Intervention de Adrien Taquet

Réunion du 16 janvier 2020 à 14h30
Déclaration de naissance au lieu de résidence des parents — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié, amendements 3 80

Adrien Taquet :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de représenter le Gouvernement devant vous cet après-midi en lieu et place de Mme la garde des sceaux, qui vous prie de bien vouloir excuser son absence.

L’objectif de revitalisation des communes que vous avez exposé, monsieur le sénateur Marseille, est évidemment louable et partagé par tous.

La vitalité d’une commune se mesure à l’implication de ses résidents dans la vie et le développement de la communauté, à son nombre d’habitants, au développement de ses infrastructures, à son accessibilité, à son taux d’activité, et à bien d’autres critères encore. Je ne peux ignorer l’attachement des Français à la tenue des registres des naissances ayant lieu sur le territoire de leur commune, qui est l’un de ces critères.

L’Insee publie d’ailleurs chaque année des statistiques de naissances par commune – les dernières, fort intéressantes, ont été publiées il y a deux jours seulement – permettant de connaître le nombre de naissances sur l’ensemble des territoires, ruraux ou urbains, et de valoriser leur vitalité.

La présente proposition de loi est née d’un échange, lors du grand débat national, entre le Président de la République et le maire de Bar-le-Duc. Dans la rédaction issue des travaux de votre commission, elle vise tout d’abord à prévoir que les déclarations de naissance soient faites, non plus exclusivement à l’officier de l’état civil du lieu de l’accouchement, mais également à celui du lieu de domicile des parents.

Si je suis sensible aux incidences des regroupements d’établissements de santé en termes de vitalité des communes, il n’en reste pas moins que ces dispositions portent atteinte à certains principes essentiels de l’état civil et emportent des conséquences pratiques importantes pour l’ensemble des communes et villages de France.

Il s’agirait en effet d’imposer aux communes de domicile des parents d’établir des actes de naissance pour des naissances ayant eu lieu dans une autre commune. Ces communes de domicile auront donc la charge de mettre à jour les actes ainsi établis à chaque événement nouveau. Un mariage, la conclusion d’un pacte civil de solidarité, un divorce, un changement de nom, de prénom ou de sexe, bien d’autres événements encore : tous doivent être mentionnés en marge de l’acte de naissance.

Ces communes seront ainsi contraintes de recruter et de former des agents à ces nouvelles fonctions d’établissement et de mise à jour des registres de l’état civil. Elles devront également engager des dépenses importantes pour la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données d’état civil, comprenant les coûts de la licence du logiciel d’état civil, de ses mises à jour et de la maintenance de l’installation informatique.

Au-delà de ces conséquences pratiques importantes pour nos communes, conséquences qu’il ne faut pas minorer, ces dispositions me paraissent accentuer le risque de fraude documentaire.

En effet, elles dérogeraient au principe général selon lequel les actes de l’état civil doivent être dressés au lieu de l’événement qu’ils relatent, ce qui garantit leur caractère authentique. Cette dérogation irait à l’encontre des objectifs et des dispositifs de fiabilité et de sécurité des actes de l’état civil et des titres d’identité établis sur la base des actes de naissance. Or ces dispositifs sont mis en œuvre depuis quelques années déjà par les communes de naissance. Permettre à l’ensemble des communes françaises d’établir des actes de naissance constituerait, sur ce point, un recul massif dans la lutte contre la fraude documentaire.

Toutefois, comme je vous le disais au début de mon intervention, le Gouvernement est sensible à la demande formulée. C’est pourquoi une évolution des dispositions en vigueur est parfaitement envisageable. Elle devra tenir compte des conséquences financières et juridiques que je viens d’exposer.

Nous avons travaillé en ce sens avec Mme la rapporteure et M. le sénateur Marseille, et proposons la mise en place d’une expérimentation conforme à l’article 37-1 de la Constitution, ouvrant la possibilité, pour la ou les communes de domicile des parents, de transcrire sur leurs registres de l’état civil l’acte de naissance établi par la commune de naissance.

L’amendement n° 3 que vous examinerez tout à l’heure, qui reçoit l’avis favorable du Gouvernement, vise à appliquer aux actes de naissance les dispositions de l’article 80 du code civil d’ores et déjà prévues pour les actes de décès.

Ainsi, l’officier de l’état civil du lieu de naissance établirait l’acte de naissance de l’enfant au vu du certificat d’accouchement et des éléments d’identité du ou des parents ; cet officier de l’état civil transmettrait sans délai une copie intégrale de l’acte de naissance à l’officier de l’état civil du lieu de domicile du ou des parents ; enfin, ce dernier transcrirait l’acte de naissance sur les registres de l’état civil de sa commune. À défaut de domicile commun des parents, la copie de l’acte serait transmise à l’officier de l’état civil du lieu de domicile de chacun d’entre eux.

L’amendement prévoit par ailleurs qu’un décret en Conseil d’État viendrait fixer les modalités d’application de cette disposition, en particulier les conditions dans lesquelles celles-ci garantissent la fiabilité et la préservation de l’intégrité des données de l’état civil des personnes intéressées. Cette expérimentation ferait par ailleurs l’objet d’une évaluation, dont le rapport serait adressé par le Gouvernement au Parlement au plus tard six mois avant son terme.

Cette proposition d’expérimentation apparaît indispensable pour mesurer les effets de l’introduction de telles dispositions sur les communes, d’une part, et sur la sécurité et la fiabilité des registres de l’état civil, d’autre part.

En outre, la commission des lois a adopté un amendement visant à reconnaître le tilde comme un signe diacritique pouvant être utilisé dans la langue française, au même titre que les signes et ligatures déjà admis.

Comme vous le savez, les langues régionales ont été consacrées dans la Constitution : elles appartiennent au patrimoine de notre pays. Leur promotion et leur préservation vont bien au-delà de leur usage dans les actes de l’état civil. Elles sont assurées, avant tout, par la reconnaissance de l’enseignement des langues régionales dans les écoles de la République et la promotion des cultures régionales. Le patrimoine régional doit vivre, et il vit par la culture et l’enseignement.

Si je comprends l’objectif de la commission, l’introduction du tilde comme signe diacritique reconnu par la langue française me semble n’avoir qu’un lien ténu avec l’objet de la présente proposition de loi, « relative à la déclaration de naissance auprès de l’officier d’état civil du lieu de résidence des parents ».

Se pose aussi la question de l’impact financier de cette disposition pour les collectivités territoriales, mais également pour l’ensemble des administrations et services potentiellement concernés.

En effet, introduire l’utilisation d’un ou de plusieurs signes diacritiques régionaux dans les actes de naissance aurait nécessairement une incidence sur l’ensemble des actes et démarches effectués tout au long de la vie des intéressés : affiliation à la sécurité sociale, délivrance des titres d’identité, inscriptions scolaires, conclusion de contrats de travail ou de baux d’habitation, établissement d’actes notariés, etc.

Pour les communes, une adaptation des logiciels métiers sera nécessaire, ainsi qu’un renouvellement des claviers d’ordinateur et une mise à jour des actes de l’état civil, des titres d’identité, des documents de sécurité sociale et des actes notariés…

Ces implications sont particulièrement larges et, en l’état, n’ont pas toutes été anticipées.

La question de l’admission du tilde dans les actes de naissance, et non dans les actes de mariage ou de décès, peut également se poser. En l’état, il y aurait une incohérence entre les actes de l’état civil relatifs à une même personne.

C’est pour l’ensemble de ces raisons que le Gouvernement étudie actuellement la faisabilité d’une intégration de certains signes diacritiques pour permettre la prise en compte de l’orthographe de certains prénoms issus de langues régionales. Pour l’heure, le Gouvernement est réservé sur cette disposition.

Sous cette réserve et sous celle de l’adoption de l’amendement n° 3, à l’article 1er, le Gouvernement est favorable à cette proposition de loi.

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