Mes chers collègues, nous entendons aujourd'hui, dans le cadre de la procédure prévue par l'article 13 de la Constitution, Didier Migaud, candidat présenté par le Président de la République pour exercer les fonctions de président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). En cas de nomination, vous succéderiez à Jean-Louis Nadal, dont le mandat a pris fin le 19 décembre 2019. Je regrette la lenteur de la procédure de nomination, avec, pour conséquence, la vacance de la présidence de la Haute Autorité pendant plus d'un mois.
Conformément à la loi organique et à la loi du 23 juillet 2010, le Président de la République devra renoncer à cette nomination si l'addition des votes négatifs exprimés à l'Assemblée nationale et au Sénat représente, au total, au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Le vote aura lieu à la suite de notre audition, qui est publique et ouverte à la presse, avec un dépouillement simultané avec nos collègues députés. Les délégations de vote ne seront pas autorisées.
Didier Migaud, vous êtes Premier président de la Cour des comptes depuis presque dix ans. Nous avons souvent eu l'occasion d'échanger, notamment lors des travaux menés par notre commission sur les moyens de la justice, voilà quelques années. Le concours apporté par la Cour des comptes a été précieux pour nos investigations. Je sais que le rapporteur général et le président de la commission des finances, de même que le président de la commission des affaires sociales, jugent également très positivement leur collaboration avec la Cour, qui est tout à fait conforme aux exigences constitutionnelles.
Auparavant, vous avez été député de l'Isère et maire de Seyssins jusqu'en 2010. Vous avez joué un rôle significatif dans l'élaboration de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1er août 2001, qui a réformé en profondeur notre architecture budgétaire. Votre expérience financière tant au Parlement qu'à la tête de notre plus haute juridiction financière vous a sans doute préparé à l'exercice de la fonction de président de la HATVP.
Je vous laisse désormais la parole pour nous exprimer la conception que vous vous faites de cette fonction, puis vous répondrez aux questions ou observations des membres de la commission.
Je vous remercie, monsieur le président, de votre propos introductif. Je suis très heureux de pouvoir m'exprimer aujourd'hui devant vous ; je sais à quel point votre commission est sensible aux questions déontologiques. Même si le Sénat avait pu émettre quelques réserves lors de l'adoption des lois du 11 octobre 2013, une vraie relation de confiance s'est établie au fil du temps avec la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), grâce au travail mené par Jean-Louis Nadal. Le récent rapport du Groupe d'États contre la corruption (GRECO) du Conseil de l'Europe souligne d'ailleurs la qualité et l'efficacité du fonctionnement de votre comité de déontologie parlementaire.
Ce sera un honneur pour moi de présider la Haute Autorité si les commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat valident ma candidature. Ce sera aussi l'occasion de prolonger un engagement constant au service de l'intérêt général et de l'exemplarité de la vie publique. J'ai l'habitude de rendre compte de mon action devant le Parlement. J'espère que ce retour vers le législateur, qui est important, aura lieu régulièrement.
Les lois du 11 octobre 2013 ont profondément modernisé le dispositif visant à promouvoir l'intégrité publique autour d'une nouvelle autorité indépendante, dotée de pouvoirs de contrôle étendus. La HATVP a montré qu'il était possible de mettre en place un contrôle efficace des déclarations de patrimoine et d'intérêts ; elle a noué des partenariats solides avec la justice, l'administration fiscale et, plus généralement, l'ensemble des acteurs oeuvrant à la promotion de la bonne gestion publique et à la prévention de la corruption. Elle n'a pas hésité à faire usage des pouvoirs d'enquête et d'injonction qui lui ont été conférés par la loi, des pouvoirs qui faisaient défaut à l'ancienne Commission pour la transparence financière de la vie politique. Par ailleurs, la Haute Autorité a su instaurer un dialogue de confiance avec les responsables publics concernés par ces obligations déclaratives. Aussi, il me paraît essentiel de conforter la HATVP dans cette double mission de contrôle et de conseil.
De nouvelles missions se sont peu à peu ajoutées, dont la mise en place du répertoire des représentants d'intérêts. Par la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, vous avez décidé de lui confier certaines missions de la Commission de déontologie de la fonction publique, tout en rénovant le contrôle des aller-retour entre le secteur public et le secteur privé.
Vous connaissez les chiffres mieux que personne : plus de 15 800 responsables publics déposent des déclarations de patrimoine et d'intérêts. Avec 55 agents, la HATVP semble avoir les moyens d'assurer ces contrôles ; 73 dossiers ont été transmis à la justice depuis 2013, ce qui témoigne de la probité de l'immense majorité des élus puisque cela représente moins de 1 % des dossiers contrôlés.
Je partage pleinement les principes qui guident l'action de la HATVP : l'indépendance, le contradictoire et la collégialité, des valeurs que j'ai appliquées sans relâche à la Cour des comptes.
Il n'y a pas de contrôle crédible sans indépendance, et le législateur a été très clair sur le fait que les décisions de la HATVP doivent être prises sans influence du pouvoir politique. La Haute Autorité décide librement de ses contrôles, dans le respect, bien sûr, des textes. Cette indépendance s'accompagne d'un devoir d'impartialité et de rigueur renforcé. Il convient d'être exemplaire sur ce point.
Cet impératif d'impartialité doit s'accompagner d'un certain courage : il importe de sanctionner ceux qui contreviennent sciemment aux règles de la probité publique, sans céder à la tentation de noircir le tableau. La valorisation et la diffusion de bonnes pratiques sont essentielles pour promouvoir la culture de l'intégrité. Je porterai une attention particulière sur ce point.
La force de la HATVP résulte de sa composition : la collégialité est le rempart le plus efficace contre la subjectivité. Le collège, qui compte aujourd'hui huit membres, dont six magistrats, sera enrichi à compter du 1er février prochain de quatre nouvelles personnalités. Le président du Sénat doit, avec votre accord, en nommer deux nouvelles, qui, je n'en doute pas, apporteront une expertise précieuse dans une discussion que je veux aussi libre que possible - la première d'entre elles sera d'ailleurs auditionnée dans quelques heures par votre commission.
Je crois au contradictoire. S'il prend du temps, il éclaire la décision et la rend souvent plus pertinente. Il garantit également la faisabilité sur le terrain. Comme le disait le philosophe Alain, « longtemps avant de pouvoir critiquer, il faut passer des années à comprendre ». Sans attendre des années, il convient de formuler des recommandations étayées. Telle a d'ailleurs été ma préoccupation constante au cours de ces dix dernières années.
La définition du conflit d'intérêts retenue par la loi permet d'embrasser une grande diversité de situations. Elle nécessite de ce fait d'être précisée, explicitée. La prévention du conflit d'intérêts implique, en outre, une approche au cas par cas, afin de garantir tout à la fois l'intégrité de la décision publique et la possibilité pour les forces vives de la Nation d'exercer les fonctions les plus stratégiques.
La prévention des conflits d'intérêts n'est pas innée : elle impose un effort en termes d'accompagnement, de conseil, de formation - je l'ai constaté lorsque j'ai mis en place le dispositif des déclarations d'intérêts à la Cour des comptes - ; elle exige une approche réaliste, préventive et éducative de la déontologie, fondée sur un dialogue étroit avec les responsables publics, comme en attestait le rapport publié en 2011 par la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique à laquelle j'ai participé aux côtés de Jean-Marc Sauvé et de Jean-Claude Magendie.
J'ajoute une quatrième dimension, la confidentialité des contrôles : la transparence sur les patrimoines et les intérêts est un moyen et non une fin. L'action de la HATVP a montré que la transparence de la vie publique et le respect de la vie privée n'étaient pas incompatibles.
Dans ce contexte, quelles sont les perspectives de la HATVP à court et moyen terme ?
Certes, il est toujours délicat de définir des priorités avant d'avoir pu observer le fonctionnement et les contraintes d'une institution, mais, si je devais le faire, elles seraient de trois ordres.
Tout d'abord, les échéances municipales de mars 2020 seront décisives. La HATVP a été créée pour participer à instaurer la confiance entre les citoyens et ceux qui incarnent l'État. Les citoyens veulent être assurés de la probité et de l'impartialité de celles et de ceux qui font les lois et les mettent en oeuvre. Le Grand débat national a aussi montré, malgré une défiance persistante dans la politique, que nos concitoyens restent profondément attachés à la démocratie et aux élus qui sont les plus proches d'eux. Au travers du contrôle des déclarations de situation patrimoniale en fin de mandat, la HATVP devra vérifier l'absence d'enrichissement illicite de celles et de ceux qui ont été à la tête des exécutifs locaux au cours de ces six dernières années. Par la suite, le contrôle des déclarations d'entrée permettra d'assurer d'emblée aux citoyens l'intégrité des nouveaux élus.
Dans cet objectif, l'obtention par la HATVP d'un droit de communication autonome, non plus exercé par la seule administration fiscale comme c'est le cas aujourd'hui, pourrait constituer une avancée. À ce titre, une attention particulière devra être portée aux déclarations d'intérêts publiquement accessibles sur le site internet de l'institution. Ce contrôle devra aussi laisser une place au droit à l'erreur : il faut être exigeant sur les informations demandées, sous peine de faire perdre toute crédibilité à l'exercice, mais il convient de bien distinguer ce qui relève de l'erreur de bonne foi - c'est l'immense majorité des cas -, qui donne lieu à correction, de ce qui peut relever de la dissimulation volontaire.
La HATVP doit bien expliquer son rôle ainsi que ses méthodes, afin de faire comprendre que les responsables publics et les élus n'exercent pas leur mission sans encadrement.
Ensuite, le transfert de compétences de la Commission de déontologie de la fonction publique vers la HATVP, qui aura lieu au 1er février 2020, participe d'une profonde modernisation du contrôle des agents publics. Cette mise en oeuvre devra se faire en respectant les caractéristiques de l'institution : accompagner, conseiller et contrôler. Si vous approuvez la proposition de nomination du Président de la République, je compte mener à bien cette tâche en concertation avec les déontologues nationaux et locaux. Il faudra faire vivre ces réseaux de déontologues que la HATVP a commencé à construire, car la déontologie s'accommode mal d'un pilotage trop lointain.
À cet égard, je veillerai à ce que la HATVP s'inscrive dans une logique d'accompagnement et de pragmatisme, en s'assurant que les obligations de chacun puissent être facilement comprises. La Haute Autorité n'est pas là pour empêcher les hauts fonctionnaires d'acquérir une expérience qui peut être utile dans le secteur privé, ni pour faire obstacle à ce qu'ils réintègrent leur administration d'origine, mais elle doit assurer la sécurisation et l'accompagnement des intéressés dans leurs obligations. Il faut que les avis rendus soient respectés ; mon expérience à la Cour des comptes m'a montré combien l'accumulation d'analyses et de recommandations peut parfois être frustrante pour nos concitoyens. Aussi, toute recommandation formulée doit être suivie.
Par ailleurs, la loi a doté la HATVP d'un pouvoir d'autosaisine, dont il doit être fait usage. De plus, la doctrine devra être à la fois lisible et prévisible. Même si la Commission de déontologie de la fonction publique a parfois été critiquée en certaines circonstances, la Haute Autorité pourra bénéficier de son travail. Des évolutions sont sûrement souhaitables. Je m'engage à ce que les avis de principe de la HATVP soient publiés, comme le permet la loi.
Enfin, la troisième priorité concerne l'encadrement du lobbying, sujet pour lequel le Sénat a adopté des règles claires.
Le répertoire des représentants d'intérêts, qui compte plus de 2 000 inscrits et totalise plus de 15 000 actions de lobbying déclarées, a permis d'étendre l'obligation de transparence aux relations avec le pouvoir exécutif. Face à des critères d'inscription complexes, l'approche pédagogique me semble essentielle. Le champ du répertoire est vaste : il concerne non seulement des entreprises, mais aussi des organisations professionnelles, des syndicats et des associations de taille très variable.
La crédibilité et l'efficacité du dispositif sur le long terme reposent toutefois sur la capacité de la HATVP à faire usage des pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place. Si tout n'est pas public et si les informations déclarées restent globalisées, les représentants d'intérêts ne peuvent pas se soustraire à l'obligation de justifier avec précision l'exactitude et l'exhaustivité de leurs déclarations. La loi prévoit des sanctions pénales pour les lobbies qui ne rempliraient pas leurs obligations. Il importe donc que les règles qui conditionnent l'inscription sur le répertoire soient claires et incontestables.
J'ai cru comprendre que la HATVP avait suggéré plusieurs évolutions. Si vous validez ma candidature, il me semble utile que nous échangions sur ce point. D'ailleurs, l'extension du champ du répertoire aux relations avec les collectivités territoriales, prévue pour le 1er juillet 2021, nécessitera sans doute une réflexion approfondie au regard des multiples interactions qui se nouent chaque jour entre les acteurs locaux et les élus - vous êtes bien placés pour mesurer cette complexité.
Pour conclure, je veux partager avec vous une réflexion qui s'inscrit dans le long terme. Je souhaite que le travail d'intelligence collective engagé par mon prédécesseur se poursuive entre les différentes entités impliquées dans le vaste champ de la lutte contre la corruption afin d'améliorer la complémentarité des actions menées. Une réflexion me semble devoir être conduite sur les missions complémentaires qui sont parfois concurremment développées par d'autres instances. Il est de notre responsabilité collective de faire en sorte que la diversité des structures ne nuise pas à l'efficacité du dispositif. Cela implique des échanges réguliers sur des enjeux communs entre les décideurs, dans un climat de franchise et de confiance.
Voilà ce que je souhaitais vous dire en introduction, en insistant sur la nécessité de rendre compte et de prévoir des rendez-vous réguliers avec la représentation nationale sur ces sujets sensibles.
Je vous remercie pour cet exposé liminaire. Permettez-moi de vous poser quelques questions.
Estimez-vous que, contrairement à certaines idées reçues et qui, pour certaines d'entre elles, sont calomnieuses, le travail de la HATVP a permis de démontrer très largement l'honnêteté des élus français, locaux et nationaux ?
Compte tenu de la masse des informations directement recueillies par la HATVP auprès de la Banque de France et de la direction générale des finances publiques (DGFiP) sur le plan fiscal, pensez-vous possible d'alléger certains volets des déclarations de situation patrimoniale ?
Vous avez évoqué le principe du contradictoire. Vous qui êtes orfèvre en la matière en tant que Premier président de la Cour des comptes, votre expérience peut-elle vous conduire à renforcer le caractère contradictoire des procédures de la HATVP ?
Enfin, vous avez mentionné des missions complémentaires exercées par d'autres institutions. À quelles institutions pensiez-vous ?
Je l'ai dit au début de mon propos, je crois à l'honnêteté de la très grande majorité des élus nationaux et locaux. D'ailleurs, comme je l'ai souligné, moins de 1 % des dossiers contrôlés par la HATVP sont transmis à la justice. Tous les dispositifs mis en place au travers des lois successives doivent contribuer à restaurer la confiance entre les citoyens, les institutions et les élus, et la HATVP peut aussi y concourir. Il faut bien évidemment sanctionner celles et ceux qui ne respectent pas les règles, mais il ne faut pas que l'arbre cache la forêt. Il faut avoir le courage de parler des dysfonctionnements, des irrégularités, mais il faut aussi avoir le courage de dire quand cela va bien. Je crois beaucoup au rôle de conseil et de dialogue que peut jouer la HATVP.
Vous évoquez les complexités qui peuvent être ressenties par les élus. Je dois me faire une idée plus précise sur la question, mais je sais que la HATVP était tout à fait ouverte, sous l'autorité de Jean-Louis Nadal, au dialogue avec celles et ceux qui peuvent être concernés par les déclarations de patrimoine et d'intérêts. Il faut étudier les assouplissements proposés. Ils ne doivent pas conduire à moins de transparence - mais là n'était pas du tout l'objet de votre intervention.
Je suis très attaché au principe du contradictoire mis en avant par Jean-Louis Nadal et acté dans le règlement intérieur de la HATVP. L'indépendance, le contradictoire, la collégialité contribuent à la crédibilité et à la force d'une institution. Aussi, je veillerai à ce que le contradictoire soit toujours la règle. Elle est, me semble-t-il, inscrite dans l'ADN des membres du collège de la HATVP dans la mesure où la plupart d'entre eux sont des magistrats.
Plusieurs organismes peuvent contribuer à la transparence de la vie publique : la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, l'Agence française anticorruption, qui peut oeuvrer sur le même terrain que les chambres régionales des comptes, voire la Cour des comptes, et la HATVP pour toutes les questions relatives à la déontologie et aux conflits d'intérêts. Il importe qu'une jurisprudence soit fixée par la HATVP, qui a été choisie par les parlementaires pour éviter toute divergence de jurisprudence. Il faut mener un travail de réflexion pour éviter que cette diversité de structures ne pénalise l'objectif qui est le vôtre. Sur ce sujet, je n'ai pas d'idées a priori.
Dans votre introduction, vous avez indiqué qu'il fallait traiter le problème du lobbying. Dans le système actuel où la confusion des genres est la figure ordinaire, le contrôle du lobbying est absolument nécessaire, qu'il s'agisse du contrôle de l'inscription sur le registre - nous sommes très en retard par rapport à ce qui se passe dans un certain nombre de pays - ou des activités des lobbies. Qui rencontrent-ils ? Que font-ils ? Pourquoi ? Même si le secret des affaires est un principe sacré, vous semble-t-il possible d'avoir des informations plus précises sur leurs activités ? Par ailleurs, aurez-vous les moyens juridiques et matériels, notamment en termes d'effectifs, de contrôler les déclarations des représentants d'intérêts ?
L'institution que vous vous apprêtez à présider joue un rôle absolument fondamental dans notre vie démocratique. J'ai bien entendu la prudence de vos propos, mais je forme le voeu que votre action soit guidée par une très forte détermination.
Vous avez évoqué deux champs dans lesquels la compétence de la HATVP va être étendue : la déontologie de la fonction publique et la déontologie dans les collectivités territoriales. Lors de vos discussions avec le Président de la République, avez-vous eu des engagements sur les moyens qui seraient mis à la disposition de la Haute Autorité pour assurer ces deux missions supplémentaires ?
Vous n'avez pas parlé du « rétropantouflage » des agents publics - je ne sais pas si les décrets ont été publiés. La Commission de déontologie de la fonction publique était censée mener un travail de vérification lorsqu'un fonctionnaire passait du public au privé - je dis « censée » parce que j'estime qu'elle n'a jamais fait preuve d'une exigence échevelée en la matière. Qu'en est-il dans l'autre sens ? Même s'il est difficile de souhaiter que des personnes du privé aient des fonctions publiques, c'est là un vrai sujet. Quel est votre point de vue en la matière ?
Vous n'avez pas parlé du rayonnement européen de la HATVP. Certains militent en faveur d'une coordination des autorités analogues dans d'autres pays, alors que certains pays y sont totalement réticents. Avez-vous l'ambition d'y contribuer ?
Lors de l'examen de loi dite « Sapin II », le Sénat s'était opposé à l'inclusion des responsables publics locaux dans le champ du registre des représentants d'intérêts, non par principe ou par refus de transparence, mais parce qu'il nous semblait que la HATVP, qui doit déjà contrôler 11 000 responsables nationaux, n'avait pas nécessairement les moyens de contrôler près de 19 000 personnes. Qu'en pensez-vous ?
Les attentes de la société française sont extrêmement fortes en matière de probité des responsables publics. Il règne un certain climat de suspicion.
J'ai le sentiment que la HATVP n'a pas encore complètement trouvé sa place auprès de ceux qu'elle doit contrôler. Il reste encore une forme de difficultés pour les élus à produire une déclaration, à contacter la HATVP. L'acte de déclaration, qui devrait être normal, n'est pas encore naturel. Est-ce dû à la jeunesse de l'institution ? Est-ce dû à la complexité ressentie par les élus ?
En ce qui concerne le lobbying, la loi contient des avancées très importantes. La question est effectivement celle de la capacité de la HATVP à exercer ses moyens de contrôle. C'est d'ailleurs pour cette raison que le président Nadal avait soulevé la question du nombre de représentants d'intérêts supplémentaires liés aux collectivités territoriales. Il avait envisagé la nécessité, éventuellement, de hiérarchiser les contrôles et d'avancer progressivement, en fonction des moyens de la HATVP. Il ne suffit pas d'avoir un registre des représentants d'intérêts, il faut avoir les moyens de s'assurer que les personnes concernées s'inscrivent bien sur le registre et rendent suffisamment compte de leurs contacts. Le citoyen doit savoir comment se font les lois ; qui intervient ; et dans quel sens. Nous devons aux citoyens cette transparence.
C'est pourquoi j'ai la volonté d'exercer pleinement les missions de la HATVP, avec les moyens nécessaires. L'institution est encore jeune. Jean-Louis Nadal a réalisé un travail remarquable. Il importe de le poursuivre, car il est essentiel de montrer qu'une autorité administrative indépendante réalise les contrôles. La transparence est un moyen de renforcer la confiance des citoyens envers le pouvoir politique et les décideurs.
J'en viens au « rétropantouflage ». Il est indispensable que la HATVP puisse s'assurer dans quelle mesure les réserves qu'elle a pu émettre sont bien respectées lorsqu'un fonctionnaire part dans le secteur privé ou lorsqu'une personne, après avoir exercé dans le privé, revient dans la fonction publique. L'idée n'est pas d'empêcher les aller-retour entre le public et le privé, qui peuvent être utiles, mais de faire en sorte que ces mouvements respectent les règles et d'éviter les conflits d'intérêts. Je suis favorable à la mise en place d'une cartographie des risques.
Vous avez insisté sur les moyens de la HATVP. Je ne suis pas encore en fonction, et je ne peux pas apprécier si cette institution dispose bien des moyens pour exercer les missions que le législateur lui a confiées. Le président Nadal a toujours considéré qu'il avait les moyens nécessaires. La loi prévoit désormais le transfert des missions de la Commission de déontologie de la fonction publique, mais je constate que, pour le moment, les moyens n'ont pas suivi. Il n'est pas normal que cette question n'ait pas été abordée lors de l'examen de la précédente loi de finances. Ce sujet constituera l'une de mes premières préoccupations si je suis nommé. Pour le reste, ce n'est que lorsque je serai en fonction que je pourrai apprécier si les moyens de la HATVP sont en adéquation avec ses missions, en programmant peut-être une montée en puissance sur les risques les plus importants que l'on aura identifiés. C'est pour cela qu'il faut élaborer une cartographie des risques, afin que la HATVP soit la plus réactive possible dans les situations les plus sensibles.
J'ai échangé avec le président Nadal et j'ai aussi évoqué un certain nombre de principes essentiels, à mes yeux, avec le Président de la République sur l'indépendance, la nécessité de conforter les missions de la HATVP et de garantir son positionnement. Je voulais m'assurer qu'il s'agissait bien d'une priorité des pouvoirs publics. J'ai été rassuré à ce sujet, mais il m'appartiendra de rester vigilant pour que nous puissions exercer la totalité de nos missions. Je crois, en tout cas, en la nécessité de renouer la confiance entre les citoyens et les élus parce que toute perte de confiance fait peser des menaces sur la démocratie. Il est donc crucial de montrer qu'il existe des autorités administratives, totalement indépendantes, qui s'assurent, par leurs contrôles, que les élus respectent les règles exigeantes qui leur sont imposées. C'est pour cette raison que j'ai accepté de voir ma candidature proposée, dans le prolongement du travail entrepris par Jean-Louis Nadal.
Je crois aussi à des échanges au niveau européen sur ces sujets. La France est peut-être en avance sur un certain nombre de pays et pourrait, éventuellement, assumer la fonction de tête de réseau. Jean-Louis Nadal a commencé à mener ce travail au-delà de l'Europe. Je pense que l'Europe peut constituer un terrain prioritaire. La France a régressé dans le classement de Transparency International pour ce qui concerne l'indice de perception de la corruption. Nous devons comprendre pourquoi, alors même que de nombreuses dispositions législatives ont été adoptées pour renforcer la culture de l'intégrité et de la probité. Nous devons veiller à améliorer notre place dans ce classement ; c'est dans l'intérêt de tous.
Actuellement, les maires des communes de 20 000 habitants et plus doivent remplir une déclaration d'intérêts et de patrimoine. Avez-vous connaissance d'affaires de corruption ou de conflits d'intérêts dans des villes de moins de 20 000 habitants ? Envisagez-vous d'élargir le périmètre de vos interventions en abaissant ce seuil démographique ? Auriez-vous les moyens de le faire ?
Les élus ont bien conscience d'avoir certes quelquefois des droits, mais aussi beaucoup de devoirs. Lorsque j'ai rempli ma déclaration d'intérêts et de patrimoine, je l'ai fait avec beaucoup de soin et de minutie. J'ai consulté mon notaire, mon expert-comptable et mon mari, et je l'ai envoyée avec le sentiment du devoir accompli. Quels ne furent pas ma surprise et mon désarroi lorsque j'ai reçu, quelques semaines plus tard, une lettre de la HATVP me disant que j'avais oublié de déclarer que j'étais usufruitière du quart de la moitié de la maison qu'occupait ma mère. Je ne pouvais pas le déclarer, car je l'ignorais ! Pourquoi ne pas procéder dans le sens inverse puisque, manifestement, la HATVP a accès à des informations que nous n'avons pas toujours sur nos patrimoines ou comptes bancaires ? Pourquoi ne pas nous adresser une déclaration préremplie avec ces informations ?
Voilà en effet une expérience que plusieurs collègues ont pu partager. On ne connaît pas toujours l'archéologie des comptes bancaires de la famille. Certains ignoraient l'existence de comptes ou de livrets d'épargne sur lesquels il ne restait que quelques dizaines d'euros. Si la HATVP adressait des déclarations préremplies, cela faciliterait le travail des élus, qui ne savent pas toujours tout de leur propre patrimoine, alors même qu'ils passent énormément de temps à faire les démarches pour un résultat qui peut être très faible.
Les membres du Conseil constitutionnel devraient-ils remplir, eux aussi, une déclaration de patrimoine et d'intérêts ?
Je rejoins l'intervention de Marie Mercier. Les élus rencontrent de réelles difficultés pour remplir les déclarations de patrimoine. On a beau le faire avec beaucoup de soin, il est parfois très difficile d'évaluer un bien. Des sénateurs ou des députés se sont vu opposer une évaluation des services fiscaux, fondée uniquement sur la surface et l'emplacement, sans tenir compte de l'état du bien... Ne pourrait-on pas clarifier les choses ou prévoir que les estimations de patrimoine sont réalisées par certains professionnels ? Qu'en pensez-vous ?
Est-ce que cela serait, selon vous, trop contraignant ?
Votre parcours suffit à prouver votre indépendance et vos compétences. Il arrive souvent dans les groupes parlementaires que, de manière informelle, un collègue joue le rôle de conseiller juridique et aide ses collègues à remplir leurs déclarations. Peut-être faudrait-il apporter une attention particulière au respect du contradictoire : des échanges entre la HATVP et certains collègues sont apparus comme des échanges d'informations classiques, sans que ces collègues soient en mesure d'apprécier qu'ils pouvaient déboucher sur une plainte au pénal. Il conviendrait donc de formaliser le principe du contradictoire et la procédure.
La HATVP a besoin, en moyenne, de sept mois pour contrôler les situations de déclaration patrimoniale. Comment réduire ce délai, qui place les personnes concernées dans une situation d'insécurité juridique ? Comment fiabiliser les estimations patrimoniales de la HATVP, qui diffèrent souvent des estimations de l'administration fiscale ?
Ma question va exactement dans le même sens : n'y aurait-il pas lieu, dans un souci de sécurité juridique, d'édicter un délai dans lequel, faute de réponse de la HATVP, celle-ci serait considérée comme positive ?
On entend beaucoup parler des dysfonctionnements, des quelques situations d'élus qui ne sont pas satisfaisantes. On n'entend jamais parler de ces centaines de milliers d'élus pour lesquels tout se passe très bien ! Il me semblerait judicieux, au-delà du rapport d'activité de la HATVP, de mettre l'accent sur l'honnêteté générale, à quelques exceptions près, des élus.
Certains élus font l'impasse dans leurs déclarations sur telle ou telle année, ce qui rend les comparaisons difficiles. Il n'est pas normal que ces situations perdurent, alors que la plupart des élus s'astreignent à un remplissage exhaustif de leurs déclarations.
Par ailleurs, il existe toujours une différence de traitement entre les membres du cabinet du Président de la République et les membres des cabinets ministériels. Ne pourrait-on pas soumettre les uns et les autres aux mêmes exigences ?
Je ne pourrai pas répondre avec précision à certaines de vos questions d'ordre pratique, car je ne connais pas encore comment la HATVP fonctionne de l'intérieur. J'entends les observations que vous faites. Depuis l'annonce de ma nomination, j'ai également reçu des témoignages sur des difficultés de dialogue avec la Haute Autorité. J'ai besoin de me rendre compte personnellement du fonctionnement de l'institution pour me faire une idée.
Le président Nadal avait le souci du contradictoire. Il faut prendre en compte la bonne foi et le droit à l'erreur des déclarants. D'ailleurs, le taux de transmission d'affaires au procureur de la République, je l'ai dit, montre bien que ce dialogue existe et que la bonne foi est prise en considération.
La HATVP s'appuie sur les déclarations des élus et les contrôle. Envoyer des déclarations préremplies serait sans doute un exercice beaucoup plus difficile pour la Haute Autorité, nécessitant des moyens plus importants. Je crois beaucoup au dialogue, au contradictoire. Je verrai avec les personnels et le collège de la HATVP s'il est possible d'améliorer le dispositif, de réduire les délais. En attendant, j'entends vos remarques, mais je ne suis pas en mesure de vous apporter des réponses précises sur ces sujets. En tout cas, je crois beaucoup à la présomption de bonne foi a priori et à la reconnaissance du droit à l'erreur, quitte à sanctionner les intéressés si les contrôles montrent une volonté d'omettre délibérément un certain nombre d'informations, ce qui ne semble pas être le cas dans les exemples que vous évoquez.
L'estimation des biens est un sujet difficile ; j'ai besoin d'y travailler avec les services de la HATVP et avec l'administration fiscale pour voir comment procéder. J'ai reçu d'autres témoignages ces dernières semaines qui montrent que la question est réelle ; des estimations sont remises en cause, sans que cela ne semble pertinent. Comment faire en sorte que les estimations ne puissent pas être contestées ? Il devrait être possible de trouver un chemin dès lors que les uns et les autres sont de bonne foi. Je vous propose, si vous validez ma nomination, de revenir devant vous dans quelques mois pour faire le point sur ces questions.
Je crois beaucoup au dialogue avec les élus, qui sont, encore une fois, dans leur immense majorité, honnêtes - vous avez raison de le rappeler. Peut-être la HATVP doit-elle davantage communiquer, expliquer, comme le faisait le président Nadal, que l'immense majorité des élus respecte les principes d'intégrité et de probité. Elle pourrait sans doute rendre compte de son action de façon plus régulière, au-delà de son rapport public annuel, pour expliquer à l'opinion publique que le législateur a imposé des règles et que celles-ci sont respectées et contrôlées.
Il appartient au législateur de fixer les seuils des déclarations d'intérêts et de situation patrimoniale. Les seuils actuels me paraissent a priori raisonnables au regard des moyens de la HATVP. Si le législateur décidait d'élargir les populations concernées, il faudrait bien évidemment prévoir des moyens en conséquence. Pour le moment, nous devons faire en sorte que tous ceux qui sont visés par des obligations déclaratives les respectent. Je pense aussi qu'il serait opportun, avant de penser à élargir les missions de la HATVP, de réaliser une cartographie des risques, sinon l'institution court le risque de se voir submergée par les missions à accomplir. Il est essentiel de fixer des priorités.
Vous avez évoqué les membres du Conseil constitutionnel. Tous ceux qui exercent une activité publique avec des responsabilités devraient remplir une déclaration d'intérêts et de patrimoine.
C'était prévu dans une proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale. Il serait bon que le Sénat s'en saisisse !
Les magistrats judiciaires, financiers ou administratifs n'ont pas été concernés par cette mesure, mais, honnêtement, il n'y a pas de raison. Il appartient au législateur de décider.
En ce qui concerne les autres questions d'ordre plus pratique, je vous propose de revenir devant vous dans quelque mois, si je suis nommé. En tout cas, la HATVP a le souci d'une forte écoute. Je fais miens les trois principes qui sont rappelés sans cesse : l'indépendance, indispensable à la crédibilité de l'institution, le contradictoire et la collégialité.
Je vous remercie.
Sans préjuger du vote de notre commission et de celui de la commission des lois de l'Assemblée, je prends acte de votre proposition, dans l'hypothèse où vous seriez effectivement nommé à cette lourde charge, de revenir devant la commission des lois du Sénat, après une période d'immersion et avant le vote du budget. Cela nous permettra non seulement d'obtenir des réponses plus précises à un certain nombre de questions, auxquelles je comprends très bien qu'il ne vous est pas possible de répondre de manière détaillée, mais aussi de vérifier que le Gouvernement a bien apporté à la HATVP les moyens nécessaires à son fonctionnement, compte tenu de l'élargissement de ses missions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
L'audition de Didier Migaud étant désormais achevée, nous allons à présent procéder au vote, qui se déroulera à bulletins secrets. En application de la loi du 23 juillet 2010, il ne peut y avoir de délégation de vote.
Nous procéderons ensuite au dépouillement, de manière simultanée avec la commission des lois de l'Assemblée nationale.
L'article 13 de la Constitution dispose que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.
La commission procède au vote puis au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Didier Migaud aux fonctions de président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, simultanément à celui de la commission des lois de l'Assemblée nationale.
Voici le résultat du scrutin, qui sera agrégé à celui de la commission des lois de l'Assemblée nationale :
Nombre de votants : 30
Bulletins blancs : 5
Bulletin nul : 0
Suffrages exprimés : 25
Pour : 22
Contre : 3
La réunion, suspendue à 15 h 15, est reprise à 17 heures.
Nous entendons Anne Levade, candidate présentée par le Président du Sénat pour siéger à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
La procédure que nous allons appliquer est prévue dans la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, qui a créé la HATVP. Elle se distingue de l'article 13 de la Constitution notamment parce que notre commission doit se prononcer à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés pour approuver cette nomination.
J'ai souhaité que cette audition soit organisée le même jour que l'audition de Didier Migaud et qu'elle soit publique.
Professeur agrégé de droit public à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Anne Levade est spécialiste de droit constitutionnel et a participé à la commission « Avril » chargée de mener une réflexion sur le statut pénal du Président de la République en 2002, ainsi qu'au comité de réflexion et de proposition « Balladur », sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République en 2007. Elle préside, depuis 2014, l'Association française de droit constitutionnel et publie régulièrement des chroniques de droit constitutionnel.
Elle a également mis ses compétences au service du renforcement de la transparence de la vie politique en exerçant, entre 2014 et 2018, la fonction de présidente de la Haute Autorité de l'UMP, puis des Républicains. Cette responsabilité s'est exercée en toute indépendance et sans engagement partisan.
Je vous laisse désormais la parole pour un propos liminaire. Vous répondrez ensuite aux questions des membres de la commission.
Je suis très honorée d'avoir été choisie par le président Gérard Larcher et d'être auditionnée par votre commission aujourd'hui.
Je mène depuis plus de vingt ans une carrière d'universitaire, essentiellement en droit constitutionnel ; je suis également présidente de l'Association française de droit constitutionnel, qui est une société scientifique.
J'ai toujours essayé de mettre mes compétences de juriste au service de l'intérêt général : ce fut le cas auprès des deux commissions de préparation de révisions constitutionnelles que vous avez citées, ou encore de la Haute Autorité de l'UMP puis des Républicains, chargée de l'organisation de la primaire de la droite et du centre. Je tiens à le rappeler, cela n'était pas un engagement politique de ma part, mais un choix au service d'une expérience démocratique. Cela me donne un regard opérationnel et me permet de ne pas avoir une vision éthérée des mondes juridique et politique et de leur articulation.
J'ai suivi l'installation de la HATVP avec beaucoup d'intérêt. J'ai été auditionnée à plusieurs reprises, notamment par la commission « Sauvé », dans les années qui ont précédé la création de la HATVP. J'ai toujours considéré que la transparence n'est pas une fin en soi, mais un instrument qui, pour être efficace, doit être bien utilisé.
Au cours de ses six premières années d'existence, la HATVP a su relever trois défis.
Le premier défi était relatif à son contexte de création : une structure dédiée à la transparence de la vie politique préexistait et le débat s'était cristallisé sur certains sujets. La HATVP a su rassurer ses interlocuteurs et devenir une instance de dialogue avec les déclarants, mais aussi à l'égard de l'ensemble des citoyens et des observateurs de la vie publique.
Nous vivons en effet une période de crise de confiance sans précédent, qui a, de surcroît, tendance à s'aggraver. Des fantasmes - enjeux financiers, conflits d'intérêts publics-privés, corruption, etc. - se développent. Le défi est colossal, la HATVP ne pourra pas le relever seule, mais le mouvement est amorcé. L'une des missions de la HATVP est de diffuser la culture de la transparence et les résultats des contrôles auxquels elle procède, afin de renouer la confiance avec l'opinion publique. Le taux de contrôle conduisant à des constatations négatives de la Haute Autorité tourne autour de 1 %, ce qui est rassurant.
Le deuxième défi auquel la HATVP est confrontée tient au nombre colossal de ses déclarants. Il me semble que l'organisation de la Haute Autorité a donné satisfaction et lui a permis d'accomplir ses missions. Mais, compte tenu de l'élargissement de ses compétences, ses moyens vont probablement devoir être adaptés.
Enfin, le troisième défi a trait à l'élargissement continu de ses compétences, avec des contrôles de nature différente selon les périmètres concernés. La HATVP a dû et a su adapter les réponses qu'elle a apportées à ces différentes problématiques. Elle va devoir adapter ses moyens à ses missions. Elle devra aussi poursuivre l'amélioration de ses relations avec les déclarants - même si, au bout de six ans, les craintes initiales semblent largement apaisées - ainsi qu'à l'égard de l'opinion publique. La Haute Autorité doit diffuser ses résultats afin d'expliquer la réalité de la vie publique française. C'est ainsi qu'elle réussira la mission qui est la sienne.
Nous assistons depuis plusieurs années à une défiance croissante de nos concitoyens à l'égard du monde politique. La transparence de la vie publique s'est améliorée, mais la confiance ne semble pas se reconstruire. Qu'en pensez-vous ?
La HATVP va prochainement reprendre les compétences de la Commission de déontologie de la fonction publique. Quelle est votre appréciation, notamment sur les allers-retours entre le secteur public et le secteur privé de certains hauts fonctionnaires ?
Un récent rapport du Groupe d'États contre la corruption (GRECO) du Conseil de l'Europe dénonce les relations insuffisamment transparentes entre représentants d'intérêts et cabinets ministériels français. Qu'en pensez-vous ?
S'agissant de la primaire des Républicains, avez-vous des regrets sur la façon dont elle s'est terminée ?
Deux points n'ont pas été évoqués de manière approfondie dans votre propos. Quel est votre point de vue sur la question des lobbies ?
Dans le prolongement de la question de Jean-Yves Leconte, que pensez-vous du « rétropantouflage » ?
Il y a quelques semaines, vous regrettiez que la plupart des réformes relatives à la transparence de la vie publique aient été adoptées à la suite de scandales. Vous faisiez référence à « l'affaire » de Rugy. Je suis surprise, car, en France, toute l'histoire des règles de transparence en France a procédé de scandales et d'affaires ! La HATVP est le produit d'un scandale.
Vous êtes une femme compétente et courageuse. Je n'ai aucun problème par rapport à votre profil. J'ai, en revanche, un problème par rapport à cette proposition de nomination. La HATVP est une institution jeune, fragile, qui a su s'installer, mais qui a besoin de neutralité et d'indépendance pour être respectée. Or vous avez rempli, pendant plusieurs années, d'éminentes fonctions au sein de l'UMP. Vous avez été rapporteure de la réforme des statuts de ce parti. Cela me pose problème car je suis très attachée à la HATVP, qui doit être absolument insoupçonnable.
La visibilité de la HATVP est encore insuffisante auprès de l'opinion publique, mais aussi des déclarants. Les élus ne se sentent pas encore totalement concernés par cette institution jeune, qui doit jouer un rôle central dans notre démocratie.
Permettez-moi de vous féliciter pour vos compétences et votre professionnalisme. Grâce à vous, nous aurons probablement un bel équilibre politique au sein de la HATVP, car Didier Migaud, si mes souvenirs sont exacts, fut adhérent du parti socialiste.
La HATVP a rappelé qu'elle n'était pas compétente pour examiner le cumul d'activités des ministres, pourtant interdit par l'article 23 de la Constitution. Comment s'assurer du respect de ce principe constitutionnel ? Le Gouvernement doit-il nommer un déontologue ?
Comment mieux accompagner les élus locaux dans la prévention des conflits d'intérêts ? La loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique interdit les conflits entre deux intérêts publics, mais a-t-elle un sens dans les collectivités territoriales, lorsqu'un maire serait également président de sa communauté de communes ? La mise en oeuvre du registre des représentants d'intérêts dans les collectivités territoriales a été décalée au 1er juillet 2021, mais elle s'annonce particulièrement complexe au regard du nombre de collectivités concernées. Quelles solutions pourriez-vous préconiser ?
La HATVP a été mise en place en 2013 et pourtant, la crise démocratique s'aggrave : n'y a-t-il pas là un paradoxe ? Ne fait-on pas face à un phénomène autophagique ? Plus la transparence progresse, plus la crise de la représentation s'aggrave...
Suffira-t-il de mieux diffuser l'information, comme vous le dites ? L'information, y compris celle de la HATVP, est aujourd'hui largement diffusée. Le problème me semble plutôt relever de l'interprétation et de la présentation du travail de la HATVP.
La HATVP doit davantage communiquer sur son travail : les Français doivent bien comprendre que seul 1 % des déclarations examinées par la HATVP posent problème.
L'ancien président de la Haute Autorité a proposé de reconnaître, dans la Constitution, le rôle de l'institution. Cette dernière deviendrait une autorité constitutionnelle, au même titre que le Défenseur des droits, mentionné à l'article 71-1 de la Constitution. Cette proposition vous semble-t-elle indispensable pour garantir le bon fonctionnement de la HATVP ?
Le parcours préalable supposé d'une personne permet-il de juger de l'indépendance de l'institution à laquelle elle appartient ? De nombreux membres de nos institutions peuvent se prévaloir d'un parcours politique : le Conseil constitutionnel lui-même est aujourd'hui présidé par une personnalité ayant des antécédents politiques.
Les membres du Conseil constitutionnel ne devraient-ils pas être soumis à l'obligation de remplir une déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d'intérêts ? Une proposition de loi a été votée par l'Assemblée nationale en ce sens, mais elle n'a toujours pas été inscrite à l'ordre du jour du Sénat.
Quels sont les critères admis pour l'évaluation du patrimoine ? Nous sommes tous confrontés à cette difficulté.
Certaines associations ont proposé de « sourcer » les amendements proposés par des représentants d'intérêts. Cette obligation vous semble-t-elle compatible avec le droit d'amendement des parlementaires, garanti par l'article 44 de la Constitution ?
Nous ne saurions vous faire grief d'avoir eu des activités politiques - que vous n'avez, au demeurant, pas eues -, alors que, ce matin même, nous nous félicitions que Didier Migaud soit un ancien parlementaire. De surcroît, comme Premier président de la Cour des comptes, il a fait la preuve de son impartialité et de son indépendance, comme vous l'avez probablement fait dans vos fonctions de constitutionnaliste.
En conscience, je n'ai jamais considéré que l'engagement que j'avais à l'UMP était un engagement de nature politique. Les deux fonctions que j'y ai occupées exigeaient d'ailleurs que je ne sois membre d'aucun parti. Et c'est pour contribuer au bon fonctionnement de la démocratie que j'ai accepté la mission de rapporteur général de la commission des statuts du parti. Je me suis donc engagée en tant que juriste.
Si elle n'a pas restauré la confiance dans la démocratie et dans la vie publique, la HATVP a au moins apporté sa contribution à une moindre aggravation du niveau de défiance. Rétablir la confiance doit être un objectif partagé par tous les acteurs de la vie publique ; la transparence n'est pas un objectif en soi, mais un instrument parmi d'autres. Je ne sais pas comment on rétablit la confiance, mais je constate que, tout en étant critiques, les Français restent très attachés à la démocratie ; la participation aux prochaines élections municipales le soulignera probablement une nouvelle fois. Mais nous connaissons un climat général de morosité qui touche aussi à la perte de confiance dans l'avenir.
La transparence permet de montrer qu'il n'y a rien à cacher. C'est un exercice sain qui permet de prouver que la très grande majorité des responsables politiques est honnête et a le souci de l'intérêt général.
Une révision constitutionnelle dont le seul objet serait de constitutionnaliser la HATVP ne me semble pas indispensable ; je suis d'ailleurs assez réservée à l'égard de toute obsession constitutionnelle. La HATVP est médiatisée par éclipses, au rythme des affaires ou des nominations dont les médias se font l'écho, mais il me semble qu'elle est de mieux en mieux connue. L'accent pourrait être mis sur une diffusion plus large de son rapport annuel ou une meilleure connaissance de ses autres missions hors contrôle.
Je sais que les lois de transparence doivent beaucoup aux affaires, mais j'ai deux réserves : une part candide en moi aimerait qu'il n'y ait pas besoin de scandales pour avancer ; je regrette aussi que les réformes soient alors élaborées dans l'urgence, sous la pression des médias et de l'opinion publique, ce qui peut conduire à faire une démonstration d'intention très forte. L'inflation normative est une maladie bien française : toute situation n'appelle pas nécessairement l'adoption d'une loi ou d'un décret, voire la révision de la Constitution. Notre arsenal juridique me semble déjà tout à fait complet.
Le législateur avait souhaité que les membres du Conseil constitutionnel soient soumis à l'obligation de déposer une déclaration de patrimoine et une déclaration d'intérêts. Ce voeu du législateur a été emporté par la décision du Conseil constitutionnel concernant les déclarations de patrimoine et d'intérêts demandées à certains magistrats. Aucune raison ne s'oppose à ce que les membres du Conseil constitutionnel déposent une déclaration de patrimoine ; il conviendra cependant de réfléchir au régime de publicité adapté à cette déclaration, au regard notamment du respect de la vie privée.
Beaucoup de progrès ont déjà été faits sur les déclarations : les formulaires se sont améliorés et leur numérisation est une avancée. Au-delà des différents guides du déclarant, la HATVP doit continuer à aller vers plus de transparence et de clarté.
La HATVP devrait définir les critères et les référentiels qui peuvent être pris en compte pour l'évaluation du patrimoine des déclarants. Cela doit faire partie du nécessaire dialogue que la HATVP doit entretenir avec les déclarants.
S'agissant des représentants d'intérêts, la situation n'est pas encore totalement satisfaisante. La compétence de la HATVP en ce domaine est récente : nous sommes encore dans une phase de tâtonnements. Le décret d'application de la loi du 9 décembre 2016, dite loi « Sapin II », publié en 2017, est peut-être critiquable, car il est parfois en décalage avec la loi. Il y a beaucoup de fantasmes sur la question des lobbies. Je ne suis pas favorable à ce que les lois soient adoptées par des parlementaires enfermés dans une bulle étanche : il ne s'agit pas de lutter contre le lobbying, mais de reconnaître son existence et de le rendre transparent. Le lobbying n'est pas malsain en soi : lorsqu'ils délibèrent, les parlementaires doivent être éclairés par différents points de vue.
Je suis réservée sur le « sourcing », car il ne faudrait pas laisser croire que les parlementaires ne sont pas les auteurs des amendements qu'ils rédigent. Un amendement est le produit d'une réflexion, en commission ou en audition : le « sourcing » me semble donc assez absurde.
Je suis également réservée sur la publication systématique et obligatoire des agendas des parlementaires. Transparence ne veut pas dire tout mettre sur la table, en vrac : l'open data requiert un travail de traitement.
Au 1er février prochain, les compétences de la HATVP seront élargies à la déontologie de la fonction publique ; cette réforme a très probablement été préparée en amont par les services. Le rôle de la HATVP restera essentiellement subsidiaire : ce sont les administrations qui seront en première ligne pour prévenir les conflits d'intérêts de leurs agents.
Le « rétropantouflage » est une question délicate, mais il ne faut pas le condamner par principe. Je ne pense pas qu'il faille instaurer d'étanchéité entre les mondes économique et administratif ; il faudra procéder au cas par cas.
Le GRECO du Conseil de l'Europe a considéré que la France pouvait mieux faire en termes de transparence, s'agissant notamment de l'action des représentants d'intérêts auprès des cabinets ministériels. Je ne vois pas d'obstacle à ce que les dispositions prévues pour les parlementaires et les élus locaux soient étendues aux membres des cabinets ministériels ; cela serait cohérent.
Il me semble indispensable que la HATVP soit associée aux prochaines réformes, afin que son expérience puisse être prise en compte.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Nous avons procédé à l'audition d'Anne Levade, dont la nomination par le Président du Sénat est envisagée pour intégrer la HATVP.
Nous allons à présent procéder au vote. Conformément à l'article 19 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, notre commission devra se prononcer, à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, pour approuver cette nomination.
En application de l'ordonnance du 7 novembre 1958, les délégations de vote sont autorisées.
La commission procède au vote puis au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président du Sénat, de Mme Anne Levade aux fonctions de membre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants : 32
Bulletins blancs : 5
Bulletin nul : 1
Suffrages exprimés : 26
Pour : 25
Contre : 1
La réunion est close à 18 h 10.