Je vous prie d'excuser l'absence du président Jean-Marie Bockel, qui ne peut être parmi nous aujourd'hui.
Nous recevons ce matin une délégation de l'Assemblée des départements de France (ADF), conduite par M. Dominique Bussereau, président de l'ADF et président du conseil départemental de la Charente-Maritime, accompagné de M. Olivier Richefou, président du conseil départemental de la Mayenne - Stéphane Troussel, président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, qui ne peut se joindre à nous, nous présente ses excuses. Je vous remercie de votre présence.
Notre table ronde s'inscrit dans le cycle d'auditions des associations d'élus que notre délégation a ouvert à l'automne dernier avec l'Association des maires de France (AMF), dont nous avons reçu une délégation en septembre 2019, puis France urbaine en octobre.
Après la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, dite loi « Engagement et Proximité », l'actualité de l'année 2020 est riche pour les territoires, avec le projet de loi 3D - décentralisation, différenciation et déconcentration -, pour lequel le Gouvernement a lancé une première phase de concertation, avant un possible dépôt en première lecture au Sénat en octobre prochain. Pour ceux de nos collègues qui ont participé à la réunion organisée au ministère par Mme Jacqueline Gourault le 7 janvier 2020, il a été davantage question de la méthode que des enjeux de fond. Pourtant, tant sur la méthode que sur le fond, ce texte est, pour nous, l'occasion d'engager une réelle concertation avec le terrain et les élus locaux, afin de redonner de la clarté et de la visibilité à la décentralisation, de prévoir éventuellement une nouvelle vague de transferts de compétences, qui pourraient être fondés sur le principe de subsidiarité suivant lequel c'est à l'échelon le plus efficace localement que reviendrait la compétence.
La décentralisation pose aussi la question du maintien d'un État efficace et présent dans les territoires. Est-ce que les services déconcentrés sont en mesure d'assumer davantage de déconcentration ? Comment faire en sorte que l'autonomie des collectivités soit une réalité, notamment au regard de la fiscalité locale et des questions financières ?
Notre rencontre est l'occasion de faire le point sur les sujets importants pour les départements. Le projet de loi 3D, la limitation de vitesse à 80 km/h, la prise en charge des mineurs non accompagnés ou encore, m'a-t-on dit, la préparation des Jeux Olympiques de 2024, dont il est prévu que la flamme traverse tous les départements de France.
En préambule, permettez-moi de dire quelques mots sur l'actualité des départements.
Le projet de loi 3D est important, sa préparation est donc essentielle cette année, et je vous remercie du travail que vous conduisez déjà. Je vous remercie, au nom de l'ADF, d'avoir corrigé, lors de la commission mixte paritaire sur la loi Engagement et Proximité, certains des travers de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe. Les associations d'élus demandent maintenant une nouvelle phase de décentralisation, ambitieuse - et le Gouvernement y répond avec ce texte, dit « 3D », dont le contenu est à travailler.
Sur la déconcentration, peu de choses à dire : tous les gouvernements l'ont pratiquée. Il s'agit surtout de mesures réglementaires. Nous pensons que le rôle des préfets de département a besoin d'être renforcé. Je le constate dans ma région, vaste comme la Belgique : les préfets de département reçoivent en décalé des informations importantes, du seul fait que la direction régionale a son siège dans un autre département et qu'elle communique directement avec le ministère. Les préfets de département ont besoin d'équipes plus étoffées : nous aurions préféré que le ministère aille dans ce sens, plutôt que de renforcer l'administration centrale.
Peu de choses à dire également sur la différenciation : nous voyons combien elle est légitime, par exemple, avec les collectivités ultramarines, qui ont chacune un statut particulier.
Concernant la décentralisation, tout l'enjeu est de savoir ce que l'on y met, ce que l'on entend par là. Pour nous, il s'agit d'abord de renforcer la souplesse, la subsidiarité, davantage qu'on ne l'a fait dans la loi NOTRe. Les collectivités doivent pouvoir contractualiser plus facilement entre elles. Je vous renvoie au rapport de Jean-Léonce Dupont, intitulé New Deal départemental, que l'ADF a adopté le 13 février 2019 et qui préfigure une nouvelle donne départementale conjuguant des principes de responsabilité, d'efficacité et d'égalité, incarnant pleinement les solidarités sociales et territoriales : il y a des marges de progrès importantes dans l'organisation même des départements. Attention, il ne s'agit nullement de reprendre des compétences à d'autres collectivités, mais de mieux les articuler. Dans de nombreux domaines comme l'énergie, le logement, le médico-social, nous pourrions commencer par reprendre des compétences que l'État n'assume plus et qu'il ne veut plus assumer. Je pense, par exemple, à la médecine scolaire ou, dans certains départements, à la voirie nationale - en Charente-Maritime, nous avons 134 kilomètres de voies nationales surtout enchâssées dans des voies départementales, et nous pourrions en reprendre la compétence et les équipes. Les départements sont donc demandeurs de plus de décentralisation, mais nous sommes tout de même un peu méfiants face à un gouvernement qui n'a pas été décentralisateur en deux ans et demi.
J'évoquerai maintenant les finances départementales. Nous avons à déplorer la suppression de la part du foncier bâti à compter de 2021, qui met en cause l'autonomie fiscale des départements. Un exemple : en Charente-Maritime, après la tempête Xynthia - qui avait fait douze morts dans le département -, nous avions dû augmenter la taxe foncière pour faire face à nos besoins. Il nous faut donc un tel outil d'ajustement. Le Gouvernement nous promet une compensation intégrale, mais on sait ce qu'il en est : Bercy trouve toujours un moyen de diminuer même de quelques points la compensation. Grâce à votre saisine, le Conseil constitutionnel a posé des garde-fous ; nous serons vigilants. Un point positif pour cette année, la péréquation horizontale, volontaire, pour un montant de 1,6 milliard d'euros - nous voulions 2,5 milliards d'euros en jouant sur les droits de mutation, mais le Premier ministre a refusé.
Parmi les autres dossiers à suivre de près, celui des mineurs non accompagnés. Ils représentent 2 milliards d'euros annuels de dépenses, l'État en compense 14,6 %, niveau que nous avons obtenu après d'âpres négociations... Il semble que les arrivées se réduisent, mais pas partout. Ces enfants sont accueillis par l'Aide sociale à l'enfance (ASE). Des tensions existent, c'est le moins que l'on puisse dire, et c'est ce que montre un reportage qui sera bientôt diffusé.
D'une manière générale, les dépenses sociales augmentent. C'est le cas de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA). Par ailleurs, la réforme de l'assurance chômage inquiète pour ses conséquences sur le nombre de bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA).
Sur la limitation de vitesse à 80 km/h, nous observons trois types de réaction, qui se répartissent à peu près équitablement : les départements qui veulent garder l'intégralité de leur réseau à cette vitesse, ceux qui veulent rétablir les 90 km/h et ceux qui veulent moduler, après concertation approfondie.
Autre dossier d'importance : celui des pompiers, qui sont en grève depuis mars - ils demandent que leur prime de feu soit portée de 19 % à 28 % quand le ministre de l'Intérieur veut en rester à 25 % ; la dépense supplémentaire représente environ 80 millions d'euros pour les départements. Nous demandons une compensation par l'amélioration de certains services ou par des moyens budgétaires.
Enfin, sur le financement du plan France très haut débit (THD), nous remercions le Sénat. Alors que le Gouvernement annonçait une aide de 140 millions d'euros, elle est passée, sous votre pression, à 280 millions d'euros. Cependant, cela ne suffira guère, en particulier pour financer les projets des départements qui se sont engagés tardivement ; nous sommes à leurs côtés.
S'agissant des pompiers, notre modèle est effectivement à bout de souffle, comme celui des hôpitaux - la crise est commune et la solution se trouve dans la réorganisation des deux secteurs. Les départements sont déjà à la manoeuvre pour mutualiser, réaliser des économies et, si les pompiers paraissent parfois comme les enfants gâtés de la République, leurs demandes ne sont pas illégitimes, dès lors que l'on attend d'eux qu'ils assurent plus d'urgences. Nous souhaitons qu'ils disposent de ressources supplémentaires.
La différenciation territoriale est une bonne chose, l'ADF y est favorable, dites-vous, mais, on l'a vu avec la collectivité européenne d'Alsace, ne peut-on craindre l'émergence de collectivités à statut particulier, qui pourraient parfois gêner le développement des départements ?
Ensuite, que pensez-vous du budget de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) : 50 millions d'euros seulement, n'est-ce pas inquiétant pour répondre aux besoins d'ingénierie des départements ?
Lors de ses voeux, le président Larcher a eu cette formule heureuse : « oui aux 3 D, mais pour un seul R : la République ». Nous l'avons constaté dans le débat sur la collectivité européenne d'Alsace, les demandes peuvent aller très loin. Où fixer la limite ? Ensuite, quelle est l'articulation entre département et métropole ? Le Gouvernement dit qu'il écoute tout le monde, mais vers quoi s'oriente-t-on ? L'ADF peut-elle nous exposer ses préférences pour que cela ne soit pas vécu comme « lèse-département » ?
Je partage les questions posées par Mathieu Darnaud et Philippe Dallier à propos de la spécificité de la métropole du Grand Paris. Cependant, il existe également des métropoles dans les départements : en Ille-et-Vilaine, par exemple, la solidarité entre la métropole et le reste du département est un vrai sujet. Qu'en est-il du pacte de solidarité dans les départements contenant une métropole ?
La petite musique de la différenciation territoriale se fait doubler aujourd'hui par celle de l'égalité. Certains craignent en effet que cette différenciation encourage ceux qui avancent et qui ont les moyens, mais rende la situation plus difficile pour les plus faibles. La réalité vécue par les départements diffère d'ailleurs selon la taille des régions.
Je souhaite évoquer le vieillissement de la population, qui est un sujet considérable aujourd'hui. Quelle part doit en être prise en charge par l'État et par les départements ? Comment voyez-vous sa prise en charge avec les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) hors les murs ?
S'agissant des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), les communes sont très contributrices. Il est donc important qu'elles soient associées en amont aux décisions. Nous assistons en effet à un important changement de fonctions des pompiers, qui sont, certes, des intouchables sacrés, mais aussi des enfants gâtés.
Chacun le sait, je suis très départementaliste. Les départements ont été menacés, mais ils ont été sauvés grâce aux grandes régions. Aujourd'hui, ils sont de nouveau menacés par la métropolisation, mais aussi par l'organisation en pôles d'équilibre territoriaux et ruraux (PETR). Comment saisir l'occasion du projet de loi 3D pour récupérer des compétences, notamment économiques, sur les petits commerces et l'artisanat, pour lesquelles la région n'est pas efficace ?
S'agissant de la loi relative à l'exercice des compétences des collectivités territoriales dans le domaine de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations (Gemapi), les communautés de communes de petite taille sont incapables de mettre en oeuvre les travaux importants qu'elle requiert. Je pense, par exemple, aux digues de la Loire. Les départements devraient en reprendre la charge pour les soulager, d'autant qu'ils disposent du personnel compétent.
Enfin, souvent, les régions discutent directement avec les intercommunalités, au détriment des compétences des départements en matière de solidarité territoriale. Comment organiser ces échanges ?
S'agissant du SDIS, tout d'abord, les sollicitations sont fortes mais les pompiers constituent un corps privilégié par statut. Nous sommes donc pris dans un jeu pervers : l'État pousse, mais les collectivités payent !
S'agissant de la différenciation, il faut, certes, éviter les inégalités de traitement, mais il s'agit également d'une occasion pour les collectivités de créer de la richesse en prenant des initiatives. Je ne voudrais pas que ces marges de manoeuvre s'effacent au motif que toutes les collectivités ne se trouvent pas dans la même situation.
En matière de décentralisation des routes, nous avons demandé à Mme la ministre de préciser les moyens que l'État entendait mobiliser. Rappelons que si une partie du réseau national n'a pas été transférée, c'est parce que l'État n'a pas voulu prendre les engagements financiers nécessaires auprès des collectivités. Ce dossier doit donc être négocié globalement, car il ne faudrait pas que des discussions au coup par coup s'engagent. Dans mon département, il existe une voie rapide urbaine et une route nationale, qui a été conservée car elle représentait un grand risque. Or ce ne sont pas les collectivités qui cherchent à en obtenir la responsabilité, mais bien les concessionnaires autoroutiers, qui sollicitent l'État en pensant au « coup d'après », au moment où ces infrastructures pourront être intégrées dans leur réseau. Il me semble donc important que l'ADF veille à cela.
Je voudrais évoquer les finances départementales face aux contraintes issues du pacte de Cahors, en liant cette question à la perte d'autonomie, qui crée des besoins en termes de revalorisation des salaires, de qualifications nouvelles, de milliers de postes à créer. Comment les départements pourraient-ils accompagner ces évolutions indispensables, malgré la contrainte que représente la limite d'évolution des dépenses de fonctionnement à 1,2 % ? L'ADF a-t-elle engagé des discussions avec le Gouvernement sur ce sujet ? Je relève, en outre, que le projet de loi sur le grand âge, dont on nous parle depuis longtemps, n'est toujours pas à l'ordre du jour, et que la dernière loi de financement de la sécurité sociale ne prévoyait pas beaucoup de crédits. Les départements pourraient donc être fortement sollicités, mais dans quelles conditions, eu égard aux contraintes du pacte de Cahors ?
Tous les départements ne demandent pas le transfert des routes nationales ; il ne faudrait pas arguer du fait que certains le souhaitent pour l'imposer à tous et se débarrasser ainsi de la charge. Dans le Cantal, il existe une route nationale structurante très coûteuse ; veillons à ne pas opérer de transfert lorsque le département ne le souhaite pas.
En matière de différenciation, il me semble qu'il faut avancer sur l'adaptation des normes et des réglementations aux réalités du terrain, car nous nous trouvons chaque jour dans des situations invraisemblables.
Enfin, s'agissant des finances, je vous remercie de votre travail pour améliorer la péréquation horizontale. Les 250 millions de TVA supplémentaires transférés vers les départements à l'occasion de la mise en oeuvre de la réforme de la fiscalité locale en 2021 devraient être affectés à la péréquation et servir à alimenter un fonds de solidarité. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Un exemple des difficultés auxquelles nous faisons face : le président du conseil départemental de la Gironde a proposé à l'État de s'associer à son guide d'ingénierie territoriale particulièrement nourri dans le département, en respectant ses conditions, mais il n'a pas obtenu de réponse.
Vous avez évoqué la nécessité de mettre en place des coopérations. Il me semble qu'il faut travailler sur les formes de coopération à instituer entre les strates. Dans les contrats de plan État-région (CPER), par exemple, les départements sont souvent absents et ne sont pas suffisamment sollicités. Les parlementaires que nous sommes peinons à évaluer les CPER précédents, comme à trouver notre place dans le suivi de leur élaboration.
Enfin, la subsidiarité est une notion intéressante, mais elle doit être approfondie sur le plan politique, pour que nous puissions déterminer comment accompagner ce processus.
S'agissant des contrats de plan, le réseau routier en est exclu, pour la première fois. Mme Jacqueline Gourault nous a expliqué qu'elle était responsable de cette évolution, nous sommes donc inquiets quant au devenir des routes nationales. Ne pourrions-nous pas créer un réseau d'intérêt régional sur les routes structurantes, qui serait géré par les départements, mais au moyen d'un contrat clair ?
Qu'en est-il des expérimentations prévues dans la loi de décentralisation dite Raffarin de 2004 ? Y êtes-vous favorable ? Sur quel sujet pourraient-elles porter ?
En effet, le Cantal n'a qu'une seule route nationale, qui relie Massiac à Figeac et se termine en cul-de-sac. Vue depuis la région, elle pourrait ne pas être considérée comme structurante, mais nous ne souhaitons pas qu'elle soit transférée à la charge du département, qui a peu de moyens. Sans la péréquation horizontale, celui-ci n'aurait en effet pas pu financer autre chose que les dépenses obligatoires.
Beaucoup de départements demandent l'autonomie financière, mais quelle est la pertinence d'une telle évolution dans les départements très pauvres ? Pour nous, c'est une perspective effrayante.
Comment voyez-vous l'emboîtement entre l'ANCT et l'ingénierie territoriale des départements ? L'ANCT disposera de très peu de moyens, comment coordonner son action avec celle des agences départementales afin d'éviter que les uns marchent sur les platebandes des autres ?
J'ai évoqué la question des finances locales devant Mme Jacqueline Gourault, elle m'a répondu que le projet de loi 3D n'était pas un texte fiscal. C'est pourtant, à mon sens, le nerf de la guerre. Comment l'ADF approche-t-elle ce sujet ? Si un transfert devait être décidé, il faudra se pencher sur l'évaluation des charges et des coûts, car la ressource fiscale est aujourd'hui partagée de manière particulièrement erratique et la territorialisation fiscale est condamnée. Cela passera, à mon sens, par des impôts nationaux, mais cela impliquera également de mettre en place une nouvelle gouvernance fiscale entre l'État et les collectivités. Où en est la réflexion des départements sur ce sujet ?
Tout ce qui va être décidé devra tenir compte de l'inégalité territoriale. Dans certains domaines, par exemple celui de la santé, on est au bord de l'explosion : attention à ne pas s'appuyer, pour les expérimentations, sur l'exemple des seuls territoires les plus riches.
Dans le domaine économique, certaines interventions créent des disparités entre départements, ce qui est difficilement acceptable. J'espère que ce que décidera l'ANCT contribuera au rééquilibrage. Dans le Gers, par exemple, nous avons accumulé des décennies de retard dans l'aménagement des réseaux routier et ferré. Avant de transférer quoi que ce soit, il faut rééquilibrer ; à défaut, il ne s'agira que d'un marché de dupes.
La différenciation territoriale est un sujet compliqué, car il existe des différences de richesses comme de projets. Dès lors que l'on accepte ce principe, on accepte une forme d'inégalité. Dans la réalité, les départements ont des positions différentes : l'Orne, par exemple, veut reprendre la compétence sur les forêts, ce qu'aucun autre département ne souhaite. Pourquoi ne pas la lui accorder ? Procédons sur la base du volontariat sur les différents sujets, même s'il est vrai qu'il existe un risque d'aggravation des inégalités.
C'est également valable pour les nouvelles organisations. En Île-de-France, les Hauts-de-Seine et les Yvelines cherchent à fusionner, même si l'État se méfie de la concentration de richesse que cela provoquerait, certains considèrent que la métropole du Grand Paris ne sert à rien, d'autres que la région tout entière doit constituer la métropole...
On ne se rend pas toujours compte qu'entre les départements il y a énormément de coopérations, de fusions, d'achats en commun de matériel, etc. À mon sens, il faut laisser faire, avec pour limite l'objectif de ne pas créer plus de pauvreté et d'inégalité.
S'agissant des métropoles, aucune d'entre elles, en dehors de Lyon, n'a souhaité fusionner avec le département. Même à Marseille, où le département et la métropole étaient sous la même autorité, les réticences du pays d'Arles ont eu raison du processus. Il faut donc faire preuve de pragmatisme et le Sénat devra faire entendre sa voix à ce sujet dans la discussion du projet de loi 3D.
Concernant l'ANCT, le risque principal, à mon sens, est qu'elle ne serve à rien, comme je l'ai dit à son directeur. D'ailleurs, presqu'aucune agence n'a souhaité en faire partie. Cependant, il est possible que certains préfets soient plus dynamiques que d'autres.
S'agissant de l'Île-de-France, c'est une énorme région, très compliquée. Les départements s'y sont battus pour leur existence, d'abord, puis pour conserver la totalité des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) et le Conseil constitutionnel les a soutenus. Je ne crois pas beaucoup à la métropole dans sa forme actuelle, peut-être parce que je ne vois pas la réalité de son travail. Nous sommes, à mon sens, face à un avenir ouvert ; attendons les résultats des différentes élections locales qui permettront aux Franciliens de décider de leur organisation.
Françoise Gatel a évoqué les problèmes entre les métropoles et les départements, mais il me semble que les dévolutions de pouvoir se sont plutôt bien passées : les métropoles n'ont pas souhaité se charger du social, car il s'agit d'une source de difficultés. Les relations ont été tendues à Dijon et à Montpellier, mais des compromis ont été trouvés.
Vous avez raison, le vieillissement nous inquiète, d'autant plus que c'est nous qui héritons de sa gestion. À mon sens, il faudra créer un cinquième risque ; à défaut, nous serons conduits à bricoler. C'est la raison pour laquelle, me semble-t-il, le Gouvernement prend tout son temps sur le projet de loi « Grand âge ».
Rémy Pointereau évoque les menaces qui pèsent sur les départements. Une bagarre a eu lieu entre les intercommunalités et les départements, à l'occasion de la loi NOTRe, menée par Estelle Grelier et Marylise Lebranchu, en effet. Votre collègue André Vallini avait même indiqué qu'il fallait « dévitaliser les départements ». Cette ambition n'a heureusement pas prospéré. Aujourd'hui, il faut trouver des équilibres locaux, organiser des conférences régulières entre intercommunalités et départements et faire en sorte que les régions ne passent pas outre les départements en travaillant avec les intercommunalités. À l'occasion des CPER précédents, qui impliquaient les anciennes régions, certains préfets avaient organisé des conférences avec les départements, les intercommunalités et la région, d'autres avaient seulement mobilisé les régions.
Il est absurde que les nouveaux CPER ne comprennent pas les routes. Ce volet a été prolongé de deux ans dans les CPER précédents, car les objectifs n'avaient pas été réalisés, mais si on ne met pas les départements autour de la table, cela ne marchera pas, même si les routes n'entrent pas directement dans leurs compétences, d'autant qu'ils sont des financeurs. Je finance d'ailleurs du ferroviaire, l'université, etc. Toutes choses qui ne relèvent pas de la compétence du département, mais personne ne m'a jamais dit de ne pas le faire !
Certains départements considèrent que, leurs routes coûtant très cher, il est préférable que l'État en garde le contrôle, mais d'autres ne sont pas du même avis. Nous avons demandé à Élisabeth Borne et à Jean-Baptiste Djebbari de nous faire des propositions à ce sujet, mais en se gardant de prévoir un Grand Soir. Si des départements le souhaitent, un transfert devra être prévu, mais il faudra que les termes en soient bien négociés et que tout soit prévu ; si, à l'inverse, des départements n'en veulent pas, l'État devra conserver ses prérogatives. En outre se pose le problème des axes : la RN10, par exemple, qui est le plus gros aspirateur de camions d'Europe, traverse cinq départements. Les régions n'ayant pas de moyens routiers, je ne les vois pas entrer dans le jeu ; il faudra peut-être mettre en place des syndicats interdépartementaux ou trouver des accords avec l'État.
Corinne Féret a raison, cette règle du 1,2 % est très contraignante et injuste, mais son application dépend tout de même beaucoup des préfets : certains d'entre eux sont plus souples que d'autres. Ce n'est pas le rôle de l'État de dire aux collectivités ce qu'elles doivent dépenser. Cela conduit à des situations absurdes : par exemple, on nous demande de ne pas financer les casernes, mais on exige que nous accordions aux pompiers une prime de feu.
L'adaptation des normes, évoquée par Bernard Delcros, peut constituer un domaine de différenciation, même si cela nous conduit à exercer un pouvoir réglementaire, et offrir un moyen de différencier sans provoquer d'inégalités.
Les 250 millions d'euros en plus sont en effet destinés à remplacer le Fonds d'urgence de l'État, mais c'est une somme très insuffisante à l'échelle nationale au vu des défis en termes de catastrophes naturelles auxquels l'État devra faire face.
Hervé Gillé a évoqué les relations entre l'ingénierie de l'État et celle des départements. Il faut dire qu'il n'y a plus beaucoup d'ingénierie au niveau de l'État ; nous en assurons l'essentiel, et, après l'élaboration des CPER, nous devrons être très présents.
François Calvet a raison : le Gouvernement n'est pas clair. Jacqueline Gourault affirme ainsi qu'elle place en dehors du CPER tout ce qui court de 2021 à 2025, alors que certains préfets de région, et Élisabeth Borne, entendent inclure la part concernant les infrastructures. Sur ce point, le Sénat peut amener le Gouvernement à préciser sa position. Le problème est que l'État n'a pas d'argent, en particulier depuis l'abandon de l'écotaxe, qui a privé l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) de la moitié des budgets prévus.
Charles Guené a posé la vraie question : la décentralisation oui, mais avec quelles ressources ? Nous avons la chance de disposer de DMTO avantageux, mais cela peut changer. Or, sans DMTO, beaucoup de départements ne pourraient pas boucler leur budget. C'est pourquoi je reste partisan d'une loi annuelle de financement des collectivités sous le contrôle du Parlement.
Enfin, sur la solidarité, je partage l'avis de Raymond Vall : je ne crois pas que l'ANCT prendra en charge le rééquilibrage. En revanche, je ne suis pas inquiet pour l'avenir des départements, parce que les grandes régions nous ont donné de la visibilité. Certes, il y a des intercommunalités qui fonctionnent très bien, notamment les anciennes, mais certaines des nouvelles ne sont pas encore optimales et, sans les départements, la ruralité et les villes moyennes se trouveraient en difficulté. Les quatre niveaux français ne constituent pas une faiblesse, pourvu que les acteurs s'entendent bien entre eux et portent les dossiers en commun. À l'exception de quelques bagarres, tout le monde a réussi à travailler ensemble. J'en veux pour exemple le dossier de la fibre.
Qui fibre la France aujourd'hui ? Ce sont les départements, sauf dans les zones AMII - appel à manifestation d'intention d'investissement - : c'est bien la preuve que les départements sont adaptés aux temps modernes.
Au sujet des routes, laissons la liberté à chaque territoire. Des contrats ont été mis en place, par exemple en Bretagne ou dans les Pays de la Loire à la suite de l'abandon malheureux de Notre-Dame des Landes. Le passage de la limitation de la vitesse à 90 km/h sur les routes départementales alors que les routes nationales resteront à 80 km/h, cela peut être un problème... Si l'on compare les effectifs dédiés aux routes départementales et aux routes nationales, on est dans un rapport de 1 à 3 ; nos agences physiques font double emploi ; le partage d'une machine à peinture relève du parcours du combattant. Nous devons aller vers une meilleure mutualisation des moyens humains et techniques sur les territoires.
S'agissant de la compétence économique, dans certains départements, la région n'investit que sur les gros projets faute de moyens humains. La région doit certes continuer à coordonner, mais les départements doivent être autorisés, en accord avec les régions, à accompagner les petits projets de proximité, notamment dans les parties les plus rurales de nos territoires.
Sur le sujet de la différenciation, l'ADF a mis en oeuvre une péréquation qui a vocation à être un bon socle et qui pourrait être étendue si nécessaire, notamment si nous devions connaître une crise des DMTO - qui constituent la seule variable d'ajustement de nos territoires. Cette différenciation pourrait trouver à s'appliquer dans les politiques en faveur des personnes âgées : à quoi rime le double pilotage des EHPAD, par le département et l'ARS ? Certains départements demandent un pilotage unique, par délégation des budgets des ARS.
Dans de nombreux départements, les EPCI ne vont pas avoir les moyens de s'engager dans les dossiers de mobilité. Les départements vont, ici aussi, jouer leur rôle de grand frère, en lien avec les régions.
En matière de gestion des pompiers, le département est pilote : l'État n'est là que pour vérifier le respect des normes de sécurité - c'est peut-être un modèle pour les EHPAD. Nous allons trouver un accord avec les syndicats de pompiers. Il est surtout important de diminuer les coûts, car, comparés aux autres pays européens, nous avons plus de pompiers professionnels par intervention. Il faut optimiser les interventions et stabiliser les recrutements, ce qui stabilisera les dépenses des communes et des départements.
Notre délégation a créé un groupe de travail, présidé par le président Bockel, dont les quatre rapporteurs sont Bernard Delcros, Jean-François Husson, Franck Montaugé et Raymond Vall. Le groupe comportait cinq autres membres : Françoise Gatel, Charles Guené, Jean-Claude Luche, Christian Manable et Rémy Pointereau.
Une douzaine d'auditions et de tables rondes ont été organisées, ainsi que cinq déplacements - dans le Cantal, les Ardennes, le Gers et en Haute-Garonne ainsi qu'en Autriche. Un colloque, organisé le 7 novembre dernier, a permis à de nombreux élus locaux de terrain d'exposer leurs expériences.
Jean-Marie Bockel et les rapporteurs ont choisi de ne pas se complaire dans une vision négative et décliniste de la ruralité mais, au contraire, d'en montrer les atouts et le dynamisme. Ils ont également souhaité faire des propositions réalistes, notamment du point de vue budgétaire, ce qui n'empêche pas le rapport de fourmiller d'ambitieuses recommandations.
Enfin, tout en considérant que le développement des territoires ruraux ne pouvait faire l'impasse sur le partenariat entre l'État et les collectivités, ils se sont attachés à valoriser les bonnes pratiques mises en oeuvre par ces dernières en faveur de leurs territoires.
Je tiens tout d'abord à remercier notre président Jean-Marie Bockel pour la conduite de nos travaux.
Premier constat : la politique consacrée aux ruralités ne se résume pas à des questions institutionnelles, budgétaires ou administratives. Les acteurs ruraux ont besoin de considération et de reconnaissance. Cette exigence de reconnaissance se conjugue à une demande d'équité par rapport à l'ensemble des territoires français. La stigmatisation symbolique et statistique dont souffrent les territoires ruraux est d'autant plus inacceptable que ceux-ci sont très divers et le plus souvent dynamiques.
Qu'on le veuille ou non, le sentiment d'abandon est vif parmi les Français qui vivent dans ces territoires ruraux. D'après une récente étude de l'Institut français d'opinion publique (IFOP), 51 % des ruraux et 62 % des Français estiment que le monde rural est abandonné ; deux tiers des Français et près de la moitié des ruraux placent la « France des campagnes » en tête des territoires délaissés, devant la « France des banlieues » ou la « France périurbaine ».
Le langage dévalorise fréquemment les ruralités, et les statistiques ont peu à peu réduit la place du rural, qui n'est plus appréhendé que par le prisme de l'urbain. C'est ainsi qu'avec le zonage en aires urbaines, depuis 2010 les communes non urbaines sont désormais identifiées comme « communes isolées hors influence des pôles urbains ». L'Insee titrait en 2011 : « 95 % de la population vit sous l'influence des villes » ; et le CGET d'affirmer : « Près de 83 % de la population française vit aujourd'hui dans une grande aire urbaine. »
Or, d'autres modes de calcul, fondés sur la densité de population et sur les bassins de vie, aboutissent à des chiffres qui réévaluent très sensiblement la part rurale de la population nationale, qui atteint alors plus de 30 % de la population. Cet enjeu est essentiel, puisque de lui dépend largement l'intérêt que vont porter les médias, les institutions politiques, les autorités administratives ou les entreprises à ce monde rural. J'ai lu récemment que le Gouvernement s'engageait à développer la 5G prioritairement dans les territoires d'industrie : cela ne va pas du tout dans le bon sens !
Le groupe de travail rejoint les propositions du rapport de la mission pour l'Agenda rural relatives au développement d'autres indicateurs statistiques. L'Insee va lancer une réflexion en ce sens. L'enjeu est de mieux reconnaître les apports des ruralités à la société, ce que l'on appelle les aménités - ou les externalités positives - rurales. Certaines de ces aménités sont subjectives - beauté, charme, ampleur du paysage - ; d'autres sont plus objectives et peuvent être considérées comme un stock de ressources : zones aquatiques, aires résidentielles, qualité de l'air, patrimoine historique et culturel, etc.
Notre groupe de travail recommande d'engager une réflexion avec l'INSEE pour définir bouquet d'aménités qui serait utilisé dans la décision publique, par exemple pour fixer le niveau des dotations.
Pour jouer à plein leur rôle d'incitation, les collectivités et leurs groupements doivent pouvoir s'appuyer sur un partenariat effectif et solide avec l'État.
Nous nous sommes rendus en Autriche : le budget des neuf Länder autrichiens dépasse les 34 milliards d'euros pour une population de seulement 8,7 millions d'habitants, alors que le budget français des régions n'est que de 32 milliards d'euros pour 63 millions d'habitants. Les moyens des collectivités françaises ne leur permettant pas de tout faire, l'État doit les aider et faire jouer, en leur faveur, la solidarité nationale.
Dans un rapport de 2016, nos collègues Éric Doligé et Marie-Françoise Perol-Dumont avaient relevé trois obstacles à l'efficacité des administrations déconcentrées dans leurs relations avec les collectivités : l'insuffisante cohérence de l'État déconcentré ; la contradiction entre l'affaiblissement progressif des services déconcentrés et la propension intacte de l'État à toucher à tout ; ainsi que l'éloignement et le désengagement de l'État, avec notamment la fermeture de services publics.
La situation décrite en 2016 s'est aggravée et l'État central doit mieux prendre en compte les territoires ruraux dans la définition de ses politiques - la parenthèse non refermée des « gilets jaunes » nous l'a rappelé. L'État doit devenir plus facilitateur que contrôleur. Enfin, l'État doit garantir un socle minimal de services dans les territoires. Le soutien aux territoires ruraux est une composante de la solidarité nationale, qui doit permettre de renforcer l'investissement et de moderniser ces territoires.
Il nous paraît d'abord indispensable de garantir une vision intégrée et interministérielle du soutien et de l'accompagnement des territoires ruraux : nous proposons de désigner, auprès de chaque ministre, un haut fonctionnaire aux ruralités.
Ces territoires ont aussi besoin d'une programmation pluriannuelle de moyen et long terme, par exemple via un programme budgétaire spécifique au sein de la mission « Cohésion des territoires » et, éventuellement, la présentation par le Gouvernement d'un projet de loi d'orientation budgétaire pour les territoires ruraux.
Pour établir cette programmation, nous avons besoin d'une meilleure connaissance de la situation des territoires ruraux et de leurs apports à la société ; il nous manque un observatoire des territoires ruraux, qui nous permettrait aussi d'observer les interactions entre territoires ruraux et urbains.
Nous suggérons la mise en place, dans les programmes des écoles du service public, de modules obligatoires sur les ruralités ainsi qu'un stage obligatoire en territoire rural.
Nous sommes convaincus que l'ANCT, à elle-seule, ne sera pas en mesure de faire évoluer les choses en matière d'ingénierie territoriale. Nous avançons donc deux propositions concrètes : pour les missions ponctuelles d'ingénierie, des référents territoriaux seraient choisis dans chaque corps d'inspection et de contrôle de l'État, afin d'intervenir au bénéfice des territoires ruraux ; pour des missions d'ingénierie plus lourdes, seraient constituées, dans chaque région, des plateformes territoriales mutualisées d'aide à l'ingénierie, formées de membres des corps de contrôle de l'État et pouvant être saisies par les collectivités territoriales ou par l'ANCT.
Je remercie à mon tour notre président Jean-Marie Bockel.
Les moyens des collectivités sont aujourd'hui très fragiles. Une des pistes pour garantir leur développement équilibré est leur regroupement, autour d'un projet. Comme l'a écrit Antoine de Saint-Exupéry : « pour réunir des hommes et des femmes, il faut leur donner un projet ».
L' Association nationale des pôles d'équilibre territoriaux et ruraux et des pays (ANPP), que je préside, regroupe 280 territoires. Or 50 % d'entre eux reconnaissent ne pas avoir de projet et, parmi ceux qui en sont dotés, 25 % estiment que leur projet est dépassé.
Ces territoires de projet doivent exploiter les forces endogènes et ouvrir leur démarche à la société civile afin de construire une dynamique. Nous disposons de plusieurs outils : l'intercommunalité - dès lors qu'elle a une dimension suffisante -, les agglomérations et les PETR. La moyenne de population des PETR se situe entre 50 000 et 80 000 habitants. Ils peuvent désormais être dotés d'un conseil de développement, sur le modèle du Conseil économique, social et environnemental régional (Ceser) placé auprès de la région. Ne faudrait-il pas revoir la loi NOTRe pour ouvrir le conseil syndical des PETR à la société civile ? Nous devons trouver une solution pour faire participer l'ensemble des acteurs du territoire à un projet qui les concerne au premier chef.
L'idée de projets de territoire n'est pas nouvelle : la loi du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, dite loi Pasqua, a créé les pays. Aujourd'hui plus que jamais, c'est une idée qui nous semble nécessaire. Le projet de territoire, c'est aussi une forme de solidarité et d'union des intercommunalités sur un territoire.
Le projet constitue également un levier de négociation avec les partenaires extérieurs : État, région, département, etc., pour s'engager dans une contractualisation. C'est d'autant plus important à l'heure des grandes régions, avec des interlocuteurs plus éloignés. Les régions, qui ont fusionné, cherchent d'ailleurs aussi des partenaires structurés pour dialoguer et identifier les dynamiques locales tout en évitant les phénomènes de concurrence territoriale. Les PETR permettent d'atteindre une taille critique en termes de moyens et d'interconnecter les territoires pour plus de solidarité. C'est pourquoi ils doivent recouvrir un territoire et un bassin de population d'une certaine importance - 40 000 ou 50 000 habitants au moins, comme c'est déjà le cas dans certaines régions, ce qui dépasse la dimension des intercommunalités en milieu rural.
Enfin, vis-à-vis des élus mais aussi du personnel, le projet de territoire constitue un outil de mobilisation et de pilotage stratégique, politique et managérial. Nous souhaitons donc que toutes les collectivités et intercommunalités soient encouragées à se doter d'un projet de territoire en leur offrant un soutien à son élaboration, à son animation et à son suivi, en particulier dans le cadre des CPER 2021-2027.
Un autre gage de réussite pour les territoires ruraux et leurs collectivités réside dans leur capacité à nouer des alliances et à constituer des formes d'interterritorialité, au-delà des départements dont le cadre départemental n'est pas souvent compatible avec la dynamique économique. Le PETR y contribue.
Notre question était de savoir comment mieux répartir la richesse entre les métropoles et les territoires ruraux, et renforcer la relation entre eux ? Nous avons réalisé plusieurs déplacements et faisons plusieurs propositions.
Tout d'abord, nous voulons relancer la mise en oeuvre du pacte État-métropoles, signé en 2016, et de son volet « Contrat de coopération métropolitaine », qui avait été doté d'une enveloppe de 10 à 15 millions d'euros pour faciliter l'établissement de relations entre les métropoles et les territoires. À ma connaissance, seules quatre métropoles ont signé des contrats de coopération métropolitaine - c'est trop peu.
Nous voulons faire connaître les atouts des coopérations territoriales, notamment des contrats de réciprocité. Cinq contrats de réciprocité ont été signés. Nous étudions à cet égard les résultats de deux d'entre eux : le contrat Brest Métropole-Pays du Centre Ouest Bretagne et le contrat Toulouse Métropole-Pays Portes de Gascogne. Les deux cas sont très différents : le premier est né initialement d'un projet autour de la santé. J'ai eu de la peine en constatant que ses initiateurs ont été battus aux élections, mais l'ingratitude est le lot commun en politique... S'agissant de la région toulousaine, le plus important me semble être la relation humaine qui s'est instaurée. La rencontre entre les élus d'un territoire rural, organisé en PETR, et les élus du conseil métropolitain a été essentielle. Les cadres et directeurs de la métropole ont visité le territoire couvert par le contrat de coopération et sont venus voir ce qui se passait sur le terrain dans leurs domaines de compétence. Ces hauts fonctionnaires ont ensuite été en capacité de faire des propositions à leur collectivité pour enrichir le contrat.
Il importe aussi d'apporter un encouragement financier aux projets des collectivités engagées dans des coopérations territoriales, par exemple lors de la conclusion des contrats de ruralité ou à l'occasion de la négociation des CPER 2021-2027. Cette coopération est indispensable. N'oublions pas que des difficultés d'accès aux services publics, aux soins ou aux transports ont été à l'origine du mouvement des « gilets jaunes » ; or, les problèmes demeurent.
Nous souhaitons aussi faciliter le soutien à l'ingénierie des collectivités et de leurs groupements. Ici encore, il n'est pas question d'être exhaustif, mais de vous présenter les propositions les plus emblématiques. Nos collègues Charles Guené et Josiane Costes seront amenés à approfondir le sujet dans leur rapport sur l'ingénierie territoriale.
Chacun s'accorde à dire que le développement de l'ingénierie est un sujet crucial, mais, cela étant dit, chacun ne vise pas la même chose. Les représentants de l'État, parfois un peu éloignés des territoires, ont tendance à considérer que la création de l'ANCT règle le problème de l'ingénierie. Mais lorsqu'une collectivité aura un projet, elle devra se tourner vers le préfet, qui organisera une table ronde avec les financeurs pour trouver les crédits nécessaires. C'est important, certes, mais cela ne suffit pas à répondre aux attentes. Il est vrai qu'une enveloppe de 10 millions d'euros supplémentaires a été mise sur la table pour l'ingénierie, mais on ne sait pas encore comment ces crédits seront fléchés. Certains départements ont aussi mis en place des plateformes d'ingénierie. Elles permettent d'aider une commune à réaliser des opérations ponctuelles. C'est utile, mais cela ne suffit pas à assurer le développement rural. D'autres disent que les capacités en ingénierie existent mais qu'elles sont trop dispersées. Il suffirait de les mutualiser et de les mettre en réseau. C'est vrai aussi. On entend aussi que beaucoup de financements existent déjà pour réaliser des études, etc. C'est juste, mais tout cela n'est pas suffisant. Si nous voulons réussir le développement territorial, donner toutes les chances aux territoires ruraux de réussir leurs projets, il faut doter les territoires d'une ingénierie en interne, donc leur permettre de monter en compétence pour acquérir les ressources humaines capables d'accompagner les élus tout au long de l'année pour élaborer des stratégies, les mettre en oeuvre, monter les dossiers, en assurer le suivi, connaître les bonnes pratiques, trouver des financements, etc. Bref, on a besoin d'une ingénierie de suivi, d'animation au quotidien. Ainsi, pour aider les collectivités en ce sens, nous envisageons de modifier certaines dispositions réglementaires et de trouver des moyens financiers, pas nécessairement nouveaux d'ailleurs puisque l'on pourrait aménager les dispositifs existants.
Pour monter en compétence, les collectivités doivent pouvoir attirer les talents. Nous nous sommes interrogés sur la pertinence de certaines normes législatives ou réglementaires qui encadrent les niveaux de recrutement et de rémunération des personnels territoriaux. À titre d'exemple, est-il encore justifié que des administrateurs territoriaux et des ingénieurs en chef ne puissent être recrutés que par les communes de moins de 40 000 habitants ou les PETR ? Il est temps de faire confiance aux capacités de décision et de gestion des élus en matière de recrutement pour assurer le développement de leurs territoires.
Nous proposons aussi de faire évoluer certains dispositifs financiers, telles que la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) ou la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), pour faciliter le financement de l'ingénierie interne. Alors qu'une deuxième génération de contrats de ruralité est en préparation, il faut que ces contrats, financés via la DSIL, aient une part réservée à l'ingénierie interne, car actuellement ils ne prennent pas en charge l'ingénierie d'animation. Dans mon rapport sur les contrats de ruralité, j'appelais à conditionner la signature d'un contrat de ruralité à « la désignation d'un chef de projet dédié à son animation et au suivi de sa mise en oeuvre, en assurant le financement de ce poste à hauteur de 80 % par l'État, dans le cadre du financement prévu pour les contrats de ruralité ». Il faut aussi prévoir des crédits consacrés à l'ingénierie interne dans les CPER.
Je félicite nos rapporteurs pour le travail extraordinaire qu'ils ont réalisé. La question de la matière grise est centrale. J'ai vu peu à peu mourir les cantons autour de Font-Romeu parce que les services de l'État sont partis. A-t-on bien fait de supprimer les subdivisions ? Des professionnels venaient dans les communes pour réaliser différents travaux, installer les réseaux, etc. Les communes disposaient ainsi du soutien de l'État. L'État s'est réorganisé. On a supprimé des fonctionnaires au niveau local et on les a concentrés au niveau central.
Je suis tout à fait d'accord avec cette proposition. Les communes n'ont pas les moyens de payer ces fonctionnaires. Lors des travaux sur la route départementale entre Perpignan et Bourg-Madame, la déclaration d'utilité publique a été annulée. L'État a décidé de réaliser des déviations ; faute d'accord dans un village, j'ai proposé aux 15 ingénieurs de l'État de réaliser les travaux d'aménagement urbain préalables dans le village, car il n'a pas les moyens de les réaliser. Il m'a été répondu, très froidement, que ce n'était pas la compétence de l'État ! J'ai écrit au préfet, il ne m'a pas répondu...
L'État ne nous aide plus. Les fonctionnaires ne se déplacent plus sur le terrain et préfèrent consulter Google Maps pour délivrer les permis : un permis a ainsi été refusé à une commune à cause de la présence alléguée d'un talus, qui n'existe pas sur le terrain... Il est donc important qu'une partie des dotations de l'État soit consacrée à l'ingénierie. On ne peut pas faire un PETR sans les personnes capables de l'élaborer. La communauté urbaine de Perpignan Méditerranée peut le faire, mais ce n'est pas possible partout. On pourrait aussi s'appuyer sur les fonds européens. En tout cas, les territoires sont à bout de force et il faut les aider à développer une ingénierie d'animation.
Ce rapport nourrira la réflexion que nous menons avec Josiane Costes sur l'ingénierie territoriale. Les sujets sont imbriqués. Se lamenter sur l'abandon des territoires ne sert à rien, il faut passer à une phase offensive. Il faut ainsi s'emparer de la question des maisons de services au public, dont les problèmes sont connus : masse critique de population, polyvalence des personnels, culture de service, etc. On manque surtout d'ingénierie de projet : il faut une taille critique de population pour pouvoir la mettre en place. Les agglomérations peuvent la posséder, mais les intercommunalités sont souvent trop petites. En l'absence de PETR, les départements devraient constituer des pôles pour atteindre la masse critique. J'espère que nos propositions permettront de faire avancer le débat.
J'avais placé beaucoup d'espoirs dans l'ANCT, qui était une proposition de notre groupe, mais, alors que nous demandions 150 millions d'euros, nous n'en avons eu que 50 et le mécanisme reste à la main des préfets. Donc on voit bien que l'ANCT, telle qu'elle a été configurée, ne pourra malheureusement pas régler tous les problèmes.
Avec 54 000 habitants, l'agglomération d'Aurillac a les moyens de mener certains projets en interne, mais ce n'est pas le cas des petites communautés de communes, qu'il faut donc aider. Le problème de la matière grise est central. Les fonctionnaires sont partis. On l'a vu dans le Cantal, il ne reste qu'une poignée de fonctionnaires chargés des affaires courantes à la sous-préfecture de Mauriac.
Un mot sur l'ANCT, dont la création avait été proposée par Jacques Mézard. Le Sénat avait voulu confier sa gouvernance aux élus et aux territoires, non aux représentants de l'État... Il faudra continuer à se battre sur ce sujet. Et je n'évoque pas les financements : 10 millions d'euros d'argent frais, c'est presque du mépris pour les territoires et leurs besoins !
La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation approuve le rapport et en autorise la publication.
Je vous propose d'autoriser aussi la publication des actes du colloque Les collectivités territoriales, leviers de développement des ruralités, que nous avions organisé le 7 novembre dernier.
Il en est ainsi décidé.