Intervention de Philippe Bas

Réunion du 21 janvier 2020 à 14h30
Bioéthique — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Philippe BasPhilippe Bas :

En matière d’éthique des sciences du vivant, le choix français est de confier au législateur le soin de décider lui-même ce qui est permis et ce qui est interdit. Ce n’est ni aux savants ni aux médecins de le faire. Ils seraient en outre juges et parties. C’est au Parlement que revient la responsabilité, et c’est une bien lourde responsabilité.

Je suis heureux que notre commission spéciale, après s’être donné le temps de la réflexion, ait opté aujourd’hui pour une certaine prudence face aux tentations prométhéennes en matière de recherches et aux risques de dérives eugéniques.

Des recherches strictement encadrées sur des embryons humains surnuméraires qui ne font plus l’objet d’un projet de grossesse sont déjà autorisées dans des limites qui ont été assouplies par les lois de bioéthique et par la loi de 2013. Toute demande d’un nouvel élargissement ne peut être examinée qu’avec la plus grande circonspection. Les cultures de cellules embryonnaires humaines ne doivent pas être banalisées, pas plus que la création de cellules pluripotentes à partir de cellules humaines adultes.

Notre rôle n’est pas de nous prononcer sur la dimension scientifique de ces questions, mais il est de fixer un cadre, des limites et des procédures apportant des garanties.

La prévention des dérives eugéniques devrait également mobiliser toute notre attention. Avoir un enfant indemne d’une maladie génétique héréditaire mortelle grâce à l’identification d’un embryon non porteur de cette maladie me paraît légitime quand on a perdu un enfant d’une telle maladie ou quand on a la certitude d’un risque très élevé d’avoir un enfant atteint. Aller au-delà nous exposerait à une sélection génétique en décidant à partir de quand une vie vaut d’être vécue et pourrait conduire un jour à autoriser le choix de certaines caractéristiques de l’enfant à naître, en particulier celui du sexe. Ce n’est pas une vue de l’esprit quand on connaît les demandes qui s’expriment dans notre société et quand on observe les pratiques qui se développent ailleurs qu’en France.

De la même façon, nous devons être vigilants quand il s’agit de déclencher une grossesse pour faire naître, à partir d’un tri d’embryons, un enfant susceptible d’être un donneur de sang de cordon compatible avec un frère ou une sœur atteint d’une maladie génétique grave et incurable, qu’on espère ainsi pouvoir sauver. Cette possibilité a été ouverte par la loi de 2004 et étendue en 2011. Il me semble que nous devrions nous en tenir là !

Reste la question qui mobilise l’intégralité du débat public autour de cette loi. Ce n’est pas une question de bioéthique, c’est une pure question de société. Faut-il autoriser le recours à la fécondation in vitro autrement que pour remédier à une infertilité ? En ce qui me concerne, je n’y suis pas favorable.

Lors du vote des premières lois de bioéthique, le premier « bébé-éprouvette » français conçu avec donneur avait 12 ans. Nous n’avions à l’époque aucune expérience de ce que seraient l’adolescence et le passage à l’âge adulte de ces enfants. Nous en avons maintenant, et nous savons que, dans un nombre élevé de cas, alors même que tous ces enfants ont ou ont eu un père, le besoin d’un accès aux origines, que nous allons traiter dans ce texte, s’est exprimé avec force comme un cri, comme une souffrance. On peut penser qu’une faille s’est progressivement creusée dans la personnalité de ces enfants, de manière invisible aux yeux des parents eux-mêmes, une faille que l’amour et les qualités éducatives de ceux-ci n’ont pas suffi à combler.

Nous devrions être humbles devant l’étendue de notre ignorance et devant notre manque de recul. Les jeunes femmes qui veulent avoir un enfant seule ou à deux par une fécondation in vitro devraient essayer d’être prudentes elles aussi, quelle que soit l’intensité de leur légitime désir d’enfant. En effet, si la recherche des origines peut revêtir une telle importance pour la construction psychique d’enfants qui ont un père, combien plus importante sera nécessairement la recherche d’un père pour des enfants auxquels on aura dès leur conception et de propos délibéré refusé d’en donner un ? Devons-nous le permettre en dépit de cette inquiétude pour le développement de l’enfant ?

Bien sûr, on pourrait considérer que cette décision doit relever de la liberté de conscience de chaque femme. Nous pourrions à la fois exprimer de fortes objections à cette pratique et accepter de ne plus l’interdire. Ce raisonnement à l’anglo-saxonne n’est sans doute pas dénué de mérite, mais je préfère raisonner à la française, en considérant que la loi doit servir de référence aux comportements individuels et protéger l’enfant à naître.

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