Je suis journaliste grand reporter au quotidien La Croix et j'ai publié fin mars 2012 un ouvrage intitulé « Ces 600 milliards qui manquent à la France : enquête au coeur de l'évasion fiscale ». A cette occasion, je me suis intéressé en profondeur à l'organisation de la fraude fiscale par la banque suisse UBS sur le territoire français, du début des années 2000 jusqu'à l'année 2011, et particulièrement de l'année 2004 à l'année 2007. J'ai enquêté à partir de l'été 2011 et pendant un peu plus de six mois de façon très intensive. J'ai eu accès à de nombreuses sources, notamment des policiers, des magistrats et des sources internes à la banque UBS à Paris ou en Suisse. La somme de documents internes qui m'ont été communiqués m'a permis de retracer les modalités de cette fraude fiscale et les personnes concernées, clientes comme actrices. Je me suis attachée à dresser un paysage plus large du phénomène global de l'évasion fiscale. J'ai ensuite évalué la somme des avoirs des personnes physiques comme morales françaises présentes dans les paradis fiscaux à environ 600 milliards d'euros. J'estime la fuite annuelle de sommes non déclarées au fisc français à 30 milliards d'euros. Ces nombres ont été très largement validés par de nombreuses sources financières.
Plusieurs enquêtes judiciaires ont suivi la publication de mon livre. Un travail politique a par ailleurs permis d'obtenir des informations très importantes. L'opinion publique comme de nombreux journalistes se sont intéressés au sujet. Un de mes confrères de Mediapart a poursuivi une enquête sur la banque UBS. Pour ma part, j'ai continué à fréquenter mes sources, qui se sont d'ailleurs multipliées, de nouvelles personnes s'étant signalées. Ainsi, ma perception du phénomène s'est élargie. J'ai pu mesurer progressivement que ce que je croyais déjà considérable était en fait un phénomène quasi systématique et très généralisé dans le milieu bancaire.
Malgré les enquêtes, le travail gouvernemental - certes timide - et des parlementaires, la pratique de l'évasion fiscale ne faiblit pas. Le système bancaire est le coeur d'un système plus large autour duquel sont articulés des cabinets d'avocats, des notaires, des conseillers financiers. Tous concourent à faire en sorte qu'une véritable industrie de l'évasion fiscale existe au service à la fois des entreprises et des personnalités physiques.
Le 29 mai, je me suis entretenu, en compagnie de deux de mes confrères de Mediapart, avec Pierre Condamin-Gerbier. Il nous a montré comment, au milieu des années 90, des groupes commerciaux et industriels ont créé leur propre banque dans des paradis fiscaux, notamment anglo-saxons, de façon à gérer leurs propres affaires à l'abri du fisc des pays dans lesquels ils réalisaient leur chiffre d'affaires. Le rendement économique était tellement extraordinaire qu'ils se sont spécialisés dans ces banques liées à d'autres opérateurs, financiers le plus souvent.
Il n'existe pas de rupture entre l'économie dite réelle et l'activité financière. Le lien est historique et organisationnel. Désormais, les banques ne sont plus qu'un instrument parmi d'autres dans la palette des fraudeurs.