Intervention de Daniel Chasseing

Réunion du 21 janvier 2020 à 14h30
Bioéthique — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Daniel ChasseingDaniel Chasseing :

Monsieur le président, madame le ministre Agnès Buzyn, mes chers collègues, la société et la science évoluent. Il semble normal que la loi évolue, elle aussi, pour accompagner ces changements.

Pourtant, notre rôle n’est pas d’autoriser tout ce que la technique permet de réaliser. Nous devons sélectionner, parmi le champ des possibles, ce qui est souhaitable. C’est l’essence même de la politique !

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », écrivait l’auteur de Gargantua voilà presque 500 ans. Aussi, l’exercice de révision des lois de bioéthique est toujours un exercice périlleux, qui engage la responsabilité et la conscience de chacun d’entre nous.

Nous avons chacun nos convictions, et mon groupe respecte l’ensemble des sensibilités qu’il représente. Aussi, je m’exprimerai de façon personnelle et j’ai bien conscience de ne pas représenter la majorité des convictions de mon groupe, ce dernier restant très partagé sur ces questions. Les valeurs que je défends me semblent être celles d’un humanisme éclairé, animé par une vision pragmatique.

Je tiens tout d’abord à féliciter et remercier le président et les rapporteurs de la commission spéciale pour leur travail de grande qualité. Le texte adopté par la commission est le fruit d’un travail collectif, éclairé par les nombreuses personnes très compétentes qui ont été auditionnées.

À l’article 1er, je suis favorable à l’ouverture de la procréation médicalement assistée pour les femmes seules – monoparentalité choisie, et non subie – et les couples de femmes.

Comme, d’ailleurs, l’a indiqué l’Académie nationale de médecine, je pense qu’il est préférable pour l’équilibre de l’enfant de grandir avec un père et une mère. Pourtant, les situations réelles échappent souvent à ce qui serait l’idéal et j’ai constaté que, dans de nombreuses familles ne répondant pas à ce schéma, l’enfant se développe avec beaucoup d’amour et de façon normale.

Les familles monoparentales sont une réalité et les structures familiales d’aujourd’hui ne sont plus celles d’hier.

C’est un fait, environ 5 000 Françaises, chaque année, se rendent à l’étranger pour avoir recours à une AMP. Nous devons, à mon sens, sécuriser le parcours de ces femmes et leur permettre de réaliser un projet de maternité sur le sol national.

Pour autant, même si certains peuvent penser que ce n’est pas égalitaire, il ne revient pas à l’assurance maladie de prendre en charge cette technique lorsqu’elle n’est pas motivée par un critère médical.

Je suis donc favorable aux amendements adoptés par la commission spéciale visant à limiter la prise en charge de l’AMP par la solidarité nationale aux couples médicalement infertiles. Je pense également que nous devons préserver le dispositif d’évaluation médicale et psychologique des futurs parents ou de la future mère comme condition préalable à l’AMP.

Par ailleurs, la gestation pour autrui représente une ligne rouge en matière de bioéthique, que nous ne devons pas franchir. Les avancées sur la PMA pour les couples de femmes ne sauraient constituer un premier pas en direction de la GPA pour les couples d’hommes. Le ventre d’une femme n’est pas commercialisable – selon les termes mêmes de la Constitution de 1793 – et la reproduction n’est pas un nouveau facteur de production.

Je suis donc opposé à tout fléchissement de la législation en direction de la GPA.

Je suis favorable au maintien de l’anonymat des donneurs de gamètes, lorsque ces derniers ne souhaitent pas être identifiés par les enfants issus de leurs dons, comme je suis favorable à la communication systématique des données non identifiantes à ces mêmes enfants, lorsqu’ils en font la demande à leur majorité.

J’avais proposé un amendement de réécriture de l’article 3 en ce sens. Je remercie la commission spéciale de l’avoir repris et intégré dans le texte, conformément à l’avis du Conseil d’État.

Je considère que nous ne pouvons pas, dans un même texte, augmenter le nombre de demandeurs de gamètes en ouvrant l’accès à l’AMP, tout en ne respectant pas complètement l’anonymat des donneurs qui le souhaitent, ces derniers, je le rappelle, n’étant pas rémunérés en France. Je pense aussi qu’il est important de maintenir le consentement du conjoint du donneur, si ce dernier est en couple, comme le prévoit la législation actuelle et bien qu’elle soit parfois contournée.

Actuellement, les AMP avec tiers donneur ne représentent que 4 % des pratiques réalisées, mais ce chiffre est appelé à augmenter avec l’ouverture de cette pratique aux couples de femmes et aux femmes seules.

L’accès à l’AMP post mortem est une question difficile. Nous aurons l’occasion d’en débattre en séance. Je réserve mon vote sur cette question, bien que je sois a priori plutôt favorable, dans la mesure où la femme aurait de toute façon la possibilité d’effectuer une AMP en tant que femme seule par la suite.

Je suis favorable à l’autorisation de l’autoconservation des gamètes à des fins de prévention de l’infertilité, ainsi que le prévoit l’article 2 du projet de loi.

La commission a assoupli les conditions d’âge pour effectuer ces autoconservations. Il me semble que cela représente une avancée louable pour les patients et les patientes exposés à un risque particulier d’infertilité.

Encore une fois, je félicite la commission spéciale d’avoir adopté un amendement visant à élargir la conservation des gamètes aux établissements privés à but lucratif qui seront agréés par l’ARS (agence régionale de santé). Ces établissements représentent actuellement une grande part de l’activité d’assistance médicale à la procréation, comme souligné par l’un des rapporteurs.

Je suis favorable au diagnostic préimplantatoire élargi à la recherche d’anomalies chromosomiques au-delà des seules anomalies préalablement identifiées dans la famille. Comme l’a indiqué Corinne Imbert, il s’agit surtout d’améliorer la prise en charge des patientes ayant des interruptions de grossesse répétées, conformément à leur demande. Ce n’est pas de l’eugénisme. Le seul objectif consiste bien à améliorer l’efficience de l’AMP réalisée.

J’émettrai des réserves quant aux expérimentations sur les embryons chimériques animal-homme.

La commission a souhaité encadrer, à juste titre, cette possibilité, en prévoyant une limite de 50 % de cellules pluripotentes induites humaines dans un embryon d’animal, sans évoluer, bien sûr, vers la parturition.

Je suis favorable à l’interdiction d’expérimentations visant à introduire des cellules souches embryonnaires humaines dans un embryon animal, en accord avec la commission spéciale du Sénat. Le retour à un régime d’autorisation pour ces recherches bien spécifiques pourrait être préférable à une simple déclaration auprès de l’Agence de la biomédecine. Par ailleurs, le régime dérogatoire est nécessaire pour améliorer les recherches et encourager le progrès médical.

À l’article 14, la commission spéciale a fait le choix de porter à vingt et un jours le délai de culture in vitro des embryons consacrés à la recherche. Comme souligné précédemment, cette extension présente un intérêt scientifique pour appréhender le contrôle de la différenciation des cellules.

J’y suis favorable, à condition qu’il y ait bien une demande d’autorisation. Sinon il serait préférable d’en rester à la limite de développement de quatorze jours prévue dans le projet de loi initial. En effet, nous savons qu’à partir de ce stade de quatorze jours les premières cellules ectodermiques apparaissent, préfigurant l’élaboration du cerveau.

Je suis favorable à l’abaissement à 17 ans de l’âge légal pour pouvoir donner du sang, tout comme à la création d’un statut, honorifique, de donneur d’organe.

Madame le ministre, je souhaite aussi attirer votre attention sur la prévention du trafic d’organes humains ; il me semble que la France n’a pas encore ratifié le traité de Saint-Jacques-de-Compostelle à ce sujet, contrairement à bon nombre de nos voisins.

Je défendrai des amendements pour sécuriser et favoriser les dons d’organes. En effet, 100 à 200 personnes meurent en France faute de greffons.

Aussi, je proposerai la création d’une liste prioritaire de greffe de rein pour les donneurs de leur vivant qui auraient, par la suite, un besoin vital d’un greffon. Cette situation est, bien sûr, extrêmement rare, mais elle constitue souvent un frein psychologique au don de rein.

Je proposerai également un amendement visant à renforcer l’information du receveur sur les caractéristiques de l’organe qui lui sera greffé, en amont de l’opération.

Madame le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi, amendé par la commission spéciale, apporte des avancées que je considère comme positives pour notre pays. Il permet d’adapter, dans un sens pragmatique et utile, le développement de la biomédecine à l’évolution sociétale.

2 commentaires :

Le 12/07/2022 à 15:20, aristide a dit :

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"« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », écrivait l’auteur de Gargantua voilà presque 500 ans."

Rabelais est depuis introuvable dans les bibliothèques de médecine... Il n'y a d'ailleurs aucun livre sur l'éthique dans les bibliothèques des facs de médecine.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 12/07/2022 à 15:22, aristide a dit :

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"C’est un fait, environ 5 000 Françaises, chaque année, se rendent à l’étranger pour avoir recours à une AMP. Nous devons, à mon sens, sécuriser le parcours de ces femmes et leur permettre de réaliser un projet de maternité sur le sol national."

Si elles veulent aller à l'étranger, c'est leur choix.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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