Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 28 janvier 2020 à 21h30
Bioéthique — Article 19 ter

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau :

On le sait bien, le débat sur ce sujet a été l’un des moments clés à l’Assemblée nationale. Je veux bien que l’on travaille rapidement parce qu’il est tard, mais, sur ce type de mesure, le diagnostic préimplantoire des aneuploïdies (DPI-A), on devrait prendre le temps. Je ne demande pas plus que ce que prévoit le règlement.

Cela dit, la discussion sur cette mesure a été un moment de tension et d’émotion à l’Assemblée nationale. Je ne l’ai pas vécu, mais vous, oui, madame la ministre, et vous me démentirez si je tiens des propos erronés.

J’ai vu, en commission, un député dire tout fort qu’il fallait éliminer les embryons trisomiques et, à la tribune, un autre député d’un autre groupe déclarer qu’il fallait éradiquer ces embryons. Le cadre est posé de façon brutale.

Je sais que certains promoteurs de cette mesure sont mus par une logique de la bonne intention compassionnelle : en ayant recours au DPI-A, il s’agirait simplement de réduire les fausses couches après une fécondation in vitro. Il ne faut pas le nier, cette argumentation pourrait justifier cette mesure.

Toutefois, de nombreux professeurs de médecine ont apporté la preuve inverse. Ainsi, M. Jean-Paul Bonnefont, devant la mission d’information de l’Assemblée nationale, le 18 octobre 2018, indiquait : « L’augmentation des chances de grossesse après un test d’aneuploïdie n’a jamais été formellement démontrée » – madame la ministre, là encore, vous me démentirez si mes propos sont faux. Il apportait d’ailleurs une autre information en précisant qu’il ne s’agissait pas d’une technique anodine : elle peut conduire aussi à « éliminer des embryons potentiellement sains ».

Évidemment, si vous proposez d’ajouter un autre test aux tests déjà existants, les grands laboratoires et un certain nombre de chercheurs applaudissent : ce sera plus d’argent, plus de chiffre d’affaires !

Toutefois, nous sommes dans une démarche d’eugénisme. Ce n’est pas une dérive. Il ne s’agit en effet ni plus ni moins que de trier les embryons et d’éliminer ceux qui n’ont pas un génome conforme, normal. C’est très clair !

Quel signal envoyons-nous aux personnes handicapées, sinon une stigmatisation terrible ? Vous rendez-vous compte, mes chers collègues, de la violence de ce message pour les personnes trisomiques, mais aussi pour notre société ? Quelle société voulons-nous ?

Voilà quelques mois, un grand Français, Jean Vanier, le fondateur de l’Arche, disparaissait. Il a développé le concept d’éthique de la vulnérabilité, de la fragilité. Il répétait souvent cette phrase : « On mesure le degré d’une civilisation à l’attention qu’elle porte aux plus fragiles. » Nous sommes au cœur du problème !

J’en viens à mon amendement, qui vise évidemment à contrer la mesure adoptée par la commission spéciale. Je parlerai de façon moins rationnelle.

Mes chers collègues, peut-être avez-vous vu lors de sa sortie le film Le Huitième Jour. Je m’étais alors longuement entretenu avec l’acteur principal, trisomique, Pascal Duquenne, qui est une vraie personnalité. À l’époque, c’était dans les années 1990, tous ceux qui ont vu le film – croyez-moi, il a connu un grand succès – avaient été touchés. Au moment où vous voterez, vous devez avoir cette image à l’esprit !

Je citerai une autre référence : le général de Gaulle. Savez-vous que sa fille Anne, qui est née en 1928, était trisomique, lourdement handicapée ? Yvonne de Gaulle et lui avaient choisi de la garder près d’eux, alors qu’à l’époque, dans certains milieux, ces enfants-là étaient écartés et placés dans des hôpitaux psychiatriques. Anne est morte à 20 ans. Dans le cimetière, au moment de son inhumation, le général de Gaulle prit le bras de son épouse et murmura : « Maintenant, elle est comme les autres. » Il avait eu également cette phrase extraordinaire : « Anne était aussi une grâce. Elle m’a aidé à dépasser tous les échecs […], à voir plus haut. » En d’autres termes, la faiblesse de cet enfant trisomique a nourri la force du général.

Nous devons entretenir cette éthique de la fragilité, non seulement pour les personnes handicapées, dont nous avons la charge, mais aussi pour nous-mêmes, parce que cette fragilité et cette vulnérabilité nous rappellent notre condition humaine qui est précisément qu’elle n’est pas sans condition, comme je le disais dans cette enceinte même lors de la discussion générale.

Mes chers collègues, il faut refuser cette mesure et voter cet amendement de suppression. Il s’agit d’une question éthique importante sur laquelle nous pouvons nous retrouver.

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