Intervention de Dominique Strauss-Kahn

Commission d'enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l'évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l'efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre — Réunion du 26 juin 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Dominique Strauss-kahn ancien ministre ancien directeur général du fonds monétaire international

Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre de l'économie et de finances et ancien directeur général du FMI :

Le sujet est si vaste qu'on ne sait pas bien où l'arrêter. L'économie réelle, c'est-à-dire la production, les échanges, le marché du travail, constitue une discipline assez simple ; le corpus théorique accumulé au XIXème et au XXème siècle en cerne correctement le fonctionnement, les instruments d'analyse sont assez bien définis. Tout se complique lorsqu'on introduit la monnaie, ou, dans sa version plus moderne, l'ensemble de la finance. C'est plus qu'une complication supplémentaire, en fait : c'est un autre monde. Ces quelques mots ont servi d'introduction au cours d'économie monétaire que j'ai dispensé pendant des années à l'université. Dans une économie mondiale de plus en plus monétisée, de plus en plus financiarisée, il n'est pas surprenant que l'analyse soit devenue très sophistiquée et qu'elle laisse souvent les responsables un peu démunis, car les raisonnements sont souvent contre-intuitifs.

Il y a énormément de dysfonctionnements dans ce système et, par ailleurs, des situations individuelles parfois scandaleuses. Les dysfonctionnements ont des conséquences systémiques ; les scandales individuels touchent à l'équité, à l'image de la vie en société. Ces dysfonctionnements atteignent, à certains moments, un degré catastrophique, telle la crise qui sévit depuis fin 2007 en est la preuve, qui a produit quelques dizaines de millions de chômeurs.

Très évidemment, le système fonctionne mal. Toutefois, incriminer la finance dans le désastre économique que nous vivons a pour moi la même pertinence qu'incriminer l'industrie automobile pour le nombre de morts sur la route. Bien sûr, toute amélioration du produit est bienvenue, et mieux vaut avoir des voitures plus sûres, comme il vaut mieux améliorer le fonctionnement et les produits bancaires ; c'est ce qu'a fait notre pays récemment. Mais le vrai problème, c'est le comportement des individus. C'est moins la finance qui est en cause que les financiers. Si j'étais provocateur, je dirais qu'à trop s'occuper de la finance, on ne s'occupe pas assez des financiers ! On laisse faire le plus nocif en se satisfaisant, tant bien que mal, des aménagements que l'on apporte au fonctionnement de l'industrie elle-même.

Un certain nombre d'acteurs, banques et d'autres, agissent avec des motivations lucratives, mais leur action peut déstabiliser l'économie mondiale. La régulation doit donc contrer ces comportements quand ils sont nocifs pour la collectivité, non se limiter à des règles de fonctionnement de l'industrie financière. Certes, la séparation entre banque d'investissement et banque commerciale va dans le bon sens, mais améliorer la machine n'empêchera pas certains de brûler les feux rouges. Je ne souhaite pas fustiger les instruments, ils sont nécessaires - car il faut préserver des zones de prise de risques - mais ils ne doivent pas être utilisés à mauvais escient.

Le problème ne réside pas tant dans la difficulté technique, même si elle existe, que dans la volonté politique d'agir sur les acteurs. Les gouvernements ont parfois des discours volontaristes, qui ne sont guère suivis d'effet et les crises se perpétuent... On sait globalement traiter les problèmes techniques, mais faire qu'à l'échelle planétaire, les plus grands pays se conforment aux déclarations de leurs dirigeants en matière d'assainissement du système financier, c'est une autre paire de manches.

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