Intervention de Laurence Cohen

Réunion du 6 février 2020 à 9h00
L'organisation d'un référendum sur la privatisation d'aéroports de paris est-elle une exigence démocratique — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Photo de Laurence CohenLaurence Cohen :

Plus de 38 400 personnes se sont exprimées, soit pratiquement 5 % des électeurs. Sur la France entière, ce sont plus d’un million de personnes qui exigent la tenue d’un référendum sur la privatisation, ou non, du groupe ADP.

Je tiens à ce propos à saluer les actions que nous avons menées, comme à la Fête de l’Humanité au mois de septembre dernier sur l’initiative de notre groupe, ou encore lors du meeting organisé au mois de juin dernier à la Bourse du travail de Saint-Denis sur l’initiative de mon collègue député Stéphane Peu, qui réunissait des parlementaires de toutes sensibilités politiques, du PCF au PS, en passant par la France insoumise, Les Républicains, Génération.s et Europe Écologie Les Verts. Sans compter les dizaines d’actions sur nos territoires.

Les enjeux sont majeurs. Je pense tout d’abord aux conséquences économiques. En moyenne, Aéroports de Paris rapporte 170 millions d’euros de dividendes chaque année à l’État. En cas de privatisation, non seulement cette source de revenus disparaîtrait, mais, en plus, l’État devrait s’acquitter d’indemnisations supplémentaires particulièrement vertigineuses : près d’un milliard d’euros pour indemniser financièrement les actionnaires minoritaires actuels, qui risqueraient, après les soixante-dix ans de privatisation prévus par la loi, d’être expropriés pour une nouvelle nationalisation, alors même qu’il est également prévu que l’État rachète son dû dans soixante-dix ans.

Ainsi., l’État y perdrait triplement : un milliard d’euros d’indemnités en faveur des actionnaires minoritaires ; 170 000 euros de bénéfices en moins par an, c’est-à-dire presque 12 milliards d’euros sur soixante-dix ans ; et, bien entendu, le prix qu’il faudrait payer pour racheter ADP dans soixante-dix ans ! Monsieur le secrétaire d’État, quand on cherche de l’argent : là, il y en a !

C’est à l’encontre de tout bon sens, alors même qu’ADP est une entreprise rentable qui offre de nombreuses perspectives prospères pour l’avenir, comme le laissent présumer le nouveau terminal 4 à Roissy, prévu pour 2025, ou les récents aménagements de l’aéroport d’Orly. Le Gouvernement prétend vouloir investir dans un fonds pour l’innovation grâce aux recettes de cette privatisation. Les recettes annuelles d’ADP, en constante hausse, ne pourraient-elles financer ce fonds sur plusieurs années ?

Le deuxième enjeu capital soulevé par la privatisation d’ADP est politique. Comme le rappelle le professeur de droit public Paul Cassia, cette opération soulève un problème relevant de la souveraineté même de l’État français. En effet, plus de 100 millions de passagers transitent chaque année par cette plateforme pour entrer sur le territoire ou en sortir, faisant d’ADP la plus grande frontière française. Pas moins de 80 % des visiteurs étrangers passent par ADP, qui possède donc des infrastructures sensibles ! Privatiser ces infrastructures signifie nécessairement menacer la capacité de l’État à contrôler intégralement et sans intermédiaire les entrées et sorties du territoire, qui vont in fine dépendre de son dialogue avec un groupe privé.

Un troisième enjeu particulièrement important est le risque d’anticonstitutionnalité d’une telle privatisation. En effet, cette opération entre directement en contradiction avec le neuvième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. » C’est sur cette base que le législateur avait déjà refusé la privatisation d’ADP en 2005.

Cette privatisation potentielle soulève également un enjeu fort lié aux risques de suppressions d’emplois et de précarisation d’une partie des salariés d’ADP. Pour rappel, près de 90 000 salariés travaillent à Roissy et plus de 25 000 à Orly, sans compter les emplois induits.

Et que dire de l’enjeu écologique d’une telle privatisation à une époque où nous subissons directement les conséquences du réchauffement climatique ? Que dire des conséquences sur la vie des riverains ? Je pense particulièrement aux nuisances sonores ! Il est à craindre qu’une privatisation d’ADP n’aggrave la situation, en intensifiant le trafic aérien et en remettant en cause le couvre-feu actuel, qui interdit le survol des avions entre vingt-trois heures trente et six heures du matin.

Enfin, une privatisation aboutirait nécessairement à une augmentation des tarifs et à un remaniement qui pourraient menacer certaines lignes, par exemple celles reliant la France hexagonale à ses territoires d’outre-mer. À La Réunion, un collectif d’usagers, Réunion ADP, craint particulièrement les hausses des taxes aéroportuaires, qui correspondent actuellement à 50 % du prix d’un vol. Alors que des milliers d’étudiants ultramarins viennent chaque année faire leurs études en France métropolitaine, comment garantir leur mobilité sans hausse supplémentaire ?

Au regard des nombreuses conséquences que je viens d’évoquer, l’organisation d’un référendum sur la privatisation d’Aéroports de Paris relève d’une exigence démocratique. Il y va du droit des citoyennes et des citoyens à protéger le devenir des biens communs et des services publics. Il y va également du devoir de l’État d’écouter les mobilisations inédites et les nombreuses voix, toutes sensibilités politiques confondues, qui, depuis des mois, exigent le dialogue, donc ce référendum.

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