Intervention de Didier Guillaume

Réunion du 6 février 2020 à 14h30
Le foncier agricole : les outils de régulations sont-ils toujours pertinents — Débat organisé à la demande du groupe les indépendants – république et territoires

Photo de Didier GuillaumeDidier Guillaume :

Il a été le premier à travailler longuement sur le sujet du foncier.

Vous le savez, le Gouvernement s’est saisi de cette question à deux niveaux. Tout d’abord, le foncier est l’un des points clés de l’agenda rural : on ne peut pas parler d’agenda rural sans évoquer ce sujet. Ensuite, nous travaillons au projet de loi foncière annoncé l’année dernière par le Président de la République, lors de l’ouverture du salon international de l’agriculture.

Le foncier agricole est, tout simplement, un préalable à notre souveraineté alimentaire, parce que tout démarre par le sol, outil de production de nos agriculteurs – ce n’est pas rien ! La responsabilité qui nous incombe, après nos prédécesseurs, est donc de garantir une régulation efficace de l’accès à ce foncier agricole. La défense de nos modèles dépend de l’efficacité de cette régulation.

C’est dire si la question mise en débat cet après-midi est importante. Elle est également très complexe, d’autant que les uns et les autres ont des avis assez partagés.

J’entends ceux qui insistent sur la nécessité de réformer ces outils et critiquent leur manque d’efficacité. Pour autant, je commencerai par souligner que ces outils de régulation nous sont absolument indispensables.

Alors que nous sommes confrontés à des enjeux forts en matière de foncier agricole – j’y reviendrai –, la France s’est dotée d’un arsenal complet de régulation, que, d’ailleurs, d’autres pays examinent au moment où nous-mêmes voulons aller plus loin ; c’est même le cas de nos plus proches voisins, comme l’Allemagne et la République tchèque, deux pays agricoles importants.

Dans les années 1950, cet arsenal s’est construit autour du statut du fermage, dont vous avez eu raison de souligner qu’il est d’ordre public : il limite la liberté contractuelle du propriétaire et de l’exploitant fermier en vue d’assurer la stabilité des structures foncières des exploitations agricoles en location et de garantir au fermier le bénéfice de ses gains de productivité par la limitation des loyers. Acquis fondamental, le statut du fermage a garanti l’équilibre des relations bailleurs-preneurs.

Dans les années 1960, l’instauration du contrôle des structures et la création des Safer ont répondu aux enjeux de renouvellement des générations et de consolidation d’exploitations viables dans les territoires. Comme vous le savez toutes et tous, les Safer ont contribué en 2018 à l’installation de plus de 1 600 jeunes exploitants, sur un total de 15 000 installations. Ces outils sont donc pertinents.

Pour autant, le monde agricole évolue, les demandes aussi. Les outils doivent être adaptés aux transformations en cours, après évaluation précise des impacts qu’auront ces adaptations sur nos exploitations.

En vingt-cinq ans, le nombre de petites et moyennes exploitations a été divisé par trois, et 50 % des agriculteurs français prendront leur retraite dans les dix années qui viennent. Dans ce contexte, notre responsabilité est immense ! C’est pourquoi nous travaillons, mais en nous gardant de tout casser, de jeter, si je puis dire, le bébé avec l’eau du bain. Tant que nous n’aurons pas stabilisé de nouvelles orientations ayant fait consensus, ne touchons pas sans trembler aux outils de régulation qui existent.

L’artificialisation des sols est aujourd’hui un drame, vous l’avez dit, monsieur le sénateur Menonville. Reste qu’il est difficile de regarder avec les yeux d’aujourd’hui ce que nos prédécesseurs, notamment les élus locaux, ont fait hier. Car, hier, nous avions besoin de logements, de lotissements, d’étendre nos villages. Seulement, après avoir vu les habitations entrer dans les champs et s’installer au bord des vignes selon les besoins de cette époque, les agriculteurs se trouvent aujourd’hui handicapés.

L’artificialisation des sols doit s’arrêter. L’objectif du Gouvernement, comme de la profession, c’est le zéro artificialisation nette. C’est la raison pour laquelle mon ministère a lancé une immense consultation avec toutes les parties prenantes, du printemps jusqu’à l’automne de l’an dernier. Cette consultation était un préalable indispensable, car, j’insiste sur ce choix de méthode, il est hors de question que seuls les parlementaires travaillent sur ces outils ; la profession agricole doit être le plus largement, le plus unanimement possible à nos côtés.

D’abord, nous devons tirer les enseignements des difficultés actuelles pour résoudre les problèmes d’installation et d’accès au foncier. Ensuite, il nous faut contrôler les structures, car il n’est plus possible que des sociétés financières achètent de bonnes terres agricoles pour en faire ce qu’elles ont à en faire – nous devons aborder ce sujet. Enfin, nous devons avancer sur le statut du fermage.

Je souhaite vivement que nous travaillions avec les Safer, qui étaient, demeurent et resteront un outil essentiel pour contrôler et sauver le foncier agricole. C’est à partir de la contribution de leur fédération nationale, ainsi que de celles des organisations professionnelles agricoles et des associations – nous avons mené une consultation très large – que l’État établira les pistes d’évolution.

Ces évolutions seront mises en œuvre en deux temps : le plus rapidement possible pour celles qui seront réglementaires, dès lors qu’il y aura consensus autour des Safer ; dans le cadre d’une proposition ou, plutôt, d’un projet de loi, en fonction des souhaits que vous exprimerez lors de la consultation que je mettrai en place avec l’Assemblée nationale et le Sénat.

S’agissant de ce texte, je nous mets en garde, nous connaissant bien : si nous commençons, au-delà du foncier agricole, à vouloir traiter toutes les questions d’urbanisme qui n’ont pas été réglées ces dernières années, nous aurons raté notre but. Le foncier agricole est une question importante : j’en appelle à notre sagesse collective pour qu’elle reste l’objet prioritaire du texte à venir.

Monsieur Menonville, monsieur Malhuret, vous avez souhaité que nous débattions de la pertinence des outils de régulation du foncier agricole. Pour moi, ces outils sont toujours pertinents, mais nous devons travailler à en améliorer encore la pertinence !

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