Intervention de Sandrine Gaudin

Commission des affaires européennes — Réunion du 14 janvier 2020 à 17h00
Audition de Mme Sandrine Gaudin secrétaire générale des affaires européennes sur le prochain cadre financier pluriannuel

Sandrine Gaudin, Secrétaire générale des affaires européennes :

Je suis très honorée d'être parmi vous aujourd'hui. La négociation sur le CFP n'est pas complètement achevée, car la mise en place des institutions européennes l'année dernière a pris davantage de temps que prévu. À mes yeux, le CFP sera la grande négociation structurante de 2020.

La Commission a publié sa proposition de budget le 2 mai 2018, avec 43 propositions de règlements sectoriels que nous sommes en train de négocier. La procédure est exigeante. Le texte doit être adopté à l'unanimité par le Conseil, après consultation du Parlement européen pour le volet « recettes » qui nécessite de recueillir également l'approbation de tous les États membres. En France, ce volet devra donc être examiné par l'Assemblée nationale et le Sénat. Le volet « dépenses » doit être adopté à l'unanimité par le Conseil après approbation du Parlement européen.

L'équation est la suivante, à la fois simple et traditionnelle en matière budgétaire : comment faire plus avec moins d'argent ? Elle prend toute son importance avec la perte du deuxième contributeur net au budget de l'Union européenne qu'est le Royaume-Uni.

La Commission a proposé de supprimer progressivement les rabais, ce qui est inédit. Si nous ne le faisons pas au moment du départ de l'État membre qui est à l'origine de ces rabais, nous ne le ferons jamais ! Nous devons absolument saisir cette possibilité offerte par la Commission, mais le débat n'est pas simple.

La Commission souhaite également un élargissement de la boîte à outils des nouvelles ressources propres, ce qui nous convient parfaitement. Trois mesures sont proposées : l'attribution au budget de l'Union de 20 % des recettes du système d'échange des quotas d'émissions carbone ; une contribution de 3 % sur l'assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés ; une contribution calculée sur le stock d'emballages plastiques non recyclés, ce qui pousse les États membres à devenir plus vertueux.

La proposition de 2018 était novatrice et allait dans le sens préconisé par la France. Toutefois, le montant fixé était élevé : 1,11 % du RNB des 27 États membres, ou 1,14 % si l'on inclut les instruments hors plafond, c'est-à-dire la réserve pour aide d'urgence, le Fonds européen d'ajustement à la mondialisation, ou la facilité européenne pour la paix.

Ce montant est extrêmement ambitieux : s'il était adopté par les États membres, il occasionnerait un ressaut net assez important de la contribution française de 6 milliards d'euros par an en moyenne par rapport à la période 2014-2020. La contribution passerait de 20,5 milliards d'euros en moyenne par an à 26,4 milliards d'euros, ce qui n'est pas négligeable dans un contexte de contrainte budgétaire. Nous souhaitons rehausser certaines ambitions, notamment dans le domaine de la PAC, et nous inscrire dans une logique de réglage plus fin de certaines dépenses - je pense notamment au projet de budget de la zone euro, qui est une nouveauté très importante proposée par la Commission à laquelle nous sommes très favorables.

Le travail autour de la proposition de la Commission se formalise dans un projet de texte appelé « boîte de négociation », qui en est à un stade avancé même si de nombreux points ne sont pas validés, notamment la « zone d'atterrissage » du montant global de la programmation pluriannuelle. Sur la quarantaine de règlements sectoriels, une douzaine a fait l'objet d'un accord partiel du Conseil ; les règlements restants sont encore en négociation. Le Parlement européen a pour l'instant suspendu ses travaux sur ces règlements. Les discussions sectorielles ne sont pas anodines : elles portent, par exemple, sur le calibrage du Fonds européen de la défense et son articulation avec le Royaume-Uni ou sur le programme d'investissement de l'Union européenne dédié au financement de la transition climatique, avec notamment la création du fonds de transition juste.

Les présidences successives ont beaucoup oeuvré pour que la boîte de négociation soit la plus « compacte » possible, en réduisant au maximum le nombre d'options. La présidence finlandaise, sous l'influence des États contributeurs nets, avait proposé un compromis à 1,07 % du RNB. Au Conseil européen de décembre dernier, les chefs d'État et de gouvernement n'ont pas réussi à trouver un accord. Les États membres les plus « frugaux » souhaiteraient que le centre de gravité de la discussion se déplace progressivement vers 1 %, soit le niveau actuel, que nous considérons comme bas.

Le contexte institutionnel du dernier Conseil européen était particulier : la Commission venait d'entrer en fonctions, de même que le président du Conseil européen, Charles Michel. L'arrivée de nouveaux acteurs autour de la table ne permettait pas le dénouement de la situation. Le Conseil européen a confié à Charles Michel le soin de reprendre la discussion, sur la base de la boîte de négociation finlandaise, avec une tournée des capitales, pour aboutir à un accord lors d'un Conseil européen extraordinaire, qui se tiendra sans doute au premier trimestre. Nous préparons actuellement la position que nous défendrons lors de la rencontre avec le sherpa de Charles Michel la semaine prochaine à Bruxelles, sur la base des objectifs européens ambitieux du Président de la République.

Le financement des politiques traditionnelles et des politiques tournées vers l'avenir, la transition écologique, la maîtrise des frontières, ainsi que le renforcement de la puissance économique, technologique et numérique de l'Union figurent dans la proposition de la Commission et dans le compromis finlandais.

Premier point important, concernant la PAC, il est impératif de renforcer son premier pilier. L'augmentation des crédits proposée par la présidence finlandaise s'effectue plutôt au profit du second pilier, ce qui nous convient moins.

Second point, nous devons veiller à la soutenabilité budgétaire de nos engagements. Nos ambitions doivent être compatibles avec l'objectif d'assainissement de nos finances publiques. Nous sommes favorables à l'élargissement de la boîte à outils en matière de ressources propres, notamment celles qui sont liées à l'environnement. Le rapport Monti contenait des pistes intéressantes, qui n'ont pas été pleinement exploitées.

Nous insistons pour que les rabais soient supprimés dès 2021. Nous plaidons pour un passage au tamis de nos priorités au regard du niveau de dépenses que nous pouvons supporter.

Nous retrouvons dans la boîte de négociation les priorités que nous souhaitons, mais nous avons plus de mal à convaincre sur les dépenses liées à la lutte contre le changement climatique. La présidence finlandaise proposait que 25 % des dépenses du CFP soient consacrées à la mise en oeuvre d'objectifs climatiques, contre près de 20 % actuellement - c'est insuffisant. Nous voulons un verdissement plus ambitieux, avec 30 % des dépenses liées à la lutte contre le changement climatique et 10 % pour la préservation de la biodiversité et la lutte contre les pollutions diffuses. Dix jours après son entrée en fonction, Mme von der Leyen proposait le Pacte vert (Green Deal) ; il doit se traduire par un budget en conséquence.

Nous dirons à Charles Michel et à son sherpa qu'il faut introduire plus de conditionnalité dans la mise en oeuvre des dépenses, en lien avec le respect de l'État de droit et des valeurs démocratiques de l'Union européenne. Dans le contexte actuel, il est essentiel d'avoir des moyens d'action efficaces. Les outils du traité sont insuffisants ; utilisons le levier budgétaire.

Nous souhaitons aussi plus de conditionnalité sociale afin de préserver, par le levier budgétaire, les principes du socle européen des droits sociaux, comme la lutte contre la pauvreté au travail, une protection sociale au sens large et des concertations avec les partenaires sociaux.

Avec les Pays-Bas, nous insistons sur la dimension externe des migrations. Nous voulons inciter les pays d'origine des migrants ou de transit à réadmettre les migrants refusés, par davantage de leviers. C'est un nouveau domaine où l'on peut faire le lien avec le budget de l'Union.

Nous avons un fort intérêt à défendre un budget pour la zone euro, dont le projet prévu financera uniquement des projets liés à la convergence et à la compétitivité des États membres. Il faudrait aussi pouvoir l'utiliser à terme pour stabiliser l'économie en cas de choc.

Nous plaidons pour une plus grande réforme des ressources propres. Le projet va dans la bonne direction, mais n'est pas assez ambitieux. Nous ne plaidons pas pour introduire des ressources propres pour le plaisir de créer de nouvelles taxes, mais pour moderniser la nature du budget communautaire, rompre avec la logique de négociation actuelle du « juste retour », , financer d'autres projets d'intérêt commun à l'échelle communautaire, comme la protection civile ou la protection des frontières européennes.

La suppression des rabais est un point dur, que nous estimons indispensable. La France est le premier financeur des rabais, et paie en moyenne 2 milliards d'euros chaque année pour cinq États membres. Le système des rabais, mis en place pour le Royaume-Uni, est contraire à l'idée d'un budget mutualisé.

La proposition de la Commission prévoit 373 milliards d'euros pour la politique de cohésion, soit un ordre de grandeur équivalent à celui de la PAC. Les besoins demeurent très importants, y compris dans des territoires fragilisés au sein de régions développées. Ainsi, la Seine-Saint-Denis a besoin du Fonds social européen (FSE). Nous voulons rendre cette politique plus simple et plus lisible et continuer à financer ces territoires. Le Premier ministre a revu avec les régions la gouvernance de ces fonds pour plus de simplification et d'efficacité, conformément aux recommandations de la Cour des comptes.

La convergence entre la France, l'Espagne et le Portugal est importante pour porter les enjeux liés aux régions ultrapériphériques. Il faudra continuer à simplifier et à maintenir des niveaux de financement adaptés. Nous serons vigilants sur le Programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI) et sur les règles d'éligibilité au financement de certaines politiques. La France, l'Espagne et le Portugal ont fait une déclaration conjointe, et nous avons saisi les commissaires européens chargés de ces sujets.

Pour le calendrier, c'est 2020 ou jamais ; nous ne devons pas prendre de retard pour éviter tout décalage, notamment pour ce qui concerne la politique de cohésion. Les négociations s'accélèrent pour le premier semestre de 2020. Avant de nous déterminer sur une cible budgétaire précise, nous devons voir le paquet d'ensemble Nous faisons partie des États membres raisonnables qui prennent leurs responsabilités et qui respectent leurs obligations communautaires en matière de discipline budgétaire.

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