Intervention de Hervé Guillou

Commission des affaires économiques — Réunion du 28 janvier 2020 à 18h05
Audition de M. Hervé Guillou président-directeur général de naval group

Hervé Guillou, président-directeur général de Naval Group :

Je ne suis absolument pas morose : je suis lucide et ultra-combatif. Il ne faut pas attendre qu'il soit trop tard. C'est pour cette raison que je me suis battu depuis ma nomination il y a cinq ans pour créer cette société Naviris. Je dois dire que l'aide du gouvernement français a été sans faille du début à la fin. Il faut être combatif, c'est-à-dire prendre des initiatives, faire le tour de l'Europe pour convaincre nos partenaires du bien-fondé de cette initiative européenne. Je pense qu'il est dans l'intérêt de la France d'être aux manettes de cette stratégie.

Chez Naviris, cela se passe aujourd'hui très bien. On a choisi les premiers dirigeants, la société a été incorporée le 13 janvier. Nos deux sociétés coopèrent depuis très longtemps, se connaissent très bien, ont des cultures assez proches et l'habitude de travailler ensemble. Dès 1993, j'ai été le premier directeur du programme de construction de frégates qui associait déjà l'Italie. La France et l'Italie ont réalisé les deux seuls grands programmes de coopération en matière d'objets militaires puis de frégates multimissions. Le choix des dirigeants de Naviris reflète cette proximité et l'importance de cette entente culturelle.

En ce qui concerne le contrat australien, c'était là une attaque médiatique à charge, qui a ensuite été relayée par un certain nombre de médias qui ne nous veulent pas que du bien. L'État australien a été le premier à défendre Naval Group et notre partenariat. Le seul point qui pourrait faire l'objet de critiques est que nous avons effectivement décalé de 5 semaines une revue de conception, en raison d'évolutions opérationnelles qui nécessitent des études supplémentaires. Sur un programme de vingt-cinq ans, je ne pense pas que cela soit un problème... La première livraison reste fixée à 2032 et je ne vois pas de raison de penser qu'elle ne sera pas honorée.

En matière d'éolien flottant, j'ai parlé tout à l'heure des machines, c'est-à-dire de l'aérien avec son système de conduction de l'énergie. Les fabricants de machines ont développé leur compétitivité d'abord sur l'éolien terrestre, puis sur l'éolien posé : ce sont eux qu'on retrouve aujourd'hui dans l'éolien flottant. La France n'a initialement pas développé son activité dans l'éolien terrestre ou posé, les grands constructeurs de machines sont donc maintenant allemands, espagnols ou danois. Cela ne veut pas dire que l'on ne peut pas essayer de garder un peu de valeur ajoutée en France. J'ai par exemple cité tout à l'heure les modules de conversion d'énergie produits par les Chantiers de l'Atlantique. Il y a aussi forcément des lignes d'assemblage qui se constituent à proximité des champs éoliens que l'on veut déployer : ce n'est pas rien. On peut également fabriquer des pales, ou développer les services nécessaires à proximité des champs éoliens - lamanage, offshore, raccordement électrique...

Je n'ai pas d'avis ni de chiffres sur l'article de loi relatif au bilan carbone des énergies renouvelables. Il aidera probablement dans le cas des produits transportés depuis des régions lointaines. Mais si les producteurs de machines sont allemands ou espagnols, je ne suis pas sûr que cela ait beaucoup d'influence. Pour ce qui est de la PPE, j'ai toujours recommandé des politiques d'achat public qui, sans enfreindre les règles de la concurrence européenne, permettraient aux entreprises françaises d'avoir leur chance face à des sociétés à bas coûts qui vont importer des structures du Vietnam ou d'autres pays. Aujourd'hui, il n'y a pas de politique industrielle dans la PPE, le champ concurrentiel est complètement ouvert.

À ma connaissance, il n'y a pas d'alliance capitalistique entre Fincantieri et les Chinois. Il s'agit d'une société en joint-venture, qui n'a pas d'actifs, c'est une société de projet. Il n'y a pas d'échange de technologies, mais simplement un échange de plans pour que les chinois construisent des bateaux pour leur propre marché. Naval Group le fait aussi tous les jours, lorsque l'on construit en Inde ou au Brésil, sans perdre notre souveraineté pour autant. On maîtrise la technique, le design, on envoie une assistance technique. Nous avons tous les outils pour maîtriser nos transferts, surtout que l'on ne transfère pas nos études.

D'ailleurs, il ne faut pas imaginer que, sans notre aide, la Chine ne rentrera pas sur ces marchés si elle souhaite y rentrer. Ils ont pénétré tous les autres segments : les sous-marins nucléaires, les porte-avions, les métalliers, les frégates... Ils sont gros, ils sont forts, ils sont soutenus par les équipementiers du monde entier. C'est d'abord une question de tempo de la politique intérieure chinoise. Le jour où la Chine l'aura décidé, et surtout où l'on s'en rendra compte, cela sera trop tard. La Chine n'est plus un pays en voie d'accès aux technologies : c'est désormais une grande puissance. Dans le domaine des paquebots, il n'y a pas de brevets mais uniquement des savoir-faire. L'Europe est une industrie de savoir-faire et c'est cela qu'il nous faut protéger, entretenir au travers des générations.

En ce qui concerne la motorisation des navires, je parlerai en tant que président de la filière industrielle de la mer, qui rassemble le groupement des industries de construction et activités navales (GICAN), la fédération des industries nautiques (FIN), l'industrie de l'off-shore et l'industrie des énergies marines renouvelables, pour environ 40 milliards d'euros de chiffres d'affaires et 120 000 emplois. On ne peut pas réduire la question de l'empreinte carbone à la seule réduction de la vitesse des porte-containers. La filière a conclu un contrat en octobre 2018, qui présente notre stratégie pour maintenir le rang de la France en termes de développement technologique et le décline en actions concrètes de R&D : c'est la filière « Greenship ». Nous avons aussi créé le conseil de la recherche et de l'innovation des industriels de la mer (CORIMER), chargé de fédérer l'ensemble des propositions de l'industrie en matière de R&D. Cependant, nous avons beaucoup de mal à accélérer les procédures, en particulier l'accès aux guichets financiers. Aujourd'hui, un seul des neuf projets labellisés au mois de mai 2019 a pu débloquer son financement. Le Président de la République a pris des engagements en ce sens qu'il nous a récemment répétés, mais on est loin du compte. Il faut que le secrétariat général pour l'investissement (SGPI), Bpifrance, l'Ademe, accélèrent les procédures d'attribution. Si les grands groupes peuvent survivre sans fonds, les PME et PMI ne peuvent pas attendre 12 ou 18 mois.

En matière de coopération européenne, c'est l'auberge espagnole. Je fais régulièrement le tour des interlocuteurs : nous avons de réelles marques d'intérêt des Espagnols, qui sont cependant aujourd'hui bien seuls. L'Allemagne est réticente à se lancer dans le secteur naval, car elle a déjà des coopérations en cours dans d'autres domaines et considère que les relations avec la France ne sont pas assez stabilisées. J'ai aussi parlé aux Suédois. Je ne désespère pas, la porte est ouverte. Les Chinois, eux, s'adapteront de façon pragmatique.

La question de Thalès est claire. Le candidat proposé par l'État et qui sera soumis au vote du conseil d'administration ne sera plus l'ancien « numéro deux » de Thalès, mais se consacrera entièrement à défendre à les intérêts stratégiques de Naval Group à compter de sa nomination, y compris à l'encontre de son fournisseur ou concurrent Thalès, et à l'encontre de l'État, son client et actionnaire. La position du président n'est pas simple dans cet univers, mais il peut compter sur mon aide pour trouver ses marques. Je comprends toutefois aussi l'attitude du personnel : cela fait trente ans que ces difficultés de positionnement relatif existent. Vous mentionniez le prix des équipements, il y a également des enjeux liés à notre concurrence avec Thalès sur certains appels d'offres, relatifs aux frontières technologiques ou à la cybersécurité. Nos clients et partenaires peuvent aussi exprimer certaines inquiétudes. Mais j'y réponds que l'État a réaffirmé de façon extrêmement claire sa volonté de voir Naval Group rester un groupe indépendant et le champion européen du naval. Mon successeur bénéficiera de la continuité du plan stratégique voté en juillet 2018 - axé sur l'excellence au regard de la loi de programmation militaire (LPM), sur le plan de conquête à l'export avec la garantie de notre indépendance commerciale et d'un périmètre intègre, et la poursuite résolue de la consolidation européenne. L'État protégera cette direction stratégique. Je comprends donc les positions respectives : il va falloir créer la confiance indispensable entre le président et le corps social.

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