Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du 28 janvier 2020 à 21h30
Bioéthique — Article 19 ter

Agnès Buzyn :

Il est vrai que les discussions à l’Assemblée nationale ont été extrêmement longues et émouvantes. Je souhaite reposer les termes du débat.

La demande provient essentiellement des centres qui réalisent des fécondations in vitro. Dans de nombreux pays de par le monde, des centres utilisent cette technique visant à trier des embryons pour supprimer, avant réimplantation, des embryons manifestant soit des anomalies visuelles, soit des anomalies du nombre de chromosomes, en espérant que les embryons ainsi triés et réimplantés donneront plus de probabilités à la femme de mener sa grossesse à terme.

L’argumentaire est donc le suivant : cette pratique existe ailleurs et il y a de fortes chances qu’elle améliore la probabilité de réussite et diminue ainsi la souffrance des couples devant entreprendre plusieurs cycles d’AMP et d’insémination.

Les centres d’AMP formulent également cette demande de manière forte pour des raisons médico-économiques, disent-ils, en raison d’une meilleure efficience des techniques.

Force est de constater que la certitude que cette technique améliore réellement le taux de réussite des FIV est loin d’être admise partout dans le monde. D’ailleurs, dans la semaine qui a suivi les débats à l’Assemblée nationale, une grande étude internationale affirmait exactement le contraire : le DPI-A effectué chez les femmes de 25 à 40 ans n’améliorerait en rien le taux de succès de la réimplantation. Elle reposait donc la question de l’utilité de cette technique, qui détruirait parfois des embryons sains, viables, et qui masquerait parfois d’autres anomalies. En effet, on rechercherait des anomalies, mais, ce faisant, on ne détecterait pas les autres, avec le risque que naissent des enfants présentant des pathologies ou que des fausses couches inattendues se produisent. Lors du dernier congrès américain, cette technique a donc eu l’air d’être remise en question.

Le Gouvernement a proposé de poursuivre les protocoles de recherche sur cette technique et, sur la demande des chercheurs et des médecins français, de financer un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC), de façon à accompagner un certain nombre d’équipes en France pour juger de l’utilité et de l’intérêt de cette recherche d’anomalies chromosomiques avant réimplantation pour améliorer l’efficience de l’AMP.

Pourquoi cette technique pose-t-elle des problèmes éthiques ? Si les problèmes n’étaient que techniques, la question ne serait pas débattue devant les parlementaires que vous êtes.

Parmi les anomalies chromosomiques qui sont recherchées, par essence, se trouve la trisomie 21. Or les enfants qui en sont atteints sont viables. En réalité, en éliminant les embryons aneuploïdes, on embarque également, si je puis dire, les embryons trisomiques lors du tri.

Pour être honnête, à l’Assemblée nationale, ont été évoquées des histoires terribles de couples ayant eu un enfant avec une anomalie génétique, recourant ensuite à une AMP pour éviter d’avoir de nouveau un enfant malade. On leur assurait alors que l’embryon qui serait réimplanté ne porterait pas la maladie génétique dont était atteint leur premier enfant, ce que permet la loi, mais le dépistage prénatal faisait apparaître que leur futur enfant serait trisomique.

Il s’agit bien d’histoires terribles : ces familles, qui ont déjà un enfant avec une anomalie génétique, entreprennent une démarche de fécondation in vitro et se retrouvent de facto à devoir décider un avortement thérapeutique. Ces situations, qui sont certainement exceptionnelles, existent.

C’est toujours le même problème qui se pose. Je rappelle que l’on dénombre aujourd’hui 150 000 essais d’AMP dont environ 100 000 reposent sur la fécondation in vitro, donc sur des embryons. Cela concerne toutes les familles, y compris des familles qui n’ont pas d’enfant malade. En ouvrant la technique pour les situations individuelles visées, on ouvrirait une technique de recherche d’anomalies chromosomiques, donc de tri d’embryons, pour tous les parents ayant recours à l’AMP.

Cela pose deux questions éthiques.

D’une part, souhaitons-nous inscrire dans la loi que nous sommes tous d’accord pour définitivement trier des embryons porteurs de la trisomie 21 ?

D’autre part, pourquoi offrir cette possibilité de tri d’embryons uniquement aux couples qui ont recours à une AMP avec FIV ? Pourquoi ceux qui se tournent vers l’insémination artificielle en seraient-ils privés ? Pourquoi ceux qui conçoivent un enfant par voie normale, si je puis dire, prendraient-ils, eux, le risque d’avoir un enfant avec une trisomie 21 ou d’autres anomalies génétiques ou chromosomiques ?

S’il est vrai que la technique est possible et simple, l’argument qui consiste à dire que son utilisation améliorera le rendement de la fécondation in vitro est loin d’être confirmé. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la France finance une recherche à large échelle dans ce domaine. En outre, allons-nous aujourd’hui inscrire dans la loi ce choix d’éliminer des enfants viables présentant des anomalies chromosomiques, comme la trisomie 21 ?

Je reviens sur le diagnostic préconceptionnel. La technique qui permet de déceler les anomalies chromosomiques permet également, selon les réglages, de détecter les anomalies génétiques. En d’autres termes, les laboratoires ayant cette technique en main seraient également à même de détecter les anomalies génétiques et les mutations dont nous avons parlé cet après-midi. Or je rappelle que vous avez émis un avis défavorable sur le fait d’inscrire le dépistage dans la loi.

Sur cette question, j’espère avoir été claire. Le Gouvernement est défavorable à la technique proposée par cet article. Le temps est encore à la recherche. Nous finançons cette recherche, nous accompagnons les équipes pour en savoir plus et définir quelle technique permettrait d’améliorer les FIV sans pour autant prendre une décision lourde sur le plan éthique pour tous les couples.

Par conséquent, le Gouvernement demande la suppression de cet article.

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