Intervention de Fabien Gay

Réunion du 6 février 2020 à 9h00
Accès à l'énergie et lutte contre la précarité énergétique — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Fabien GayFabien Gay :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, quarante et un ! Quarante et un, c’est le nombre de milliardaires que compte notre pays, répertoriés par Oxfam dans son récent rapport sur les inégalités. En tête de ces quarante et un milliardaires, Bernard Arnault, le patron de LVMH, avec 76 milliards de dollars, au quatrième rang mondial.

Le même rapport indique également que 400 000 personnes supplémentaires sont passées en 2019 sous le seuil de pauvreté, qui est de 1 015 euros par mois, ce qui donne le triste résultat de 9, 8 millions de pauvres en France.

Les chiffres que je cite ici, mes chers collègues, visent à rappeler pourquoi nous avons déposé cette proposition de loi. Parce qu’elle résonne malheureusement avec l’actualité, car quand on touche 1 015 euros par mois, on doit souvent faire des choix entre payer ses factures, son loyer ou se nourrir.

Notre proposition de loi ne tend pas à réduire, à elle seule, toutes les inégalités, mais elle vise à lutter contre la précarité énergétique, qui s’est accrue et pénalise celles et ceux qui sont déjà en grande difficulté.

L’objectif de la loi relative à la transition énergétique, votée en 2015, était déjà de réduire la précarité énergétique de 15 % en 2020. Nous y sommes, et pourtant l’objectif est loin d’avoir été atteint. Les salaires et les pensions étant bloqués et le prix de l’énergie explosant, la situation s’est même dégradée. Sept millions de foyers, c’est-à-dire près de 12 millions de personnes, auxquels il faut ajouter 3, 5 millions de personnes souffrant du froid : un Français sur quatre est en situation de précarité énergétique.

Après les augmentations de plus de 7 % du tarif de l’électricité durant l’été dernier, c’est une nouvelle augmentation de 2, 4 % qui pèse sur les ménages depuis le 1er février 2020. Et cela ne s’arrêtera pas de sitôt, puisqu’il est même annoncé que ces augmentations seront continues jusqu’en 2025 !

Or l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) indiquait que, avec 10 % d’augmentation – ce qui est déjà presque le cas cette année –, près de 420 000 ménages pourraient basculer en situation de précarité énergétique.

Ainsi, après des mois de contestation des « gilets jaunes », des mobilisations toujours plus importantes contre la paupérisation comme seul horizon, voici votre réponse : augmenter la facture d’électricité des particuliers de plus de 180 euros par an en moyenne en l’espace d’un an !

M. Carenco, le président la Commission de régulation de l’énergie (CRE), affirmait il y a peu au Sénat que cette augmentation « n’est pas grave pour les ménages, car c’est l’équivalent d’un paquet de cigarettes par mois », ce qui confirme bien que certaines élites sont déconnectées de la réalité vécue par la majorité de nos concitoyens. Quel mépris dans cette phrase !

Contrairement à lui, nous affirmons que cette hausse aggrave les inégalités et fait basculer des dizaines de milliers de personnes en situation de précarité énergétique.

Et contrairement à ce que le Gouvernement a affirmé, les usagers, devenus des clients, paient non pas le coût de l’énergie, mais bien le prix de l’Europe libérale. Ce sont 1, 3 milliard d’euros pris dans les poches des ménages qui passent ainsi directement dans les coffres-forts des opérateurs privés avec les deux augmentations des neuf derniers mois. C’est donc un hold-up rondement mené au profit du privé, avec votre bénédiction.

Avec ces différentes hausses, le peuple a compris une chose : le mythe selon lequel l’ouverture à la concurrence ferait baisser les prix est devenu une allégorie du mensonge. Depuis dix ans, l’électricité a augmenté de 27 % et le gaz de 70 %.

Et pendant ce temps-là, vous préparez le démantèlement, la désintégration puis la future privatisation de l’entreprise publique avec le projet Hercule, à rebours du sens de l’Histoire, qui veut que seule une entreprise publique, intégrée et monopolistique puisse répondre aux défis d’avenir qu’est la transition énergétique et répondre aux besoins humains.

Ces mêmes politiques de libéralisation plombent aujourd’hui EDF, l’obligeant à transférer à ses concurrents la rente du nucléaire sans contrepartie et sans engagement de leur part à investir.

La hausse des tarifs réglementés intervient ainsi sur demande des opérateurs alternatifs privés à la CRE, afin qu’ils puissent proposer des tarifs libres au même prix que les tarifs réglementés.

Tout cela, au final, pour respecter le dogme de la sacro-sainte concurrence libre et non faussée imposé par Bruxelles, même lorsque cette concurrence est défaillante.

Alors que la solution adoptée consiste à confier la régulation des prix au marché, méthode inefficace s’il fallait encore le démontrer, notre proposition de loi choisit de consacrer l’accès à l’énergie en droit fondamental, tel que garanti par la Constitution, gardienne de notre histoire et des droits fondamentaux qui en ont émergé.

Sous la monarchie absolue sont nées les revendications de libertés citoyennes et politiques. Avec la révolution industrielle, les premières garanties économiques et sociales ont été conquises, enrichies par le Front populaire et le Conseil national de la Résistance. Ce sont ensuite les catastrophes écologiques et la prise de conscience du danger futur qu’elles supposent qui ont introduit l’impératif de droits collectifs et de protection de l’environnement.

Alors que nous combattons sans relâche pour préserver et enrichir ces droits conquis de longue date, il nous faut inclure dans ces luttes la création de droits nouveaux.

Ériger l’accès à l’énergie en droit fondamental, comme nous le proposons à l’article 1er, s’impose comme une suite logique à cette dynamique historique qui fait correspondre nos droits fondamentaux aux nécessités de notre temps.

Il s’agirait également de respecter nos engagements en donnant un fondement national aux dispositions du socle des droits sociaux de Göteborg, lequel place l’énergie parmi les services essentiels auxquels toute personne a le droit d’accéder.

Oui, nous le disons : alors que les différents gouvernements, prônant une politique libérale, essaient de réduire depuis trente ans les droits et les accès aux droits, nous prônons une vision de la société radicalement différente. Nous voulons la garantie d’accès aux droits et en conquérir de nouveaux. Si nous votons ce premier article, il conviendra donc ensuite de garantir l’accès à ce droit.

Cet objectif d’égalité dans l’accès à l’énergie doit s’accompagner de celui de justice sociale. Nous voulons, à travers l’article 2, que soient interdites tout au long de l’année les coupures d’électricité, de chaleur et de gaz. Et ainsi, en finir avec ce scandale consistant à priver des hommes et des femmes d’électricité et de gaz, c’est-à-dire pouvoir se doucher, se chauffer ou encore manger.

Il y a quelques jours, à la suite d’actions syndicales au cours desquelles des syndicalistes de l’énergie ont coupé quelques instants l’électricité dans des lieux symboliques pour faire entendre leur voix contre la réforme des retraites, nous avons entendu la droite sénatoriale et le Gouvernement pousser de concert des cris d’orfraie et demander des sanctions exemplaires. Mais, bizarrement, personne n’a fait part de sa vive émotion lorsque, l’an dernier, 574 000 ménages ont vu leur électricité coupée ou réduite. Car, oui, en France, une entreprise, publique ou privée, peut punir les pauvres, parce qu’ils sont pauvres.

Nous disons aux syndicalistes que vous accusez de tous les maux, qui sont les mêmes que ceux qui rétablissent le courant en se nommant les Robins des Bois et qui sont poursuivis pour délit de solidarité, que nous les soutenons pleinement.

Enfin, nous entendons sortir l’énergie du secteur marchand pour lui reconnaître le statut de bien de première nécessité, afin d’y appliquer, via notre article 4, et en vertu de la directive du Conseil européen du 19 octobre 1992, un taux réduit de TVA à hauteur de 5, 5 %.

Cette mesure d’allégement fiscal prend tout son sens lorsque l’on se livre à un examen de la composition du prix de l’électricité. Les taxes pèsent pour un tiers dans la facture payée par les usagers, ce qui est déjà lourd de conséquences financières pour les ménages précaires et rend la facture illisible. En l’état, cela veut dire toujours plus de vulnérabilité pour les 7 millions de ménages qui se trouvent en situation de précarité énergétique.

Enfin, après l’allégement de la TVA à 5, 5 %, nous proposons que les bénéficiaires du chèque énergie soient exonérés de taxes sur la consommation d’électricité et de gaz, et à raison : la contribution au service public de l’électricité (CSPE), censée financer les énergies renouvelables, demeure un dispositif à la gestion et aux résultats opaques. Elle est aujourd’hui absorbée directement dans le budget de l’État et a donc servi par exemple à financer le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). En ce sens, il nous paraît nécessaire d’exonérer de CSPE et de taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN) les ménages les plus en difficulté.

Un dernier mot sur le rapport de Mme la rapporteure, que nous remercions pour son travail et son sérieux.

La commission n’a pas adopté notre proposition de loi et propose de travailler sur le chèque énergie. Nous rappelons que cette solution curative n’est pas durable et qu’en plus il faudrait, selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), un chèque d’en moyenne 710 euros par foyer.

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