La séance est ouverte à dix heures trente.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective, sur les conclusions du rapport d’information Demain les robots : vers une transformation des emplois de service.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
Dans le débat, la parole est à Mme Marie Mercier, rapporteur de la délégation sénatoriale auteur de la demande.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, aucune technologie ne peut être neutre, car toutes portent en elles une vision du monde.
La délégation à la prospective du Sénat a réfléchi, à la demande de son président, M. Roger Karoutchi, à la question de l’impact sur l’emploi de l’utilisation de plus en plus fréquente de robots et de machines intelligentes dans toutes les sphères d’activité, publiques ou privées.
Le recours à des robots n’est plus l’apanage de la seule industrie pour effectuer des tâches pénibles et répétitives. Nous voyons se déployer rapidement des systèmes automatiques qui réalisent mieux que nous des tâches qui nous étaient jusque-là imparties dans notre activité quotidienne.
Certes, un monde où l’ensemble des tâches, des plus banales, comme conduire une voiture ou faire la cuisine, aux plus complexes, comme analyser une masse de documents, seraient effectuées par des machines, cela relève encore de la science-fiction. Cependant, la révolution des robots est déjà là.
Une technologie joue un rôle important dans ce vaste mouvement vers l’automatisation : l’intelligence artificielle, l’IA. Elle a connu un essor spectaculaire durant la dernière décennie, avec le développement de l’apprentissage automatique ou les réseaux de neurones profonds.
La mise en réseau des informations à travers l’internet et, maintenant, l’internet des objets, la capacité de traiter de gigantesques masses de données : tout cela permet d’affiner le comportement des machines et de les mettre en mesure, à l’instar des robots conversationnels, de réagir à une grande variété de situations.
L’impact de cette révolution technologique sur l’emploi inquiète. Les salariés peuvent-ils être remplacés par des machines ? Ce mouvement a déjà été observé de manière massive sur les chaînes de production industrielle. Il concerne aussi désormais les services : caisses automatiques, applications de recherche de vols et de voyages en ligne, analyse de la solvabilité des emprunteurs par les banques…
Les services ne sont donc pas épargnés par le mouvement d’automatisation des tâches. Or les emplois de service représentent 75 % de l’emploi en France. Même des métiers qualifiés sont touchés : le radiologue est désormais en concurrence avec la machine pour lire avec précision un cliché radiographique, les traders des salles de marché sont remplacés par des ordinateurs effectuant du trading à haute fréquence.
Le rapport Frey-Osborne de 2013 estimait que 50 % des emplois risquaient de disparaître aux États-Unis en vingt ans, sous l’effet de l’automatisation des tâches. Les estimations plus récentes sont moins effrayantes : des travaux laissent penser que seulement de 10 % à 15 % des emplois existants aujourd’hui sont menacés de disparition du fait de l’automatisation. Des compensations paraissent donc possibles au niveau macroéconomique, avec la création d’emplois pour exécuter des tâches non automatisables.
La crainte de voir émerger un chômage technologique de masse ne nous paraît donc pas fondée. Cette hypothèse ne s’est jamais vérifiée dans l’histoire. Les pays les plus robotisés, comme l’Allemagne, le Japon ou la Corée du Sud, sont aussi ceux qui ont le taux de chômage le plus faible.
En revanche, les experts ont une certitude : de très nombreux emplois vont être transformés par l’automatisation. Les compétences attendues des salariés, l’organisation du travail risquent d’être bouleversées assez rapidement par un progrès technologique rapide.
Il ne faut pas croire que, par nature, certaines activités seront épargnées. Nous avons observé que, dans de nombreux domaines – l’agriculture, la logistique et les transports, la sécurité et la défense, les services financiers, le commerce, les loisirs, l’énergie, l’environnement, les services juridiques et même le soin et l’accompagnement des personnes âgées –, les robots se diffusent, parfois pour améliorer l’efficacité du travail humain, mais parfois aussi pour le remplacer en automatisant des tâches. Dans les transports, la perspective du véhicule autonome conduit à envisager la fin des métiers de chauffeur routier ou de taxi.
Ne croyons pas non plus que des services à forte dimension relationnelle ne soient pas automatisables, au moins en partie : l’accueil dans les hôtels ou l’animation d’un atelier dans une maison de retraite peut être confié à un robot, une procédure administrative peut être remplacée par une téléprocédure.
Le plus grand risque d’automatisation pèse sur les emplois intermédiaires : comptables, assistants juridiques, personnels administratifs gèrent des procédures assez normées facilement exécutables par des machines. Leur savoir-faire, une fois « encapsulé » dans des algorithmes, ne leur appartient plus et se trouve transféré aux machines. De tels salariés sont appelés à évoluer rapidement vers des tâches nouvelles, qui ne sont pas confiées à des machines pour des raisons techniques ou économiques, faute de quoi ils perdront leur emploi.
Tout est plus incertain, et une question fondamentale nous est posée : sera-t-on capable de répondre à ce besoin d’adaptation ?
Ne versons pas dans le pessimisme, et préparons-nous à ce changement, préparons-nous à une robotisation heureuse !
Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et SOCR.
La parole est à M. René-Paul Savary, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective.
Les robots vont-ils rendre l’homme obsolète au travail ? Au travers de notre rapport d’information, nous avons essayé de répondre à cette question que nous nous posons tous.
On voit bien qu’un certain nombre d’évolutions importantes surviendront dans les années à venir et que, en fait, la robotisation n’aboutira pas forcément à une régression. Toujours est-il qu’il nous faudra rester particulièrement vigilants, d’autant que, au fil des ans, un certain nombre d’emplois, notamment intermédiaires, seront progressivement déstructurés : nous devons l’anticiper. Il existe également des risques de délocalisation d’emplois. En outre, une formation trop spécialisée pourrait devenir demain un handicap, compte tenu de la rapidité de l’évolution du monde du travail.
Nous avons constaté d’énormes besoins en matière de formation aux métiers du numérique. À ce jour, les emplois dans ce secteur représentent seulement entre 3 % et 5 % de l’emploi total ; demain, 80 000 ingénieurs et techniciens pourraient manquer en France.
Parallèlement, l’exigence d’adaptabilité va s’accroître. Il faudra relever un certain nombre de défis, tant dans la formation initiale, qui est essentielle, que dans l’enseignement supérieur – pour pouvoir avancer, il faudra apprendre à apprendre – ou dans la formation continue, de manière à pouvoir anticiper les suppressions ou les transformations d’emplois. Par ailleurs, si le CDI est aujourd’hui le Graal, il ne correspond pas forcément aux nouveaux modes d’emploi, notamment au sein des plateformes. Cela devra nous conduire à envisager un certain nombre de mesures sociales.
Nous nous sommes également penchés sur la question essentielle de la régulation de cette évolution technologique, qui ne saurait être bloquée. Il convient d’anticiper son incidence sur les emplois de service à travers l’adaptation de l’appareil de formation.
La régulation de l’automatisation doit se faire à différents niveaux. Ainsi, nous nous sommes interrogés sur la mise en place d’une taxation des robots, sur la régulation sociale, l’acceptation des robots au sein des entreprises requérant de nouvelles négociations sociales, et sur la régulation éthique, la robotisation ne devant pas se faire au détriment des conditions sociales du travail.
Les lois d’Asimov, conçues voilà près de quatre-vingts ans, sont toujours d’actualité : un robot ne doit pas être sans maître, il doit rester contrôlable et ne pas mettre en danger l’homme. L’automatisation ne doit pas servir à reproduire des biais, elle ne doit pas être un outil de manipulation et encore moins un outil d’esclavage, l’homme devenant dépendant du robot, elle ne doit pas conduire à la disparition des relations humaines au sein des entreprises.
L’acceptation de l’automatisation passe par un certain nombre d’adaptations de la société et de l’entreprise. L’homme réussira de toute façon, grâce à ses capacités d’adaptation, à faire en sorte que le robot soit à sa disposition, et non l’inverse.
Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et Les Indépendants. – M. André Gattolin applaudit également.
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.
Madame la présidente, monsieur le président de la délégation, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de Mme Agnès Pannier-Runacher et de M. Cédric O, retenus par d’autres engagements.
Je voudrais tout d’abord revenir sur le constat fait par la délégation sénatoriale à la prospective et partagé par le Gouvernement : les besoins de main-d’œuvre liés à la révolution numérique sont massifs, notamment dans les domaines du social, de la mobilité, de l’analyse des données, des services, du cloud ou de la sécurité.
Selon la Commission européenne, 756 000 postes sont à pourvoir par des experts du numérique en 2020, dont 212 000 en France. Toutefois, selon Syntec Numérique, syndicat de l’industrie du numérique, il existe un déficit annuel de 10 000 diplômés dans ce domaine.
La révolution numérique implique des transformations globales, tant du marché du travail, puisque 50 % des emplois sont ou seront concernés par cette transformation technologique, que de notre manière de former et de penser. Le Gouvernement a d’ores et déjà engagé des réformes de nature à anticiper ces évolutions et à permettre à nos concitoyens de s’y préparer.
S’agissant du numérique à l’école, alors que l’informatique et l’algorithmique font partie des programmes scolaires dès le cours préparatoire depuis 2016, une heure et demie de « sciences numériques » est proposée en seconde, et, en option, jusqu’à six heures en terminale depuis la rentrée de 2019. Un Capes « numérique » verra le jour en 2020.
S’agissant de l’accès aux opportunités économiques offertes par la révolution numérique, le programme French Tech Tremplin a été mis en place. Doté de 15 millions d’euros, il a pour objectif d’aider les porteurs de projet éloignés de la technologie – demandeurs d’emploi, jeunes issus des quartiers prioritaires de la ville, etc. – à créer leur entreprise ou à en accélérer le développement. Les lauréats bénéficieront d’une bourse, d’un parcours d’accompagnement et d’un soutien rapproché et personnalisé de la part d’un mentor.
Au-delà de ces constats et des quelques réponses que je viens d’esquisser, je voudrais revenir sur les principales interrogations que votre rapport a soulevées.
J’insisterai d’abord sur l’intelligence artificielle, qui montre que le secteur du numérique sait s’organiser. Pour des raisons de compétitivité, les entreprises françaises devront à terme s’approprier et intégrer les technologies de l’intelligence artificielle. Cette appropriation se concrétisera par le recrutement de spécialistes hautement qualifiés, mais également par la diffusion d’une formation à l’intelligence artificielle à tous les échelons de l’entreprise. La formation à l’intelligence artificielle est un enjeu majeur, comme l’a justement souligné le rapport de la délégation.
En matière de formation de spécialistes, par exemple de data scientists, l’écosystème éducatif français est mondialement réputé. Structuré, il se développe notamment grâce au volet « expertise » de la stratégie nationale de l’intelligence artificielle déployée par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ainsi, de multiples mastères spécialisés en intelligence artificielle existent en France.
Concernant la formation et la sensibilisation à l’intelligence artificielle à destination des professionnels non spécialistes, le champ reste encore peu couvert. Cependant, plusieurs actions françaises et européennes ont été entreprises, notamment par l’intermédiaire de M assive O pen O nline C ourses (MOOC), sur l’initiative de l’université d’Helsinki ou du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), pour ne citer qu’eux. Des initiatives en matière de formation continue et/ou de reconversion promues par de grands groupes informatiques se développent également en France.
Il me semble important d’évoquer aussi l’impact de la robotisation sur le secteur du tourisme, exemple qui montre que la robotisation peut être source de progrès.
La robotisation est utilisée dans ce secteur depuis environ cinq ans, au travers des chatbots et de l’intelligence artificielle. Elle est le fruit d’une recherche permanente d’innovations des acteurs du tourisme pour répondre aux besoins de clients, notamment étrangers, qui ont souvent besoin d’un accompagnement avant et pendant leur séjour dans leurs différentes démarches. Elle permet une réponse en temps réel, 24 heures sur 24 et dans toutes les langues, qui ne pourrait pas être assurée par des emplois physiques, améliorant ainsi la qualité du service aux touristes, leur expérience en France et, finalement, l’attractivité de la France en ce domaine. Elle n’a, dans ce cas, pas remplacé d’emplois physiques ; elle a surtout permis d’améliorer la relation clients.
Le Gouvernement a encouragé, comme le préconise le rapport de la délégation, ce développement d’innovations par la mise en open data des données publiques sur le tourisme produites par les collectivités territoriales, via la mise en place de la plateforme datatourisme.gouv.fr, il y a deux ans.
Je voudrais à présent aborder le sujet de l’impact de la robotisation sur le commerce, qui est souvent l’angle par lequel nos concitoyens appréhendent les enjeux du numérique pour l’emploi.
La robotisation touche le commerce physique essentiellement au niveau du paiement et des entrepôts. Certes, il ne faut pas nier l’ambiguïté du progrès technique : les automates et l’automatisation d’entrepôts peuvent permettre des gains de productivité, de temps, et être sources d’utilité économique, puisque le consommateur peut par exemple faire ses achats le dimanche, mais ils peuvent aussi induire un taux d’emploi plus faible, et donc de possibles restructurations. L’expérience montre toutefois que la part du recours à l’automatisation reste souvent mineure par rapport à celle de l’interaction avec des vendeurs, commerçants et caissières, à laquelle, je le crois, nous sommes tous attachés.
Face à ces évolutions qui peuvent être contradictoires, le Gouvernement veille évidemment à ce que la robotisation ne permette pas de contourner le droit du travail. Le Gouvernement s’efforce en outre d’inciter les entreprises à accompagner leurs salariés vers des tâches à plus haute valeur ajoutée, afin que ceux-ci ne soient pas durablement exclus du marché du travail en raison de l’obsolescence de leurs compétences ou de leur métier.
La question de l’impact du numérique sur l’emploi et les formations est primordiale ; il faut donc accompagner les différentes branches professionnelles pour former les travailleurs concernés.
Je prendrai ici l’exemple des centres d’appel des entreprises, les call centers, qui sont de plus en plus confrontés à la montée en puissance de la robotisation de la relation clients, laquelle permet de répondre aux demandes primaires des clients sans interaction avec une personne physique. Compte tenu de l’importance économique de ce secteur, dont les entreprises sont situées dans des bassins d’emploi souvent fragiles et qui participe activement à l’insertion professionnelle des jeunes, l’accompagnement des salariés appelle une attention toute particulière. Ce secteur connaît un rythme de croissance annuelle de 3, 5 %, avec un potentiel de création de 7 000 emplois par an. Concomitamment, l’intelligence artificielle et les chatbots pourraient conduire à la suppression de 7 000 emplois par an au cours des cinq prochaines années. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a ouvert un chantier pour s’assurer que ce secteur pourra mobiliser tous les outils pour faire monter en compétences ses salariés : 7 000 agents seront ainsi formés chaque année par la branche et l’opérateur de compétences du secteur.
Comme le préconise le rapport sénatorial, le Gouvernement œuvre donc à renforcer l’appareil de formation professionnelle en accordant une priorité aux travailleurs dont l’emploi est automatisé ou susceptible de l’être rapidement.
En définitive, il me semble important de souligner la richesse que peut représenter la révolution numérique dès lors qu’elle est accompagnée par des femmes et des hommes : j’en veux pour preuve le secteur de la santé. Robotisation et numérisation offrent de très larges potentialités, qui devraient permettre d’apporter une réponse au déficit de personnel dans certains établissements et au domicile, mais cela nécessite d’importants investissements en termes de capital humain comme de capital technologique. Le déploiement d’assistants robotisés pourrait représenter une réelle opportunité en termes de réduction du coût du travail ou de gains de productivité. Ils peuvent apporter une présence 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, en complément – je tiens à le préciser – d’une présence humaine dans les établissements et au domicile. Une politique importante de formation des personnels devra accompagner cette modernisation rapide des services. Des investissements pourraient en partie s’opérer grâce à la masse salariale non mobilisée du fait d’un déficit chronique de recrutement dans ces services avec des retours sur investissement rapides, de l’ordre d’un à deux ans. Des expériences françaises existent, qui pourraient, si l’on conclut à leur succès, être répliquées.
Il convient toutefois de souligner que les activités de service à la personne, eu égard à la place centrale qu’y occupe le lien humain, ne se prêteront sans doute pas à une substitution très large du personnel par des robots, ce qui est heureux. Le Gouvernement est d’ailleurs bien plus attaché à la complémentarité de ces solutions qu’à leur opposition.
L’État entend donc poursuivre son accompagnement d’initiatives dans ce domaine : il a lancé un projet d’open data concernant sa base de données sur les services à la personne, avec pour possible débouché la mise à disposition du public et des opérateurs des données anonymisées de la filière à relativement brève échéance. Ce projet rejoint en tout point la préoccupation du Sénat exprimée au travers de la recommandation n° 4 du rapport, concernant l’importance d’élaborer des politiques d’utilisation de la donnée publique et privée.
Cette même prise en compte des femmes et des hommes salariés d’un secteur touché par la révolution numérique a également conduit le Gouvernement à mieux réguler l’activité des plateformes.
La numérisation des différentes filières, via notamment le développement rapide de plateformes, permet de dynamiser l’offre et de favoriser le fonctionnement d’un marché longtemps réservé à quelques opérateurs. Le Gouvernement a lancé un chantier transverse sur l’émergence des plateformes et leur impact en termes de création de valeur et d’emplois. Des mesures de simplification de la réglementation existante seront proposées pour accompagner ce mouvement, notamment dans le secteur des services à la personne, où ces nouveaux acteurs renouvellent un modèle économique trop fragile, car les marges y sont trop faibles, mais également dans les domaines de la mobilité ou de la logistique, auxquels le rapport sénatorial fait à de multiples reprises référence.
Un chantier doit par ailleurs être lancé, sur la base de l’habilitation que confère au Gouvernement l’article 48 de la loi d’orientation des mobilités, visant à clarifier et à encadrer la représentation des travailleurs au sein des sociétés de plateformes de services, afin notamment de refléter l’impact des nouvelles technologies de la donnée sur les conditions de travail. Cette préoccupation du Gouvernement rejoint très directement celle qui est exprimée au travers de la recommandation n° 9 du rapport du Sénat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre écoute. Je suis très heureux de participer avec vous à ce débat et je m’attacherai à répondre aux questions que vous voudrez bien me poser.
Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE, UC et Les Républicains, ainsi qu ’ au banc de la commission.
Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le ministre, grandeur et servitude de la fonction : vous voilà maître des robots, en tout cas pour ce matin !
Sourires.
Vous avez relevé, à la suite de nos excellents rapporteurs, l’existence de nombreuses initiatives en matière de recours à l’intelligence artificielle dans l’éducation, dans le secteur du tourisme, dans celui des plateformes, etc.
Au-delà de ce que l’on peut craindre, imaginer, espérer de la robotisation, ne croyez-vous pas que nous aurions collectivement intérêt à élaborer, en transcendant les clivages, un texte, une sorte de loi-cadre, à l’exemple de ce qui a été fait aux États-Unis, en Israël ou en Corée du Sud, pour nous projeter à dix ans ou à quinze ans en termes d’évolution de la société ? Un tel texte pourrait comporter des mesures d’impulsion, en matière notamment de fiscalité, de financement, de contrôle, de régulation, de protection des salariés.
Cela présenterait l’avantage de fixer un cadre s’appliquant à tous. Aujourd’hui, l’action du Parlement s’inscrit dans les règles de l’annualité budgétaire, seuls quelques rares textes de programmation s’inscrivent dans une perspective de quatre ou cinq ans. Monsieur le ministre, croyez-vous possible que le Gouvernement, sur des sujets qui, à terme, concerneront l’ensemble de la société française, puisse produire un texte marquant un engagement pour l’avenir ?
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président Karoutchi, à défaut d’être maître des robots, fût-ce provisoirement
Sourires.
Le marché mondial de la robotique est en très forte croissance – de plus de 20 % par an en volume –, croissance due essentiellement à l’industrie électronique et, pour une moindre part, à l’industrie automobile. Le Japon, la Corée du Sud, l’Allemagne, la Chine et les États-Unis représentent 75 % des ventes de robots industriels.
D’après les statistiques produites par la Fédération internationale de la robotique, la France présente un faible taux de robotisation dans l’industrie manufacturière au regard de ses principaux concurrents : 137 robots pour 10 000 salariés, contre 322 en Allemagne, 190 en Italie ou 157 en Espagne, pour ne citer que quelques exemples proches de nous.
Le Gouvernement a fait le choix d’accélérer la pénétration de la robotisation dans les entreprises au travers du projet Industrie du futur. Il a réaffirmé ce choix à l’occasion de la présentation par le Premier ministre en septembre 2018, à Vélizy-Villacoublay, du plan pour la transformation numérique des PME.
J’en viens maintenant plus précisément à votre question, monsieur Karoutchi. Tout un ensemble de programmes, de projets et de dispositifs ont été mis en œuvre depuis des années. Nous avons choisi d’accélérer les processus. Le rapport de la délégation sénatoriale apporte un éclairage concret sur les enjeux dans leur globalité et leur diversité, qu’il s’agisse de la dimension sociale, du droit du travail, de la formation, etc. : c’est notamment en cela qu’il est utile. Une loi-cadre est-elle nécessaire ? Je ne suis pas forcément le mieux placé pour répondre, mais peut-être conviendrait-il d’abord de renforcer la cohérence des dispositifs existants avant de se projeter dans l’élaboration d’une loi-cadre. Par ailleurs, cette problématique s’inscrit nécessairement dans un cadre européen.
Monsieur le ministre, je ne suis pas un obsédé des lois-cadres, d’autant que le Parlement n’est pas forcément le plus apte à traiter de certains sujets. En tout cas, je pense que le Gouvernement aurait intérêt à regrouper les initiatives pour avoir une vision d’ensemble de ce que sera la société dans vingt ou trente ans.
Plus encore que celle du devenir des emplois de service, la sophistication toujours croissante de la robotisation, avec le développement de l’intelligence artificielle, pose la question de la transformation profonde du travail et de sa place dans la société.
Yann Le Cun, grand spécialiste français de l’intelligence artificielle, récent lauréat du prix Turing, nous dit qu’il « n’est pas sûr que la révolution de l’IA profite à tous ». Il estime que « tous les métiers sont concernés par ce changement » et que « l’IA rend plus précieux ce avec quoi elle ne peut rivaliser », ce qu’il appelle « l’expérience humaine authentique », faite d’émotion, de sensations, de relations humaines uniques, valorisée sur les marchés bien davantage que les biens de grande consommation dont les coûts de consentement sont toujours davantage réduits, notamment par la robotisation.
La mission d’information sénatoriale sur Alstom et la stratégie industrielle du pays, présidée par Alain Chatillon et dont Martial Bourquin était rapporteur, a auditionné voilà quelques mois l’économiste Pierre-Noël Giraud, professeur à Mines ParisTech. Il considère, quant à lui, que nous pourrions aller vers une proportion importante d’« hommes inutiles » –c’est son expression – dans une économie globalisée qui dilue toujours plus les classes moyennes, intermédiaires, pour ne laisser, d’un côté, que des acteurs productifs mobiles, et, de l’autre, des acteurs assujettis, des sédentaires au service de ces nomades créateurs de valeur.
La nature humaine étant ce qu’elle est, je suis convaincu que tout ce qui est techniquement possible sera mis en œuvre, tôt ou tard, et que cette évolution inéluctable confère au politique une responsabilité particulièrement forte. Les points de vue des spécialistes que je viens d’évoquer alertent les gouvernements, les États, et les appellent à assumer cette responsabilité pour anticiper et construire ce monde en gestation.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire par quelles politiques publiques à destination du plus grand nombre de nos concitoyens le Gouvernement appréhende ces bouleversements sociétaux et comment il compte associer les forces vives de la Nation – je pense aux corps intermédiaires et aux intellectuels, notamment – à la réflexion et à la construction de cet avenir commun, aujourd’hui problématique ?
Monsieur le sénateur, c’est en fait une question de société assez large que vous soulevez. Je ne vous en fais nullement reproche, car le développement du recours à la robotisation et à l’intelligence artificielle interroge effectivement notre modèle de société.
Cela a été dit, on ne peut pas s’opposer durablement à des évolutions technologiques. L’histoire du monde est tissée de révolutions technologiques, soulevant parfois des craintes de même nature que celles que vous exprimez, relatives à la structure de l’emploi, à la précarisation des salariés, à notre façon de vivre en société.
Dans mon propos liminaire, j’ai indiqué que le Gouvernement entendait agir, d’abord, sur la formation, pour favoriser l’anticipation de l’évolution des métiers. Il s’agit non pas de mettre les salariés en situation de stress, mais de leur donner de la visibilité sur les métiers de demain.
Pour maîtriser le développement de l’intelligence artificielle et de la robotisation, nous devons disposer d’éléments de souveraineté nationale et de souveraineté européenne. En effet, ce développement, qui porte en germe des innovations intéressantes, ne doit pas conduire au dévoiement de notre modèle de société, en particulier en termes de droit du travail. Nous devons y veiller.
Ma question concerne le secteur de l’aide à domicile pour les personnes dépendantes, qui connaît une croissance sensible en raison, notamment, du vieillissement de la population.
Ce secteur fait face à des difficultés importantes de recrutement, liées pour l’essentiel au manque d’attractivité des carrières. La faiblesse des rémunérations, la précarité, les fréquentes coupures dans la journée de travail et les nombreux déplacements sont souvent évoqués pour expliquer les pénuries de personnel. En outre, les auxiliaires de vie peuvent être confrontés à des conditions de travail difficiles, avec des tâches traumatisantes pour le corps et, parfois, la violence physique et verbale de personnes atteintes de maladies neurodégénératives.
Au Japon, où la question du vieillissement de la population se fait encore plus prégnante, on estime qu’il manquera 370 000 soignants en 2025. Pour pallier cette pénurie de personnel, le gouvernement japonais mise sur l’intelligence artificielle et les robots infirmiers et d’assistance aux personnes âgées, allant du bras articulé au robot émotionnel qui tient compagnie aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et calme leur anxiété. Pour l’heure, ces outils sont utilisés en maisons de retraite, mais on en voit déjà les applications possibles pour le maintien à domicile.
Dans ce domaine, la domotique permet déjà d’améliorer le confort des personnes dépendantes et à mobilité réduite. Bien sûr, il n’est pas question de nier l’importance du lien humain, qui doit absolument être privilégié et préservé. Je sais d’ailleurs que l’attractivité des métiers de l’aide à domicile sera au cœur de la prochaine loi sur le grand âge et l’autonomie.
Néanmoins, ces nouveaux outils peuvent aussi aider au maintien à domicile et venir en soutien de l’intervention des personnels, notamment au moment du lever et de la toilette de la personne dépendante.
Ma question est double, monsieur le ministre : l’intelligence artificielle et la robotique peuvent-elles contribuer, selon vous, à pallier le manque d’auxiliaires de vie, et quelles tâches seront-elles demain en capacité d’assumer ?
Vous avez raison, monsieur le sénateur Gold, de poser la question de l’impact de la robotisation sur les services à la personne, en maison de retraite ou au domicile.
Comme vous l’avez rappelé, le secteur de l’aide à domicile souffre de difficultés récurrentes en matière de recrutement. La robotisation peut être une des réponses, dans la mesure où elle facilite l’assistance et la veille pour des prises en charge lourdes. Les gains en termes d’organisation du travail et de maîtrise des coûts permettraient un amortissement en une à deux années. Des expériences sont menées en France ; elles méritent d’être dupliquées. Néanmoins, il faut un peu de temps encore pour juger de leur réussite.
Il convient toutefois de préciser que l’activité de ce secteur reste avant tout fondée sur la relation humaine. La robotisation ne peut intervenir qu’en complément, pour soulager les salariés et, en certains cas, s’y substituer complètement. Elle réduit la pénibilité très importante de ces métiers. En le déchargeant de certaines tâches de veille ou d’assistance mécanique, elle permet au personnel de se consacrer entièrement à sa mission d’inclusion sociale et de relations humaines.
Une telle modernisation serait de nature à rendre plus attractifs les métiers de cette filière et à réduire les taux élevés d’accidents et d’arrêts de travail qui y sont enregistrés actuellement et sont, je le rappelle, supérieurs à ceux du secteur du bâtiment et des travaux publics.
Je précise de nouveau que les pouvoirs publics ont lancé un chantier d’open data concernant leurs bases de données pour le secteur des services à la personne. L’objectif est que l’expérimentation de l’application Nova aboutisse à la fin de l’année 2020. Cet objectif rejoint la recommandation n° 4 du rapport sénatorial, concernant l’importance d’élaborer des politiques d’utilisation de la donnée publique et privée.
Enfin, le plan Grand âge traitera de la question de l’attractivité du secteur des services à la personne, notamment au travers de la formation.
C’est une réalité, la robotisation et l’intelligence artificielle sont en train de bouleverser le marché du travail.
L’OCDE annonce qu’un emploi sur six sera détruit par la numérisation de l’activité économique, et un sur trois substantiellement transformé. Ces chiffres peuvent faire peur, mais ces technologies représentent aussi un véritable moteur de croissance et un gisement d’emplois potentiels : plus de 600 000 postes d’expert en numérique seraient vacants dans l’Union européenne.
L’Europe et la France disposent de nombreux atouts dans ce domaine. Nos chercheurs en informatique, en mathématiques et, en particulier, en intelligence artificielle comptent parmi les meilleurs. Nous avons des start-up innovantes et une réelle avancée technologique en matière de robotique.
Nous connaissons aussi nos faiblesses : fuite de nos cerveaux, rachat de nos jeunes pousses les plus performantes, notamment par de grands groupes américains.
En vue de réussir notre adaptation, la Commission européenne a identifié un défi majeur : former un plus grand nombre de spécialistes en intelligence artificielle et créer un environnement de travail attractif pour enrayer la fuite des cerveaux. La Commission européenne envisage de consacrer chaque année 1 milliard d’euros à la recherche sur l’intelligence artificielle, ce qui devrait déboucher, théoriquement, par un effet de levier, sur des investissements publics et privés de 20 milliards d’euros par an à partir de 2021. Toutefois, ce budget risque d’être raboté dans le cadre des difficiles négociations sur le cadre financier pluriannuel.
Plus que jamais, la France doit se positionner en leader européen sur ce sujet. Monsieur le ministre, comment et avec quels alliés le Gouvernement compte-t-il se faire le défenseur, au Conseil européen, d’une politique ambitieuse en matière d’intelligence artificielle, en particulier dans le cadre du programme Horizon Europe ?
Tout en suscitant les craintes que vous avez évoquées, monsieur le sénateur Gattolin, l’intelligence artificielle offre des opportunités absolument gigantesques : que l’on songe aux secteurs de la santé, avec la détection du cancer, de la mobilité, avec la voiture autonome, ou encore des réseaux d’énergie.
Vous l’avez rappelé, la France peut s’appuyer sur l’excellence de son école de mathématiques. Pratiquement tous les patrons de l’intelligence artificielle au sein des Gafam sont français, à l’instar de Yann Le Cun, lauréat du prix Turing, l’équivalent du prix Nobel en informatique, et responsable de l’intelligence artificielle chez Facebook.
Pour autant, ces atouts ne suffiront pas.
Effectivement, la bataille de l’intelligence artificielle se jouera au niveau européen, car la France, seule, ne peut résister face à la concurrence mondiale. Chaque année, la Chine et les États-Unis consacrent chacun près de 40 milliards d’euros à l’intelligence artificielle, quand l’effort de l’Europe atteint difficilement les 5 milliards d’euros… Nous risquons tout simplement un décrochage historique. C’est aussi une question de souveraineté : in fine, nous pourrions nous voir imposer des solutions technologiques et des valeurs que nous ne souhaitons pas.
Sous l’impulsion de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et avec la nomination de Thierry Breton, nous assistons à une prise de conscience en Europe, qui mérite d’être concrétisée et amplifiée.
Ainsi, le plan coordonné de la Commission européenne vise à renforcer la compétitivité technologique de l’Union européenne, à anticiper les changements socioéconomiques et à créer un cadre juridique et éthique pour l’intelligence artificielle.
Le programme Digital Europe, doté de 9, 2 milliards d’euros, tend à renforcer les capacités numériques de l’Union européenne dans les supercalculateurs, l’intelligence artificielle, la cybersécurité et les compétences numériques des citoyens.
Le programme Horizon Europe de la Commission européenne concerne la recherche et l’innovation. Il devrait être doté de 100 milliards d’euros, mais vous avez raison d’appeler à la vigilance sur les questions budgétaires.
Enfin, je mentionnerai la création d’une agence européenne pour l’innovation de rupture.
La France s’emploiera, dans les mois à venir, à favoriser une montée en puissance de ces dispositifs. Plus globalement, le sujet de l’intelligence artificielle recoupe celui du nécessaire développement d’un écosystème technologique de niveau critique en Europe. Nous avons trop peu de licornes !
La question de la robotisation, de l’intelligence artificielle et, plus largement, de la numérisation renvoie à celle de la société à venir.
Engendrant autant de craintes qu’elle ouvre de perspectives, la numérisation concerne aujourd’hui tous les champs d’activité : l’industrie, bien sûr, mais aussi les services, la santé, l’éducation, etc.
Sur le plan social, conduira-t-elle à une déshumanisation ou sera-t-elle au service de l’humain ? Quant à l’environnement, il faut savoir que le secteur du numérique représente aujourd’hui 10 % de l’énergie consommée dans le monde…
Qui construira demain nos robots ? Allons-nous subir, comme pour la 5G, et être dépendants des États-Unis, de la Chine ou d’autres acteurs ? Ou allons-nous être à l’initiative et construire nos propres robots ?
La robotisation, notamment dans l’industrie, permet une amélioration de la qualité du travail, mais aussi la maximisation des profits. La valeur créée par les robots ira-t-elle uniquement au capital ou sera-t-elle aussi redistribuée aux travailleurs ? Cette question, monsieur le ministre, traverse même le Gouvernement : j’ai entendu le Che Guevara de Bercy, M. Bruno Le Maire, appeler les entreprises à participer à l’effort ! §Cela peut notamment passer par une augmentation du SMIC.
Enfin, si la quantité de travail humain se réduit, il faudra la partager et aller vers la semaine de 32 heures…
Monsieur le sénateur Gay, c’est presque un programme économique complet que vous avez présenté ! Il me sera difficile de vous répondre sur tous les points, mais vous posez des questions assez justes.
J’essaie d’être objectif !
Votre interrogation tout à fait légitime sur le partage de la valeur ajoutée créée grâce au recours aux robots porte en fait sur l’impact de la robotisation sur le monde du travail et sur les salariés.
Comme j’ai déjà pu le souligner, la France accuse, par rapport à ses voisins, un retard dans ce secteur, en termes à la fois de présence des robots dans les entreprises et de production de robots.
Au sein de l’industrie, le déploiement des robots et la maîtrise de ces technologies constituent donc un objectif majeur au regard de la compétitivité de nos entreprises, tout comme un enjeu de souveraineté.
Par ailleurs, je le redis, l’activité dans certains secteurs, en particulier ceux des services à la personne et du tourisme, reste avant tout fondée sur les relations humaines : la robotisation ne peut alors intervenir qu’en complément, pour soulager les personnels.
Concernant la production de robots, le marché mondial est en très forte croissance. Il est dominé par le Japon, la Corée du Sud, l’Allemagne, la Chine et les États-Unis. En France, seules deux entreprises rivalisent avec les plus grands fabricants mondiaux.
Nous devons accompagner au mieux la révolution technologique à l’œuvre, en remettant l’humain là où sa présence est nécessaire, et permettre aux Français de se former tout au long de leur vie professionnelle : c’est tout le sens de l’action que doit mener le Gouvernement, notamment dans le cadre européen.
Il est légitime de soulever la question du partage de la valeur ajoutée créée par l’amélioration de la productivité grâce au recours aux robots, mais il faut y répondre en ayant à l’esprit le souci de rester compétitifs.
M. Fabien Gay ironise.
La meilleure façon de partager la valeur ajoutée, c’est de créer des emplois sur notre territoire. Plutôt que de répartir la pénurie de travail, comme vous le proposez, nous entendons permettre au plus grand nombre de Français possible de travailler en multipliant les opportunités. C’est ainsi que l’on partagera le mieux la valeur ajoutée !
Ce débat sur le partage de la valeur ajoutée va monter en puissance, monsieur le ministre. Il est d’actualité, il est déjà brûlant, comme en témoigne la mobilisation contre la réforme des retraites. La question est de savoir dans quelle société nous voulons vivre. Même le Medef et Bruno Le Maire sont obligés de bouger sur ce sujet ! En trente ans, dix points de PIB ont été transférés du travail au capital. L’an dernier, ce sont 51 milliards d’euros de dividendes qui ont été versés aux actionnaires des seules entreprises du CAC 40, tandis que le Gouvernement augmentait le SMIC de 50 centimes par jour…
Il y a urgence à traiter cette question, monsieur le ministre !
Au début du XIXe siècle, les artisans tisserands anglais, rassemblés derrière John Ludd, se soulevèrent contre l’introduction du métier à tisser. La colère populaire se focalisa sur les machines, au motif qu’elles risquaient de priver les travailleurs de leur emploi.
Depuis lors, nos économies se sont numérisées et mondialisées. Les données du problème ont radicalement changé, mais les mêmes craintes ressurgissent immanquablement. On craignait hier pour les emplois industriels ; on craint aujourd’hui pour les métiers des services.
La robotisation va bien évidemment faire émerger de nouveaux emplois, mais d’autres seront voués à disparaître ou à évoluer. De nombreux économistes considèrent que la distinction stricte entre industrie et services est dépassée. Les deux secteurs deviennent de plus en plus indissociables.
Plusieurs tendances sont à l’œuvre, comme le développement de l’économie de la fonctionnalité, privilégiant la prestation d’un service à l’acquisition d’un bien, l’éclatement des chaînes de production entre une multitude d’acteurs ou encore la montée en puissance du travail intérimaire, considéré comme un service même lorsqu’il concerne la production industrielle.
L’exigence de compétitivité nous impose d’être à la pointe des développements technologiques. Cette mutation ne peut se faire sans un accompagnement individuel et la mise en place de formations adaptées pour les personnels concernés.
Monsieur le ministre, comment le Gouvernement compte-t-il accompagner cette mutation ? Quelles mesures entend-il mettre en place pour soutenir la création d’emplois et, corolairement, compenser les pertes ? Quels sont les politiques et les leviers d’accompagnement de ces évolutions techniques et technologiques en matière d’emploi, de marché du travail, de droit du travail à mettre en œuvre pour pouvoir déboucher, comme l’a dit notre rapporteur, sur une « robotisation heureuse » ?
La question que vous posez, monsieur le sénateur Menonville, est au fond celle du solde d’emplois. Comment faire pour que ce solde soit positif ?
Il y a une part de risques, mais il y a aussi une formidable opportunité en termes d’emploi ! Selon la Commission européenne, 756 000 postes sont à pourvoir en 2020 en Europe, dont une grande partie en France, en particulier dans les domaines du social, de la mobilité, du data analytics, du cloud ou de la sécurité.
Cependant, si nous voulons faire du numérique une chance, nous devons relever un immense défi en matière de formation et de promotion des métiers numériques, afin d’attirer de nouveaux profils.
Pour l’année 2020, voici quelles sont nos pistes de travail.
Le Président de la République a annoncé, en septembre, le lancement d’une gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences au niveau national, construite avec les régions, pour déterminer comment l’offre de formation devra évoluer en volume et en contenu dans les cinq à dix prochaines années. Cela renvoie aux propos de M. Karoutchi sur la nécessité de la prospective.
Dans la foulée du Pacte productif, nous allons améliorer l’étude prospective des métiers et des qualifications, pour affiner encore la politique de formation et les outils d’orientation.
Nous allons mobiliser le service public de l’emploi afin d’accompagner les start-up dans le recrutement des talents, avec l’appui des correspondants French Tech de Pôle emploi et de l’Association pour l’emploi des cadres (APEC).
Enfin, nous simplifions et rendons plus attractifs les outils d’intéressement au capital pour les salariés, aux fins d’attirer les jeunes talents dans les start-up et de compenser la faiblesse relative des salaires.
Il y a donc deux défis à relever : pourvoir les emplois de demain et anticiper l’évolution des emplois d’aujourd’hui par la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, afin que chaque salarié puisse, grâce à la formation, trouver sa place dans le monde qui s’annonce.
Nos excellents collègues de la délégation à la prospective, Marie Mercier et René-Paul Savary, ont produit un passionnant rapport sur le thème « les robots demain », qui nous a permis, par la même occasion, de « démasquer » tous les robots d’aujourd’hui, du quotidien, ceux qui, parfois depuis hier, se sont discrètement et définitivement installés dans nos vies.
L’angle d’attaque du sujet est celui de la crainte d’une perte massive d’emplois, car, comme il est formulé dans le rapport, l’arrivée des robots dans le monde des services constitue « une réalité qui porte les germes d’une révolution du travail ».
Or, comme vous tous ici, mes chers collègues, je suis un acteur impliqué de mon territoire, que je sillonne le plus souvent possible. Il me revient chaque jour que de très nombreux emplois ne sont pas pourvus, ce qui constitue parfois un frein au développement de services et d’activités industrielles et commerciales. C’est pourquoi, au lieu de craindre la disparition d’emplois, je me prends à espérer celle d’emplois non pourvus !
Monsieur le ministre, vous semblerait-il réaliste d’inciter, d’encourager la recherche et développement à s’intéresser aux situations de « vide » professionnel, en vue d’y remédier au moins partiellement ?
La France accuse un retard sur ses voisins et concurrents en matière de robotique industrielle. Ce retard pourrait être une des causes de la croissance du nombre d’emplois non pourvus.
Si son rôle est cantonné à compléter le geste humain, le robot n’effectuera que le geste manquant, le geste pénible ou dangereux, sans entrer en concurrence avec l’humain, aux fonctions irremplaçables. Je ne sais si cela passe par une forme de charte, d’éthique, de choix de politique publique, mais telle est, monsieur le ministre, la question que je voulais vous soumettre.
J’ai par ailleurs les plus grandes réserves et inquiétudes quant à l’empreinte carbone de cette évolution. Je crains que la nature ne nous oblige très vite à choisir entre nos diverses consommations, mais c’est l’objet d’une autre question…
Si le monde était parfait, tous les emplois aujourd’hui non pourvus pourraient l’être grâce à la robotisation… Hélas, le monde n’est pas parfait ! D’ailleurs, ce sont aussi des emplois de demain qui ne sont pas pourvus.
Il est indéniable que le développement de la robotisation, notamment des outils de l’intelligence artificielle, aura un impact sur l’emploi. Les conséquences de la révolution technologique sont difficiles à anticiper, en termes aussi bien de volume d’emploi que d’organisation du travail.
Le taux d’adoption de ces technologies semble un peu moins important en France qu’aux États-Unis ou en Chine. Les experts estiment que, dans notre pays, la numérisation de l’économie pourrait « détruire » de 15 % à 20 % des emplois et surtout amener la transformation de près d’un emploi sur deux.
Outre les secteurs industriels, ces transformations concernent déjà celui des services, d’un point de vue tant quantitatif que qualitatif.
Pour mesurer l’impact de ces transformations, un travail prospectif à l’horizon de 2030 sur ces métiers et qualifications a été engagé par France Stratégie et la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la Dares. Ses conclusions seront livrées d’ici à la fin du premier semestre 2020 et régionalisées. Elles guideront l’adaptation des formations et de nos différents outils.
Il s’agit notamment d’identifier les secteurs les plus créateurs et les plus destructeurs d’emplois. À titre d’exemple, de manière provisoire, une baisse d’environ 9 % des emplois est envisagée dans le secteur de la finance et de l’assurance, mais, inversement, on s’attend à une hausse de 36 % des emplois dans les activités informatiques et de services.
Enfin, le Pacte productif annoncé par le Président de la République vise à construire une gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences de la Nation dans ces différents secteurs, déclinée au niveau des territoires, afin d’aider les entreprises et leurs salariés à anticiper les mutations, puis à y faire face.
Cette montée en compétences généralisée constitue sans doute le levier essentiel pour atteindre l’objectif de plein emploi en 2025.
En ce qui concerne l’impact environnemental de la numérisation et de la robotisation, c’est un sujet très vaste dont la délégation à la prospective a déjà dû se saisir. Nous aurons peut-être l’occasion d’en reparler.
Le rapport de nos collègues Marie Mercier et René-Paul Savary montre à quel point la robotisation, associée à une utilisation croissante de l’intelligence artificielle, bousculera tous les pans de notre existence : l’emploi, mais aussi nos modes de déplacement, nos loisirs, chacune de nos activités quotidiennes.
Or, dans ce domaine, la France et l’Europe se sont laissé distancer par les États-Unis, forts de la puissance de frappe des Gafam, qui disposent d’un véritable trésor de guerre – les données de leurs utilisateurs, accumulées au fil des années –, et la Chine, qui, pour sa part, ambitionne de devenir le leader mondial de l’intelligence artificielle à l’horizon de 2030. L’Europe dispose pourtant de tous les atouts pour rivaliser avec ces deux pays. Mais il faut agir vite !
Le nouveau commissaire européen français, M. Thierry Breton, a annoncé un plan pour une « politique européenne de la donnée ». Nous ne pouvons que saluer ce projet, que le Sénat appelait de ses vœux au travers d’une proposition de résolution présentée par la commission des affaires européennes, voilà un an déjà.
C’est une première brique, mais il faut aller plus loin. Je voudrais donc vous interroger à nouveau, monsieur le ministre, à propos d’une autre demande formulée par le Sénat via la même résolution : que l’intelligence artificielle fasse l’objet d’un projet important d’intérêt européen commun (PIIEC).
Ce mécanisme permettrait à des États membres d’accorder au secteur crucial de l’intelligence artificielle des aides financières, en adaptant les règles de concurrence européennes. Cela serait bénéfique à l’ensemble de la société et de l’économie européennes, et donc à l’emploi.
Monsieur le ministre, soutiendrez-vous auprès de nos partenaires européens la mise en place d’un PIIEC en faveur de l’intelligence artificielle ?
Merci de votre question, monsieur le sénateur Pellevat, qui me permet d’évoquer celle du partage de données et de revenir sur le projet européen concernant les enjeux du numérique et de la robotisation.
Les acteurs économiques ont besoin de pouvoir accéder à des jeux de données importants, publics comme privés, pour déployer des solutions innovantes dans leurs processus de fabrication, ainsi que dans leurs produits et services. C’est un enjeu de compétitivité, et même de souveraineté. Cela a été dit, nous avons pris en la matière beaucoup de retard au niveau européen.
Certains acteurs économiques, notamment étrangers, possèdent un énorme volume de données, ce qui nous place en situation de dépendance. Il existe, en France et en Europe, des jeux de données importants, mais ils sont trop peu partagés. Il est donc indispensable de favoriser la mutualisation des données, si l’on veut poursuivre le développement de solutions technologiques de pointe françaises et européennes autonomes.
À l’échelon européen, la Commission a établi les lignes directrices visant à encourager l’ouverture des données privées à des fins d’intérêt public. Des plateformes comme Dawex constituent des exemples de réussite en la matière, démontrant largement la capacité des entreprises européennes à être compétitives dans ces secteurs.
À ce titre, en matière d’économie de la donnée, la France et l’Union européenne se doivent de promouvoir et d’affirmer une approche respectueuse des droits de l’utilisateur. Cette approche constituera le socle de notre compétitivité de demain en matière de plateformes de partage de données.
Néanmoins, il convient de garder à l’esprit que la production, le stockage et le traitement de données impliquent des contraintes de sécurité particulières, dont il est essentiel de faire cas pour faire émerger des plateformes de données européennes d’envergure mondiale. Il est donc désormais nécessaire d’arrêter une stratégie commune et opérationnelle pour jouer le rôle de catalyseur attendu de la puissance publique en matière de partage de données. Il convient notamment de s’interroger sur la nécessité de définir des typologies de données et des finalités d’accès claires en matière de politique industrielle et d’action publique, la définition d’un régime juridique encadrant les modalités d’ouverture, de partage et d’exploitation de ces données, la nécessité d’un recours à des tiers de confiance et le rôle des autorités de contrôle.
À cet égard, des réflexions sont en cours, notamment au niveau européen, sur l’intérêt du partage de données entre acteurs publics et privés et sur l’opportunité, le cas échéant, de développer des propositions en matière d’obligations d’ouverture et de partage, tout en tenant compte des impacts économiques et sociaux pour les secteurs concernés.
Les sujets sont donc sur la table à l’échelle européenne. Il faut maintenant aller plus loin ; c’est tout l’enjeu pour les semaines et mois à venir.
Faut-il taxer les robots ? Voilà la question que je me permets de poser au Gouvernement ce matin.
J’ai lu avec beaucoup d’attention le rapport de nos collègues, qui fournissent, dans les pages qu’ils consacrent au sujet, quatre arguments pour une telle taxation et quatre arguments contre. La question, en effet, n’est pas facile…
Selon une étude de l’OCDE de 2018, l’essor de la robotique et de l’intelligence artificielle pourrait faire disparaître 14 % des emplois d’ici à 2025. Taxer les robots permettrait de freiner le remplacement du travail humain, donc de limiter le rythme des destructions d’emplois et, comme l’a dit Bill Gates, cité dans le rapport, de « gagner du temps pour adapter les personnels exposés à ce mouvement de substitution ».
Cette taxation pourrait être envisagée comme un moyen de financer les dépenses de protection sociale. D’ailleurs, le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR), que vous avez forcément lu, monsieur le ministre, évoque cette question.
Elle permettrait aussi de redistribuer le revenu et de corriger les inégalités, car il n’échappe à personne que la richesse supplémentaire produite grâce à la robotisation du travail ne profite guère qu’aux actionnaires.
La question est de savoir si cela est faisable. Le Parlement européen s’est saisi du sujet et a évoqué « l’éventuelle application d’un impôt sur le travail réalisé par des robots ou d’une redevance d’utilisation et d’entretien par robot. Cela devrait être examiné dans le contexte d’un financement visant au soutien et à la reconversion des chômeurs dont les emplois ont été réduits ou supprimés afin de maintenir la cohésion sociale et le bien-être social. »
Monsieur le ministre, il est clair que, si l’on mettait en œuvre une telle mesure seulement en France, cela pourrait avoir des conséquences négatives en termes de compétitivité. En revanche, si elle était appliquée au niveau de l’Europe, les choses seraient déjà très différentes. J’aimerais connaître votre sentiment sur ce point.
Monsieur le sénateur Sueur, faut-il taxer les robots ? La question, vous l’avez dit vous-même, n’est pas simple, comme le montre très bien le rapport de la délégation sénatoriale à la prospective.
Vous avez avancé l’idée d’instaurer une telle taxation, dans l’optique notamment de contribuer au financement de la protection sociale. À ce stade, le Gouvernement n’y est pas favorable. Ce sujet est largement abordé dans le rapport de la délégation sénatoriale, mais il n’a pas fait l’objet d’un consensus. Il a également été examiné par le COR, qui a rappelé, dans son dernier rapport, qu’il n’était pas non plus favorable à la mise en œuvre d’une taxe sur les robots.
Avant d’envisager de créer une nouvelle taxe, il faut s’attaquer au défi le plus urgent, à savoir augmenter le taux de robotisation dans notre pays. Il y va de notre souveraineté et de notre compétitivité.
Ensuite, les obstacles juridiques sont nombreux. Pour appliquer une telle taxe, il faudrait déterminer avec précision son champ d’application, ce qui amènerait à établir une définition du robot et à fixer un seuil d’automatisation à partir duquel une machine serait considérée comme un robot. Un ordinateur et un logiciel pourraient-ils ainsi être considérés comme un robot ? De cette difficulté à définir les robots résulte non seulement une difficulté à déterminer la base imposable, mais aussi un sérieux problème de constitutionnalité. En effet, au regard du principe de l’égalité devant l’impôt, la détermination du champ d’application de la taxe doit être fondée sur des critères objectifs et rationnels.
Enfin, on peut s’interroger sur la pertinence économique d’une hypothétique taxation des robots. De nombreux économistes remettent en cause le postulat de la raréfaction de l’emploi et la taxation des robots poserait un réel problème de compétitivité des entreprises françaises.
C’est pour cela que j’ai proposé de mener une réflexion au niveau européen !
Effectivement, monsieur le sénateur. Une réflexion sera sans doute engagée à l’échelon européen.
Je rappellerai simplement que ni la France ni l’Europe ne sont des îles à l’abri de la concurrence mondiale.
Pour ma part, je ne suis pas d’accord avec Bill Gates quand il dit qu’il faut gagner du temps. Il convient plutôt de rattraper notre retard dans ces domaines cruciaux pour notre économie.
« Le hasard ne favorise que les esprits préparés », disait Pasteur. Aussi souhaiterais-je tout d’abord remercier nos collègues de la délégation à la prospective de nous aider à nous préparer, grâce à leur rapport d’information.
Il y a cinq ans, cette même délégation nous avait proposé un débat sur le thème : « Quels emplois pour demain ? » J’avais déclaré à l’époque que les emplois de demain se créent aujourd’hui et je m’étais amusé des prévisions catastrophistes d’un cabinet français – cette fois, je ne citerai pas son nom –, qui estimait que, « d’ici 2025, les robots mettraient au tapis plus de 3 millions d’emplois dans l’Hexagone ».
De plus en plus, ce n’est plus l’ordinateur qui assiste l’homme, mais l’homme qui assiste l’ordinateur. Aujourd’hui, comme hier, les robots alimentent les fantasmes les plus noirs, alors qu’ils ne font qu’ouvrir la voie à l’émergence de nouveaux métiers.
En aout dernier, je faisais partie de la délégation française conduite par la ministre Muriel Pénicaud venue défendre à Kazan la candidature de Lyon à l’organisation des Olympiades des métiers en 2023, avec le soutien du Président de la République.
Organiser les WorldSkills à Lyon en 2023 est une merveilleuse occasion de changer le regard porté par les Français sur l’apprentissage et la formation professionnelle. Nos compatriotes verront des jeunes de moins de 23 ans, venus du monde entier, en compétition dans soixante métiers artisanaux, industriels et numériques. Outre que ces olympiades des métiers donnent une image rafraichie et dynamique de métiers traditionnels, ils sont aussi une vitrine de la révolution numérique en cours, qui suscite constamment de nouveaux besoins, et donc de nouveaux métiers.
Lors de la compétition à Kazan, Michel Guisemberg, président de WorldSkills France, et le comité qui l’entoure ont mis en évidence que, si la France était très bien représentée pour les métiers traditionnels, nous n’avions que peu de compétiteurs pour ces nouveaux métiers. Monsieur le ministre, quel est le plan pour que la France soit au rendez-vous de la compétition, en 2023 à Lyon, dans tous les nouveaux métiers ?
Merci, monsieur le sénateur, d’avoir rappelé que la France organisera en 2023 les Olympiades des métiers à Lyon.
Vous avez raison, il faut accélérer, former plus et mieux aux métiers nouveaux liés à la révolution numérique. Je pense aux métiers de développeur, de webdesigner ou d’intégrateur. Le Gouvernement est très actif en la matière, depuis l’école jusqu’à la formation continue. Comme je l’ai dit dans mon propos liminaire, l’informatique et l’algorithmique font partie des programmes scolaires dès le CP. Depuis la dernière rentrée, tous les lycéens, dès la seconde, suivent un cours d’une heure trente par semaine de sciences numériques et technologiques. Aucun pays en Europe n’a fait un pari aussi audacieux.
Au-delà de la formation initiale, c’est l’ensemble de notre offre de formation que nous réorientons. Pour l’année 2020, le Président de la République a annoncé, en septembre, le lancement d’une gestion prévisionnelle des emplois et compétences au niveau national, construite avec les régions, pour déterminer l’offre de formation, qui devra évoluer en volume et en contenu dans les cinq à dix prochaines années.
Nous œuvrons actuellement avec le ministère du travail à la construction de plans d’action pour une sélection de métiers en tension prioritaires, ainsi que de propositions transverses pour améliorer l’adéquation entre l’offre et la demande de compétences pour l’ensemble de l’économie.
Il reste encore beaucoup à faire pour relever le défi du recrutement dans l’industrie numérique, qui est un formidable gisement d’emplois. Cela passe par la multiplication des forums sur la « tech » dans les universités et les grandes écoles, afin d’améliorer la visibilité et l’attractivité de ces métiers, et par la mobilisation du service public de l’emploi pour accompagner les start-up dans le recrutement des talents avec l’appui des correspondants « French Tech » de Pôle emploi et de l’APEC.
Monsieur le ministre, j’aurais pu vous interroger sur la formation, mais beaucoup a déjà été dit sur ce sujet ce matin. Je vous poserai donc une question d’actualité, puisqu’elle concerne l’automatisation des transports permise par l’intelligence artificielle.
Il ne vous aura pas échappé que la France connaît une longue période de grèves, particulièrement dans la région d’Île-de-France, où deux lignes de métro fonctionnent en continu tous les jours depuis le début du mouvement : la ligne 14, qui est automatisée depuis son inauguration en 1998, et la ligne 1, qui, elle, l’a été plus récemment, pour un montant de l’ordre de 629 millions d’euros.
Monsieur le ministre, ma question est simple : le Gouvernement compte-t-il accompagner l’automatisation de toutes les autres lignes de métro ? Je suis consciente que cette démarche aurait un certain coût, mais ce coût doit être mis en regard de celui des grèves…
La perte financière, pour la RATP, liée à une journée de grève est de l’ordre de 3 millions d’euros. Au 9 janvier 2020, la facture s’élèverait à 102 millions d’euros, auxquels il conviendra d’ajouter le remboursement des pass Navigo, qui a été décidé hier à la suite d’une négociation conduite par la présidente de la région, Valérie Pécresse.
Au-delà des pertes pour la RATP, il faut encore comptabiliser tous les coûts induits pour les entreprises dont les salariés ne peuvent plus se rendre sur leur lieu de travail.
Monsieur le ministre, quelle réponse pouvez-vous apporter à cette question en somme relativement simple ?
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.
Madame la sénatrice, je ne suis pas sûr que ma réponse soulève le même enthousiasme que votre question…
Soit dit sans vouloir caricaturer votre propos, vous suggérez d’utiliser la robotisation pour contourner le droit de grève…
… ou du moins restreindre la capacité de faire grève. C’est un élément que je n’avais pas vraiment pris en compte ce matin et qui pourrait susciter quelque indignation sur certaines travées…
Au-delà des circonstances du moment – je suis bien conscient des nuisances réelles subies, notamment en Île-de-France, par celles et ceux qui doivent rejoindre chaque matin leur lieu de travail dans des conditions souvent très difficiles –, je rappelle que c’est au Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF) qu’il incombe d’envisager l’automatisation des lignes de métro.
Vous l’avez dit vous-même, madame la sénatrice, l’automatisation d’une ligne a un coût. Le STIF et la RATP réfléchissent à la question, mais il est plus simple d’automatiser des lignes nouvelles. Pour les lignes anciennes, des problèmes d’accessibilité ou de sécurité peuvent se poser. Cela étant, en matière de mobilités, l’automatisation représente souvent la voie d’avenir, dans la région d’Île-de-France comme ailleurs. On le voit bien avec la voiture autonome et le métro autonome.
Je n’ai absolument pas attaqué le droit de grève, monsieur le ministre ! Le fonctionnement d’une ligne automatique requiert d’ailleurs aussi du personnel : de 300 à 350 agents sont nécessaires pour une ligne automatique, contre 900 à 1 000 pour une ligne classique. Si ces agents se mettaient en grève, la ligne automatique ne pourrait pas fonctionner. Nous en rediscuterons…
Les périodes de ruptures technologiques sont généralement marquées par des bouleversements majeurs de l’organisation du travail et suscitent dès lors de grandes inquiétudes. On se souvient du mouvement des luddites, au début du XIXe siècle en Angleterre, ces ouvriers « briseurs de machines » qui cassaient les nouveaux métiers à tisser introduits par la révolution industrielle.
Si la robotisation massive fait encore débat, l’effet des nouvelles technologies sur les conditions de travail n’est pas neutre. Je pense notamment à ces nouveaux travailleurs « ubérisés », devenus « servants » des machines numériques que sont les plateformes.
À l’instar du taylorisme qui émiettait le travail, la révolution numérique risque, si l’on n’y prend garde, de le déshumaniser. Toutefois, comme toute révolution technologique, elle offre aussi de nouvelles opportunités pour améliorer considérablement les conditions de travail, notamment en diminuant la pénibilité de certains métiers. Cela suppose néanmoins une action des pouvoirs publics pour orienter les investissements en ce sens et encourager l’utilisation de ces nouvelles technologies dans nos PME et TPE, notamment celles du secteur des services, qui concentre des métiers particulièrement pénibles. Bien souvent, ces PME n’osent pas investir, eu égard à une rentabilité qu’elles jugent incertaine. Or il est indispensable que nos entreprises se modernisent et créent de nouveaux emplois qualifiés dans nos territoires.
Monsieur le ministre, compte tenu de la nécessité d’une meilleure diffusion de la robotisation, le Gouvernement a-t-il prévu d’aider les PME et TPE du secteur des services, pour qu’elles ne ratent pas le coche de la modernisation et puissent recourir à des techniques permettant aussi d’améliorer les conditions de travail ?
Madame la sénatrice, votre question a trait en définitive à l’impact, positif ou négatif, de la robotisation sur la pénibilité du travail. En fait, chaque rupture technologique suscite des inquiétudes et des interrogations.
Les conditions de travail peuvent évidemment influer sur l’état de santé du travailleur et sur sa capacité à exercer son métier. Or la perspective de l’augmentation du taux d’emploi des seniors soulève la question de leur capacité à travailler plus longtemps.
Parmi les principaux facteurs de pénibilité figurent le travail de nuit, le travail répétitif, les postures pénibles ou les manutentions. Par exemple, en 2017, plus d’un tiers des salariés français étaient exposés aux risques liés à la manutention, en particulier dans les PME du secteur de la logistique. Or ces tâches particulièrement pénibles représentent les principales tâches automatisables.
Aujourd’hui, les entrepreneurs s’évertuent à trouver des solutions pour épargner aux salariés de telles tâches et réduire ainsi la pénibilité du travail. Je pense notamment à la start-up française Exotec Solutions, dans les Hauts-de-France, qui a inventé le Skypod. Ce dispositif est capable d’apporter des produits aux opérateurs qui préparent les commandes, mais aussi de les ranger lors des réassorts.
Afin que l’intégration de ces technologies soit efficace, il faudra accompagner et former les salariés amenés à travailler avec ces robots. Il conviendra par ailleurs effectivement d’accompagner les investissements des PME. Si l’intégration de ces technologies permet de réduire la pénibilité, elle entraînera forcément des évolutions des métiers et des modifications dans les investissements des entreprises. Comme je l’ai déjà indiqué, le Gouvernement est pleinement investi sur le sujet de la formation, notamment pour développer des compétences dans le numérique. L’un des objectifs du Pacte productif est d’ailleurs d’atteindre le plein emploi en 2025. À cette fin, une étude prospective des métiers, des qualifications et des investissements nécessaires fournit une grille de lecture utile pour guider la politique de formation initiale et continue et orienter les outils d’investissement, d’orientation et de formation.
Merci de votre réponse, monsieur le ministre. J’y insiste, en cas de révolution technologique, seul un réel volontarisme politique permet de définir les normes à imposer pour orienter le progrès technique au profit du plus grand nombre. Cela suppose, je le redis, de soutenir les PME en créant des aides spécifiques et en favorisant leur obtention.
Monsieur le ministre, le Gouvernement ne doit pas faire la même erreur qu’avec l’article 41 de la loi d’orientation des mobilités, censuré par le Conseil constitutionnel, qui permettait aux plateformes numériques de définir elles-mêmes les caractéristiques essentielles du contrat de travail. Autrement dit, il ne faut pas laisser la main au marché et au privé pour réguler les relations de travail dans la nouvelle économie numérique ! Ce n’est pas de cette manière que l’on rassurera les populations qu’inquiète la rapidité des changements technologiques. Je reste cependant convaincue que, si l’on prend les mesures qui s’imposent pour canaliser les innovations, les nouvelles technologies peuvent être source d’amélioration et de progrès social au cœur de nos entreprises.
En lisant les pages du rapport consacrées à la transformation à venir des emplois de service par des objets intelligents, j’ai pour ma part tout de suite pensé à la situation du Japon. Confronté au vieillissement de la population et à un manque de personnel soignant dans les hôpitaux et les maisons de retraite, le gouvernement japonais a massivement investi, dès 2013, dans des robots d’aide à la personne pour accompagner les malades ou les personnes âgées dans leur quotidien, mais aussi les aidants et les soignants, qui assument une charge souvent très lourde.
Plutôt que d’opposer les hommes et les robots, rendre leurs compétences complémentaires me semble être la voie à suivre pour assurer leur cohabitation à l’avenir. C’est l’un des constats majeurs établis par nos rapporteurs, auquel j’adhère pleinement.
Il me semble que la situation française est assez proche de celle du Japon. Déclarer que les services à la personne sont une mine d’emplois n’accroît ni l’attractivité de métiers pénibles ni des rémunérations peu attrayantes.
Investir massivement dans ces robots aidants permettrait de soulager les personnels et de les valoriser dans leurs tâches. Ils pourraient se concentrer sur l’indispensable dimension relationnelle et émotionnelle de leur mission. Il semble d’ailleurs qu’un certain nombre de structures privées françaises développent des robots similaires, mais leur coût est un frein considérable à leur déploiement massif. Ces initiatives et expériences ne peuvent se limiter à quelques structures privées.
Dans notre pays où les déserts médicaux sont une des principales préoccupations de la population et où le coût d’un hébergement en Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) est pour beaucoup prohibitif, comment le Gouvernement compte-t-il agir, monsieur le ministre, pour évaluer et favoriser le déploiement de ce type de technologies ? Quelle est son analyse de l’action du Japon dans ce domaine ?
Madame la sénatrice, le Japon représente à lui seul 52 % des ventes de robots industriels dans le monde. Je ne suis pas sûr que la France puisse atteindre ce niveau, et je ne suis d’ailleurs pas sûr non plus que ce soit forcément souhaitable, mais il faut reconnaître que nous sommes en retard, en particulier dans le secteur des services.
Je l’ai déjà dit, un certain nombre d’expérimentations sont en cours. Vous avez raison, madame la sénatrice, de souligner qu’il ne faut pas opposer les robots et les hommes. La robotisation, l’intelligence artificielle, la numérisation permettent de soulager d’un certain nombre de tâches les soignants, les accompagnants à domicile ou dans les Ehpad, de sorte qu’ils puissent se concentrer, comme ils le souhaitent, sur ce qui constitue l’essentiel de leur mission, c’est-à-dire la relation humaine.
C’est donc dans cette perspective que nous agissons par le biais des plans que j’ai évoqués tout à l’heure. Le plan Grand âge s’inscrira lui aussi dans cette démarche.
Enfin, n’étant pas le ministre chargé de ces questions, je ne suis pas en mesure de vous répondre sur l’analyse de l’expérience japonaise, mais je m’informerai et je m’engage à vous transmettre les éléments dont nous disposons. Il est toujours intéressant d’étudier ce que font les autres pays confrontés aux mêmes difficultés que nous en matière d’accompagnement des personnes âgées ou dépendantes.
Avant tout, je tiens à remercier la délégation à la prospective et son président, M. Karoutchi, d’avoir permis la tenue de ce débat, et à saluer les deux auteurs de ce rapport d’information particulièrement intéressant. L’intelligence artificielle est un véritable sujet d’actualité.
Monsieur le ministre, j’ai bien sûr eu l’occasion d’emprunter les lignes de métro automatisées évoquées par Christine Lavarde. On ne peut qu’être admiratif devant cette réalisation impressionnante : si l’on s’installe tout à l’avant, on a même l’impression de conduire la rame !
Sourires.
Pour ma part, toujours dans le domaine des transports sur rails, j’aborderai le cas de la SNCF.
Dans mon département des Ardennes, que vous connaissez un peu
M. le ministre le confirme.
Monsieur le sénateur, la question que vous soulevez est récurrente ; on l’a vu lors de la crise des « gilets jaunes ». Comment déployer des outils numériques puissants permettant par exemple d’acheter des billets de train via internet tout en maintenant le nécessaire lien social assuré par chaque service public ou opérateur assumant un service public ?
À propos du transport ferroviaire, je vous apporterai une réponse en trois points.
Premièrement, nous devons envisager, me semble-t-il, de faire des gares des lieux différents de ce qu’elles étaient quand tout reposait sur les guichets. C’est –reconnaissons-le – une question de compétitivité pour l’opérateur. Certaines expériences, menées notamment avec les collectivités territoriales, permettent ainsi de déployer d’autres services.
Deuxièmement, le déploiement des maisons France services, qui commencera cette année, vise précisément à remettre de l’humain au cœur des dispositifs technologiques. Vivant dans une commune de 700 habitants, je vois bien que nombre de nos concitoyens ont le sentiment d’être abandonnés à la technique quand on les renvoie à une plateforme en ligne. Il est donc nécessaire de redonner sa place à la relation humaine : au fond, c’est bien ce que vous demandez en évoquant l’exemple de la SNCF.
Troisièmement, pour les territoires ruraux, l’enjeu essentiel en matière de mobilité est de renforcer les réseaux de transports : c’est tout l’objet de la loi d’orientation des mobilités. Les lignes dites « petites » doivent pouvoir retrouver un niveau de desserte beaucoup plus satisfaisant qu’il ne l’est aujourd’hui. Mais nous sortons là du champ de notre débat de ce matin.
Monsieur le ministre, nous restons attachés au transport ferroviaire, assuré pour l’essentiel par les TER dans les Ardennes.
J’y insiste, la présence humaine est irremplaçable, que ce soit au guichet, sur les quais ou dans les trains. Beaucoup d’entre nous mènent un combat permanent pour la défense de nos services publics. La machine ne peut pas remplacer l’humain !
Je souhaite apporter mon témoignage de rapporteur des crédits consacrés à la recherche et d’élue d’Île-de-France, territoire qui participe activement au développement de l’intelligence artificielle et de ses usages.
L’Île-de-France – je pense notamment à mon département de l’Essonne – est en effet le premier pôle européen en termes d’accueil des start-up de ce domaine d’activité. Elle rassemble ainsi deux tiers des start-up françaises – 73 sur 109 en 2019 –, les principaux centres de recherche, écoles et universités et 45 % des laboratoires français publics et privés.
Le plan régional IA 2021, présenté en 2018, contient un ensemble très complet d’initiatives visant à faciliter l’usage de l’intelligence artificielle par les entreprises franciliennes, à développer la formation et à lancer des challenges pour des filières prioritaires.
La collaboration entre les collectivités territoriales et les start-up permet d’expérimenter des solutions innovantes dans des champs très variés : sécurité, transports et mobilité, transition énergétique, aménagement, urbanisme, santé… Je pense par exemple à la maintenance prédictive des escalators, à la modélisation du trafic routier, à la réutilisation des déchets du BTP, au calcul de trajets pour les personnes handicapées ou à la création de véritables plateformes de télémédecine, pour lutter contre les déserts médicaux ; la première d’entre elles a été inaugurée à Moigny-sur-École.
Ces nouvelles réponses, reposant sur l’utilisation des données et l’automatisation, ont une incidence positive sur la qualité de vie de nos concitoyens et contribuent à l’attractivité du territoire. Or cette dynamique, particulièrement forte dans ma région, engendre des coûts importants. Il est absolument nécessaire que l’État apporte son soutien financier, d’autant que le rapport de nos collègues Marie Mercier et René-Paul Savary, que je félicite pour leur travail très approfondi, pointe la difficulté, dans notre pays, de passer de la phase de recherche à la mise en application sur le terrain et à faire des avancées technologiques permises par les chercheurs des réussites économiques.
Monsieur le ministre, au-delà de l’aspect budgétaire, comment le Gouvernement compte-t-il amplifier l’apprentissage des technologies numériques à l’école et, dans l’enseignement supérieur, développer les capacités d’adaptation et la créativité des étudiants ?
Madame la sénatrice, je salue le dynamisme de la région d’Île-de-France et des départements qui la composent dans le domaine de l’intelligence artificielle.
L’accès aux données est un élément fondamental, en particulier en matière de mobilité et de développement durable – je pense à l’économie circulaire. Cependant, l’économie des données en Europe est ralentie par un cadre légal qui ne permet pas d’assurer pleinement la confiance dans le numérique ; il faudra progresser sur ce point.
Le Gouvernement travaille à un certain nombre de sujets pour favoriser le développement de l’intelligence artificielle. Un appel à projets, visant à soutenir les initiatives en la matière, a été lancé à la fin du mois de juillet dernier. Il s’agit d’évaluer les besoins et les diverses initiatives – vous avez fort justement salué, à cet égard, les démarches combinées des acteurs publics, parmi lesquels les collectivités territoriales, et des acteurs privés. Au total, quatre-vingts réponses ont été reçues, témoignant de l’intérêt des acteurs économiques, en particulier en Île-de-France.
Le dispositif Challenge intelligence artificielle, financé à hauteur de 5 millions d’euros par le programme d’investissements d’avenir, favorise des démarches d’innovation entre, d’une part, les entreprises ou les entités publiques confrontées à des enjeux numériques et, de l’autre, les start-up et les PME auxquelles vous avez fait référence.
Enfin, concernant la formation, la culture du numérique, de l’intelligence artificielle et de la robotisation doit être développée de bonne heure. Nous prenons, après d’autres, des initiatives pour qu’elle se forge dès le cours préparatoire. La création d’un certain nombre de secteurs et de filières doit permettre de répondre à des enjeux spécifiques. En ce qui concerne la formation professionnelle, il convient d’identifier les besoins à l’échelon des branches : c’est tout l’objet du travail que mène Muriel Pénicaud au titre de la formation professionnelle. C’est à ce prix que les emplois de demain pourront être pourvus et que nous ferons évoluer les emplois d’aujourd’hui !
Pour clore ce débat, la parole est à Mme Marie Mercier, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d’abord, je tiens à vous remercier de la qualité de vos interventions et de la pertinence de vos remarques.
Nous avons la chance, au Sénat, d’avoir une délégation à la prospective. Le but de la prospective, c’est d’anticiper les évolutions : ce débat, qui fait suite à un travail que nous avons mené avec beaucoup d’intérêt, d’énergie et même de gourmandise, relève bien de la mission de notre délégation !
Bien sûr, il faut se saisir de la chance que constitue le déploiement de l’intelligence artificielle, mais en accompagnant ce saut technologique, car tout changement est anxiogène. À mon tour, je veux insister sur la complémentarité entre l’humain et le robot : la robotisation doit se faire avec l’homme, et non contre lui. En définitive, c’est l’intelligence sociale, dans toute sa complexité, qui nous distinguera des robots. Interagir avec autrui, c’est l’essence même des relations humaines et de l’équilibre de notre société, et c’est notre chance !
Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et LaRE M. – Mme Viviane Artigalas applaudit également.
La parole est à M. René-Paul Savary, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective.
Monsieur le ministre, nous avons pu le constater au cours de ce débat : vous avez lu notre rapport avec une attention toute particulière, peut-être afin de vous en inspirer… En effet, l’exercice ne s’arrête pas aujourd’hui, et nous souhaitons vivement que vous teniez compte de nos préconisations. Nous ne prétendons pas détenir la vérité, …
M. Roger Karoutchi, président de la délégation sénatoriale à la prospective. Si !
Sourires.
… mais elles sont le fruit d’une réflexion qui nous semble largement partagée par les personnalités que nous avons auditionnées. Après les échanges de vues et les propositions, la prospective doit aboutir à des actes !
Le débat devant être circulaire, j’en reviens à la première question posée par le président de notre délégation, celle de l’éventuelle intervention du législateur. À mon sens, à défaut de mesures législatives, nous nous condamnerons à envisager les problèmes par le petit bout de la lorgnette et, progressivement, comme c’est trop souvent le cas, la société devancera le législateur.
À l’inverse, le législateur doit anticiper les évolutions de la société, non pour contrarier les initiatives, mais pour les réguler et garantir l’organisation de la société. Il faut agir a priori et non a posteriori. Dans cette perspective, il nous reste beaucoup à faire !
Marie Mercier, avec qui j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler, l’a rappelé à l’instant : nous devons anticiper et répondre à l’angoisse de nos concitoyens, particulièrement forte par les temps qui courent. Ils se demandent à quel âge ils pourront partir à la retraite et avec quel montant de pension, si des robots vont se substituer à eux au travail… Si la réponse à cette dernière question est positive, c’est que la personne fait un travail de robot ! Il faut donc développer la complémentarité entre le robot et l’humain, l’adaptation sociale, pour que nos concitoyens s’y retrouvent demain.
Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et LaRE M. – Mme Viviane Artigalas applaudit également.
Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport d’information Demain les robots : vers une transformation des emplois de service.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 14 janvier 2020 :
À neuf heures trente :
Trente-six questions orales.
À quatorze heures trente et, éventuellement, le soir :
Explications de vote des groupes sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à lutter contre le mitage des espaces forestiers en Île-de-France (texte de la commission n° 225, 2019-2020) ;
Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, demandant au Gouvernement de porter au niveau de l’Union européenne un projet de barrière écologique aux frontières, présentée par MM. Jean-François Husson et Bruno Retailleau (texte n° 165, 2019-2020) ;
Proposition de loi modifiant la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous afin de préserver l’activité des entreprises alimentaires françaises, présentée par M. Daniel Gremillet et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 215, 2019-2020).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à douze heures cinq.