Intervention de Denise Saint-Pé

Réunion du 6 février 2020 à 9h00
Accès à l'énergie et lutte contre la précarité énergétique — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Denise Saint-PéDenise Saint-Pé :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous mesurons tous, dans notre vie quotidienne, l’importance de disposer d’une énergie en quantité suffisante et à un prix raisonnable.

Sans énergie, il est impossible de se chauffer, de se déplacer, voire de communiquer ou de s’informer. C’est donc un poste essentiel dans le budget des ménages et une dépense contrainte qu’il est souvent difficile de maîtriser, en particulier quand les moyens manquent pour mieux isoler son logement ou remplacer sa vieille chaudière.

Selon les données publiées par l’ONPE le 7 janvier dernier, près de 6, 8 millions de personnes sont en situation de précarité énergétique au sens économique, c’est-à-dire que sont concernés les ménages pauvres et modestes consacrant plus de 8 % de leurs revenus au paiement de la facture énergétique de leur logement.

La question abordée par la proposition de loi de nos collègues du groupe communiste est donc majeure et chacun partage, à l’évidence, la préoccupation exprimée par ses auteurs pour faciliter l’accès à l’énergie ou réduire la facture – j’oserai dire : la fracture énergétique.

Pour autant, la commission a jugé qu’aucune des mesures proposées par le texte n’était satisfaisante et que d’autres pistes devaient être explorées pour répondre à ces enjeux, j’y reviendrai.

En premier lieu, nos collègues proposent d’élever l’accès à l’énergie au rang de droit fondamental. Comme tous nos interlocuteurs l’ont confirmé, cette mesure n’aurait, en elle-même, aucun effet juridique notable ; elle ne changerait rien sur le plan fiscal, pas plus qu’elle n’octroierait, à elle seule, de nouveaux droits.

La deuxième mesure proposée serait, quant à elle, bien concrète. Elle consisterait à étendre l’interdiction des coupures d’électricité, de chaleur et de gaz, qui ne vaut aujourd’hui que durant la trêve hivernale, à l’ensemble de l’année, comme c’est déjà le cas pour l’eau. Cette protection nouvelle serait accordée uniquement aux bénéficiaires du chèque énergie.

Or de nombreux motifs nous ont conduits à écarter cette solution. Elle reviendrait d’abord à déresponsabiliser une partie des usagers et augmenterait immanquablement les impayés, dont le coût se reporterait sur l’ensemble des consommateurs, y compris les plus modestes.

Le retour d’expérience de l’eau le démontre : dans les trois années suivant l’interdiction des coupures tout au long de l’année, les impayés et irrécouvrables ont augmenté de 20 %, selon les données de la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau.

Ensuite, elle tendrait aussi à masquer le coût réel de l’énergie et n’inciterait pas à la maîtrise des consommations, ce qui irait à l’encontre de nos objectifs climatiques.

Cette mesure, qui est adossée au dispositif du chèque énergie, poserait par ailleurs des difficultés en termes d’identification des bénéficiaires pour les fournisseurs, en particulier lorsque le chèque énergie a été affecté par leur client à un autre fournisseur. Elle pourrait ainsi conduire à des effets d’aubaine importants si, du fait de ces difficultés d’identification, et pour éviter tout risque de contentieux, elle venait à protéger indifféremment les ménages précaires et les ménages solvables.

À l’inverse, certains publics précaires n’en bénéficieraient pas, car l’ensemble des ménages n’est pas éligible au chèque énergie. Il en est ainsi des personnes en réinsertion vivant dans des logements en intermédiation locative.

Enfin, il faut rappeler que, si tout doit être fait, bien sûr, pour éviter sa mise en œuvre effective, l’annonce d’une possible coupure déclenche le plus souvent un processus d’évaluation de la situation du consommateur, d’orientation vers les différentes aides disponibles et d’étalement des paiements qui permet, bien souvent, de sortir de cette spirale d’accumulation de dettes.

Les deux autres mesures proposées visent le même objectif : celui d’alléger la facture en modulant le niveau de la fiscalité énergétique, mais selon des modalités bien différentes. La première consisterait à exonérer les bénéficiaires du chèque énergie de deux taxes, la CSPE et la TICGN ; la seconde mesure proposée établirait un taux réduit de TVA à 5, 5 % sur une partie des consommations, dont le niveau serait fonction, notamment, de la composition familiale du foyer, mais sans condition de ressources.

Là aussi, nous pouvons partager le constat – celui de la hausse des taxes sur l’énergie au cours des dernières années – de même que l’objectif – celui d’alléger la facture des Français –, mais sans pour autant partager les solutions préconisées, qui seraient à la fois complexes, sinon impossibles à mettre à œuvre, et largement inefficaces sur le fond.

Sur le plan juridique d’abord, le droit européen n’autorise pas l’application de régimes d’exonération ou de taux différents entre les ménages. Cela ne veut pas dire, bien entendu, que l’on ne peut pas faire de redistribution au profit des ménages les plus modestes, mais alors il faut passer par des outils plus adaptés, à commencer par des aides directes.

Sur le plan pratique, ensuite, ces mesures rendraient plus complexe la facturation, avec des risques d’erreurs et des surcoûts importants, et les fournisseurs devraient même, pour appliquer la mesure sur la TVA, connaître la composition du foyer à chaque période de facturation, ce qui poserait clairement question en termes de protection de la vie privée.

Enfin, le rapport coût-efficacité de ces mesures serait très peu favorable selon nos calculs : la perte de recettes pour l’État serait d’au moins 2, 5 milliards d’euros par an pour une mesure qui bénéficierait, dans le cas de la TVA, à tous les consommateurs, y compris ceux qui peuvent s’acquitter de leur facture sans difficulté particulière.

Il me semble que nous pourrions trouver un meilleur usage de ces montants pour cibler, en priorité, les plus modestes.

Pour ce faire, notre commission préconise d’améliorer et d’amplifier les dispositifs existants.

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