Intervention de Daniel Gremillet

Réunion du 14 janvier 2020 à 14h30
Activité des entreprises alimentaires françaises — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Daniel GremilletDaniel Gremillet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier Michel Raison, rapporteur de ce texte, du travail qu’il a accompli, lequel s’est inscrit dans la continuité de celui de la commission des affaires économiques du Sénat, qui s’est dotée, le lendemain de la promulgation de la loi Égalim, la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, d’un groupe de suivi inédit chargé de mesurer les effets généraux de cette loi sur les acteurs concernés.

Cette démarche innovante revient finalement à l’essence même du rôle du Parlement : adopter des lois et en évaluer les effets pour, au besoin, proposer les correctifs nécessaires.

En octobre dernier, le groupe de suivi a produit un rapport d’information dressant un premier bilan de la loi Égalim, un an après l’adoption de cette dernière. Ce travail important, réalisé après des auditions effectuées auprès des administrations, des organismes professionnels, mais aussi – ce point est important – des acteurs de terrain, a permis de dégager des premières tendances inquiétantes.

Bien sûr, il est trop tôt pour tirer des enseignements définitifs sur les effets de cette loi ; ainsi, le titre Ier organise une expérimentation de deux ans qui est en cours. Au terme de ce délai, nous y verrons plus clair et nous ne manquerons pas d’en tirer les conséquences.

Toutefois, les auditions du groupe de suivi ont déjà mis en lumière trois problèmes majeurs posés dès à présent par la loi. Sur le terrain, nous avons constaté auprès d’entreprises qui sont en difficulté du fait même de l’application de la loi des effets pervers majeurs. Faut-il attendre que la situation empire ? Si les failles sont d’ores et déjà identifiées, il est de notre responsabilité d’agir. C’est en tout cas la position du groupe de suivi qui a déposé, dans la foulée, une proposition de loi comprenant trois mesures d’urgence.

Le texte qui est soumis à notre examen aujourd’hui a été signé, à ce stade, par cent quarante-six sénatrices et sénateurs de la quasi-totalité des groupes politiques. Cette capacité des élus à se rassembler autour de ce texte, quels que soient les clivages, est une démonstration de l’intérêt stratégique des sujets évoqués. Monsieur le ministre, c’est de la politique au sens noble du terme, et je souhaite remercier l’ensemble des sénatrices et sénateurs qui se sont associés à cette démarche. Le Sénat joue son rôle de contrôle de l’action du Gouvernement et est une force de proposition pour améliorer l’efficacité des politiques publiques – c’est essentiel !

La première mesure proposée dans le texte concerne l’encadrement des promotions en volume. Nous sommes dans le cas d’une disposition rigide qui ne prend pas en compte les réalités très différentes selon les entreprises, les filières, les secteurs.

Et cela pose des difficultés, notamment pour les fabricants de produits achetés par le consommateur de manière impulsive ou pour les producteurs de denrées saisonnières. Pour les entreprises concernées, le soutien promotionnel est essentiel. Quand un consommateur ne programme pas son achat à l’avance – c’est le cas pour des produits comme la viande de lapin ou le saumon fumé –, il revient à l’industriel de le convaincre, dans les linéaires, d’acquérir son produit : il le fait par le biais d’une promotion. C’est pourquoi certains produits sont dépendants de cette démarche. Ce n’est pas une manière de tromper le consommateur. La raison est simple : faute d’un soutien promotionnel, ces produits ne sont pas vus par le consommateur. Or ce qui n’est pas vu n’est pas vendu !

Le mécanisme est le même pour les produits saisonniers : ceux-ci ont besoin d’un soutien particulier, notamment en dehors des périodes de pic de consommation, comme les fêtes – tel est le cas du foie gras, du champagne, des chocolats, entre autres.

L’encadrement des promotions limite le volume des ventes. Les résultats sont clairs : les chiffres d’affaires des entreprises concernées se sont effondrés depuis un an. Ils parlent d’eux-mêmes : recul de 25 % des volumes de foie gras vendus en une année ; baisse de 20 % des ventes de champagne dans la grande distribution. Les représentants de certaines entreprises auditionnées par le groupe de suivi ont fait état d’un recul de près de 50 % de l’activité !

Monsieur le ministre, combien d’entreprises peuvent résister deux ans à un tel choc ? Et qui paiera in fine ? Ce sont bien les producteurs : le volume des commandes baisse, nous l’avons constaté sur le terrain, ce qui a évidemment des conséquences sur les revenus et sur l’emploi.

C’est un effet de bord majeur qui aboutit à un paradoxe : la loi Égalim pénalise et handicape le revenu des producteurs en cause. Nous sommes donc aux antipodes des effets recherchés ! Et ce qui est le plus paradoxal, c’est que la loi déstabilise les filières qui rémunéraient le mieux les producteurs, des filières qui avaient instauré une indexation des prix avec l’amont agricole. Monsieur le ministre, la semaine dernière, nous avons rencontré les représentants de deux filières, dont l’organisation est aujourd’hui remise en cause, alors qu’elles étaient exemplaires, puisqu’elles rebasaient les prix tous les trimestres en fonction des coûts réels de production, ce qui correspond exactement à l’esprit de la loi Égalim.

J’ajoute que cet encadrement représente un biais anticoncurrentiel majeur pour les PME – ce sont ces entreprises qui sont fragilisées aujourd’hui –, parce qu’il limite leur seule possibilité d’exister face aux budgets publicitaires des plus grandes marques. Cette mesure, couplée à la hausse du seuil de revente à perte, a abouti à ce que la croissance de la présence des PME dans nos rayons a été considérablement ralentie depuis la mise en œuvre de la loi, alors même que celle-ci était censée favoriser les entreprises de nos territoires. C’est problématique ! Cette loi ne peut tout de même pas se résumer à fragiliser, voire à faire disparaître, les PME, les artisans et les autres entreprises implantées localement.

La proposition de loi entend remédier à ce problème, en prévoyant de sortir les produits au caractère saisonnier marqué de l’encadrement des promotions en volume. Surtout, j’insiste sur ce point, la mesure ne remet nullement en cause l’esprit de l’expérimentation. Monsieur le ministre, nous ne remettons pas en question l’encadrement des promotions en valeur à 34 % du prix du produit.

De plus, la dérogation ne concernerait que les produits les plus saisonniers, ceux qui sont aujourd’hui exposés et dont les filières sont fragilisées, voire en danger. Ce n’est pas ce type de disposition de bon sens qui est de nature à relancer la guerre des prix dans les grandes surfaces ni à remettre en cause l’expérimentation en cours. En revanche, elle permettrait de sauver des entreprises en grande difficulté. Attendre deux ans serait criminel pour nos entreprises alimentaires. Toutes les personnes que nous avons auditionnées s’accordent sur le fait qu’il y a un problème. Il aurait d’ailleurs été intéressant, monsieur le ministre, que vous assistiez à la réunion que nous avons organisée la semaine dernière en Vendée avec une vingtaine de professionnels représentant plusieurs filières, allant du foie gras au lapin, en passant par les fruits de mer, le muscadet ou le jambon. Tous sont aux abois du seul fait de la loi. Il y a un vrai caractère d’urgence.

Si le seul contre-argument est celui de ne pas vouloir fausser statistiquement l’expérimentation, permettez-moi, monsieur le ministre, d’en appeler à votre pragmatisme. Des centaines, voire des milliers d’emplois sont en jeu !

La proposition de loi comporte une deuxième mesure, qui est expérimentale. Cela fait plusieurs années que nous débattons du manque d’efficacité de la renégociation des contrats entre un fournisseur et son distributeur en cours d’année en cas de choc conjoncturel sur le cours d’une matière première. La clause de renégociation ne fonctionne pas, car, une fois activée, tous les points du contrat peuvent être renégociés, ce qui avantage considérablement le distributeur.

Il est proposé dans le texte d’expérimenter la mise en place, dans les contrats, d’une clause de révision automatique des prix, déterminée par les parties, qui s’activerait en cas de variation importante du cours de la matière première principale et fortement présente dans un produit alimentaire. Ce serait par exemple le cas du cours du porc pour la charcuterie ou de celui du blé dur pour les pâtes alimentaires. L’expérimentation ne porterait que sur quelques produits choisis selon leur exposition à la volatilité des cours.

Enfin, il est remarqué dans la proposition de loi que l’ordonnance sur la réforme du droit coopératif publiée par le Gouvernement ne respecte pas le champ de l’habilitation donnée par les parlementaires. C’était le seul point d’accord constaté en commission mixte paritaire entre les deux chambres : plutôt que de signer un chèque en blanc au Gouvernement, les deux chambres ont restreint strictement le champ de l’habilitation. Constatant sans doute que cette habilitation l’empêchait désormais de faire ce que bon lui semblait, le Gouvernement a eu recours à une autre ordonnance pour passer en force…

Sans même parler du fond de la mesure qui mériterait un débat sur le modèle coopératif, débat dont le Parlement a été privé lors de l’examen de la loi Égalim, il a semblé aux membres du groupe de suivi que le Parlement devait se montrer intransigeant sur le respect des champs d’habilitation qu’il déterminait lorsqu’il confiait au Gouvernement le droit de prendre une ordonnance. C’est pourquoi la proposition de loi ratifie l’ordonnance sur le modèle coopératif corrigée de la partie qui a excédé le champ de l’habilitation. Cette mesure répond avant tout à une logique institutionnelle de défense des droits du Parlement. Si le Gouvernement tient à cette disposition, qu’il la présente dans un projet de loi pour que le Parlement ait enfin le droit de débattre sereinement de nos coopératives agricoles !

Pour conclure, vous l’aurez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi n’a pas l’ambition de résoudre l’ensemble des défis posés à notre agriculture. Elle n’a pas non plus la prétention de revoir l’intégralité de la loi Égalim. Elle entend simplement en corriger les premières failles, car ces dernières posent déjà de graves difficultés dans nos territoires. C’est notre rôle constitutionnel d’évaluer la loi, et le groupe de suivi a voulu mettre ce rôle en avant.

Nous sommes donc loin d’une remise en cause politicienne de la loi Égalim adoptée il y a moins d’un an. Au contraire, malgré nos doutes, il me semble que cette proposition de loi entend préserver toutes ses chances d’améliorer le revenu de nos agriculteurs.

Enfin, je tiens à remercier Michel Raison et Anne-Catherine Loisier qui étaient rapporteurs du projet de loi Égalim, ainsi que la présidente de la commission des affaires économiques et l’ensemble des membres du groupe de suivi.

Un dernier mot : le présent texte a été adopté à l’unanimité par la commission !

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