Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du 28 janvier 2020 à 15h00
Bioéthique — Article 10 ter

Agnès Buzyn :

Cet article pourrait entraîner un réel changement de comportement chez nos concitoyens, notamment avant la conception d’un enfant. En effet, il ouvre la possibilité pour les couples de réaliser des tests génétiques avant de s’engager dans un projet parental, afin de s’assurer que le père ou la mère ne souffre pas d’une maladie génétique susceptible d’entraîner une pathologie ou un handicap particulier chez leur enfant.

Aujourd’hui, les tests génétiques en situation préconceptionnelle sont autorisés lorsqu’il existe des maladies génétiques très graves dans une famille. On vérifie alors simplement si le gène de la maladie familiale est présent dans le génome des parents. Ces tests sont pratiqués dans les familles consanguines, par exemple, qui ont des risques accrus de pathologies génétiques. Ces familles font évidemment l’objet d’un suivi, sur prescription médicale.

Je le répète, aujourd’hui, seul le gène anormal, reconnu comme étant responsable d’une maladie, est recherché dans le cadre d’un dépistage préconceptionnel. Seules quelques familles à risque sont suivies dans les services de génétique français.

La commission spéciale propose d’ouvrir cette possibilité à tous les Français avant la conception d’un enfant. La première question que nous nous posons, c’est : quel gène devons-nous rechercher, quelle anomalie ? On nous dit que seraient concernées les maladies potentiellement graves et mortelles à la naissance ; mais peut-être aussi une maladie potentiellement grave et mortelle à l’âge de 5 ans, ou une maladie grave, pas mortelle, mais responsable d’un handicap à vie, ou une maladie mortelle à l’âge de 30 ans ou un Alzheimer à 40 ans. Qui fixera la limite ? Qui est aujourd’hui capable de décider quelles maladies nous ne souhaitons pas voir survenir à la naissance ?

Tel n’est pas du tout aujourd’hui l’objet du dépistage préconceptionnel en médecine, lequel vise uniquement à dépister une maladie dont souffre la famille concernée.

C’est le premier problème : quelles pathologies décidons-nous de repérer ?

Deuxième problème : quels changements de comportement un tel dépistage induira-t-il dans la société ? Avant de se marier, demandera-t-on désormais à connaître le génome de son conjoint pour savoir s’il souffre d’une pathologie grave ? Comment prendrons-nous en charge les enfants malades ou les enfants en situation de handicap dans dix ou vingt ans ? Reprocherons-nous à certains couples de ne pas avoir effectué ce dépistage et d’imposer à la société des enfants en situation de handicap ? De telles pratiques seraient contraires à la société inclusive que nous souhaitons aujourd’hui, société dans laquelle nous acceptons évidemment le risque d’une pathologie.

Je dois dire que j’ai été extrêmement surprise en lisant l’article 10 ter. Je suis intimement persuadée qu’il pourrait changer les comportements des jeunes couples, avant même le mariage. Je pense que tout le monde se sentira dans l’obligation un jour de faire des tests pour s’assurer que son enfant ne sera pas porteur du gène de telle ou telle pathologie. C’est le mythe de l’enfant sain. Or ce n’est pas parce qu’aucune anomalie génétique ne sera décelée que l’enfant ne souffrira pas d’une pathologie, d’un trouble psychique ou d’un handicap, nous le savons bien.

Cela donne l’image d’une société où le génome détermine tout, où l’humain contrôle sa descendance. C’est le mythe de générations futures indemnes. Or je ne pense pas que ce soit là la société à laquelle nous aspirons aujourd’hui. Je suis intimement convaincue que nous devons nous en tenir à la législation actuelle, qui prévoit que tout test génétique doit considérer un risque unique, dans une famille unique, dans le cadre d’un parcours de soins, sur prescription médicale.

La suppression de l’article 10 bis que vous venez de voter, mesdames, messieurs les sénateurs, montre votre attachement à la bioéthique à la française. Il s’agit de ne pas banaliser les effets d’analyses génétiques sur les générations ultérieures. Il me semble que l’article adopté en commission spéciale donne une vision de la société pure, indemne – pardonnez-moi de le dire ainsi –, totalement contraire à la société de la bienveillance et de l’inclusion à laquelle nous sommes intimement attachés.

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