Le sujet est évidemment sensible, en ce qu’il touche intimement 7 000 familles chaque année. En tant que secrétaire d’État chargé notamment de l’enfance, j’y suis particulièrement sensibilisé.
Je comprends le caractère symbolique de cet amendement, mais son dispositif pose un certain nombre de difficultés juridiques qui ne sont pas sans importance ; vous l’avez d’ailleurs très honnêtement reconnu.
En droit positif, lorsqu’un enfant décède avant que sa naissance ait été déclarée à l’état civil, le code civil distingue deux cas. Si l’enfant est né vivant et viable, l’officier de l’état civil établit un acte de naissance, ainsi qu’un acte de décès. Cet enfant acquiert ainsi la personnalité juridique. En l’absence de certificat médical attestant que l’enfant est né vivant et viable, l’article 79-1 du code civil prévoit l’établissement d’un acte d’enfant sans vie. Dans ce second cas, l’inscription sur les registres de décès ne confère pas la personnalité juridique à l’enfant, mais elle matérialise la naissance à l’état civil.
Par votre amendement, vous entendez définir les critères de viabilité par référence aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé. En définissant la viabilité sur le fondement de critères médicaux, l’adjonction proposée à l’article 79-1 du code civil revient en réalité à subordonner l’accès à la personnalité juridique à des critères purement anatomiques. Outre que l’insertion de tels critères médicaux n’a pas sa place dans le code civil, la détermination au niveau législatif de la viabilité emporte des incidences sur le statut du fœtus in utero de plus de vingt-deux semaines d’aménorrhée ou présentant un poids de plus de 500 grammes, ce qui pourrait avoir des conséquences dépassant très largement le cadre de la présente proposition de loi : je pense aux interruptions de grossesse pratiquées pour motif médical à un stade tardif de la grossesse, voire aux interruptions volontaires de grossesse.
En permettant aux parents de donner un nom à l’enfant sans vie, votre amendement tend à remettre en cause les principes de droit qui régissent la personnalité juridique. En droit français, le nom et la filiation constituent des attributs de cette personnalité. Celle-ci résulte du fait d’être né vivant et viable et ne peut en conséquence être conférée à l’enfant sans vie. Octroyer un nom de famille à l’enfant qui n’est pas né vivant ni viable reviendrait à lui reconnaître la personnalité juridique, ce qui conduirait inévitablement à une modification du statut du fœtus, question qui excède, je le répète, l’objet de la présente proposition de loi.
Le dispositif d’établissement des actes d’enfant sans vie procède d’un équilibre délicat, sensible, entre, d’une part, la douleur des parents confrontés à la naissance d’un enfant sans vie et la reconnaissance symbolique du lien qui les unit à celui-ci, et, d’autre part, nos principes de droit concernant la personnalité juridique.
Permettez-moi enfin de rappeler que le décret du 20 août 2008 autorise que soit délivré un livret de famille ou que soit apposée dans le livret de famille existant l’indication d’enfant sans vie.
Pour toutes ces raisons qui, j’en ai bien conscience, sont surtout d’ordre technique, je vous prie de bien vouloir retirer cet amendement, monsieur le sénateur. À défaut, j’émettrai un avis défavorable. Soyez toutefois assuré que je suis sensibilisé à cette question, sur laquelle m’ont interpellé un certain nombre de députés qui travaillent sur le sujet du deuil d’enfant.