En en ma qualité de président de la commission de déontologie, j'ai peu choses à dire sur le rôle des banques et des acteurs financiers dans l'évasion des capitaux, sur ses effets fiscaux et sur les équilibres économiques, du moins à titre liminaire. En revanche, en ce qui concerne l'efficacité du dispositif destiné à la combattre, je peux vous donner quelques indications sur ce qu'est la commission de déontologie de la fonction publique que j'ai l'honneur de présider et, plus spécialement, sur ce qu'elle n'est pas. Fondamentalement, la perception de cette commission repose sur un malentendu, sans doute dû à sa dénomination même.
Comme vous le savez, la commission a été créée par la loi du 29 janvier 1993, dite « loi Sapin », dans un contexte particulier, celui de la lutte contre la corruption révélée alors par certaines affaires. L'article 87 de cette loi avait donc créé trois commissions, une pour chacune des fonctions publiques, chargées essentiellement de donner un avis sur des projets de départ d'agents publics dans le secteur privé, pratique que l'on appelle couramment le « pantouflage ». À l'heure actuelle, la commission est régie par l'importante modification apportée par la loi du 2 février 2007. D'une part, ce texte a étendu ses compétences bien au-delà du contrôle des départs dans le privé. En effet, la commission contrôle aujourd'hui des projets de cumul d'activités privées par des agents publics au titre de la création d'entreprise - possibilité qui a été ouverte dans le même temps par la loi et introduite à l'article 25 du statut général de la fonction publique. Cela représente à peu près 3 000 dossiers sur les 3 300 dont la commission est saisie chaque année. D'autre part, la loi du 2 février 2007 a rendu facultative la saisine de la commission s'agissant des projets de départ d'agents publics dans le secteur privé, ou - plus précisément - elle ne l'a rendue obligatoire que dans un seul cas. La définition en est quelque peu tautologique : il s'agit du cas du fonctionnaire qui, dans les fonctions qu'il a exercées au cours de la période de référence, c'est-à-dire des trois années précédentes, a été en situation d'assurer le contrôle ou la surveillance d'une entreprise privée, ou de conclure des contrats avec elle, ou de formuler des avis sur de tels contrats, ou encore de prendre ou de proposer des décisions concernant les opérations réalisées par cette entreprise. Autrement dit, si on prend au pied de la lettre la définition qui prévaut depuis six ans des cas d'intervention obligatoire de la commission pour les départs dans le privé, la saisine n'est obligatoire que si l'on est quasiment sûr que le délit de prise illégale d'intérêts est constitué. En caricaturant un peu, la commission est donc saisie aux fins d'émettre un veto, puisque parmi ses missions figure justement la prévention du délit pénal de prise illégale d'intérêts. A ce titre, un fonctionnaire s'étant trouvé dans la situation que je viens d'évoquer n'est pas autorisé à rejoindre l'entreprise concernée dans un certain délai de viduité, qui était jadis de cinq ans et qui a été réduit à trois par cette loi.
Alors, pourquoi dis-je qu'il y a un malentendu ? D'une part, depuis cette date, même si la commission est le plus souvent saisie en-dehors des cas obligatoires, elle n'a pas nécessairement une vue d'ensemble sur tous les départs dans le secteur privé. Au regard de sa mission initiale de contrôle du « pantouflage », elle examine tous les cas qu'on lui soumet mais n'est pas systématiquement saisie. D'autre part, la déontologie est un domaine beaucoup plus vaste que les seuls cas de départ dans le secteur privé. Je pense à la situation de conflit d'intérêts dans laquelle peut se trouver un fonctionnaire appelé à prendre ou à proposer des décisions sur tel ou tel sujet alors qu'il a pu auparavant être dans une autre situation. Je citerai un exemple qu'il n'est pas incongru d'évoquer au Sénat eu égard à sa mission : un fonctionnaire qui se trouve être par ailleurs élu local, conseiller municipal, est conduit à prendre des décisions, à les proposer à son ministre ou à les signer par délégation, ou encore à donner des avis à leur sujet, alors même que ces décisions auront un impact positif ou négatif sur la collectivité locale dont il est l'un des élus. Il peut y avoir là une situation de conflit d'intérêts au sens large du terme, puisqu'il s'agit de concurrence entre divers intérêts publics, et non simplement entre intérêts publics et intérêts privés. De façon générale, un certain nombre de questions de déontologie ne se traduisent pas nécessairement par des normes écrites dans l'actuel statut général de la fonction publique mais existent, notamment au travers de la jurisprudence sur des questions disciplinaires ; la commission n'en est nullement chargée.
En résumé, la saisine de la commission au titre de la mission qui lui avait été originellement attribuée - le contrôle des départs dans le privé - n'est pas systématique, bien que les administrations soumettent assez largement ce type de dossiers. J'insiste à cet égard sur le fait que, lorsque l'on examine les dispositions réglementaires et notamment le décret du 26 avril 2007 qui précise l'étendue du contrôle, on constate que la commission est invitée à exercer, d'une part, un contrôle dit « pénal » sur les risques de prise illégale d'intérêts, et d'autre part, un contrôle dit « déontologique », qui vise - indépendamment de ces cas - à éviter que l'agent puisse, dans le cadre de ses nouvelles fonctions dans le secteur privé, bénéficier de contacts privilégiés ou être soupçonné d'avoir préparé sa future clientèle.
En bref, la commission ne contrôle pas obligatoirement tous les départs mais fort heureusement, dans la plupart des cas, les administrations n'hésitent pas à utiliser la possibilité de la saisine facultative.
L'étendue de la saisine obligatoire de la commission pour les cas de départ dans le privé s'est donc réduite entre 1993 et 2007. Parallèlement à cette tendance, dans un nombre croissant de secteurs de l'administration - d'abord dans les autorités administratives et les agences -, apparaissent des commissions ou des collèges de déontologie internes, ce qui montre que le champ de la déontologie est aujourd'hui beaucoup plus vaste que celui de la commission que je préside.