Intervention de Philippe Bas

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 5 février 2020 à 9h05
Nouveau code de la justice pénale des mineurs — Audition de mmes isabelle clanet josine bitton membres du conseil national des barreaux et de dominique attias avocate au barreau de paris

Photo de Philippe BasPhilippe Bas, président :

Nous accueillons Mes Isabelle Clanet et Josine Bitton, membres du Conseil national des barreaux (CNB) et Me Dominique Attias, avocate au barreau de Paris, dans le cadre de la série d'auditions que nous menons pour préparer l'examen du projet de loi ratifiant l'ordonnance portant création du code de la justice pénale des mineurs, texte très important qui n'entrera en vigueur qu'après sa ratification par le Parlement. Cette démarche, suffisamment singulière pour être soulignée, a été adoptée par le Gouvernement pour atténuer le courroux du Sénat, insatisfait de la procédure par ordonnance. D'aucuns auraient pu arguer du précédent de 1945, mais le contexte est bien différent.

Il nous paraît très important d'écouter toutes les parties prenantes. Cette audition sera très brève, mais nous mènerons un travail plus approfondi ensemble ensuite. Nous souhaitons en rester à des lignes directrices, qui nous aideront pour examiner les principales problématiques de cette ordonnance. Le rapporteur qui sera nommé - quand nous aurons été saisis du texte - pourra vous entendre à nouveau.

Me Dominique Attias, avocate au barreau de Paris. - Je travaille avec la Fédération des barreaux d'Europe dont je prendrai la direction en mai prochain. Sachez que la justice des mineurs française est la plus sévère d'Europe. Dans les trois quarts des pays européens, l'âge de la responsabilité pénale est toujours irréfragable. Hormis la Grande-Bretagne, dans les pays où cet âge est bas, seules des mesures éducatives sont prises jusqu'à 15 ans. Nous sommes le pays européen où les enfants sont le plus enfermés et où les peines sont les plus lourdes. En France, elles peuvent atteindre vingt ou trente ans, alors que, dans la majeure partie des pays, tels que l'Allemagne, l'Espagne ou l'Italie, elles ne dépassent pas cinq ans. Nous attendions ce nouveau code ; il nous déçoit au plus haut point. On nous avait promis qu'il serait autonome, c'est-à-dire que chacun saurait exactement ce qui est réservé à notre jeunesse en conflit avec la loi. Or, malheureusement, ce code est aussi illisible que l'ordonnance de 1945 puisqu'il renvoie en permanence au code pénal et au code de procédure pénale.

Ce nouveau code est aussi étrange. Si les articles préliminaires sont tout à fait intéressants et correspondent exactement aux préconisations du Conseil constitutionnel, tout le reste a uniquement été créé par manque de moyens. On parle de justice spécialisée ; or, hors des grandes villes, les parquetiers, dont le rôle sera bien plus important qu'actuellement alors qu'ils ne savent déjà pas où donner de la tête, n'auront aucune formation ni spécialisation. C'est contraire aux préconisations du Conseil constitutionnel.

On dit qu'il faut que les mineurs aient un traitement spécial. Avec justesse et sagesse, le Parlement avait décidé que toutes les auditions et tous les interrogatoires des enfants devaient être enregistrés. Si tel n'était pas le cas, ce pouvait être cause de nullité. Une nouvelle dérogation a été prévue : sans enregistrement, les auditions ou interrogatoires seront quand même valables. La seule limite est que le jeune ne pourra pas s'incriminer s'il a fait des aveux.

On dit en permanence qu'il faut éloigner les enfants des écrans et privilégier les contacts avec les adultes. Désormais, toujours par manque de moyens, en cas de prolongation de garde à vue, c'est-à-dire entre 24 et 48 heures, dès 13 ans, le mineur ne verra de magistrat que par visioconférence. Les enfants ne seront plus en contact direct qu'avec le parquet, qui décidera de leur sort puisque l'on dessaisit le juge des enfants, qui les connaît. Le parquet se voit attribuer une tâche supplémentaire. Les parquetiers ont des emplois du temps terrifiants puisqu'ils font tout. Je rappelle que le parquet dépend du Gouvernement. Bonjour l'indépendance !

Je conclus sur le rôle des parents. M. Bas, qui a beaucoup travaillé sur la protection de l'enfance, sait à quel point il est important que les parents s'investissent. Le code l'affirme, mais, par manque de moyens, le juge des enfants pourra désormais prendre des décisions sans la présence de l'enfant ni des parents.

Ce code dit tout et son contraire. L'article liminaire est formidable, mais ensuite, le diable se nichant dans les détails, il démolit la spécificité de cette justice, qui faisait de la France un exemple pour beaucoup de pays d'Europe. Nous serons désormais à la traîne.

Me Josine Bitton, membre du Conseil national des barreaux. - Le début de l'ordonnance est peut-être satisfaisant, mais le reste est très décevant. L'enfant n'est plus au centre du texte. Les professionnels avaient reçu toutes les assurances selon lesquelles le code s'inscrirait dans la filiation historique de la législation actuelle, dont l'ordonnance de 1945 sur l'enfance délinquante. Le mot lui-même d'enfant a disparu, si ce n'est dans l'expression « tribunal pour enfants ».

La nouvelle ordonnance ne fixe pas de seuil d'accessibilité à la responsabilité pénale.

Mme Belloubet avait assuré à l'ensemble des professionnels qu'un débat serait engagé durant une année, mais il sera réduit à la portion la plus congrue. D'ores et déjà, des sessions de formation à l'École nationale de la magistrature s'organisent en se basant sur le texte existant, avant même que les parlementaires ne se prononcent. Il n'y a pas eu de véritable concertation. Il serait inquiétant que l'on élimine ainsi le débat parlementaire.

En matière de procédure, que le juge puisse se prononcer sans entendre l'enfant est particulièrement problématique. La profession y est opposée.

La procédure est en deux temps, avec une césure au milieu. Dans la première phase, l'enfant est convoqué devant le parquet et non plus devant le juge des enfants. Je rappelle que le parquet n'est pas indépendant. Il est ensuite convoqué devant le juge pour une audience sur la culpabilité dans un délai de dix jours à trois mois. C'est extrêmement court, d'autant que les parquets sont surchargés. Je suis avocate au barreau de la Seine-Saint-Denis et je peux vous dire que le parquet de Bobigny croule déjà sous le travail car il traite déjà 65 % des affaires relevant de la justice des mineurs. On lui ajoute des tâches liées aux interrogatoires et à l'orientation. Le juge n'audiencera plus les dossiers pénaux de mineurs dans un souci pédagogique ; il ne pourra plus décider du moment adapté du renvoi, soit en cabinet, soit devant le juge des enfants. Il n'y aura plus d'instruction. On nous dit que ce n'est pas toujours nécessaire, mais cela peut l'être. Précisons que l'instruction peut consister à recueillir des compléments d'information. En effet, le juge ne se prononce pas seulement sur la culpabilité, mais sur un faisceau d'indices donnant lieu soit à un placement sous statut de témoin assisté soit à une mise en examen pour que l'enfant puisse apporter des éléments et faire entendre des gens, par le biais de son avocat, afin d'orienter la procédure.

Me Josine Bitton. - Le renvoi devant le tribunal pourra avoir lieu dix jours seulement après la convocation devant le Parquet ; en si peu de temps, l'enfant ne pourra pas organiser sa défense. L'avocat - nous souhaiterions qu'il soit toujours le même, en matière civile comme en matière pénale - n'aura pas le temps de rencontrer l'enfant ni ses parents... Or c'est dès la première audience ou, dans le cas d'un défèrement, immédiatement, qu'il faut soulever tous les moyens : in limine litis.

Un autre problème tient à l'absence de débat devant le juge des libertés et de la détention, que, actuellement, le procureur peut être amené à saisir. Dans le texte, c'est le même juge qui prononcera la culpabilité et la mise en détention, ce qui pose un problème constitutionnel. Au-delà de cet aspect, les juges y sont très opposés, car cela fausse la nature éducative de leur intervention.

Le travail d'intérêt général peut être prononcé dès lors que l'enfant a seize ans au prononcé de la peine. Dans le texte, il pourra être décidé en chambre du conseil. Le Conseil national des barreaux pense qu'il n'est pas judicieux qu'un juge prononce une peine seul dans son cabinet et sans débat. Il serait préférable de maintenir la séparation entre les mesures éducatives, prises en cabinet, et les peines, qui sont prises devant le tribunal. C'est plus clair pour les enfants, qui comprennent bien que, s'ils réitèrent leurs agissements malgré les mesures éducatives, ils risquent de se retrouver devant le tribunal, qui prononcera des sanctions.

Je n'ai malheureusement pas le temps de vous parler du casier judiciaire.

Me Dominique Attias. - Une autre mesure, totalement dérogatoire et qui s'apparente à une comparution immédiate, est le jugement à audience unique. Si le texte entre en vigueur, un gamin de treize ans sous mesures éducatives pourra se retrouver, sans éducateur à ses côtés, devant un juge qui pourra l'envoyer en prison, même pour une infraction bénigne. Si ce gamin bouscule un camarade ou tente de lui voler son portable, on n'essaiera pas de savoir s'il est victime de racket, s'il prend des substances, si une maltraitance dans sa famille le conduit à vouloir attirer l'attention... Il pourra se retrouver en prison sans travail éducatif pour éclairer la juridiction, uniquement parce qu'un rapport a été émis par un juge un an auparavant, par exemple. Or, nous en avons parlé avec de nombreux parquets, cette procédure, à cause du manque de moyens, sera utilisée massivement, alors que ce ne devrait être qu'une dérogation.

Quant à la césure, le texte prévoit une durée de neuf mois seulement. Or les services éducatifs prennent souvent les décisions quatre, cinq, voire six mois après la décision du juge. Quel travail éducatif peut-il être fait en trois ou quatre mois ?

Nous avons peu d'illusions sur notre action. Nous ne comptons que sur vous, qui êtes très attentifs et avez une forme de liberté. Si vous décidez de valider cette durée, il faudra s'assurer que la prise en charge est effective. Celle-ci risque en effet de ne pas l'être à cause de défèrements massifs, ce qui calquera la justice des mineurs sur celle des majeurs.

La convention nationale des associations de protection de l'enfant (Cnape) nous l'avait également signalé en audition.

Me Josine Bitton. - Le délai de cinq jours qui existe aujourd'hui disparaît totalement du texte. Il y a des raisons de craindre que le gros des dossiers passera en audience unique.

Il est regrettable que l'accent n'ait pas été mis sur la prévention. Les éducateurs de rue sont réduits à la portion congrue, alors que ce sont eux qui évitent que les enfants ne tombent dans la délinquance.

Par ailleurs, le texte parle d'une mise à l'épreuve « probatoire », alors que le terme « probation » est jusqu'à présent utilisé pour l'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve. Les mots ont un sens ! Le juge ne pourra plus prolonger une mesure éducative qu'une fois six mois ou une fois trois mois. Or le traitement d'un enfant qui rencontre des difficultés dans sa famille nécessite un temps long : tout ne se résout pas par miracle en trois mois ! Il faut laisser au juge la possibilité de prolonger ces mesures si nécessaire. Le texte crée enfin des modules éducatifs que le juge peut alimenter à la demande de l'avocat ou du parquet, mais pas de sa propre initiative, ce qui est dommage. Il faudrait au contraire faire confiance au juge, qui connaît les enfants dont il s'occupe.

Me Isabelle Clanet, membre du Conseil national des barreaux. - Nous étions favorables à placer le seuil de responsabilité à 14 ans, comme c'est le cas en Espagne ou en Italie. Comme l'a dit Me Attias, nous devons être un pays exemplaire. En tout cas, il ne faut pas descendre en dessous de 13 ans. En deçà, une présomption irréfragable de non-discernement, notion qui n'est toujours pas définie dans la loi, doit être établie. Dire ainsi que le mineur en dessous de cet âge est inaccessible à une sanction pénale ne veut pas dire qu'il n'y a pas de réponse judiciaire, au contraire ! Mais cette réponse doit être faite sous la forme de mesures éducatives.

La notion de discernement s'entend comme la compréhension par un mineur de la portée de ses actes et des conséquences sur la victime, ainsi que des enjeux de procédure. Cette notion doit être définie par le législateur. Plus qu'un seuil de responsabilité pénale, cet âge devrait être entendu comme un âge d'accessibilité à la sanction pénale, voire de « punissabilité ». Le CNB demande qu'il ne soit pas possible de déroger à l'excuse de minorité ; c'est un principe fondamental.

De nombreux barreaux se sont engagés dans des défenses spécialisées des mineurs, avec le principe « un avocat-un enfant », à ses côtés pendant toute sa minorité, quelles que soient les difficultés que ce dernier rencontre, au civil comme au pénal.

Quel dommage que nous ayons raté le rendez-vous pour écrire un vrai code de l'enfance regroupant les dispositions dispersées dans les codes civil et pénal ! Lors du comité de pilotage sur la justice des mineurs qui s'est tenu le 26 novembre dernier, la garde des sceaux nous a assuré qu'il s'agissait d'écrire la première page, et que les suivantes viendraient ensuite ; nous restons dubitatifs...

Prenons le temps de désigner l'avocat habituel de l'enfant pour l'audience de culpabilité. Cet avocat le connaît ; il l'a éventuellement accompagné devant le juge des affaires familiales, lors du prononcé de mesures d'assistance éducative. Le délai de 10 jours est impossible à tenir, car il y a un délai de convocation et de désignation de l'avocat. Souvent, pour les enfants, l'avocat est commis d'office par le bâtonnier. Une fois l'avocat désigné, il sera impossible de rencontrer l'enfant, de se faire remettre une copie de la procédure durant le délai imparti. Il faudrait disposer d'un mois minimum avant l'audience de culpabilité, pour avoir le temps de préparer l'audience avec l'enfant, lui faire comprendre les enjeux. Nous demandons un délai de six mois, renouvelable une fois, pour la mise à l'épreuve éducative.

Le travail éducatif est la clef de voûte du relèvement éducatif d'un enfant. Il est impossible, en six mois, de faire ce travail avec la famille et l'enfant, qui a souvent une histoire complexe et fracturée. Ce délai ne doit démarrer qu'à partir de la prise en charge éducative effective. Vous connaissez l'état des services éducatifs, notamment en Seine-Saint-Denis... Ce délai doit être affiné en fonction des besoins de chaque enfant.

L'audience accélérée ne doit pas être le principe. Cantonnés dans des délais si restreints, les parquets seront tentés de choisir cette audience unique ; il sera alors impossible que l'enfant rencontre le juge avant. Il rencontrera un juge, puis un autre, alors que ces enfants ont besoin de continuité. On ne peut pas considérer la justice des mineurs sans ce lien continu avec l'avocat et le juge. Il y a un risque de multiplication des audiences et de rupture du lien. C'est le parquet, et non plus le juge pour enfants, qui aurait le pouvoir d'orienter l'enfant.

La justice des mineurs doit être spécialisée, sans dérogation possible. Le tribunal de police doit être dessaisi de sa compétence pour les contraventions de 1ère et de 4e classe, au profit du juge des enfants, qui doit pouvoir connaître de ces affaires en audience de cabinet.

La peine d'amende pour un enfant de moins de 16 ans doit être supprimée, car un enfant n'a pas le droit de travailler !

Dans les juridictions où c'est possible, le juge des libertés et de la détention doit être spécialisé dans la défense des mineurs. Il ne doit pas être possible de déroger à l'obligation d'avoir deux assesseurs juges des enfants devant la cour d'assises des mineurs. Supprimons la mention « sauf impossibilité », incidemment insérée dans le texte. Quel est le moment le plus grave pour un enfant, si ce n'est se retrouver devant la cour d'assises ? Sur trois magistrats, deux doivent être spécialisés, sinon ce serait aberrant.

Je vous remercie. L'on peut constater que, plutôt que d'ajuster les moyens de la justice aux besoins, le Gouvernement a voulu adapter les procédures aux moyens disponibles, ce qui ne l'empêche pas de proposer au Parlement des adaptations sans les moyens nécessaires...

Dans le rapport pluraliste sur les moyens de la justice, que notre commission a adopté en avril 2017, nous avions insisté sur la nécessité de réaliser des études d'impact dignes de ce nom pour sortir de cette situation intenable tant pour les parlementaires que pour les professionnels de la justice, qui ont le sentiment que le législateur les ignore, au vu du travail considérable qu'ils doivent fournir après l'adoption d'un texte... Sachez que nous y sommes particulièrement attentifs.

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