Intervention de Patricia Schillinger

Réunion du 21 janvier 2020 à 14h30
Bioéthique — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Patricia SchillingerPatricia Schillinger :

Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, notre société évolue – ce n’est pas un secret –, et de plus en plus vite. Face à ces évolutions, celles des dernières années et celles à venir, le projet de loi relatif à la bioéthique soumis à notre examen comporte des avancées majeures et un cadre nécessaire à leur inscription dans ce contexte sociétal.

Avant d’évoquer dans le détail certaines dispositions du texte de notre commission spéciale, je tiens à rappeler l’un des engagements forts d’Emmanuel Macron, alors candidat à la présidence de la République, concernant, en particulier, l’une des mesures phares de ce projet de loi : celui de reconnaître et de permettre à chacun de vivre sa vie de couple et ses responsabilités parentales et, pour ce faire, d’inclure pleinement l’ensemble des familles du pays, de plus en plus diverses, et ainsi de tenir compte du fait qu’il n’y a bel et bien pas un modèle unique qui représenterait la « vraie » famille.

Dit ainsi, cela paraît assez simple : « On le dit. On le fait. » Il n’en est rien. La volonté du Gouvernement depuis le début des travaux a été de tenir une ligne d’équilibre, sans brusquer les débats. En effet, il n’est nullement question de changer de boussole ni de rompre avec les trois principes qui fondent les lois bioéthiques françaises : la dignité, la liberté et la solidarité.

Dans un esprit constructif et respectueux des convictions de chacun, le texte s’est notamment appuyé sur les travaux des États généraux de la bioéthique de 2018, organisés par le Comité consultatif national d’éthique. Cette institution est des plus précieuses, tant sur le fond que pour son savoir-faire dans l’organisation de la concertation autour de ces sujets.

Le texte que nous examinons aujourd’hui est issu des travaux de notre commission spéciale. Je tiens avant tout à saluer le travail de son président et de nos quatre rapporteurs. Les auditions et les débats au sein de la commission, d’une grande qualité, se sont tenus dans le respect de la légitimité des divers points de vue exprimés.

Je souhaite également préciser que, sur bien des sujets abordés, les discussions au sein de notre groupe La République En Marche ont vu émerger des points de vue le plus souvent convergents, mais pas toujours. Loin de chercher à constituer un bloc monolithique, nous avons au contraire tenté, et je l’espère, réussi à laisser suffisamment de place au débat. J’insiste sur cette nécessité de prendre en compte les avis et sensibilités de chacun, tout en appréciant nos débats apaisés. C’est un cheminement commun qui nous a permis de mûrir nos réflexions.

Notre groupe soutiendra pour l’essentiel les évolutions prévues par le projet de loi initial, ce qui nous amènera, sur certains points, à soutenir des amendements de suppression ou de réécriture du texte issu de la commission.

Dans un esprit constructif, j’évoquerai en premier lieu les points d’accord avec notre commission spéciale – et ils sont nombreux.

Tout d’abord, nous sommes favorables au principe de l’ouverture aux couples de femmes et aux femmes seules de la procréation médicalement assistée, ainsi qu’à l’ouverture du droit à l’accès aux données non identifiantes pour les enfants issus de dons et aux données identifiantes sous condition, mais par l’intermédiaire d’une commission ad hoc que nous souhaitons rétablir.

Nous soutenons l’autoconservation des gamètes, afin de tenir compte des problèmes d’infertilité et des évolutions sociétales. Nous défendons également l’ouverture du don de sang aux mineurs de 17 ans et majeurs sous protection juridique, mesure issue de l’amendement de notre rapporteur Bernard Jomier.

Sur le plan de la recherche et des moyens autorisés pour la promouvoir, plusieurs dispositions recueillent notre soutien, comme la distinction et le contenu des régimes juridiques de la recherche sur les cellules embryonnaires et de celle sur les embryons.

Je m’associe également à l’idée d’une extension du recueil et de la conservation des dons de gamètes aux centres privés.

De même, je soutiendrai le nouvel article 19 ter autorisant, en l’encadrant strictement, le recours au diagnostic préimplantatoire pour la recherche d’aneuploïdies (DPI-A) en vue d’améliorer l’efficience de la PMA.

À l’article 20, notre groupe approuve la suppression de la clause de conscience spécifique des professionnels de santé en matière d’interruption médicale de grossesse.

Autre point d’accord avec notre commission spéciale, la suppression de la création de délégations parlementaires à la bioéthique, disposition que l’Assemblée nationale avait introduite dans le texte.

J’évoquerai maintenant nos points de désaccord avec la commission spéciale, notamment l’article 1er qui occupera une grande partie de nos débats.

Cet article, qui étend aux couples de femmes et aux femmes non mariées l’accès à la PMA avec tiers donneur, nous pousse à nous livrer à un exercice de discernement, afin de dessiner un nouvel équilibre entre les principes de liberté, de dignité et de solidarité.

À nos yeux, la conciliation entre ces trois principes qu’a réalisée la commission n’est ni satisfaisante ni équilibrée, ce qui légitime nos amendements.

Le premier vise à revenir au sens initial du projet de loi, c’est-à-dire l’extension de la PMA en réponse aux projets parentaux, et ce sans distinction, sans retenir un critère pathologique qui, symboliquement et dans les faits, reviendrait à hiérarchiser les projets parentaux, surtout s’il aboutit à une discrimination en termes de prise en charge par l’assurance maladie. En effet, la commission, qui a fait le choix de maintenir dans le texte l’extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, les a, de façon regrettable, exclus de toute prise en charge par la sécurité sociale.

L’esprit de ce texte est de trouver des solutions aux difficultés rencontrées par ces personnes pour réaliser leur projet parental, désormais aussi légitime que tout autre. Dès lors, nous nous refuserons toujours, comme nous y conduit le texte de la commission, à distinguer les situations selon des critères d’orientation sexuelle ou de composition des ménages, les bons projets parentaux qui méritent le soutien de la solidarité nationale des « moins bons » qui, eux, ne seraient pas pris en charge. Nous voulons encourager l’ensemble des projets parentaux ; nous ne voulons en juger aucun. Ce n’est ni notre vision de la solidarité ni notre conception de la famille.

Par ailleurs, il nous semble contradictoire et injuste de maintenir l’interdiction de la procréation post mortem, alors qu’est offerte aux femmes seules la possibilité d’accéder à ces techniques. Face à de tels cas, très rares, nous défendrons un amendement pour éviter un double deuil aux femmes concernées.

S’agissant du droit d’accès à leurs origines des personnes issues d’un don, un point clé du texte, nous partageons la volonté de rompre avec la culture du secret et de faire progresser la transparence sur ces sujets au sein des foyers. Nous pensons que le texte peut aller plus loin. Aussi, nous vous proposerons un amendement ayant pour objet d’informer les receveurs de dons de gamètes ou d’embryons sur le besoin de transparence et d’information des enfants.

En outre, deux dispositions figurant dans le texte actuel, et insérées en commission, nous semblent superflues, voire intrusives pour les personnes souhaitant s’inscrire dans une démarche d’AMP : la dimension psychologique et sociale de l’évaluation par l’équipe pluridisciplinaire et le rappel des possibilités d’adoption lors de leur parcours.

Sur ce point, nous ne doutons pas que les personnes s’inscrivant dans un protocole aussi lourd qu’une PMA ont suffisamment réfléchi au sens de leur démarche et aux autres possibilités s’offrant à elles.

Nous vous proposons d’en revenir à la suppression du consentement du conjoint du donneur, qui fait l’objet d’un recueil obligatoire dans le texte de la commission, tant pour le don que pour le droit d’accès à l’identité du donneur.

En ce qui concerne l’établissement de la filiation, notre groupe défendra, sur l’initiative de notre collègue Richard Yung, un amendement de suppression de l’article 4 bis, qui a été introduit par la commission spéciale : conformément aux récentes décisions judiciaires, nous souhaitons en effet autoriser la transcription à l’état civil français, au cas par cas, en exécution d’une décision étrangère, de l’acte de naissance étranger d’un enfant né d’une GPA.

Enfin, je soutiendrai avec plusieurs de mes collègues un amendement visant à ce que l’établissement de la filiation d’un enfant à l’égard des deux femmes d’un couple ne se traduise pas dans l’acte de naissance par une rédaction spécifique et, donc, distinctement identifiable.

Je conclurai par un constat. Le corps des femmes a trop souvent fait l’objet de débats, comme s’il s’agissait d’un bien public devant être contrôlé, encadré.

Aujourd’hui, nous allons légiférer une nouvelle fois sur le sujet, mais il s’agit là de permettre aux femmes, sans distinction, d’accéder à la procréation médicalement assistée et de former des projets de parentalité dans le respect de la dignité, de la liberté, de la solidarité et de l’intérêt supérieur de l’enfant.

En ces instants, chacune et chacun d’entre nous a à l’esprit, quelles que soient ses convictions, le poids de la responsabilité du législateur.

Écoutant Montesquieu, certains préféreraient peut-être ne toucher aux lois « que d’une main tremblante ». À titre personnel, j’ai pleine confiance dans la nature et la qualité des échanges que nous aurons dans cet hémicycle. Ils nous conduiront, je le souhaite, à faire les bons choix pour l’avenir. Avec discernement, mais sans trembler !

1 commentaire :

Le 12/07/2022 à 14:25, aristide a dit :

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" Avec discernement, mais sans trembler ! "

Faisons des erreurs, mais sans trembler !

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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