Intervention de Elisabeth Doineau

Réunion du 21 janvier 2020 à 14h30
Bioéthique — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission, amendement 181

Photo de Elisabeth DoineauElisabeth Doineau :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quelle fierté de vivre dans un pays qui a inscrit la bioéthique dans son histoire législative ! Et le Sénat n’y est pas étranger… Beaucoup de pays nous envient.

Certes, ce ne sont pas des sujets faciles, tous les intervenants l’ont dit avant moi, parce que les avancées surviennent dans un contexte mondialisé où la confiance, dans les sciences et dans la médecine, vacille. Mais, depuis 1994, saluons l’intérêt que suscitent ces débats avec l’émergence de nombreux acteurs : l’Agence de la biomédecine, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, et, bien sûr, le Comité consultatif national d’éthique – sans parler des comités d’éthique qui existent partout où les questions se posent.

Eh oui, on peut le dire, notre démocratie respire et inspire ! La société fait débat et le débat fait société.

Pour tout dire, peut-être comme beaucoup d’entre vous, je doute. Je redoutais aussi ce texte. Est-ce une faiblesse, est-ce une force ? Là n’est pas la question. Sur ces questions de bioéthique, j’avoue, je partais avec un capital de doute énorme.

Aussi, j’ai participé activement aux travaux de la commission spéciale. Prendre ses responsabilités, c’est mieux cerner les enjeux. Prendre des décisions, c’est comprendre la réalité, sa perpétuelle évolution et les questions sociétales qui s’y rattachent.

Je tiens à saluer mes collègues de la commission spéciale pour l’infini respect qu’ils ont porté à la parole et aux convictions de chacun pendant nos travaux.

Empathie, respect et humilité, telles sont mes boussoles pour l’examen de ce texte.

Venons-en maintenant au contenu de ce projet de loi de bioéthique.

L’article 1er tend à éclipser les dizaines d’articles qui lui succèdent, alors qu’ils auront, a minima, un impact tout aussi important sur la société : l’autoconservation des gamètes, l’utilisation de l’intelligence artificielle, des diagnostics prénataux, la favorisation des dons croisés, et j’en passe.

Il vise à élargir l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes célibataires, comme dit Véronique Guillotin. J’y suis favorable. Cela relève beaucoup de l’intime, de notre éducation et de nos parcours personnels : mon choix m’appartient, il n’est en aucune façon celui de chacun des collègues de mon groupe ; chacun a son cheminement, chacun a ses convictions, et tout choix est respectable.

L’idée que ce débat aurait pu être séparé de l’ensemble de la loi de bioéthique est à mon avis une échappatoire. En réalité, l’AMP a été inscrite dans la loi de 1994. Il est donc tout naturel que nous en débattions de nouveau lors de cette révision.

Revient souvent l’argument que d’être élevé par un couple de femmes ou une femme célibataire serait nier l’importance de l’altérité. La comparaison est sans doute un peu forte, mais mon expérience auprès du service de l’aide sociale à l’enfance de mon département m’apporte malheureusement souvent la preuve que l’altérité n’est pas toujours heureuse.

Par ailleurs, nous observons que la famille est aujourd’hui multiforme. Le nombre de familles monoparentales ne démontre pas non plus une éducation défectueuse ou altérée.

L’établissement d’un projet parental ne garantit sans doute pas une excellence dans la future parentalité, mais il assure, je le crois, une intention réfléchie et construite. Pour certains couples hétérosexuels, on pourrait d’ailleurs se poser la question de l’élaboration d’un tel projet.

Si la commission spéciale a maintenu l’extension de l’AMP dans le texte, elle en change fondamentalement l’esprit, et je le regrette, en introduisant le critère d’infertilité ou de non-transmission d’une maladie d’une particulière gravité aux couples hétérosexuels.

Contrairement au projet de loi initial, cela tend à créer deux types de bénéficiaires de l’AMP. Ce sentiment est renforcé par l’amendement n° COM-181 : celui-ci tend à distinguer les bons bénéficiaires qui obtiendront, pour raisons médicales, la prise en charge par la sécurité sociale de toutes les démarches d’AMP, des mauvais bénéficiaires, les couples de femmes et les femmes seules, qui ne répondent pas à ces critères et ne seront donc pas pris en charge. Est-ce juste ?

Il est bon de le rappeler, l’homosexualité n’est pas un choix. Aussi, comment peut-on refuser cette prise en charge solidaire par la sécurité sociale à ces femmes qui souhaitent avoir un enfant ?

J’ai déposé deux amendements pour corriger cette situation, d’autant plus regrettable que les propositions de la commission spéciale empêchent dans un premier temps de débattre de l’AMP post mortem. Or, dans des conditions d’encadrement équilibrées, il me semble opportun d’ouvrir cette éventualité à des situations, certes rares, mais inhumaines.

En effet, est-il concevable de dire à une femme qui s’est engagée avec son conjoint dans une procédure d’AMP qu’elle a le choix, en cas de décès de celui-ci, entre détruire leurs embryons ou les donner à un autre couple, alors même que l’AMP est ouverte aux femmes seules et que cette personne pourrait s’engager sur une AMP avec tiers donneur ?

En revanche, je me félicite de ce que la commission spéciale ait pu donner une réponse positive à un certain nombre d’avancées.

Il s’agit, tout d’abord, de la mise en place, par l’article 14, d’un régime de déclaration préalable pour les recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines. Cette mesure est attendue par l’ensemble des scientifiques auditionnés, car elle les protégera contre des attaques juridiques systématiques – les débats devraient être nourris sur ce point et notre position pourrait encore évoluer.

Comme le souligne notre corapporteure Corinne Imbert, le nouveau régime permettra ainsi d’acter la différence de nature entre ces recherches et celles qui portent sur l’embryon : ces dernières continueront de faire l’objet d’un régime d’autorisation, car elles soulèvent d’autres enjeux éthiques.

Enfin, je soutiens la proposition de Mme Imbert d’autoriser, à titre dérogatoire et dans le respect des principes éthiques, le développement in vitro d’embryons jusqu’au vingt et unième jour, dans le souci de permettre des avancées dans la compréhension du développement embryonnaire. Il s’agit d’une autre demande des scientifiques auditionnés.

Sur ces points, nous allons plus loin que l’Assemblée nationale et le Gouvernement, et nous sommes ouverts au débat.

J’en viens maintenant à la médecine fœtale et au diagnostic préimplantatoire, autre sujet très sensible examiné par le Comité consultatif national d’éthique.

Je dois dire que l’audition de Mme Alexandra Benachi, présidente de la Fédération française des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal, a été particulièrement remarquée et a suscité une certaine adhésion. Sur ce sujet, le spectre de l’eugénisme revient fréquemment, avec la crainte de la sélection des embryons. Il est, à mon sens, infime face aux encadrements posés par l’Agence de la biomédecine.

Aujourd’hui, il faut avoir souffert pour bénéficier d’un diagnostic prénatal. C’est le terrible constat posé par Mme Benachi. En effet, à l’heure actuelle, le diagnostic préimplantatoire pour la recherche d’aneuploïdies (DPI-A) ne peut être réalisé que pour rechercher une pathologie génétique ciblée dont est porteur l’un des parents. Cela signifie qu’il faut d’abord avoir un enfant gravement malade pour pouvoir vérifier que les suivants ne le sont pas.

L’avantage du DPI-A est multiple : il permet d’éviter de recourir à une interruption de grossesse, de ne pas stimuler plusieurs fois une patiente déjà âgée, mais également d’éviter des fausses couches ainsi que l’exposition à des risques de thrombose ou de cancer à long terme.

Par ailleurs, la France dispose de résultats moins bons que ses voisins en termes d’AMP, du fait du non-recours au DPI-A.

Aussi, je soutiens l’amendement de Corinne Imbert qui, en prévoyant le recours à cette technique à titre expérimental, développe une vision éthique à l’égard des femmes et permettra d’éviter de multiples implantations infructueuses. Je regrette cependant que, pour des conditions de recevabilité financière de l’amendement au regard de l’article 40 de la Constitution, ce DPI-A ne puisse être pris en charge par l’assurance maladie obligatoire, alors même qu’il augmente les résultats d’AMP.

Quant à l’amendement de notre corapporteur Olivier Henno qui encadre le recours aux tests génétiques exclusivement à visée généalogique, je me contenterai de me réjouir de son adoption en commission spéciale.

Il n’est pas responsable de maintenir l’interdiction absolue des tests génétiques commerciaux, puisque cela permet aujourd’hui à des sociétés étrangères d’engranger des données génétiques personnelles en dehors de tout contrôle et sans conseil délivré par des professionnels qualifiés.

J’émettrai, enfin, un regret.

Ce projet de loi de bioéthique ne nous a pas permis d’aborder la santé environnementale, dont l’importance ne cesse de croître. Le CCNE avait tenté d’inclure cette problématique, sans succès. Pourtant, de vraies questions éthiques se posent avec le développement des nanoparticules, de la notion d’effet cocktail et la latence des polluants.

Pour conclure, je souhaite que nous puissions débattre sereinement de ces problèmes éthiques parfois très complexes, mais qui recouvrent des réalités très concrètes pour nos concitoyens.

Montesquieu a écrit : « Pour faire de grandes choses, il ne faut pas être un si grand génie ; il ne faut pas être au-dessus des hommes, il faut être avec eux. » Alors, soyons curieux, écoutons-nous, respectons-nous, afin d’élaborer ensemble un texte juste, qui soit le reflet des évolutions de notre société et qui anticipe celles à venir.

1 commentaire :

Le 12/07/2022 à 15:58, aristide a dit :

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"Le nombre de familles monoparentales ne démontre pas non plus une éducation défectueuse ou altérée."

Quand vous n'avez que vous-même pour vous occuper de votre enfant, quand vous devez aller travailler, et qu'il n'y a personne pour prendre le relais lorsque vous êtes fatiguée, l'éducation est forcément altérée.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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