyron sur les PMI et aux recommandations de Jacques Dayan. Ils s’intéressent aussi, madame Gréaume, à la question du dépistage prénatal.
Madame Cohen, vous avez, par ailleurs, rappelé l’importance du langage. Cet aspect fait également partie des réflexions. Vous avez fait référence aux orthophonistes et à leur rôle essentiel en matière de prévention. Nous partageons votre constat. Sachez que, sur ce sujet, nous avons lancé, avec la Caisse nationale d’assurance maladie et la Fédération nationale des orthophonistes, un partenariat de dépistage en petite section de maternelle sur trois bassins de vie pour la rentrée 2020, à titre expérimental.
Le repérage précoce est aussi au cœur de la Stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement pour les années 2018-2022 que porte Sophie Cluzel, avec laquelle je travaille étroitement, et que met en œuvre la déléguée interministérielle, Claire Compagnon. Vous avez évoqué ce sujet, monsieur Rapin. Vous connaissez peut-être l’engagement qui était le mien, en tant que parlementaire, et qui reste le mien sur la question des troubles du spectre de l’autisme.
Le déploiement de plateformes d’orientation et de diagnostic autisme au sein des troubles neuro-développementaux pour la mise en œuvre du parcours de bilan et d’intervention précoce est l’un des chantiers majeurs de cette stratégie. Comme l’a déjà indiqué Sophie Cluzel, en 2020, 3 millions d’euros de crédits complémentaires à ceux qui étaient initialement prévus dans le cadre de la stratégie seront alloués aux ARS afin de renforcer le déploiement de ces plateformes. L’objectif, madame Cohen, est de déployer une plateforme par département.
Je n’entrerai pas dans le débat sur la psychanalyse et l’autisme que vous avez tenté d’engager, même si je dois avouer que cela me démange. §Toutefois, je veux rappeler les recommandations de bonnes pratiques formulées en 2005 par la Haute Autorité de santé, selon laquelle il n’était pas possible « de conclure à la pertinence des interventions fondées sur les approches psychanalytiques. »
Par ailleurs, vous m’avez demandé des chiffres concrets et un premier bilan des plateformes. Au 31 décembre 2019, ce sont 29 plateformes qui ont été ouvertes. La prévision est de 47 à la fin de l’année 2020, et la déléguée interministérielle Claire Compagnon nous indique que nous sommes très en avance sur le calendrier qui avait été initialement prévu.
S’agissant du nombre d’enfants et de forfaits concernés, nous ne disposons pas de chiffres à l’heure actuelle. De fait, ces chiffres devraient être disponibles au début du mois de février. Je vous citerai simplement l’exemple de l’Isère, dont la plateforme, ouverte à la mi-septembre, a d’ores et déjà permis la prise en charge de 70 situations – j’insiste sur le caractère parcellaire des données.
Enfin, je veux vous donner une autre illustration très concrète de cette dimension préventive : en application directe des recommandations du rapport Moro-Brison, nous mettons en œuvre, à titre expérimental, dans trois régions – Île-de-France, Grand Est et Pays de la Loire – et pour une durée de trois ans, le dispositif « Écout’Émoi », que vous connaissez peut-être, dont l’objectif est de permettre à des jeunes en souffrance psychique d’avoir un accès facilité et rapide à des consultations – 12 au maximum –, intégralement remboursées par l’assurance maladie, avec des psychologues libéraux.
Il s’agit d’éviter l’installation de troubles psychiques chez les jeunes n’ayant pas accès à un soutien psychologique, en leur proposant une prise en charge adaptée, facilitée et remboursée. Pleinement opérationnelle depuis le milieu de l’année 2019, cette expérimentation a permis à 300 jeunes de bénéficier de ce dispositif dans les trois régions concernées.
En outre, à la suite de l’annonce effectuée par le Président de la République en novembre 2017, relative à l’identification, à titre pilote, de dix dispositifs spécialisés dans la prise en charge globale du psychotraumatisme, concept cher à Muriel Salmona, un appel à projets national, doté d’un montant global de 4 millions d’euros, a été lancé en juin 2018 auprès des acteurs du psychotraumatisme. La lutte contre l’ensemble des violences faites aux enfants est une priorité absolue et a fait l’objet d’un nouveau plan de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants, que j’ai présenté le 20 novembre dernier, à l’occasion du trentième anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant. J’ai alors annoncé la mise en place, au sein de ce plan, de 5 centres supplémentaires de prise en charge du psychotraumatisme, en complément des 10 centres existants, de manière à renforcer un peu plus encore le maillage du territoire national.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, plus globalement et pour conclure, j’espère vous avoir pleinement répondu sur la dynamique territoriale qui est à l’œuvre. Les projets territoriaux de santé mentale, portés par les agences régionales de santé, sont en cours de déploiement sur l’ensemble du territoire et seront tous effectifs d’ici à juillet 2020 – je veux en assurer Mmes Doineau et Guillotin.
Les parcours gradués et coordonnés de soins et de vie des enfants et adolescents souffrant de troubles psychiques sont élaborés et mis en œuvre dans ce cadre sur les territoires, en liaison avec l’ensemble des acteurs médico-sociaux et sociaux. Il est possible que, en votre qualité de parlementaires, vous ayez pris part à ces projets territoriaux de santé mentale. Pour ce qui me concerne, lorsque j’étais député, j’avais commencé à participer à celui qui était engagé dans mon département des Hauts-de-Seine : j’ai pu voir à quel point les dynamiques à l’œuvre avec l’ensemble des acteurs concernés étaient enthousiasmantes et efficaces.
Sur tous ces sujets, il nous faut travailler main dans la main avec les collectivités territoriales, avec l’ensemble des acteurs, et surtout avec les collectivités territoriales, comme nous l’ont rappelé justement Mmes Guillotin et Doineau.
Certes, nous ne sommes pas responsables de la situation en matière de pédopsychiatrie, qui résulte de quarante ans d’abandon de cette discipline dans notre pays, mais, oui, monsieur Tourenne, nous sommes en responsabilité et il nous appartient, à ce titre, avec vous, parlementaires, et avec les départements, d’améliorer la situation.
Les décisions que nous avons prises depuis deux ans ne peuvent pas produire d’effet immédiat, tant les maux sont aigus et les difficultés sont profondes. Toutefois, j’espère vous avoir convaincus que ma détermination à cet égard, comme celle d’Agnès Buzyn, est totale.
Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, Les Indépendants, UC et Les Républicains.
Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « La pédopsychiatrie en France ».
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 9 janvier 2020 :
À dix heures trente :
Débat sur les conclusions du rapport d’information : « Demain les robots : vers une transformation des emplois de service ».
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à vingt-trois heures.