Intervention de Younous Omarjee

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 23 janvier 2020 : 1ère réunion
Enjeux financiers et fiscaux européens — Entretien avec m. younous omarjee président de la commission du développement régional au parlement européen

Younous Omarjee, député européen, président de la Commission du développement régional :

Puisque nous sommes limités par le temps, j'irai droit au but. Je suis, comme vous le savez, président de la Commission du développement régional qui est en charge des politiques de cohésion qui sont prioritaires pour les questions touchant aux régions ultrapériphériques. Nous sommes à un moment crucial, où les décisions qui vont être prises dans les semaines et mois à venir impacteront la vie de nos citoyens pour les dix ans à venir. La bataille qui est devant nous est d'abord budgétaire.

La problématique actuelle est la suivante : l'Union européenne doit renégocier son cadre financier pluriannuel. Le Parlement européen a fait une proposition qui est, selon nous, de nature à donner une ambition pour l'Europe ainsi que pour les différentes politiques sectorielles. Effectivement, la négociation est difficile du fait du Brexit et de la nécessité de financer de nouvelles politiques tout en maintenant les politiques actuelles. La proposition du Parlement me paraît être une proposition sérieuse et nous demandons au Conseil de ne pas sacrifier son ambition pour l'Europe. Nous sommes choqués que les positions du Conseil, et notamment la proposition de la présidence finlandaise, fassent à la fois le deuil des ambitions du Parlement européen, mais aussi celui des ambitions du Conseil européen : c'est une mauvaise proposition.

La Commission européenne a proposé, pour la politique de cohésion, un budget en baisse. C'est sans précédent, jamais le budget de la politique régionale n'avait baissé auparavant, et la Commission européenne ne nous a pas aidés, par ses positions, pour négocier avec le Conseil européen.

Au Conseil européen, la France joue un rôle crucial. Le président du Conseil européen, M. Charles Michel, débute actuellement les discussions avec les États membres pour trouver des compromis budgétaires permettant de satisfaire les enjeux évoqués au début. Or, je suis étonné de la position d'entre-deux du Président de la République et de la diplomatie française sur la question de la cohésion. Vous êtes des observateurs assidus des négociations européennes, et vous voyez bien qu'il s'agit d'une histoire qui se répète. Le budget de la politique agricole commune (PAC) est menacé, et le Président de la République rentrera en France en se vantant d'avoir sauvé cette politique agricole commune. La France semble prioriser la défense de la PAC, ce qui est extrêmement important, mais pour nous, c'est tout le budget proposé qui est inacceptable, et en particulier la baisse pour la politique de cohésion. Nous attendons donc de la France, et du Président de la République en particulier, qu'elle se range clairement du côté des pays « amis de la cohésion ». J'entends ici et là qu'il n'y aurait pas d'avantage politique à tirer du sauvetage de la politique de cohésion. En effet, ses bénéficiaires sont difficilement identifiables : ce sont souvent des institutions, comme les régions, et non des groupes comme les agriculteurs comme dans le cas de la PAC, qui sont très bien organisés, tandis qu'il est très difficile de mobiliser un « lobby de la cohésion ».

J'estime que le Président de la République doit, pour diverses raisons, se ranger du côté des « amis de la cohésion ». Premièrement, nous avons plus que jamais besoin de cohésion en Europe. Avec le Brexit, il nous faut renforcer davantage les convergences. Deuxièmement, la cohésion a permis de soutenir les investissements, la croissance et l'emploi, et je laisse de côté la participation de la politique de cohésion à certains nouveaux objectifs de l'Union : nous n'avons pas attendu le New Green Deal pour, dans la période 2014-2020, engager 40 milliards d'euros sur les objectifs climatiques. Nous avons investi près de 60 milliards pour l'environnement, 120 milliards au total sur les objectifs de la période. Lorsque nous avons proposé la concentration thématique des fonds, j'ai entendu beaucoup de critiques venant des institutions, des régions, etc., nous reprochant de vouloir flécher des objectifs alors qu'il y a encore beaucoup de retard sur de nombreux aspects. C'était pourtant important.

Si le budget de la cohésion diminue, ce sera de l'argent en moins pour ces objectifs, pour la formation professionnelle, pour la construction des lycées, pour l'aide aux petites et moyennes entreprises à travers le FEDER... Ce sera aussi des marchés en moins pour les entreprises françaises. En effet, sur les 350 milliards de fonds, beaucoup de ces crédits sont alloués à des infrastructures en Europe. Je pense notamment aux pays de l'Est qui ont encore des retards à rattraper. Je suis par exemple allé visiter les grands chantiers en Bulgarie, qui sont pour beaucoup d'entre eux confiés à de grandes entreprises italiennes, allemandes et françaises.

Enfin, la diminution des crédits sera catastrophique pour les RUP qui, en raison de leur retard de développement, émargent plus que d'autres régions aux fonds de cohésion.

Évidemment, nous avons déjà commencé à travailler avec la Commission européenne, pour que l'impact sur les régions les moins développées soit le plus faible possible si les baisses de la politique de cohésion se confirment. En revanche, pour les régions en transition, ce qui concerne beaucoup de régions françaises, la diminution des fonds sera considérable. La France y a donc un intérêt. Et dans les rapports de force au sein du Conseil, le rôle du Président de la République sera important. Le Portugal a décidé d'organiser un sommet des pays « amis de la cohésion » le 2 février prochain. J'avais suggéré au Premier ministre portugais de le faire sur le modèle des pays de Visegrád qui ont fait un sommet avant le dernier Conseil européen. J'aurais aimé que la France réponde à l'invitation qui lui a été envoyée. Je m'y rendrai pour donner le point de vue de notre commission, et le 5 février, le Premier ministre portugais viendra ici, à Bruxelles. Le Portugal est un État important, car en plus d'être un « ami de la cohésion », il possède des RUP : les Açores et Madère. La France ne peut pas se dissocier des pays qui ont des RUP comme elle. Pour nous autres ultramarins, l'absence de la France à ce sommet sera incomprise. Je vous prie donc de faire passer ce double message au Président de la République et au Gouvernement.

Pourquoi les États membres sont-ils aussi peu réceptifs aux demandes que nous formulons pour que le budget soit porté à un niveau qui permette de financer les politiques ? Je pense que c'est parce que plus l'on augmente le budget, plus cela génère des contraintes nationales en raison du cofinancement. La France étant un contributeur net, elle regarde les choses de façon prudente. Pour ma part j'ai la responsabilité de défendre la politique régionale et je le répète, c'est une priorité centrale.

On ne pourra pas faire mieux dans la programmation future avec des crédits en diminution. Il faudra couper dans les allocations, avec des conséquences pour les projets dans lesquelles elles sont déployées. Je suis très surpris que dans le cadre des élections municipales, personne n'aborde ce sujet, alors que ces fonds financent des équipements structurants au niveau local.

Concernant l'avenir, la Commission présidée par Mme Ursula von der Leyen a lancé le New Green Deal, 1 000 milliards d'euros avec des effets de levier. Je ne vais pas rejeter une orientation qui est une révolution de nature positive en termes de message politique. Mais là encore, la priorité qui est la mienne est que les RUP émargent avec une intensité plus forte pour ce New Green Deal, parce qu'il doit aussi être un Blue Green Deal, pour coïncider avec l'objectif d'autonomie énergétique pour les îles françaises. Avec ces budgets, il serait possible de continuer les projets pilotes et d'investir dans différents domaines. Toutefois, la difficulté est qu'il ne s'agit pas de subventions. Il manque souvent le savoir-faire pour utiliser ces financements. Je l'ai vu lors de la mise en oeuvre du plan Juncker : j'ai demandé à ce que l'on ait une évaluation de la mise en oeuvre de celui-ci en outre-mer. Vous seriez surpris du résultat : il a bien marché là où l'on avait pris un peu d'avance pour l'accueil de ce plan, comme à La Réunion. Mais ce n'est pas extraordinaire, voire inexistant, ailleurs.

Dans le cadre du New Green Deal, le premier règlement vient d'être adressé au Parlement européen et concerne le fonds de « transition juste ». Celui-ci, d'un montant de 100 milliards d'euros avec des effets de levier, et 7 milliards d'euros prélevés sur les fonds européens vise à aider les régions charbonnières à accomplir cette transition. La Commission européenne a fait le choix d'ouvrir ce fonds à l'ensemble des États membres. C'est une bonne chose, mais certains pays, comme l'Allemagne ou la Pologne, vont pouvoir bénéficier de crédits très importants. Là encore, je vais veiller à ce que ce fonds de « transition juste » permette des investissements dans les outre-mer. Nous restons en effet très dépendants des énergies fossiles. S'il y a des crédits permettant de financer les énergies renouvelables, il faut les mobiliser.

Je vous laisse la parole, mais beaucoup de sujets restent à aborder, comme l'octroi de mer, la PAC, le Poséi, les accords commerciaux, pour lesquels nous avions passé un premier accord avec le Vietnam dans lequel j'avais pu obtenir des garanties concernant le sucre. Je vous ferai noter, que dans les accords passés avec l'Équateur et les Pays andins, les clauses de sauvegarde n'ont pas été activées par la Commission. J'ai reçu il y a deux jours un courrier cosigné par M. Phil Hogan, le nouveau commissaire au commerce, et le nouveau commissaire pour l'agriculture, M. Janusz Wojciechowski, qui me disent que les conditions ne sont pas réunies, alors que nous estimons, avec Eurodom, que les seuils ont été dépassés et qu'il fallait les activer.

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