À la demande de notre présidente, le Président du Sénat a saisi le Conseil d'État. Son avis est très éclairant. Il conforte le texte et nous a apporté des préconisations très utiles, que nous nous sommes bien entendu efforcés de prendre en compte par des amendements.
Nous vous proposerons également de préciser certains éléments du texte, comme le fait que les magasins d'applications entrent bien dans le champ de la régulation du libre choix des utilisateurs de terminaux. C'est également le cas d'un point délicat mais important : la définition des plateformes dites structurantes.
Enfin, nous vous proposerons deux ajouts importants. Le premier porte sur le contrôle des concentrations : lorsque l'Autorité de la concurrence se saisira d'une opération de concentration, nous proposons que la charge de la preuve pèse sur le géant du numérique acquéreur. Le second est un apport à la proposition de loi. Il s'agit de confier à la DGCCRF le soin de lutter contre ce qu'il est convenu d'appeler les dark patterns, ou interfaces trompeuses. Il s'agit, par exemple, des cases pré-cochées pour payer une assurance que l'on ne souhaite pas, de la désinscription à un service quasiment impossible à trouver, ou de la perpétuation payante sans avertissement d'un abonnement gratuit. Ces pratiques portent atteinte au libre choix du consommateur en ligne. Un rapport du Stigler center de l'Université de Chicago les a qualifiées de particulièrement dangereuses, en particulier pour les personnes vulnérables. Nous proposons donc de doter la DGCCRF du pouvoir de les sanctionner, dès lors qu'elles sont mises en oeuvre par les plateformes structurantes. La restriction aux grandes plateformes se justifie par le fait que le consommateur qui n'a pas d'alternative crédible à une plateforme dominante ne peut pas les sanctionner en faisant jouer la concurrence.
Quel est le bon échelon pour agir : national ou européen ? Le Gouvernement, par la voix de M. Cédric O, nous dit que le bon niveau, c'est l'Europe. Nous, nous pensons que les deux échelons sont pertinents. En effet, le coût de l'attente est trop élevé. Or l'attente d'un texte au niveau européen nous amènerait probablement jusqu'en 2024... Pendant ce temps, ce sont des concurrents, français souvent, qui s'effondrent, l'innovation qui diminue et le libre choix du consommateur qui se restreint. D'ailleurs, nos partenaires allemands entendent agir au niveau national. Le Gouvernement allemand a ainsi publié en octobre, puis en janvier un projet de réforme du droit de la concurrence pour l'adapter à l'ère du numérique. Nous poursuivons le même objectif, seule la mise en oeuvre proposée est différente. Loin de nous la prétention de considérer que notre proposition de loi est parfaite et supérieure à la proposition allemande. Et peut-être pourrons-nous envisager dans un second temps de la faire davantage converger avec le projet de loi allemand, afin que le couple franco-allemand soit véritablement moteur sur ce sujet ! Notre ambition est simplement que l'initiative que le Gouvernement souhaite porter au niveau européen soit un franc succès, et qu'il puisse s'appuyer sur l'expérimentation au niveau national que nous proposons.
Enfin, j'insiste sur la nécessité de ne pas baisser les bras devant les Gafam. Beaucoup sont aujourd'hui convaincus que la puissance publique est impuissante à réguler les géants du numérique. Sur ce plan aussi, celui de leur force irrésistible, les Gafam ont gagné la bataille culturelle. C'est là leur force et l'une des raisons importantes pour lesquelles nous en sommes là aujourd'hui. Continuer à subir, invoquer toutes les raisons pour ne rien faire, c'est nous condamner à la « silicolonisation » de la France et de l'Europe, pour reprendre le néologisme parlant du philosophe Eric Sadin. Et l'enjeu majeur, au-delà de la liberté du consommateur que traite notre texte, c'est bien celui de la liberté du citoyen.
En ce qui concerne l'application de l'article 45 de la Constitution, nous vous proposons de considérer qu'entrent dans le champ des dispositions présentant un lien direct ou indirect avec le texte les mesures tendant à modifier le droit de la concurrence, de la consommation et de la régulation de nature économique du numérique, tant qu'elles permettent de favoriser effectivement le libre choix du consommateur dans le cyberespace.