Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du 15 janvier 2020 à 15h00
Droits sociaux des travailleurs numériques — Rejet d'une proposition de loi modifiée

Muriel Pénicaud :

À l’autre bout du spectre, certains travailleurs ne recourent aux plateformes que de manière occasionnelle, comme revenu d’appoint ; ce sont des étudiants ou des salariés qui recherchent un complément de revenu.

De la même manière, ce ne sont pas des entrepreneurs qu’il convient d’accompagner dans le lancement d’une activité, ce qui est l’objet même des CAE auquel vous proposez de recourir systématiquement.

En second lieu, faire des coopératives un simple outil d’accès à la protection sociale via le statut de salarié revient à en détourner l’objet. Les CAE sont des outils intéressants d’accompagnement d’auto-entrepreneurs dans le lancement de leur activité ; elles n’ont pas pour vocation de devenir un système de protection sociale dans la durée. Ces coopératives ne fonctionnent que grâce à un fort dynamisme entrepreneurial et territorial, et elles impliquent l’adhésion des membres au projet porté. Le principe de l’obligation va à l’encontre de cet esprit d’adhésion.

Cela dit, il y a d’autres voies possibles pour améliorer la protection sociale de ces travailleurs indépendants. Depuis 2016, le législateur s’est efforcé de construire la responsabilité sociale des plateformes. Des progrès importants ont été acquis pour ces travailleurs, en matière d’accident du travail, de formation ou de droit d’action collective.

Ainsi, la loi d’orientation des mobilités ainsi que la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel ont notamment défini des règles d’alimentation du compte personnel de formation. Je rappelle par ailleurs que la loi sur les mobilités a mis en place le droit à la déconnexion et la transparence du prix des courses, pour les plateformes électroniques de mise en relation avec des VTC ou des coursiers.

Quant aux chartes, homologuées par l’administration, elles ont vocation à inciter les plateformes à être plus transparentes sur leurs engagements sociaux et à leur laisser la possibilité d’aller plus loin.

Enfin, sur le volet du dialogue social, des débats parlementaires avaient en effet fait émerger la nécessité d’organiser une meilleure représentation de ces travailleurs, afin de garantir à ceux-ci l’existence d’un dialogue équilibré avec les plateformes numériques, et de leur permettre ainsi de contribuer à la détermination de leurs conditions de travail. C’est précisément l’objet de l’ordonnance prévue à l’article 48 de la loi d’orientation des mobilités. D’ailleurs, dans la perspective de l’élaboration de cette ordonnance, le Gouvernement a confié, hier, une mission à M. Jean-Yves Frouin, ancien président de la chambre sociale de la Cour de cassation, qui sera accompagné d’experts pour travailler sur ce sujet.

De façon générale, les travailleurs des plateformes posent la question de l’amélioration de la protection sociale des indépendants et celle de l’universalité de notre système de protection sociale. Plusieurs pas ont été faits ; j’en citerai deux : depuis janvier 2019, les travailleuses indépendantes, chefs d’entreprise et conjointes collaboratrices bénéficient des mêmes prestations de maternité que les salariées et, depuis le 1er novembre 2019, les travailleurs indépendants ont droit à l’assurance chômage, sans cotisation supplémentaire.

Le Gouvernement vous invite donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à rejeter cette proposition de loi, mais je ne doute pas que nous aurons l’occasion de nous retrouver prochainement sur le sujet du droit social applicable aux travailleurs indépendants économiquement dépendants, puisqu’il fait l’objet depuis septembre dernier de la mission d’information, menée par Mmes Catherine Fournier et Frédérique Puissat et par M. Michel Forissier, rapporteurs d’ailleurs de la loi sur l’avenir professionnel. Je profite de l’occasion pour les saluer.

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