La différenciation territoriale est un sujet compliqué, car il existe des différences de richesses comme de projets. Dès lors que l'on accepte ce principe, on accepte une forme d'inégalité. Dans la réalité, les départements ont des positions différentes : l'Orne, par exemple, veut reprendre la compétence sur les forêts, ce qu'aucun autre département ne souhaite. Pourquoi ne pas la lui accorder ? Procédons sur la base du volontariat sur les différents sujets, même s'il est vrai qu'il existe un risque d'aggravation des inégalités.
C'est également valable pour les nouvelles organisations. En Île-de-France, les Hauts-de-Seine et les Yvelines cherchent à fusionner, même si l'État se méfie de la concentration de richesse que cela provoquerait, certains considèrent que la métropole du Grand Paris ne sert à rien, d'autres que la région tout entière doit constituer la métropole...
On ne se rend pas toujours compte qu'entre les départements il y a énormément de coopérations, de fusions, d'achats en commun de matériel, etc. À mon sens, il faut laisser faire, avec pour limite l'objectif de ne pas créer plus de pauvreté et d'inégalité.
S'agissant des métropoles, aucune d'entre elles, en dehors de Lyon, n'a souhaité fusionner avec le département. Même à Marseille, où le département et la métropole étaient sous la même autorité, les réticences du pays d'Arles ont eu raison du processus. Il faut donc faire preuve de pragmatisme et le Sénat devra faire entendre sa voix à ce sujet dans la discussion du projet de loi 3D.
Concernant l'ANCT, le risque principal, à mon sens, est qu'elle ne serve à rien, comme je l'ai dit à son directeur. D'ailleurs, presqu'aucune agence n'a souhaité en faire partie. Cependant, il est possible que certains préfets soient plus dynamiques que d'autres.
S'agissant de l'Île-de-France, c'est une énorme région, très compliquée. Les départements s'y sont battus pour leur existence, d'abord, puis pour conserver la totalité des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) et le Conseil constitutionnel les a soutenus. Je ne crois pas beaucoup à la métropole dans sa forme actuelle, peut-être parce que je ne vois pas la réalité de son travail. Nous sommes, à mon sens, face à un avenir ouvert ; attendons les résultats des différentes élections locales qui permettront aux Franciliens de décider de leur organisation.
Françoise Gatel a évoqué les problèmes entre les métropoles et les départements, mais il me semble que les dévolutions de pouvoir se sont plutôt bien passées : les métropoles n'ont pas souhaité se charger du social, car il s'agit d'une source de difficultés. Les relations ont été tendues à Dijon et à Montpellier, mais des compromis ont été trouvés.
Vous avez raison, le vieillissement nous inquiète, d'autant plus que c'est nous qui héritons de sa gestion. À mon sens, il faudra créer un cinquième risque ; à défaut, nous serons conduits à bricoler. C'est la raison pour laquelle, me semble-t-il, le Gouvernement prend tout son temps sur le projet de loi « Grand âge ».
Rémy Pointereau évoque les menaces qui pèsent sur les départements. Une bagarre a eu lieu entre les intercommunalités et les départements, à l'occasion de la loi NOTRe, menée par Estelle Grelier et Marylise Lebranchu, en effet. Votre collègue André Vallini avait même indiqué qu'il fallait « dévitaliser les départements ». Cette ambition n'a heureusement pas prospéré. Aujourd'hui, il faut trouver des équilibres locaux, organiser des conférences régulières entre intercommunalités et départements et faire en sorte que les régions ne passent pas outre les départements en travaillant avec les intercommunalités. À l'occasion des CPER précédents, qui impliquaient les anciennes régions, certains préfets avaient organisé des conférences avec les départements, les intercommunalités et la région, d'autres avaient seulement mobilisé les régions.
Il est absurde que les nouveaux CPER ne comprennent pas les routes. Ce volet a été prolongé de deux ans dans les CPER précédents, car les objectifs n'avaient pas été réalisés, mais si on ne met pas les départements autour de la table, cela ne marchera pas, même si les routes n'entrent pas directement dans leurs compétences, d'autant qu'ils sont des financeurs. Je finance d'ailleurs du ferroviaire, l'université, etc. Toutes choses qui ne relèvent pas de la compétence du département, mais personne ne m'a jamais dit de ne pas le faire !
Certains départements considèrent que, leurs routes coûtant très cher, il est préférable que l'État en garde le contrôle, mais d'autres ne sont pas du même avis. Nous avons demandé à Élisabeth Borne et à Jean-Baptiste Djebbari de nous faire des propositions à ce sujet, mais en se gardant de prévoir un Grand Soir. Si des départements le souhaitent, un transfert devra être prévu, mais il faudra que les termes en soient bien négociés et que tout soit prévu ; si, à l'inverse, des départements n'en veulent pas, l'État devra conserver ses prérogatives. En outre se pose le problème des axes : la RN10, par exemple, qui est le plus gros aspirateur de camions d'Europe, traverse cinq départements. Les régions n'ayant pas de moyens routiers, je ne les vois pas entrer dans le jeu ; il faudra peut-être mettre en place des syndicats interdépartementaux ou trouver des accords avec l'État.
Corinne Féret a raison, cette règle du 1,2 % est très contraignante et injuste, mais son application dépend tout de même beaucoup des préfets : certains d'entre eux sont plus souples que d'autres. Ce n'est pas le rôle de l'État de dire aux collectivités ce qu'elles doivent dépenser. Cela conduit à des situations absurdes : par exemple, on nous demande de ne pas financer les casernes, mais on exige que nous accordions aux pompiers une prime de feu.
L'adaptation des normes, évoquée par Bernard Delcros, peut constituer un domaine de différenciation, même si cela nous conduit à exercer un pouvoir réglementaire, et offrir un moyen de différencier sans provoquer d'inégalités.
Les 250 millions d'euros en plus sont en effet destinés à remplacer le Fonds d'urgence de l'État, mais c'est une somme très insuffisante à l'échelle nationale au vu des défis en termes de catastrophes naturelles auxquels l'État devra faire face.
Hervé Gillé a évoqué les relations entre l'ingénierie de l'État et celle des départements. Il faut dire qu'il n'y a plus beaucoup d'ingénierie au niveau de l'État ; nous en assurons l'essentiel, et, après l'élaboration des CPER, nous devrons être très présents.
François Calvet a raison : le Gouvernement n'est pas clair. Jacqueline Gourault affirme ainsi qu'elle place en dehors du CPER tout ce qui court de 2021 à 2025, alors que certains préfets de région, et Élisabeth Borne, entendent inclure la part concernant les infrastructures. Sur ce point, le Sénat peut amener le Gouvernement à préciser sa position. Le problème est que l'État n'a pas d'argent, en particulier depuis l'abandon de l'écotaxe, qui a privé l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) de la moitié des budgets prévus.
Charles Guené a posé la vraie question : la décentralisation oui, mais avec quelles ressources ? Nous avons la chance de disposer de DMTO avantageux, mais cela peut changer. Or, sans DMTO, beaucoup de départements ne pourraient pas boucler leur budget. C'est pourquoi je reste partisan d'une loi annuelle de financement des collectivités sous le contrôle du Parlement.
Enfin, sur la solidarité, je partage l'avis de Raymond Vall : je ne crois pas que l'ANCT prendra en charge le rééquilibrage. En revanche, je ne suis pas inquiet pour l'avenir des départements, parce que les grandes régions nous ont donné de la visibilité. Certes, il y a des intercommunalités qui fonctionnent très bien, notamment les anciennes, mais certaines des nouvelles ne sont pas encore optimales et, sans les départements, la ruralité et les villes moyennes se trouveraient en difficulté. Les quatre niveaux français ne constituent pas une faiblesse, pourvu que les acteurs s'entendent bien entre eux et portent les dossiers en commun. À l'exception de quelques bagarres, tout le monde a réussi à travailler ensemble. J'en veux pour exemple le dossier de la fibre.
Qui fibre la France aujourd'hui ? Ce sont les départements, sauf dans les zones AMII - appel à manifestation d'intention d'investissement - : c'est bien la preuve que les départements sont adaptés aux temps modernes.