La proposition de loi s'organise en trois points.
Le premier porte sur le libre choix des utilisateurs de terminaux - par exemple, les smartphones, les enceintes connectées, et demain les véhicules connectés. Il s'agit en quelque sorte de prolonger la neutralité du Net, aujourd'hui imposée aux réseaux, vers les terminaux. Pour reprendre les termes adoptés par le président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (Arcep) : les tuyaux de l'internet sont neutres, assurons la neutralité du Net également sur les robinets ! Est-il normal de ne pas pouvoir désinstaller une application ? Est-il normal de ne pas pouvoir installer une application concurrente de l'un des écosystèmes dominants ou d'être fortement dissuadé de le faire ? Est-il normal que toutes les applications n'aient pas accès aux mêmes fonctionnalités proposées par un terminal ? Les conditions d'accès des développeurs d'application aux magasins d'application sont-elles équitables ? C'est, entre autres, à toutes ces questions que la proposition de loi confie à un régulateur le soin de répondre, avec une seule boussole : le libre choix du consommateur. Bien sûr, il n'est pas question d'empêcher les restrictions nécessaires au respect des lois en vigueur ou à la sécurité et au bon fonctionnement du terminal. De même, une application indispensable au fonctionnement du terminal ne devra pas être retirée !
Le deuxième point porte sur l'interopérabilité des plateformes. On l'a vu en ce qui concerne les télécoms, l'interopérabilité est le meilleur moyen de lutter contre les effets de réseaux se traduisant par un enfermement de l'utilisateur dans un écosystème. L'idée est, ici encore, de passer des réseaux à la couche logique de l'internet. Est-il normal que deux utilisateurs de réseaux sociaux différents ne puissent pas partager ensemble des contenus ? Est-il normal que, contrairement au mail, aucun agrégateur de réseaux sociaux n'ait pu se développer à ce jour ? C'est à ce type de questions que la proposition de loi entend également confier le soin à un régulateur de répondre, en vue de garantir la liberté de communication sur internet et le libre choix du consommateur.
Enfin, le troisième volet de cette proposition de loi est la lutte contre les acquisitions dites prédatrices. Ce terme, quoique quelque peu impropre, est passé dans le langage commun pour désigner les stratégies agressives d'acquisitions adoptées par les Gafam en vue de s'approprier la concurrence et de renforcer leurs positions dominantes. Ainsi, en dix ans, ces entreprises ont procédé à plus de 400 acquisitions. De plus en plus d'acteurs et de spécialistes de la concurrence estiment que c'est un problème car la concentration du marché se traduit par l'accumulation de rentes, un ralentissement de l'innovation et l'asphyxie de la concurrence et, in fine, de la croissance.
Les acquisitions portent, en général, sur des entreprises jeunes et générant pas ou peu de chiffres d'affaires. Or, tant au niveau français qu'au niveau européen, le contrôle des concentrations dépend de seuils de chiffres d'affaires aujourd'hui trop élevés pour appréhender ces opérations. Ainsi, la Commission européenne n'a-t-elle eu à connaître du cas Facebook / WhatsApp que par accident, à travers le système de renvoi des autorités nationales vers la Commission. Et elle n'a pas pu appréhender le rachat d'Instagram par Facebook, réalisé en 2012 pour un milliard de dollars quand l'entreprise ne disposait que de 30 millions d'utilisateurs - contre 1 milliard aujourd'hui - et ne réalisait aucun chiffre d'affaires. Demain, si une start-up active en France venait à être rachetée par un Gafam, l'Autorité de la concurrence française risquerait également d'être démunie.
C'est pourquoi la proposition de loi propose de rendre la vue à l'Autorité de la concurrence, en en lui permettant de définir une liste de géants du numérique qui auront l'obligation de notifier une opération d'acquisition en amont de sa réalisation. Si l'Autorité de la concurrence estime que l'opération fait peser un risque sur les marchés, elle pourrait alors enjoindre à l'entreprise de soumettre l'opération au contrôle de concentration, quand bien même celle-ci serait sous les seuils libellés en chiffres d'affaires. C'est une solution qui mêle les modalités retenues en Norvège et l'objectif poursuivi en Allemagne et en Autriche.