Intervention de Michel Forissier

Réunion du 15 janvier 2020 à 15h00
Droits sociaux des travailleurs numériques — Rejet d'une proposition de loi modifiée

Photo de Michel ForissierMichel Forissier :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les progrès techniques et les avancées technologiques ont permis de mettre en place de nouveaux modèles économiques. Les plateformes numériques permettent aujourd’hui la mise en relation entre les travailleurs et des donneurs d’ordre. Il s’agit de prestations de différentes natures, dans de nombreux domaines d’activités.

Le statut de micro-entrepreneur permet aux travailleurs de réaliser leurs missions dans le cadre d’une dépendance économique pouvant être considérée, dans certains cas, comme un lien de subordination. Le risque est grand de voir cette relation requalifiée en contrat de travail par les tribunaux. Cette fragilité juridique n’est pas satisfaisante.

Se pose également la question de la répartition des profits et des garanties sociales pour ces travailleurs, qui, aujourd’hui, dans leur grande majorité, ne veulent pas être salariés : ils souhaitent garder leur indépendance et avoir une activité modulable, éventuellement exercée parallèlement à un autre emploi ou à une autre fonction.

À ce stade de nos travaux, nous constatons que la réalité de la situation des travailleurs indépendants économiquement dépendants des plateformes est hétérogène et représente encore une part marginale de la population active.

En premier lieu, les plateformes numériques sont diverses. Un certain nombre de plateformes, correspondant à la définition de l’article 242 bis du code général des impôts, se bornent à un rôle de mise en relation entre des travailleurs indépendants et des clients. Ces plateformes n’interviennent ni pour fixer le prix des prestations ni pour organiser les conditions dans lesquelles ces prestations sont effectuées.

On connaît, par ailleurs, des plateformes de services organisés hors ligne, qui fournissent des prestations standardisées délivrées par des professionnels, notamment dans les secteurs de la conduite de voitures de transport avec chauffeur (VTC) et de la livraison de marchandises au moyen d’un véhicule à deux ou trois roues. Elles sont devenues, depuis quelques années, les plateformes les plus visibles et celles dont le développement soulève le plus de questions.

Ces plateformes déterminent à la fois les caractéristiques de la prestation et son prix, notamment par le biais d’algorithmes, et apparaissent, de ce fait, comme les plus exposées au risque juridique de requalification en contrat de travail.

Ainsi, si l’activité de conducteur de VTC s’est profondément professionnalisée, du fait notamment des coûts d’entrée représentés par l’obtention d’une licence et l’acquisition ou la location d’un véhicule, les services de livraison à vélo semblent plus souvent correspondre à une activité à la fois temporaire et secondaire pour les travailleurs concernés.

On peut aussi citer les plateformes de micro-travail, qui consistent à l’externalisation de tâches fortement fragmentées et à faible valeur ajoutée. Le micro-travail représente une activité généralement très accessoire, le revenu mensuel moyen généré sur les plateformes concernées ne dépassant pas quelques dizaines d’euros.

Ainsi, compte tenu de la diversité des activités, allant du job étudiant à la mise en relation de cadres de haut niveau travaillant en France, il est nécessaire de bien mesurer les impacts du cadre législatif sur l’ensemble des activités avant de légiférer.

En deuxième lieu, les membres du groupe Les Républicains rappellent que les travailleurs des plateformes ne constituent pas une catégorie statistique en tant que telle et qu’il reste difficile d’estimer leur nombre avec précision. On parle de 100 000 personnes qui exerceraient leur activité exclusivement via une plateforme, dont un quart de chauffeurs de VTC, ou de 200 000 personnes qui auraient recours à un intermédiaire pour l’exercice d’une activité professionnelle, qu’il s’agisse ou non d’une plateforme numérique et que cette activité soit leur activité principale ou une activité d’appoint.

En ce qui concerne la question de la protection sociale, il convient de rappeler que tous les travailleurs des plateformes bénéficient des protections universelles – santé, famille – et cotisent à l’assurance retraite. L’absence d’assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles et d’assurance chômage est, en outre, propre au statut d’indépendant et doit être mise en relation avec l’absence de cotisation au titre de ces risques. Nous sommes attachés à ce que tous les travailleurs bénéficient d’une protection universelle, laquelle reste à mettre en place.

Le Conseil constitutionnel a partiellement censuré l’article 44 de la LOM (loi d’orientation des mobilités), qui instaurait une charte sociale définissant les droits et les devoirs des travailleurs des plateformes. Je me permets, à cette occasion, de vous rappeler que, lors de l’examen du texte par le Sénat, nous nous étions opposés au principe même de cette charte, en évoquant justement sa fragilité constitutionnelle.

Le modèle des plateformes constitue, dans le cadre de l’économie numérique, un moyen de retour à l’emploi et une chance de sortir de la précarité pour un nombre non négligeable de chômeurs de longue durée relégués dans de petits boulots ou même dans l’économie souterraine. Les travailleurs concernés ne souhaitent pas devenir salariés – il faut le dire ! Ils sont attachés à leur indépendance et à leur autonomie dans leur travail.

L’adhésion à une coopérative d’activité et d’emploi ne peut, à notre sens, être obligatoire. Cela serait contradictoire avec le principe de liberté d’entreprendre, que Les Républicains estiment fondamental dans notre choix de société.

Nous considérons que les travaux et la réflexion engagée pour la préparation de cette proposition de loi sont des éléments à intégrer et constituent un apport pour notre mission d’information.

Nous pouvons aussi penser qu’il s’agit, pour les auteurs, d’un texte d’appel.

Nous sommes également convaincus de la nécessité de permettre à ce modèle économique d’exister, en raison de son utilité. Ce n’est pas en établissant un texte dans l’urgence que nous apporterons des solutions globales aux problèmes qui se posent ! Nous souhaitons aller au bout de la mission. Ensuite, nous pourrons engager, ensemble, une réflexion sur l’adaptation du cadre législatif, dans les principes de notre modèle social, qui doivent être respectés par tous les modèles économiques émergents.

Pour conclure, je dirai que la proposition de loi présentée aujourd’hui ne peut apporter une solution viable et ne répond ni aux attentes exprimées par les travailleurs ni à celles des responsables des plateformes. Le groupe Les Républicains propose d’aborder de façon plus globale l’enjeu du développement de l’économie des plateformes numériques, en enrichissant le travail parlementaire des travaux de la mission d’information. Nous voterons, bien entendu, contre la proposition de loi.

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