Intervention de Anne Levade

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 28 janvier 2020 à 13h55
Audition de Mme Anne Levade candidate proposée par le président du sénat comme membre de la haute autorité pour la transparence de la vie publique

Anne Levade, candidate proposée par le Président du Sénat comme membre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) :

En conscience, je n'ai jamais considéré que l'engagement que j'avais à l'UMP était un engagement de nature politique. Les deux fonctions que j'y ai occupées exigeaient d'ailleurs que je ne sois membre d'aucun parti. Et c'est pour contribuer au bon fonctionnement de la démocratie que j'ai accepté la mission de rapporteur général de la commission des statuts du parti. Je me suis donc engagée en tant que juriste.

Si elle n'a pas restauré la confiance dans la démocratie et dans la vie publique, la HATVP a au moins apporté sa contribution à une moindre aggravation du niveau de défiance. Rétablir la confiance doit être un objectif partagé par tous les acteurs de la vie publique ; la transparence n'est pas un objectif en soi, mais un instrument parmi d'autres. Je ne sais pas comment on rétablit la confiance, mais je constate que, tout en étant critiques, les Français restent très attachés à la démocratie ; la participation aux prochaines élections municipales le soulignera probablement une nouvelle fois. Mais nous connaissons un climat général de morosité qui touche aussi à la perte de confiance dans l'avenir.

La transparence permet de montrer qu'il n'y a rien à cacher. C'est un exercice sain qui permet de prouver que la très grande majorité des responsables politiques est honnête et a le souci de l'intérêt général.

Une révision constitutionnelle dont le seul objet serait de constitutionnaliser la HATVP ne me semble pas indispensable ; je suis d'ailleurs assez réservée à l'égard de toute obsession constitutionnelle. La HATVP est médiatisée par éclipses, au rythme des affaires ou des nominations dont les médias se font l'écho, mais il me semble qu'elle est de mieux en mieux connue. L'accent pourrait être mis sur une diffusion plus large de son rapport annuel ou une meilleure connaissance de ses autres missions hors contrôle.

Je sais que les lois de transparence doivent beaucoup aux affaires, mais j'ai deux réserves : une part candide en moi aimerait qu'il n'y ait pas besoin de scandales pour avancer ; je regrette aussi que les réformes soient alors élaborées dans l'urgence, sous la pression des médias et de l'opinion publique, ce qui peut conduire à faire une démonstration d'intention très forte. L'inflation normative est une maladie bien française : toute situation n'appelle pas nécessairement l'adoption d'une loi ou d'un décret, voire la révision de la Constitution. Notre arsenal juridique me semble déjà tout à fait complet.

Le législateur avait souhaité que les membres du Conseil constitutionnel soient soumis à l'obligation de déposer une déclaration de patrimoine et une déclaration d'intérêts. Ce voeu du législateur a été emporté par la décision du Conseil constitutionnel concernant les déclarations de patrimoine et d'intérêts demandées à certains magistrats. Aucune raison ne s'oppose à ce que les membres du Conseil constitutionnel déposent une déclaration de patrimoine ; il conviendra cependant de réfléchir au régime de publicité adapté à cette déclaration, au regard notamment du respect de la vie privée.

Beaucoup de progrès ont déjà été faits sur les déclarations : les formulaires se sont améliorés et leur numérisation est une avancée. Au-delà des différents guides du déclarant, la HATVP doit continuer à aller vers plus de transparence et de clarté.

La HATVP devrait définir les critères et les référentiels qui peuvent être pris en compte pour l'évaluation du patrimoine des déclarants. Cela doit faire partie du nécessaire dialogue que la HATVP doit entretenir avec les déclarants.

S'agissant des représentants d'intérêts, la situation n'est pas encore totalement satisfaisante. La compétence de la HATVP en ce domaine est récente : nous sommes encore dans une phase de tâtonnements. Le décret d'application de la loi du 9 décembre 2016, dite loi « Sapin II », publié en 2017, est peut-être critiquable, car il est parfois en décalage avec la loi. Il y a beaucoup de fantasmes sur la question des lobbies. Je ne suis pas favorable à ce que les lois soient adoptées par des parlementaires enfermés dans une bulle étanche : il ne s'agit pas de lutter contre le lobbying, mais de reconnaître son existence et de le rendre transparent. Le lobbying n'est pas malsain en soi : lorsqu'ils délibèrent, les parlementaires doivent être éclairés par différents points de vue.

Je suis réservée sur le « sourcing », car il ne faudrait pas laisser croire que les parlementaires ne sont pas les auteurs des amendements qu'ils rédigent. Un amendement est le produit d'une réflexion, en commission ou en audition : le « sourcing » me semble donc assez absurde.

Je suis également réservée sur la publication systématique et obligatoire des agendas des parlementaires. Transparence ne veut pas dire tout mettre sur la table, en vrac : l'open data requiert un travail de traitement.

Au 1er février prochain, les compétences de la HATVP seront élargies à la déontologie de la fonction publique ; cette réforme a très probablement été préparée en amont par les services. Le rôle de la HATVP restera essentiellement subsidiaire : ce sont les administrations qui seront en première ligne pour prévenir les conflits d'intérêts de leurs agents.

Le « rétropantouflage » est une question délicate, mais il ne faut pas le condamner par principe. Je ne pense pas qu'il faille instaurer d'étanchéité entre les mondes économique et administratif ; il faudra procéder au cas par cas.

Le GRECO du Conseil de l'Europe a considéré que la France pouvait mieux faire en termes de transparence, s'agissant notamment de l'action des représentants d'intérêts auprès des cabinets ministériels. Je ne vois pas d'obstacle à ce que les dispositions prévues pour les parlementaires et les élus locaux soient étendues aux membres des cabinets ministériels ; cela serait cohérent.

Il me semble indispensable que la HATVP soit associée aux prochaines réformes, afin que son expérience puisse être prise en compte.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

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