Intervention de Patrick Lagadec

Commission d'enquête Incendie de l'usine Lubrizol — Réunion du 21 janvier 2020 à 10h00
Audition de Mm. Les Professeurs andré picot président de l'association toxicologie chimie patrick lagadec directeur de recherche honoraire à l'école polytechnique

Patrick Lagadec, directeur de recherche honoraire à l'École polytechnique :

Le problème est avant tout culturel : suis-je ouvert et à l'aise, en tant que décideur, pour aller sur les terrains que je ne connais pas ? Ou bien est-ce que j'affirme mon identité en donnant les réponses que j'ai déjà et qui sont sûres ? Si je suis dans cette deuxième optique, je ne peux pas gérer les crises d'aujourd'hui.

L'exemple qui m'a le plus frappé est celui du conseiller spécial auprès du directeur de la Federal Emergency Management Agency (FEMA) à Washington chargé de la gestion de l'ouragan Sandy. Il a ouvert instantanément trois cellules : détection des erreurs - comme on ne peut pas ne pas faire d'erreur, il faut les détecter le plus rapidement afin de les corriger ; détection des dynamiques émergentes ; et enfin invention, car quand on se trouve dans une situation qui n'est pas prévue, qui n'est pas dans les cartons, il faut bien inventer.

On ne gère pas AZF comme Rouen. À chaque fois, il faut s'arracher au terrain connu. En ce moment, la Chine est frappée par une épidémie de pneumonie liée à un coronavirus : on fait le point sur tout ce que l'on sait du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), mais finalement on se rend compte que ce n'est pas le SRAS, donc on est en situation d'invention.

En 1998, la tempête de glace au Canada a entraîné une perte complète de réseau. Les autorités pouvaient communiquer autant qu'elles voulaient à la télévision : les populations concernées n'y avaient pas accès. Les Canadiens ont donc travaillé quartier par quartier, petite région par petite région, au travers de missions en prise directe avec les populations, chargées d'écouter leurs questions et d'y répondre.

S'agissant de Lubrizol, la cellule nationale belge, qui a une génération d'avance sur nous, a tout de suite été à l'écoute des réseaux sociaux pour savoir sur quoi elle serait interrogée et comment elle pouvait entrer en relation avec les populations.

Mais si vous avez peur, si votre seule identité consiste à apporter les réponses définitives dont vous disposez afin de rassurer les populations pour qu'elles ne paniquent pas, vous ne pouvez pas gérer les crises actuelles. Ce n'est pas un fer à repasser que l'on passe à droite puis à gauche ; tout est pétri d'incertitudes qui vont muter dans le temps, donc si vous commencez par dire que vous avez les bonnes réponses, vous avez déjà perdu.

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