Commission des affaires économiques

Réunion du 28 janvier 2020 à 18h05

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Nous poursuivons nos travaux consacrés au rachat des Chantiers de l'Atlantique par le groupe italien Fincantieri. J'ai le plaisir d'accueillir M. Hervé Guillou, président-directeur général de Naval Group. Votre groupe est le deuxième actionnaire des Chantiers après l'État français, détenant 11,7% des parts de l'entreprise contre 84,3% pour l'État français.

Naval Group fait partie des leaders européens du « naval de défense », vos seize sites dans le monde s'ajoutant aux dix sites français. Le dynamisme de votre activité est impressionnant. D'un montant de 30 milliards d'euros, le « contrat du siècle », signé l'année dernière avec l'Australie pour la construction de sous-marins, a marqué les mémoires. Ce chiffre témoigne du poids de la construction navale militaire et civile pour notre économie, pour notre performance à l'export et pour le rayonnement de l'industrie française.

Nous souhaiterions que vous nous présentiez les liens qui existent entre Naval Group et les Chantiers de Saint-Nazaire, outre le lien capitalistique. Quel atout les Chantiers représentent-ils pour vous, alors que vous coopérez avec eux pour la construction de certains bâtiments, comme les quatre pétroliers ravitailleurs commandés en 2019 ? Est-ce le cas sur d'autres types de navires ? Nous avons entendu que les chantiers de Saint-Nazaire disposent de savoir-faire uniques, en matière de coque de porte-avions par exemple. En matière d'énergies marines renouvelables, champ très prometteur, quel a été le développement de vos activités et entendez-vous poursuivre vos efforts ? Travaillez-vous en lien avec les Chantiers dans ce domaine ? Dans ce contexte, si la Commission européenne donne son feu vert au rachat des Chantiers de l'Atlantique par Fincantieri, quel sera l'avenir de votre collaboration et de votre participation au capital des Chantiers ?

Après plusieurs années d'hésitation, cette année marque aussi l'approfondissement de votre partenariat avec Fincantieri par la création d'une coentreprise, Naviris. À terme, vous souhaitez pouvoir présenter des réponses communes aux appels d'offres et ainsi conquérir de nouveaux marchés. Mais aujourd'hui, votre performance à l'export semble bien meilleure que celle de Fincantieri : qu'est-ce que Naval Group peut gagner par une telle alliance, et comment assurer le partage des marchés et de l'activité ? Il ne faudrait pas que cette convergence se fasse au détriment des sites français.

Cette question résonne particulièrement, alors que Fincantieri vient justement d'élargir son partenariat avec le géant chinois et de lancer la construction de son premier grand paquebot construit entièrement en Chine. Selon vous, la tentation chinoise est-elle une opportunité de croissance et de développement ou une erreur stratégique pour la compétitivité de l'industrie européenne ?

Nous voulons particulièrement appréhender le risque de transfert de technologies stratégiques, voire de transfert d'emplois, auquel est confrontée l'industrie française de construction navale, civile comme militaire. La Chine est aujourd'hui le plus grand constructeur naval au monde ; il ne lui manque plus que quelques briques de technologies pour asseoir sa domination, notamment sur le secteur des paquebots. Naval Group est actif dans un domaine où la protection de la souveraineté et des technologies est critique : comment assurez-vous cette protection et quelles en sont les limites ?

Enfin, après près de six ans passés à la tête de DCNS puis de Naval Group, quels enseignements tirez-vous ? Quelles devraient être les priorités stratégiques du groupe pour l'avenir ?

Debut de section - Permalien
Hervé Guillou, président-directeur général de Naval Group

Avec près de 3,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires, une profitabilité de 7,6 %, un carnet de commandes en dur de plus de 15 milliards d'euros, un carnet de commande futur de 60 à 70 milliards d'euros, une belle croissance sur les dernières années - entre 15 et 25 % - et une performance opérationnelle en nette amélioration en réduisant notamment nos délais de construction, Naval Group est maintenant le leader du naval de défense en Europe.

Notre vocation est d'être l'outil de souveraineté de l'État dans le domaine naval. Depuis 400 ans, nous entretenons 400 compétences couvrant la totalité du spectre des navires de combat, depuis la construction des navires de surface et sous-marins jusqu'aux systèmes de combat - c'est une spécificité française - en passant par la maintenance.

Avec un portefeuille capacitaire qui couvre les cinq mers du globe et des capacités de projection qui nous permettent de nous déployer simultanément dans trois à cinq zones, la marine française se place au deuxième rang mondial en termes de technologie. Nous souhaitons assurer une croissance durable par un équilibre entre le service de la souveraineté de la France et, grâce à un portefeuille d'export fourni qui représente entre 40 et 60 % de notre production, le maintien du niveau de compétitivité de notre industrie.

Naval Group doit avoir la robustesse financière pour maintenir les compétences entre deux programmes de construction de la France. À Lorient, par exemple, nous avons construit près de trente navires de premier rang, dont 16 pour la France et 14 pour l'export : sans ces derniers, nous n'aurions pas pu fournir à la France ses navires au prix en question. En France, une frégate vaut environ 750 millions d'euros contre 1 milliard d'euros en Allemagne - pays qui n'exporte pas - et 1,2 milliard de livres au Royaume-Uni. Notre différentiel de compétitivité est d'environ 30 à 40 % en faveur de la France, et nous estimons que le retour sur investissement de notre activité d'export représente environ 400 millions d'euros par an de pouvoir d'achat supplémentaire.

Telles sont les raisons de notre stratégie duale : l'excellence pour la France et préservation d'un volume d'export indispensable à la souveraineté française. Pour répondre à cette double obligation, nous avons trois axes stratégiques. Le premier est l'accélération de l'innovation, pour suivre l'accélération des cycles de technologie. Aujourd'hui, notre capacité en recherche et développement (R&D) doit être multipliée par trois.

Le deuxième axe est l'investissement dans notre présence à l'international, où nous avons beaucoup investi pour développer notre présence industrielle, notamment au Brésil, en Australie, en Malaisie, en Inde, en Égypte.

Le troisième axe est la consolidation européenne. Cette dernière nous semble indispensable. En effet, l'Europe est le seul continent qui ait besoin d'exporter 40 à 60 % de sa production. Notre marché domestique représente entre le tiers et le quart des marchés américains ou chinois et la moitié du marché russe. Alors que les entrepreneurs chinois, russes ou coréens ont fusionné au sein d'entités uniques et que deux entreprises se partagent le marché américain, en Europe nous sommes douze constructeurs, plus divisés que jamais.

Par comparaison, il y a trente ans, on comptait quatre fabricants de TGV dans le monde, tous européens. Deux ont disparu en Italie et en Espagne, et l'on a empêché le rapprochement des deux autres, Siemens et Alstom, qui se classent aujourd'hui loin derrière deux groupes chinois, deux groupes coréens, un groupe japonais et d'autres nouveaux entrants.

En 2003 le marché naval était exclusivement occupé par des groupes européens. Les russes et américains ne faisaient pas d'export, mais seulement quelques coopérations politiques ponctuelles. Depuis 2018, les Européens sont plus divisés que jamais : les Suédois et les Allemands ont divorcé, les Allemands sont disséminés au sein de trois entités et nous nous sommes séparés des Espagnols. Dans le même temps, les Chinois sont devenus les premiers mondiaux, les Russes sont, depuis cette année, les deuxièmes mondiaux, et la concurrence japonaise et coréenne s'accroît. Lors du dernier appel d'offre brésilien pour seulement 4 corvettes, il y avait 22 candidats...

Notre accès à ces marchés à l'export est menacé, en particulier dans le secteur militaire. C'est pourquoi il ne faut pas se lancer dans des compétitions fratricides avec Fincantieri, les suédois ou les allemands, qui tuent nos marges, mais plutôt de serrer les rangs en Europe avant qu'il ne soit trop tard et de se tourner vers nos vrais concurrents. Aucun pays européen n'a aujourd'hui de marché domestique suffisant pour entretenir une base technologique complète et compétitive.

Il y a cinq ans, Naval Group et Fincantieri ont décidé de se rapprocher autant que possible afin de développer conjointement leur présence sur le marché. Cela nous permet notamment de mutualiser nos investissements en R&D au lieu d'augmenter nos marges, et de mettre en commun les frais commerciaux considérables, qui vont jusqu'à 20 millions d'euros dans notre domaine, tout en complétant notre portefeuille d'export. Cette coopération s'est traduite par la création de la joint-venture Naviris, qui est désormais pleinement opérationnelle et dont le premier conseil d'administration s'est tenu le 13 janvier dernier.

Naviris sera aussi un outil de construction de l'Europe : nous avons fait des propositions à la Commission pour des corvettes européennes et pour une roadmap commune de R&D, qui commence à intéresser d'autres pays.

Nous disposons d'outils nous permettant de coopérer sur certains sujets tout en protégeant nos actifs stratégiques : c'est notre savoir-faire de tous les jours. La défense qualitative et quantitative du partage du travail est aussi inscrite dans nos accords d'actionnaires : ce projet vise bien à créer du business. Nous veillons à la préservation de nos parts de travail, mais aussi à celle de nos supply chain nationales et des petites et moyennes entreprises (PME) qui travaillent avec nous. En somme, cette coopération ne peut que profiter à l'activité française. Nous l'envisageons de manière pragmatique, afin de ne pas se retrouver le dos au mur dans quinze ans.

Cette stratégie italienne n'est pas exclusive d'autres initiatives. Si l'Allemagne ne souhaite pas pour l'heure s'engager dans un rapprochement, nous menons des coopérations ponctuelles avec les Espagnols et nous avons entamé des discussions avec la Grèce. Mais ceux qui débutent une consolidation seront ensuite les premiers à en bénéficier.

Sur le segment des énergies renouvelables, notre activité est très différente de celle des Chantiers de l'Atlantique, qui se sont spécialisés dans les modules de conversion d'électricité - dérivés de technologies navales historiques. Naval Group s'était d'abord positionnés sur les hydroliennes, mais faute de commandes, notamment de la France qui n'a pas tenu ses engagements, nous avons interrompu cette activité à l'été 2018. Nous nous sommes alors concentrés sur deux niches : les énergies thermiques marines et les éoliennes flottantes. Sur ce dernier segment, nous intervenons en tant qu'intégrateurs d'objets flottants complexes, car le marché de la fabrication de machines est déjà envahi.

J'en viens à notre coopération avec les Chantiers de l'Atlantique. L'activité navale a souffert mille morts et mille restructurations pendant près de trente ans et sous la pression concurrentielle et la réduction des budgets, dans le civil comme dans le militaire. Naval Group comptait 34 000 salariés à la fin des années 1970. Ce chiffre est descendu à 12 000, ce qui a conduit à une spécialisation drastique des sites : Cherbourg pour les sous-marins, Brest pour leur entretien, Lorient pour les navires de surface... Comme nous n'avions pas suffisamment de flux de commandes françaises pour maintenir une activité de bâtiments de gros tonnage à Brest, nous avons décidé de nous appuyer sur les Chantiers de l'Atlantique, du moins pour la fabrication des coques. Tant que nous étions encore puissance publique, nous pouvions nous imposer dans le carnet de commandes des Chantiers de l'Atlantique. Depuis que nous sommes devenus une société de droit privé, nous avons décidé, pour sécuriser notre lien stratégique avec les Chantiers de l'Atlantique et notre capacité de construction de gros tonnage, d'en devenir un actionnaire minoritaire. Nous ne sommes pas leur opérateur : ils ont bien d'autres clients. Ce partenariat est légitime et fonctionne très bien, par exemple pour les pétroliers ravitailleurs franco-italiens, les bateaux de projection et de commandement (BPC), et évidemment pour le futur porte-avions français que nous étudions déjà avec les Chantiers.

Si la Commission donne son feu vert au rachat des Chantiers par Fincantieri, l'accord tripartite d'actionnaires entre Naval Group, l'APE et Fincantieri entrera en vigueur. Dans cette hypothèse notre rôle resterait le même, à savoir assurer la disponibilité des moyens nécessaires aux intérêts stratégiques de la France. Du reste, tant que le marché est favorable aux gros bateaux, ce rachat avantagerait plutôt les Chantiers de l'Atlantique, car les chantiers de Fincantieri situés à Trieste sont plus petits que ceux de Saint-Nazaire.

Debut de section - Permalien
Hervé Guillou, président-directeur général de Naval Group

Notre pourcentage d'actions resterait le même, à environ 11 %. Seul l'État vendrait ses actions.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Vous n'avez pas répondu à ma question relative au partenariat de Fincantieri avec la Chine.

Debut de section - Permalien
Hervé Guillou, président-directeur général de Naval Group

Il ne m'appartient pas d'en juger, mais je peux vous indiquer les faits. Dans le secteur de la construction militaire, les constructeurs chinois sont principaux concurrents. Aujourd'hui, il faut savoir que la plupart des constructeurs et équipementiers européens ont des partenariats avec la Chine. Dans le cas de Fincantieri, la note transmise par le groupe italien lors de la négociation de nos accords précise que leur partenariat avec la Chine n'implique pas de transfert de technologie, et qu'il permet aux Chinois de construire sur plan un paquebot pour le marché chinois. De toute façon, le marché chinois ne nous est aujourd'hui pas accessible.

En revanche, il faut avoir en tête que si le naval militaire a souffert pendant trente ans, les chantiers civils ont tous disparu sauf un, du fait notamment de la concurrence chinoise. Les européens ont dû quitter de nombreux marchés et s'hyperspécialiser sur certaines niches. Grâce à la clairvoyance d'Alsthom à l'époque, Saint-Nazaire s'est spécialisé sur les paquebots, qui représentent aujourd'hui 95 % de la production européenne. Les enjeux de la consolidation dans le domaine du naval civil sont donc exactement les mêmes que dans le domaine du naval militaire. La seule question est : « Quand se réveillera-t-on, et sera-t-il trop tard » ?

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

L'annonce de la nomination du numéro deux de Thalès à la tête de Naval Group est inquiétante pour l'avenir de notre fleuron industriel et de ses salariés, au vu des critiques portant sur la politique de prix de Thalès. La politique jusqu'au-boutiste du Président de la République et de son ministre de l'Économie et des Finances, dont l'objectif avoué est d'intégrer nos industries de défense pour créer une prétendue industrie de la défense européenne, ne doit pas se faire au détriment de notre souveraineté industrielle. Comment le risque que représente cette nomination est-il anticipé au sein de vos équipes ?

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

Ma première question vient d'être posée par ma collègue Cécile Cukierman.

Sur le plan national, l'une des réponses à l'objectif de porter à 40 % la part d'énergies renouvelables dans la part d'électricité en 2030 est l'éolien flottant. Vous avez indiqué que la bataille était perdue pour les machines. Est-il vraiment trop tard ? Qui sont vos concurrents ? Il me semblait que la France avait quelques longueurs d'avance. Cela me semble d'autant plus regrettable que les débouchés de cette filière sont d'envergure planétaire. Que penser de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) qui est en cours ? Comment favoriser une industrie européenne de l'éolien flottant ?

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Il y a le pavillon italien et l'ogre chinois. Le rapprochement de Fincantieri et d'une société chinoise a permis à cette dernière d'entrer sur le marché des navires de plaisance. N'allons-nous pas nous retrouver dans une situation de monopole de fait de la Chine ? Ne courrons-nous pas le risque de voir des savoir-faire européens capturés ? Pourquoi n'y aurait-il pas de solution européenne ? Disposez-vous d'un appui des États pour favoriser une telle solution ?

Plusieurs ports interdisent ou vont interdire l'arrivée de navires qui fonctionnent au fioul lourd. Pensez-vous que la France et l'Europe devraient prendre des initiatives fortes en la matière ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Daunis

Je me joins à la question qui vient d'être posée sur l'empreinte carbone dans le domaine naval.

J'ai ouï dire que la livraison d'un premier navire à l'Australie serait retardée. Il semblerait qu'il s'agisse sinon d'une fake news, au moins d'une interprétation malveillante. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point, au vu de l'importance du partenariat stratégique entre l'Australie et la France ?

Thalès pourra-t-il poursuivre son rôle d'équipementier pour Naval Group, ou y a-t-il un risque d'instrumentalisation ?

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Bouloux

Vous l'avez dit, se regrouper est une évidence, et est vital. Dans quelle mesure les différences, notamment culturelles, entre Naval Group et Fincantieri affectent-elles le fonctionnement de la nouvelle entité Naviris ? Quelles sont les autres pistes de coopération européenne et dans quel délais ?

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

En matière d'énergie éolienne, la France ne peut pas se résoudre à n'investir que le marché des flottants. Il est désormais inscrit dans la loi qu'un bilan carbone de tout dispositif produisant des énergies renouvelables doit être réalisé. Pourriez-vous vous appuyer sur cet article pour retrouver une place dans la compétition ?

Vous avez dressé un tableau plutôt morose de la compétitivité européenne en matière d'aviation, de ferré et de naval, y compris militaire. Comment pourrions-nous renouer avec des perspectives plus réjouissantes ? Que faire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

L'activité civile des Chantiers de l'Atlantique est aujourd'hui relativement prospère, son carnet de commande continuant à se remplir. Y a-t-il d'autres raisons qui vous font dire que ce mariage européen est nécessaire pour le naval civil ?

Naval Group et Fincantieri sont à parts égales au sein de la nouvelle joint-venture Naviris. Mais dans le cas des Chantiers de l'Atlantique, il n'y aura pas de parité, puisque ceux-ci seront rachetés par Fincantieri. Ne pourrait-on pas imaginer que les Chantiers et Fincantieri soient à parts égales ?

Debut de section - Permalien
Hervé Guillou, président-directeur général de Naval Group

Je ne suis absolument pas morose : je suis lucide et ultra-combatif. Il ne faut pas attendre qu'il soit trop tard. C'est pour cette raison que je me suis battu depuis ma nomination il y a cinq ans pour créer cette société Naviris. Je dois dire que l'aide du gouvernement français a été sans faille du début à la fin. Il faut être combatif, c'est-à-dire prendre des initiatives, faire le tour de l'Europe pour convaincre nos partenaires du bien-fondé de cette initiative européenne. Je pense qu'il est dans l'intérêt de la France d'être aux manettes de cette stratégie.

Chez Naviris, cela se passe aujourd'hui très bien. On a choisi les premiers dirigeants, la société a été incorporée le 13 janvier. Nos deux sociétés coopèrent depuis très longtemps, se connaissent très bien, ont des cultures assez proches et l'habitude de travailler ensemble. Dès 1993, j'ai été le premier directeur du programme de construction de frégates qui associait déjà l'Italie. La France et l'Italie ont réalisé les deux seuls grands programmes de coopération en matière d'objets militaires puis de frégates multimissions. Le choix des dirigeants de Naviris reflète cette proximité et l'importance de cette entente culturelle.

En ce qui concerne le contrat australien, c'était là une attaque médiatique à charge, qui a ensuite été relayée par un certain nombre de médias qui ne nous veulent pas que du bien. L'État australien a été le premier à défendre Naval Group et notre partenariat. Le seul point qui pourrait faire l'objet de critiques est que nous avons effectivement décalé de 5 semaines une revue de conception, en raison d'évolutions opérationnelles qui nécessitent des études supplémentaires. Sur un programme de vingt-cinq ans, je ne pense pas que cela soit un problème... La première livraison reste fixée à 2032 et je ne vois pas de raison de penser qu'elle ne sera pas honorée.

En matière d'éolien flottant, j'ai parlé tout à l'heure des machines, c'est-à-dire de l'aérien avec son système de conduction de l'énergie. Les fabricants de machines ont développé leur compétitivité d'abord sur l'éolien terrestre, puis sur l'éolien posé : ce sont eux qu'on retrouve aujourd'hui dans l'éolien flottant. La France n'a initialement pas développé son activité dans l'éolien terrestre ou posé, les grands constructeurs de machines sont donc maintenant allemands, espagnols ou danois. Cela ne veut pas dire que l'on ne peut pas essayer de garder un peu de valeur ajoutée en France. J'ai par exemple cité tout à l'heure les modules de conversion d'énergie produits par les Chantiers de l'Atlantique. Il y a aussi forcément des lignes d'assemblage qui se constituent à proximité des champs éoliens que l'on veut déployer : ce n'est pas rien. On peut également fabriquer des pales, ou développer les services nécessaires à proximité des champs éoliens - lamanage, offshore, raccordement électrique...

Je n'ai pas d'avis ni de chiffres sur l'article de loi relatif au bilan carbone des énergies renouvelables. Il aidera probablement dans le cas des produits transportés depuis des régions lointaines. Mais si les producteurs de machines sont allemands ou espagnols, je ne suis pas sûr que cela ait beaucoup d'influence. Pour ce qui est de la PPE, j'ai toujours recommandé des politiques d'achat public qui, sans enfreindre les règles de la concurrence européenne, permettraient aux entreprises françaises d'avoir leur chance face à des sociétés à bas coûts qui vont importer des structures du Vietnam ou d'autres pays. Aujourd'hui, il n'y a pas de politique industrielle dans la PPE, le champ concurrentiel est complètement ouvert.

À ma connaissance, il n'y a pas d'alliance capitalistique entre Fincantieri et les Chinois. Il s'agit d'une société en joint-venture, qui n'a pas d'actifs, c'est une société de projet. Il n'y a pas d'échange de technologies, mais simplement un échange de plans pour que les chinois construisent des bateaux pour leur propre marché. Naval Group le fait aussi tous les jours, lorsque l'on construit en Inde ou au Brésil, sans perdre notre souveraineté pour autant. On maîtrise la technique, le design, on envoie une assistance technique. Nous avons tous les outils pour maîtriser nos transferts, surtout que l'on ne transfère pas nos études.

D'ailleurs, il ne faut pas imaginer que, sans notre aide, la Chine ne rentrera pas sur ces marchés si elle souhaite y rentrer. Ils ont pénétré tous les autres segments : les sous-marins nucléaires, les porte-avions, les métalliers, les frégates... Ils sont gros, ils sont forts, ils sont soutenus par les équipementiers du monde entier. C'est d'abord une question de tempo de la politique intérieure chinoise. Le jour où la Chine l'aura décidé, et surtout où l'on s'en rendra compte, cela sera trop tard. La Chine n'est plus un pays en voie d'accès aux technologies : c'est désormais une grande puissance. Dans le domaine des paquebots, il n'y a pas de brevets mais uniquement des savoir-faire. L'Europe est une industrie de savoir-faire et c'est cela qu'il nous faut protéger, entretenir au travers des générations.

En ce qui concerne la motorisation des navires, je parlerai en tant que président de la filière industrielle de la mer, qui rassemble le groupement des industries de construction et activités navales (GICAN), la fédération des industries nautiques (FIN), l'industrie de l'off-shore et l'industrie des énergies marines renouvelables, pour environ 40 milliards d'euros de chiffres d'affaires et 120 000 emplois. On ne peut pas réduire la question de l'empreinte carbone à la seule réduction de la vitesse des porte-containers. La filière a conclu un contrat en octobre 2018, qui présente notre stratégie pour maintenir le rang de la France en termes de développement technologique et le décline en actions concrètes de R&D : c'est la filière « Greenship ». Nous avons aussi créé le conseil de la recherche et de l'innovation des industriels de la mer (CORIMER), chargé de fédérer l'ensemble des propositions de l'industrie en matière de R&D. Cependant, nous avons beaucoup de mal à accélérer les procédures, en particulier l'accès aux guichets financiers. Aujourd'hui, un seul des neuf projets labellisés au mois de mai 2019 a pu débloquer son financement. Le Président de la République a pris des engagements en ce sens qu'il nous a récemment répétés, mais on est loin du compte. Il faut que le secrétariat général pour l'investissement (SGPI), Bpifrance, l'Ademe, accélèrent les procédures d'attribution. Si les grands groupes peuvent survivre sans fonds, les PME et PMI ne peuvent pas attendre 12 ou 18 mois.

En matière de coopération européenne, c'est l'auberge espagnole. Je fais régulièrement le tour des interlocuteurs : nous avons de réelles marques d'intérêt des Espagnols, qui sont cependant aujourd'hui bien seuls. L'Allemagne est réticente à se lancer dans le secteur naval, car elle a déjà des coopérations en cours dans d'autres domaines et considère que les relations avec la France ne sont pas assez stabilisées. J'ai aussi parlé aux Suédois. Je ne désespère pas, la porte est ouverte. Les Chinois, eux, s'adapteront de façon pragmatique.

La question de Thalès est claire. Le candidat proposé par l'État et qui sera soumis au vote du conseil d'administration ne sera plus l'ancien « numéro deux » de Thalès, mais se consacrera entièrement à défendre à les intérêts stratégiques de Naval Group à compter de sa nomination, y compris à l'encontre de son fournisseur ou concurrent Thalès, et à l'encontre de l'État, son client et actionnaire. La position du président n'est pas simple dans cet univers, mais il peut compter sur mon aide pour trouver ses marques. Je comprends toutefois aussi l'attitude du personnel : cela fait trente ans que ces difficultés de positionnement relatif existent. Vous mentionniez le prix des équipements, il y a également des enjeux liés à notre concurrence avec Thalès sur certains appels d'offres, relatifs aux frontières technologiques ou à la cybersécurité. Nos clients et partenaires peuvent aussi exprimer certaines inquiétudes. Mais j'y réponds que l'État a réaffirmé de façon extrêmement claire sa volonté de voir Naval Group rester un groupe indépendant et le champion européen du naval. Mon successeur bénéficiera de la continuité du plan stratégique voté en juillet 2018 - axé sur l'excellence au regard de la loi de programmation militaire (LPM), sur le plan de conquête à l'export avec la garantie de notre indépendance commerciale et d'un périmètre intègre, et la poursuite résolue de la consolidation européenne. L'État protégera cette direction stratégique. Je comprends donc les positions respectives : il va falloir créer la confiance indispensable entre le président et le corps social.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Nous comprenons donc que vous êtes très favorable au rachat des Chantiers de l'Atlantique par Fincantieri, et que vous attendez la décision de la commission européenne. Auriez-vous des informations relatives à la date à laquelle celle-ci prendra sa décision ?

Debut de section - Permalien
Hervé Guillou, président-directeur général de Naval Group

Cela devait être le 17 mars, mais la date a été décalée d'une vingtaine de jours.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Nous vous remercions.

La réunion est close à 19 h 30.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.