Intervention de André Picot

Commission d'enquête Incendie de l'usine Lubrizol — Réunion du 21 janvier 2020 à 10h00
Audition de Mm. Les Professeurs andré picot président de l'association toxicologie chimie patrick lagadec directeur de recherche honoraire à l'école polytechnique

André Picot, président de l'association Toxicologie Chimie :

Je vous remercie de votre invitation et je vous prie d'excuser mon retard.

Chimiste de formation, j'ai fait mes études au Conservatoire des arts et métiers. J'ai un double diplôme d'ingénieur chimiste et de biochimiste. J'ai fait de l'interdisciplinaire, à une époque où ce n'était pas du tout à la mode. J'ai commencé ma carrière dans le groupe pharmaceutique français Roussel-Uclaf, spécialisé dans les hormones stéroïdes, où j'ai travaillé à la synthèse de la pilule contraceptive. J'ai ensuite travaillé au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), où j'ai peu à peu évolué vers la prévention des risques chimiques. J'ai pris mon bâton de pèlerin pour essayer de convaincre mes collègues chimistes d'améliorer leurs façons de travailler avec les produits chimiques.

J'ai mené, avec mes collègues, une réflexion sur ce que nous avons appelé la toxico-chimie et sur les relations structure-activité. Notre association a été interpellée par le cas de Lubrizol dès 2013. La communication tant de la part de l'entreprise elle-même que des pouvoirs publics était biaisée. Ils ont à l'époque déclaré que le produit rejeté était un mercaptan, ce qui n'était pas faux.

Un mercaptan est un produit soufré organique. Il constitue une famille, comme les alcools, les acides, etc. Les mercaptans dérivent d'un produit minéral extrêmement toxique, l'hydrogène sulfuré, beaucoup plus toxique que le monoxyde de carbone par exemple. Combiné à des composés carbonés, l'hydrogène sulfuré forme des organo-soufrés. La toxicité d'une molécule comprenant un atome de carbone reste très proche de celle de l'hydrogène sulfuré, qui sent très mauvais. Plus on augmente le nombre d'atomes de carbone, moins les molécules sont toxiques.

Le problème à l'époque est qu'on a laissé courir le bruit dans les médias que le produit était du méthyl-mercaptan, comprenant un seul atome de carbone, soit une molécule extrêmement toxique, alors que l'entreprise et le ministère savaient d'emblée qu'il s'agissait d'une molécule d'isopropyl-mercaptan, contenant trois atomes de carbone, et donc très peu toxique. Tout le monde le savait, mais personne n'a rien dit pendant deux mois. C'est un gros problème à mon sens.

En 2019, le processus a été exactement le même. Dans la première dépêche du préfet, il a été dit que les produits qui avaient brûlé étaient des hydrocarbures (des solvants, des carburants), soit des molécules en général peu toxiques, et des huiles, sans préciser s'il s'agissait d'huiles alimentaires ou industrielles. On est resté dans le flou. On n'a pas dit qu'il s'agissait d'huiles industrielles, dont la toxicité peut être extrêmement variable. Les huiles alimentaires, on le sait, ne sont en général pas très dangereuses. C'est ce qui explique qu'on ait perdu la confiance de la population. Elle s'est fait berner une première fois, pas la deuxième !

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