Madame la présidente, monsieur le président de la délégation, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de Mme Agnès Pannier-Runacher et de M. Cédric O, retenus par d’autres engagements.
Je voudrais tout d’abord revenir sur le constat fait par la délégation sénatoriale à la prospective et partagé par le Gouvernement : les besoins de main-d’œuvre liés à la révolution numérique sont massifs, notamment dans les domaines du social, de la mobilité, de l’analyse des données, des services, du cloud ou de la sécurité.
Selon la Commission européenne, 756 000 postes sont à pourvoir par des experts du numérique en 2020, dont 212 000 en France. Toutefois, selon Syntec Numérique, syndicat de l’industrie du numérique, il existe un déficit annuel de 10 000 diplômés dans ce domaine.
La révolution numérique implique des transformations globales, tant du marché du travail, puisque 50 % des emplois sont ou seront concernés par cette transformation technologique, que de notre manière de former et de penser. Le Gouvernement a d’ores et déjà engagé des réformes de nature à anticiper ces évolutions et à permettre à nos concitoyens de s’y préparer.
S’agissant du numérique à l’école, alors que l’informatique et l’algorithmique font partie des programmes scolaires dès le cours préparatoire depuis 2016, une heure et demie de « sciences numériques » est proposée en seconde, et, en option, jusqu’à six heures en terminale depuis la rentrée de 2019. Un Capes « numérique » verra le jour en 2020.
S’agissant de l’accès aux opportunités économiques offertes par la révolution numérique, le programme French Tech Tremplin a été mis en place. Doté de 15 millions d’euros, il a pour objectif d’aider les porteurs de projet éloignés de la technologie – demandeurs d’emploi, jeunes issus des quartiers prioritaires de la ville, etc. – à créer leur entreprise ou à en accélérer le développement. Les lauréats bénéficieront d’une bourse, d’un parcours d’accompagnement et d’un soutien rapproché et personnalisé de la part d’un mentor.
Au-delà de ces constats et des quelques réponses que je viens d’esquisser, je voudrais revenir sur les principales interrogations que votre rapport a soulevées.
J’insisterai d’abord sur l’intelligence artificielle, qui montre que le secteur du numérique sait s’organiser. Pour des raisons de compétitivité, les entreprises françaises devront à terme s’approprier et intégrer les technologies de l’intelligence artificielle. Cette appropriation se concrétisera par le recrutement de spécialistes hautement qualifiés, mais également par la diffusion d’une formation à l’intelligence artificielle à tous les échelons de l’entreprise. La formation à l’intelligence artificielle est un enjeu majeur, comme l’a justement souligné le rapport de la délégation.
En matière de formation de spécialistes, par exemple de data scientists, l’écosystème éducatif français est mondialement réputé. Structuré, il se développe notamment grâce au volet « expertise » de la stratégie nationale de l’intelligence artificielle déployée par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ainsi, de multiples mastères spécialisés en intelligence artificielle existent en France.
Concernant la formation et la sensibilisation à l’intelligence artificielle à destination des professionnels non spécialistes, le champ reste encore peu couvert. Cependant, plusieurs actions françaises et européennes ont été entreprises, notamment par l’intermédiaire de M assive O pen O nline C ourses (MOOC), sur l’initiative de l’université d’Helsinki ou du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), pour ne citer qu’eux. Des initiatives en matière de formation continue et/ou de reconversion promues par de grands groupes informatiques se développent également en France.
Il me semble important d’évoquer aussi l’impact de la robotisation sur le secteur du tourisme, exemple qui montre que la robotisation peut être source de progrès.
La robotisation est utilisée dans ce secteur depuis environ cinq ans, au travers des chatbots et de l’intelligence artificielle. Elle est le fruit d’une recherche permanente d’innovations des acteurs du tourisme pour répondre aux besoins de clients, notamment étrangers, qui ont souvent besoin d’un accompagnement avant et pendant leur séjour dans leurs différentes démarches. Elle permet une réponse en temps réel, 24 heures sur 24 et dans toutes les langues, qui ne pourrait pas être assurée par des emplois physiques, améliorant ainsi la qualité du service aux touristes, leur expérience en France et, finalement, l’attractivité de la France en ce domaine. Elle n’a, dans ce cas, pas remplacé d’emplois physiques ; elle a surtout permis d’améliorer la relation clients.
Le Gouvernement a encouragé, comme le préconise le rapport de la délégation, ce développement d’innovations par la mise en open data des données publiques sur le tourisme produites par les collectivités territoriales, via la mise en place de la plateforme datatourisme.gouv.fr, il y a deux ans.
Je voudrais à présent aborder le sujet de l’impact de la robotisation sur le commerce, qui est souvent l’angle par lequel nos concitoyens appréhendent les enjeux du numérique pour l’emploi.
La robotisation touche le commerce physique essentiellement au niveau du paiement et des entrepôts. Certes, il ne faut pas nier l’ambiguïté du progrès technique : les automates et l’automatisation d’entrepôts peuvent permettre des gains de productivité, de temps, et être sources d’utilité économique, puisque le consommateur peut par exemple faire ses achats le dimanche, mais ils peuvent aussi induire un taux d’emploi plus faible, et donc de possibles restructurations. L’expérience montre toutefois que la part du recours à l’automatisation reste souvent mineure par rapport à celle de l’interaction avec des vendeurs, commerçants et caissières, à laquelle, je le crois, nous sommes tous attachés.
Face à ces évolutions qui peuvent être contradictoires, le Gouvernement veille évidemment à ce que la robotisation ne permette pas de contourner le droit du travail. Le Gouvernement s’efforce en outre d’inciter les entreprises à accompagner leurs salariés vers des tâches à plus haute valeur ajoutée, afin que ceux-ci ne soient pas durablement exclus du marché du travail en raison de l’obsolescence de leurs compétences ou de leur métier.
La question de l’impact du numérique sur l’emploi et les formations est primordiale ; il faut donc accompagner les différentes branches professionnelles pour former les travailleurs concernés.
Je prendrai ici l’exemple des centres d’appel des entreprises, les call centers, qui sont de plus en plus confrontés à la montée en puissance de la robotisation de la relation clients, laquelle permet de répondre aux demandes primaires des clients sans interaction avec une personne physique. Compte tenu de l’importance économique de ce secteur, dont les entreprises sont situées dans des bassins d’emploi souvent fragiles et qui participe activement à l’insertion professionnelle des jeunes, l’accompagnement des salariés appelle une attention toute particulière. Ce secteur connaît un rythme de croissance annuelle de 3, 5 %, avec un potentiel de création de 7 000 emplois par an. Concomitamment, l’intelligence artificielle et les chatbots pourraient conduire à la suppression de 7 000 emplois par an au cours des cinq prochaines années. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a ouvert un chantier pour s’assurer que ce secteur pourra mobiliser tous les outils pour faire monter en compétences ses salariés : 7 000 agents seront ainsi formés chaque année par la branche et l’opérateur de compétences du secteur.
Comme le préconise le rapport sénatorial, le Gouvernement œuvre donc à renforcer l’appareil de formation professionnelle en accordant une priorité aux travailleurs dont l’emploi est automatisé ou susceptible de l’être rapidement.
En définitive, il me semble important de souligner la richesse que peut représenter la révolution numérique dès lors qu’elle est accompagnée par des femmes et des hommes : j’en veux pour preuve le secteur de la santé. Robotisation et numérisation offrent de très larges potentialités, qui devraient permettre d’apporter une réponse au déficit de personnel dans certains établissements et au domicile, mais cela nécessite d’importants investissements en termes de capital humain comme de capital technologique. Le déploiement d’assistants robotisés pourrait représenter une réelle opportunité en termes de réduction du coût du travail ou de gains de productivité. Ils peuvent apporter une présence 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, en complément – je tiens à le préciser – d’une présence humaine dans les établissements et au domicile. Une politique importante de formation des personnels devra accompagner cette modernisation rapide des services. Des investissements pourraient en partie s’opérer grâce à la masse salariale non mobilisée du fait d’un déficit chronique de recrutement dans ces services avec des retours sur investissement rapides, de l’ordre d’un à deux ans. Des expériences françaises existent, qui pourraient, si l’on conclut à leur succès, être répliquées.
Il convient toutefois de souligner que les activités de service à la personne, eu égard à la place centrale qu’y occupe le lien humain, ne se prêteront sans doute pas à une substitution très large du personnel par des robots, ce qui est heureux. Le Gouvernement est d’ailleurs bien plus attaché à la complémentarité de ces solutions qu’à leur opposition.
L’État entend donc poursuivre son accompagnement d’initiatives dans ce domaine : il a lancé un projet d’open data concernant sa base de données sur les services à la personne, avec pour possible débouché la mise à disposition du public et des opérateurs des données anonymisées de la filière à relativement brève échéance. Ce projet rejoint en tout point la préoccupation du Sénat exprimée au travers de la recommandation n° 4 du rapport, concernant l’importance d’élaborer des politiques d’utilisation de la donnée publique et privée.
Cette même prise en compte des femmes et des hommes salariés d’un secteur touché par la révolution numérique a également conduit le Gouvernement à mieux réguler l’activité des plateformes.
La numérisation des différentes filières, via notamment le développement rapide de plateformes, permet de dynamiser l’offre et de favoriser le fonctionnement d’un marché longtemps réservé à quelques opérateurs. Le Gouvernement a lancé un chantier transverse sur l’émergence des plateformes et leur impact en termes de création de valeur et d’emplois. Des mesures de simplification de la réglementation existante seront proposées pour accompagner ce mouvement, notamment dans le secteur des services à la personne, où ces nouveaux acteurs renouvellent un modèle économique trop fragile, car les marges y sont trop faibles, mais également dans les domaines de la mobilité ou de la logistique, auxquels le rapport sénatorial fait à de multiples reprises référence.
Un chantier doit par ailleurs être lancé, sur la base de l’habilitation que confère au Gouvernement l’article 48 de la loi d’orientation des mobilités, visant à clarifier et à encadrer la représentation des travailleurs au sein des sociétés de plateformes de services, afin notamment de refléter l’impact des nouvelles technologies de la donnée sur les conditions de travail. Cette préoccupation du Gouvernement rejoint très directement celle qui est exprimée au travers de la recommandation n° 9 du rapport du Sénat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre écoute. Je suis très heureux de participer avec vous à ce débat et je m’attacherai à répondre aux questions que vous voudrez bien me poser.