Avec près de 3,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires, une profitabilité de 7,6 %, un carnet de commandes en dur de plus de 15 milliards d'euros, un carnet de commande futur de 60 à 70 milliards d'euros, une belle croissance sur les dernières années - entre 15 et 25 % - et une performance opérationnelle en nette amélioration en réduisant notamment nos délais de construction, Naval Group est maintenant le leader du naval de défense en Europe.
Notre vocation est d'être l'outil de souveraineté de l'État dans le domaine naval. Depuis 400 ans, nous entretenons 400 compétences couvrant la totalité du spectre des navires de combat, depuis la construction des navires de surface et sous-marins jusqu'aux systèmes de combat - c'est une spécificité française - en passant par la maintenance.
Avec un portefeuille capacitaire qui couvre les cinq mers du globe et des capacités de projection qui nous permettent de nous déployer simultanément dans trois à cinq zones, la marine française se place au deuxième rang mondial en termes de technologie. Nous souhaitons assurer une croissance durable par un équilibre entre le service de la souveraineté de la France et, grâce à un portefeuille d'export fourni qui représente entre 40 et 60 % de notre production, le maintien du niveau de compétitivité de notre industrie.
Naval Group doit avoir la robustesse financière pour maintenir les compétences entre deux programmes de construction de la France. À Lorient, par exemple, nous avons construit près de trente navires de premier rang, dont 16 pour la France et 14 pour l'export : sans ces derniers, nous n'aurions pas pu fournir à la France ses navires au prix en question. En France, une frégate vaut environ 750 millions d'euros contre 1 milliard d'euros en Allemagne - pays qui n'exporte pas - et 1,2 milliard de livres au Royaume-Uni. Notre différentiel de compétitivité est d'environ 30 à 40 % en faveur de la France, et nous estimons que le retour sur investissement de notre activité d'export représente environ 400 millions d'euros par an de pouvoir d'achat supplémentaire.
Telles sont les raisons de notre stratégie duale : l'excellence pour la France et préservation d'un volume d'export indispensable à la souveraineté française. Pour répondre à cette double obligation, nous avons trois axes stratégiques. Le premier est l'accélération de l'innovation, pour suivre l'accélération des cycles de technologie. Aujourd'hui, notre capacité en recherche et développement (R&D) doit être multipliée par trois.
Le deuxième axe est l'investissement dans notre présence à l'international, où nous avons beaucoup investi pour développer notre présence industrielle, notamment au Brésil, en Australie, en Malaisie, en Inde, en Égypte.
Le troisième axe est la consolidation européenne. Cette dernière nous semble indispensable. En effet, l'Europe est le seul continent qui ait besoin d'exporter 40 à 60 % de sa production. Notre marché domestique représente entre le tiers et le quart des marchés américains ou chinois et la moitié du marché russe. Alors que les entrepreneurs chinois, russes ou coréens ont fusionné au sein d'entités uniques et que deux entreprises se partagent le marché américain, en Europe nous sommes douze constructeurs, plus divisés que jamais.
Par comparaison, il y a trente ans, on comptait quatre fabricants de TGV dans le monde, tous européens. Deux ont disparu en Italie et en Espagne, et l'on a empêché le rapprochement des deux autres, Siemens et Alstom, qui se classent aujourd'hui loin derrière deux groupes chinois, deux groupes coréens, un groupe japonais et d'autres nouveaux entrants.
En 2003 le marché naval était exclusivement occupé par des groupes européens. Les russes et américains ne faisaient pas d'export, mais seulement quelques coopérations politiques ponctuelles. Depuis 2018, les Européens sont plus divisés que jamais : les Suédois et les Allemands ont divorcé, les Allemands sont disséminés au sein de trois entités et nous nous sommes séparés des Espagnols. Dans le même temps, les Chinois sont devenus les premiers mondiaux, les Russes sont, depuis cette année, les deuxièmes mondiaux, et la concurrence japonaise et coréenne s'accroît. Lors du dernier appel d'offre brésilien pour seulement 4 corvettes, il y avait 22 candidats...
Notre accès à ces marchés à l'export est menacé, en particulier dans le secteur militaire. C'est pourquoi il ne faut pas se lancer dans des compétitions fratricides avec Fincantieri, les suédois ou les allemands, qui tuent nos marges, mais plutôt de serrer les rangs en Europe avant qu'il ne soit trop tard et de se tourner vers nos vrais concurrents. Aucun pays européen n'a aujourd'hui de marché domestique suffisant pour entretenir une base technologique complète et compétitive.
Il y a cinq ans, Naval Group et Fincantieri ont décidé de se rapprocher autant que possible afin de développer conjointement leur présence sur le marché. Cela nous permet notamment de mutualiser nos investissements en R&D au lieu d'augmenter nos marges, et de mettre en commun les frais commerciaux considérables, qui vont jusqu'à 20 millions d'euros dans notre domaine, tout en complétant notre portefeuille d'export. Cette coopération s'est traduite par la création de la joint-venture Naviris, qui est désormais pleinement opérationnelle et dont le premier conseil d'administration s'est tenu le 13 janvier dernier.
Naviris sera aussi un outil de construction de l'Europe : nous avons fait des propositions à la Commission pour des corvettes européennes et pour une roadmap commune de R&D, qui commence à intéresser d'autres pays.
Nous disposons d'outils nous permettant de coopérer sur certains sujets tout en protégeant nos actifs stratégiques : c'est notre savoir-faire de tous les jours. La défense qualitative et quantitative du partage du travail est aussi inscrite dans nos accords d'actionnaires : ce projet vise bien à créer du business. Nous veillons à la préservation de nos parts de travail, mais aussi à celle de nos supply chain nationales et des petites et moyennes entreprises (PME) qui travaillent avec nous. En somme, cette coopération ne peut que profiter à l'activité française. Nous l'envisageons de manière pragmatique, afin de ne pas se retrouver le dos au mur dans quinze ans.
Cette stratégie italienne n'est pas exclusive d'autres initiatives. Si l'Allemagne ne souhaite pas pour l'heure s'engager dans un rapprochement, nous menons des coopérations ponctuelles avec les Espagnols et nous avons entamé des discussions avec la Grèce. Mais ceux qui débutent une consolidation seront ensuite les premiers à en bénéficier.
Sur le segment des énergies renouvelables, notre activité est très différente de celle des Chantiers de l'Atlantique, qui se sont spécialisés dans les modules de conversion d'électricité - dérivés de technologies navales historiques. Naval Group s'était d'abord positionnés sur les hydroliennes, mais faute de commandes, notamment de la France qui n'a pas tenu ses engagements, nous avons interrompu cette activité à l'été 2018. Nous nous sommes alors concentrés sur deux niches : les énergies thermiques marines et les éoliennes flottantes. Sur ce dernier segment, nous intervenons en tant qu'intégrateurs d'objets flottants complexes, car le marché de la fabrication de machines est déjà envahi.
J'en viens à notre coopération avec les Chantiers de l'Atlantique. L'activité navale a souffert mille morts et mille restructurations pendant près de trente ans et sous la pression concurrentielle et la réduction des budgets, dans le civil comme dans le militaire. Naval Group comptait 34 000 salariés à la fin des années 1970. Ce chiffre est descendu à 12 000, ce qui a conduit à une spécialisation drastique des sites : Cherbourg pour les sous-marins, Brest pour leur entretien, Lorient pour les navires de surface... Comme nous n'avions pas suffisamment de flux de commandes françaises pour maintenir une activité de bâtiments de gros tonnage à Brest, nous avons décidé de nous appuyer sur les Chantiers de l'Atlantique, du moins pour la fabrication des coques. Tant que nous étions encore puissance publique, nous pouvions nous imposer dans le carnet de commandes des Chantiers de l'Atlantique. Depuis que nous sommes devenus une société de droit privé, nous avons décidé, pour sécuriser notre lien stratégique avec les Chantiers de l'Atlantique et notre capacité de construction de gros tonnage, d'en devenir un actionnaire minoritaire. Nous ne sommes pas leur opérateur : ils ont bien d'autres clients. Ce partenariat est légitime et fonctionne très bien, par exemple pour les pétroliers ravitailleurs franco-italiens, les bateaux de projection et de commandement (BPC), et évidemment pour le futur porte-avions français que nous étudions déjà avec les Chantiers.
Si la Commission donne son feu vert au rachat des Chantiers par Fincantieri, l'accord tripartite d'actionnaires entre Naval Group, l'APE et Fincantieri entrera en vigueur. Dans cette hypothèse notre rôle resterait le même, à savoir assurer la disponibilité des moyens nécessaires aux intérêts stratégiques de la France. Du reste, tant que le marché est favorable aux gros bateaux, ce rachat avantagerait plutôt les Chantiers de l'Atlantique, car les chantiers de Fincantieri situés à Trieste sont plus petits que ceux de Saint-Nazaire.