Vous abordez ici la question de l'art, notion assez byzantine, et un marché qui est directement sous le contrôle des sociétés de ventes volontaires. Or ni les commissaires-priseurs ni les sociétés de ventes ne sont sensibilisés ou organisés pour être nos interlocuteurs, et leurs régulateurs n'ont pas de liens assez étroits avec nous pour mobiliser le secteur.
On a toutefois profité de la thématique « pillage Palmyre » pour obtenir des résolutions des Nations unies au titre de la protection des biens culturels et de la lutte contre le financement du terrorisme. En outre, et c'était une première historique, dans le cadre d'une résolution des Nations unies nous avons étendu le 15 décembre dernier les sanctions à l'encontre de Daech, y compris sur ce sujet du pillage des biens culturels. Enfin, le ministre des finances Michel Sapin a, sur notre recommandation, écrit aux syndicats d'antiquaires en leur rappelant leurs obligations, y compris au regard de la lutte contre le blanchiment.
Je viens de recruter quelqu'un qui va travailler spécifiquement sur le secteur de l'art pour mobiliser la profession et lui rappeler ses obligations, qui existent depuis longtemps, mais qui ne sont pas connues. On ne peut pas toujours le reprocher aux professions. C'est aussi à nous à être didactiques et d'élaborer des lignes directrices avec les régulateurs.
Il reste les agents sportifs, mais c'est vrai que le milieu du sport, du football en particulier, n'est pas trop touché par des problèmes de fraude ou de blanchiment. Pour ces acteurs, le score est de zéro, et j'espère que c'est le seul domaine où le score restera nul !
À l'occasion des récentes assises du sport, nous avons formulé des propositions pour mobiliser davantage les fédérations sportives plutôt que les agents, pour qui cela reviendrait à s'accuser eux-mêmes. Encore qu'ils pourraient le faire et bénéficier de l'effet juridique utile de la déclaration de soupçon, qui offre une immunité civile et pénale.
Il y a là un champ qui est en quelque sorte sous-alimenté, mais l'idée, c'est que l'on réfléchisse, dans le cadre de la transposition de la quatrième directive anti-blanchiment, à assujettir aux obligations de vigilance tout ce qui relève du contrôle budgétaire et du contrôle financier des fédérations, notamment les structures dédiées.
L'animation du réseau et la diversification des déclarations de soupçon, c'est un chantier à mener avec tous les acteurs. Même le secteur financier doit se perfectionner. Un tiers de l'effectif de Tracfin est mobilisé par ce travail sur les déclarations de soupçon.
Enfin, le dispositif d'appel à vigilance issue de la loi dite « Urvoas » a été principalement pensé pour la lutte contre le financement du terrorisme, mais sera très utile aussi pour la lutte contre le blanchiment. Dans la rédaction, issue d'ailleurs des propositions du Sénat, il est indiqué que Tracfin aura la possibilité - le décret d'application interviendra d'ici à la fin de l'année sans doute - de faire des appels à vigilance confidentiels concernant des personnes qui présentent des risques importants en matière de lutte contre le blanchiment et de financement du terrorisme.
Le principe, justement, c'est que ces signalements restent le plus confidentiel possible et ne suscitent pas un contentieux adossé. Tracfin ne doit pas être dans l'obligation d'imposer à la banque de maintenir une relation d'affaires car les règles générales sur la lutte contre le blanchiment prescrivent ce maintien - c'est pour cela d'ailleurs qu'une immunité pénale est prévue au bénéfice de la banque lorsqu'il y a déclaration de soupçon sans clôture de compte. On ne va pas risquer de susciter un contentieux administratif pour satisfaire à une demande de la Fédération bancaire française, qui au passage profite d'un effet d'aubaine.
Comme l'avait objecté le Conseil d'État, prendre un arrêté prescrivant le maintien de la relation d'affaires et du compte pour tel et tel motif, c'était sortir du secret, et donc du renseignement, une idée d'autant plus aberrante qu'en page 30 de nos lignes directrices nous consacrons une rubrique à la lutte contre le financement du terrorisme où nous précisons que, justement, l'un des indices de radicalisation, c'est la clôture du compte. C'est la clôture du compte qu'il faut nous signaler, ce qui nous aide à détecter les personnes qui ont envie de partir faire le djihad ou de placer leurs économies ailleurs qu'à la banque qui rapporte et qui n'est pas conforme aux principes de la finance islamiste radicalisée.
Nous avons essayé de trouver les arguments pour convaincre de l'inadéquation de ce dispositif. En revanche, nous avons inspiré l'amendement à la loi « Sapin 2 » - qui est d'ailleurs un cavalier législatif - que vous avez mentionné. Il devrait permettre de rassurer les établissements financiers puisque dans l'hypothèse où il y aura un appel à vigilance, la banque bénéficiera de la même immunité juridique que celle qui est prévue lorsqu'il y a eu déclaration de soupçon.
Mais nous avons gardé la porte ouverte pour travailler sur cette question du compte dans le cadre de la transposition de la quatrième directive, dont le calendrier est accéléré puisque le ministre veut aboutir avant la fin de l'année.