Intervention de Jean-François Gayraud

Commission d'enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l'évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l'efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre — Réunion du 29 mai 2013 : 1ère réunion
Audition de Mm. Jean-François Gayraud criminologue et noël pons ancien inspecteur des impôts

Jean-François Gayraud, Criminologue :

L'expression shadow banking est ambiguë car elle revêt deux sens. Je l'ai utilisée pour parler des liquidités monstrueuses dont le crime organisé dispose. Le crime organisé gère des sommes de niveau macro-économique. Le patronat italien, première victime du phénomène à travers le racket, considère que le chiffre d'affaires agrégé de Cosa nostra en Sicile, N'drangheta en Calabre, Salva Corna Unita dans les Pouilles et Camorra en Campanile, se situerait au niveau de 150 à 190 milliards d'euros, soit 10 % du PIB italien. Nous ne sommes pas dans l'anecdotique. La situation est pire au Mexique. Certaines entités criminelles se situent au-delà de la notion d'organisation. Elles ont un chiffre d'affaires agrégé supérieur à certains PIB de petits Etats. Notre planète est balkanisée avec 45 Etats depuis 1945 et 200 aujourd'hui, mais la plupart sont vides de puissance : ce sont des Etats « Potemkine ». Les Etats de plus en plus faibles, appauvris entre autres par la crise, soulèvent de vraies questions.

Le shadow banking désigne les capacités financières du monde criminel. Habituellement, le concept désigne la partie de la finance transnationale dérégulée, sujet sur lequel je suis moins compétent.

Sur la question du renseignement, la question consiste à savoir pourquoi un Etat décide d'utiliser l'outil du renseignement pour lutter contre un phénomène criminel ou de sécurité nationale. Il y avait un périmètre historique du renseignement depuis les Rois de France, de préservation des institutions. Ce périmètre fut longtemps celui du secret du roi, avec une dimension de police politique. La mission portait sur la préservation des institutions, la préservation de la paix, l'outil militaire et l'ordre intérieur. Le périmètre du renseignement évolue. Durant les années 1970/1980, le terrorisme créait un émoi très important. Nous avons dit à cette occasion qu'il fallait utiliser l'outil du renseignement. Certains phénomènes terroristes avaient besoin d'un outil susceptible de dépasser l'invisibilité du fait de leur phase de clandestinité.

C'est à l'Etat de définir une menace de niveau stratégique. A ce titre, je pense que l'ensemble des questions criminelles, du fait que le contexte géopolitique a profondément changé depuis la fin de la Guerre froide, sont des questions existentielles pour la préservation de nos institutions politiques et de notre système démocratique. En France, nous vivons dans un univers relativement exceptionnel quand nous nous comparons au reste du monde, qui ressemble plus au Mexique et Hong Kong qu'à la France. Il faut analyser préalablement l'état de la menace. Le renseignement permet de l'anticipation d'un point de vue intellectuel, et surtout de dépasser la gestion des seules menaces visibles. Il permet la mise en relief, de rendre visible des phénomènes qui demeurent profondément invisibles.

Palerme est l'une des plus belles villes d'Europe, où la criminalité publique est faible, mais 80 % des commerçants y sont rackettés, de nombreux marchés publics font l'objet d'aménagements divers, de nombreux marchés économiques ne passent pas par le croisement de l'offre et de la demande, etc. Si on ne cherche pas, on ne voit pas cette criminalité.

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