Intervention de Marie Mercier

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 5 février 2020 à 9h05
Nouveau code de la justice pénale des mineurs — Audition de mmes isabelle clanet josine bitton membres du conseil national des barreaux et de dominique attias avocate au barreau de paris

Photo de Marie MercierMarie Mercier, rapporteur :

La très grande majorité des représentants de professionnels que nous avons auditionnés nous ont fait part de leurs réserves quant à l'opportunité d'instituer une obligation de signalement, du fait des risques qui s'attacheraient à un affaiblissement de ce secret.

Le secret professionnel protège le patient. Il lui permet de se livrer, d'exposer sa vie privée, et il permet à la société d'avoir confiance en l'institution soumise à ce secret. Les dérogations au secret professionnel doivent donc être limitées et justifiées par un motif d'intérêt général suffisant pour ne pas affaiblir les institutions concernées et les professionnels qui y exercent. Si les individus n'ont plus la certitude que la confidentialité est respectée, ils risquent de ne plus se confier. Or il ne saurait y avoir de médecine sans confiance ou sans confidence ; et la confiance et la confidence impliquent le secret professionnel.

Dans le champ médical, la plupart des associations et des syndicats ont pointé le risque d'affaiblir l'alliance thérapeutique construite avec le patient et son entourage : dans certains cas, une obligation de signalement pourrait conduire les familles maltraitantes à ne plus emmener leur enfant chez le médecin, par crainte de faire l'objet d'un signalement. Selon une étude américaine réalisée en 1995 sur des patients suivis pour troubles mentaux, le fait d'effectuer un signalement entraîne une interruption du traitement dans environ 25 % des cas, ce qui n'est pas négligeable.

L'obligation de signalement ne ferait pas disparaître le dilemme éthique qui se pose au professionnel en pareil cas. Elle ne ferait que déplacer son questionnement : le professionnel n'examinerait plus l'opportunité de signaler, puisque la loi lui imposerait la conduite à tenir ; mais demeurerait pour lui la difficulté de poser un diagnostic. Compte tenu des bouleversements, et même des ravages, qu'un signalement peut entraîner dans la vie d'une famille, le professionnel continuera de se demander si les indices qu'il a repérés justifient ou non de signaler. C'est généralement la difficulté de poser le bon diagnostic qui fait hésiter les professionnels, et non les considérations juridiques.

Toutefois, la crainte d'être sanctionné pour défaut de signalement pourrait conduire certains professionnels à se montrer moins rigoureux dans leur processus d'évaluation. L'instauration d'une obligation pourrait inciter certains d'entre eux à précipiter et à systématiser leurs signalements afin de se mettre à l'abri de tout risque de condamnation, ce qui pourrait nuire à la qualité de l'information transmise aux autorités. C'est le principal effet indésirable qui pourrait résulter d'une obligation : une moindre qualité des signalements et une dilution des cas les plus graves dans un ensemble de situations à traiter par les autorités compétentes. Même si ce risque paraît limité, compte tenu de la responsabilité et de la rigueur des professionnels, cette crainte est évoquée par les personnes que nous avons rencontrées.

Le signalement doit résulter d'un processus rigoureux de détection et d'évaluation de la situation de l'enfant, qui peut exiger de garder le silence pendant un temps. La difficulté est bien là : lever le doute pour savoir s'il s'agit ou non d'une maltraitance.

Plusieurs associations de médecins ont estimé que ce processus devait être appréhendé comme un véritable diagnostic médical, nécessitant parfois de recueillir l'avis d'autres professionnels. Il est fréquent que le médecin de ville, suspectant que l'enfant est victime de violences intrafamiliales, demande une hospitalisation, éventuellement en prétextant du besoin d'examens complémentaires, afin de confirmer ses suspicions grâce à des équipes médicales mieux formées à la détection de la maltraitance.

Le cadre actuel, qui autorise la préservation du secret professionnel dans certains cas complexes, parfois jusqu'à pouvoir lever des doutes sur une situation, permet ainsi aux professionnels d'agir de la façon la plus adaptée à la santé et à la sécurité du mineur.

Une majorité d'entre nous - Catherine Deroche, Maryse Carrère et moi-même - considère donc que l'absence d'obligation ne constitue pas un obstacle au signalement. Dès lors, au regard des risques que je viens d'évoquer, nous privilégions le maintien du cadre législatif actuel, qui semble équilibré pour articuler le secret et les procédures de signalement.

Néanmoins, nous nous rejoignons toutes les quatre sur le fait que les règles de droit pénal, qu'elles posent une obligation de signaler ou non, ne sont pas suffisantes pour encourager les signalements. Différentes mesures pourraient être mises en oeuvre sans délai pour favoriser les signalements par les professionnels et, surtout, les accompagnements.

Tout d'abord, il est souhaitable d'approfondir notre connaissance des informations préoccupantes et des signalements transmis aux CRIP et aux parquets, en agrégeant les données disponibles au niveau national et en les précisant, sous la responsabilité de l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE). Ce sujet a donné lieu à des travaux de recherche aux États-Unis ; mais il a été trop peu étudié en France, ce qui nous prive d'éléments d'appréciation objectifs.

Ensuite, la formation initiale et continue des professionnels au contact des mineurs, en particulier les professionnels de santé et les travailleurs sociaux, devrait être renforcée afin de comporter des modules plus complets dédiés aux violences sur mineurs d'une part et, de l'autre, les règles encadrant les procédures de signalement et le secret professionnel.

La sensibilisation tout au long de la carrière aux situations d'enfance en danger est elle aussi essentielle. Elle passe avant tout par un renforcement de la diffusion de bonnes pratiques, comme le fait la Haute Autorité de santé (HAS), grâce à des supports adaptés aux situations concrètes rencontrées par les professionnels.

Les échanges entre professionnels sont également à développer, à l'image des rencontres régulièrement organisées dans certains établissements hospitaliers parisiens entre professionnels de santé, de la protection de l'enfance et de la justice, afin d'échanger sur les pratiques et les procédures à suivre en faveur de l'enfance en danger. Ces échanges pluridisciplinaires sont à développer sur l'ensemble du territoire pour faciliter les signalements.

Enfin, pour ne pas laisser un professionnel seul face à ses doutes, il convient de mieux identifier sur le territoire les médecins spécialistes susceptibles d'aider les professionnels de santé, les travailleurs sociaux, et, plus largement, les professionnels confrontés à ces situations. Les coordonnées de ces personnes ressources, qui pourraient être les médecins référents en protection de l'enfance et les médecins hospitaliers spécialistes en pédiatrie, pédopsychiatrie et pédiatrie médico-légale, pourraient être communiquées par les ordres professionnels à l'échelle départementale : ainsi, les intéressés pourraient être facilement sollicités.

Nonobstant le maintien du cadre législatif actuel, que nous préconisons, nous proposons donc dès à présent un ensemble d'actions concrètes afin de favoriser, sur le terrain, les signalements destinés à mieux protéger les plus vulnérables d'entre nous, à savoir les enfants. C'est notre préoccupation à toutes quatre. Certes, il existe une obligation de secret ; mais il y a, avant tout, une obligation de secours.

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