Le dépistage de la trisomie 21 n’a rien à voir. La trisomie 21 n’est pas une maladie génétique ; c’est une anomalie acquise pendant la fabrication de l’embryon. Comme c’est extrêmement fréquent à partir d’un certain âge, le dépistage est offert – nous aurons cette discussion sur le diagnostic préimplantatoire pour la recherche d’aneuploïdies (DPI-A) – aux femmes enceintes, sachant qu’un certain nombre d’entre elles décident de ne pas faire d’avortement médical. Trier en amont par rapport à une pathologie très fréquente à partir d’un certain âge et proposer une éventuelle interruption médicale de grossesse pour celles qui le souhaitent – un certain nombre de familles acceptent l’enfant –, ce n’est pas du tout la même démarche.
Le processus sociétal qui est envisagé est très différent. La société française proposerait à toutes les familles, à tous les citoyens de caractériser leur génome pour X maladies définies par une liste encadrée par un arrêté susceptible de changer d’année en année. Ainsi, dans dix ans, il y aura peut-être non pas dix, mais cinquante ou soixante gènes. Qui placera le curseur ? Comment celui-ci évoluera-t-il ?
On fait confiance à des sociétés savantes. Peut-être celles-ci avanceront-elles un jour un argument de coût sociétal. D’aucuns considéreront peut-être dans cinq ans que le traitement de l’amyotrophie spinale, un million d’euros par enfant, est trop cher.
On ouvre ainsi progressivement la porte vers le choix sociétal de ne pas accepter un certain nombre de pathologies. Cela n’a rien à voir avec la trisomie 21, qui n’est pas une maladie génétique ; c’est une anomalie acquise. Elle est dépistée uniquement chez les femmes déjà porteuses de l’enfant.
Je reviens sur l’interpellation de Mme Rossignol. Faut-il faire confiance à des médecins pour établir une liste de ce qui doit être accepté ou pas ? Quels critères choisit-on ? Est-il plus grave d’avoir une maladie mortelle à l’âge de 2 ans ou une maladie profondément handicapante dont on ne meurt jamais ? Qui met en balance le handicap et la souffrance psychique, la souffrance psychique et la souffrance physique, la souffrance physique et la mort ? Jusqu’à quel âge accepte-t-on la mort ? Jusqu’à quel âge ne l’accepte-t-on pas ? Je trouve que ce sont des questions abyssales.
Je ne sais pas pourquoi je laisserais à des généticiens, à des obstétriciens ou à des pédiatres le choix de décider que la souffrance physique, la souffrance psychique, la mort à 5 ans ou la mort à l’âge de 10 ans sont plus graves ou moins graves.
Nous devons prendre nos responsabilités. La liste ne peut pas relever d’un simple choix d’experts. Selon moi, si vous voulez prévoir le dépistage préconceptionnel, c’est au législateur de décider, et non à des experts. Sinon, parmi ceux qui seront désignés dans le groupe de travail, certains ne supporteront pas la mort d’un enfant à 2 ans quand d’autres ne supporteront pas le handicap… En réalité, c’est un choix impossible.
Je considère qu’on ouvre la porte à un champ des possibles effrayant : on commence par trois maladies graves mortelles à l’âge de 1 an et, dans dix ou vingt ans, on refusera des maladies trop coûteuses à l’âge de 30 ans. Il n’y a pas de critère propre qui permette de positionner le curseur. Il n’y a qu’un champ des possibles entre le handicap, la douleur, la mort, le prix et la capacité à soigner.
En plus, cela évolue dans le temps. L’amyotrophie spinale était une maladie mortelle à l’âge de 2 ans. Une thérapie génique arrive. Elle est très chère. Nous pouvons décider aujourd’hui de ne plus détecter cette pathologie puisqu’il existe un traitement. Mais peut-être que l’on ne voudra plus payer un million d’euros par enfant dans cinq ans.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est une porte que je ne veux pas ouvrir. C’est peut-être personnel ; mais c’est aussi le choix du Gouvernement, un choix qui a été mûrement réfléchi. Bien entendu, nous vous laissons légiférer.