Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens avant toute chose à remercier la rapporteure, Nadine Grelet-Certenais, et notre collègue Monique Lubin de leur travail.
Pour commencer, madame la ministre, je veux vous remercier de m’avoir reçu avec Kevin, un jeune de 20 ans qui ne comprenait pas le système, qui s’était révolté et mis en grève. Il était accompagné de Jérôme Pimot, du CLAP (Collectif des livreurs autonomes de Paris), qui est présent dans les tribunes de notre hémicycle et que je salue.
Malheureusement, votre intervention m’oblige à constater que vous n’avez pas compris le sens de cette visite. Lorsque je vous entends dire que la responsabilité sociale des plateformes numériques s’améliore, je doute que nous parlions de la même chose… Les protections contre les accidents sont encore tout à fait partielles, les algorithmes sont modifiés pour éviter une déconnexion, des primes à la course suivante sont mises en place pour maintenir une pression sur les livreurs, lesquels sont encore parfois des mineurs et des sans-papiers. Et je ne parle pas des accidents !
Votre solution des chartes n’est pas satisfaisante, comme on vient de l’entendre en creux chez presque tous les orateurs qui se sont exprimés. Nous sommes heureusement dans un État de droit et, à ce sujet, le Conseil constitutionnel nous a donné raison par deux fois : vos chartes sont un cheval de Troie dans notre modèle social.
Vous affirmez par ailleurs que notre proposition ne correspond pas à l’aspiration de ces travailleurs. De fait, il est évident que, pour un jeune de 20 ans qui n’a jamais été malade, les cotisations santé et retraite – l’horizon semble lointain – paraissent trop élevées.
Chers collègues, nous ne disons pas que notre proposition est la solution unique et miracle. Comme certains l’ont dit, elle permet d’ouvrir le débat à des alternatives diverses, visant à mieux protéger les travailleurs plutôt qu’à tenter de protéger les plateformes. C’est le sens de notre solution des coopératives d’activité et d’emploi, dites « CAE ».
Vos différentes interventions me donnent le sentiment qu’il y a, à leur sujet, une incompréhension. Quand vous entendez « coopératives », il me semble que vous pensez aux modèles anciens, comme ceux que l’on trouve dans la coopération agricole – je suis bien placé pour en parler – ou les géniales mais exigeantes SCOP (sociétés coopératives et participatives), par exemple. Le statut d’entrepreneur salarié associé d’une CAE est très différent. Il est méconnu, car il n’existe que depuis 2014. Il a été conçu comme une alternative à l’auto-entrepreneuriat. Je comprends donc que certains prennent leurs distances à l’égard de cette proposition.
Ce statut hybride entre salarié et indépendant permet aux salariés de se regrouper et, ainsi, de peser face aux plateformes, mais aussi de mutualiser certaines charges fixes.
Je vous invite à découvrir le rapport Giusti-Thévenoud, paru aujourd’hui même sous l’égide de la Fondation Jean-Jaurès – le journal Libération en fait état –, qui évoque cette solution de la coopérative.
Les coopératives doivent atteindre une taille critique pour être efficaces. Il faut encore affiner, approfondir cette question, notamment durant la navette.
De même, si l’amendement que nous proposons était adopté, il permettrait de distinguer différents types de plateformes. Nous ne sommes pas contre les plateformes ni contre l’économie numérique. On y trouve le meilleur, mais aussi le pire, et c’est bien ce dernier que nous voulons combattre.
Je tiens enfin à saluer les différentes interventions. Tous les orateurs ont constaté le problème et personne n’a prétendu que la vie était belle – sinon Mme la ministre – et que les choses pouvaient continuer ainsi. Il me semble que tous les intervenants considèrent que les chartes sont insatisfaisantes. Comme l’a souligné le Conseil constitutionnel, il s’agit d’un bricolage juridique…
J’adresse un salut particulier à Catherine Fournier, coresponsable de cette mission d’information. Je remercie nos collègues du groupe CRCE d’avoir annoncé qu’ils voteraient notre amendement. Si aucun de nos deux textes n’est parfait, ils constituent des propositions intéressantes. Nous devons continuer d’avancer ensemble pour améliorer la situation de ces travailleurs exploités, pour leur dire et leur faire comprendre que nous les entendons et que nous les défendons. Je veux saluer ici tous ces travailleurs qui se mobilisent individuellement : ce sont de véritables lanceurs d’alerte, respect !
Le débat que nous tenons aujourd’hui est une étape importante et nécessaire dans la construction de la protection sociale à la française du XXIe siècle, forte de son histoire, solide sur ses fondamentaux et adaptée aux évolutions du monde.
En adoptant cette proposition de loi, vous permettrez à nos collègues députés de se saisir de ce débat et d’entamer la construction de cet édifice. Comme l’écrivait Goethe : « On peut aussi construire quelque chose de beau avec les pierres qui entravent le chemin ».